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Le bon, la brute et le truand
de Sergio Leone avec Clint Eastwood, Eli Wallach et Lee van Cleef (Italie - Etats-Unis, 1966, 2h50).
mercredi 8 août 2007, par Bruno Colombari
C’est l’un des côtés du carré magique du western, avec Danse avec les loups, La porte du paradis
et Il était une fois dans l’ouest. En 1966, Sergio Leone achève la déconstruction du western
classique par une fresque démente avec la guerre de Sécession en toile de fond. Les camps de la
mort, les tranchées de Verdun et le cynisme des GI à la Libération se laissent aisément deviner
dans ce film à l’humour désespéré.
« COMPTE CHAQUE CROIX, COMPTE CHAQUE LARME »
Il y a des films, comme celui-là, qui sont dévorés par leur bandeson. Celle du Bon, la brute et le truand, signée Ennio Morricone, est probablement plus connue encore
que le long métrage de Sergio Leone. Il serait pourtant dommage d’oublier l’exceptionnelle mise en scène
de ce qui est bien plus qu’un western. Point de héros, en effet, dans cette fresque peuplée par trois
personnages dont on peine à distinguer la grandeur d’âme. Le truand, Tuco, est prêt à tout pour arriver à
ses fins, y compris à dépouiller un mourant. La brute, Sentenza [1], assassine froidement à la demande,
mais ne dédaigne pas voir ses futures victimes souffrir avant. Quant au bon, Blondin, il se déplace avec
une flegme et une grâce que n’ont pas les deux autres, il ne lève jamais la voix, économise ses gestes, et
tire avec une précision effrayante. Mais il n’hésite pas à abandonner Tuco dans le désert, ou à le laisser en
équilibre sur une croix branlante, la corde au cou.
A cette relativité-là (la figure du héros est une affabulation), Leone en superpose une autre, qui donne au
film sa dimension épique : l’action se déroule en effet au début des années 1860, alors que la guerre de
Sécession fait rage dans le sud de l’Union. [2] Ainsi, aux crapuleries des trois protagonistes dont l’enjeu
est un butin de 200 000 dollars, fait face l’extrême sauvagerie de la première guerre moderne de
l’histoire, celle où les assauts de l’infanterie étaient fauchés net par la canonnade et les mitrailleuses, et
où des tranchées étaient creusées de part et d’autre la ligne de front.
Car ce conflit, Sergio Leone le montre non pas à la manière des westerns des années cinquante, mais à
celle des plus grands films de guerre, notamment les Sentiers de la gloire, de Stanley Kubrick, sorti en
1958. La fumée, les détonations, les cris des blessés, le vacarme assourdissant, la panique des combats
est rendue avec un réalisme froid d’où est absente toute notion d’héroïsme et de grandeur. Le bon, la
brute et le truand évoque donc la première guerre mondiale, mais aussi la seconde avec la terrifiante
description d’un camp de prisonniers de guerre, où la torture et la barbarie sont la règle. De tels camps
ont réellement existé aux Etats-Unis, notamment celui d’Andersonville, géré par les Sudistes. Mais c’est
bien sûr aux camps nazis que l’on pense, avec ses orchestres juifs chargés de couvrir les cris des
suppliciés [3].
Mais ce qui fait la grandeur du Bon, la brute et le truand, c’est bien entendu sa mise en scène. En deux
heures cinquante (la version longue disponible sur DVD), les morceaux de bravoure se succèdent
quasiment sans interruption, chacun avec une trouvaille sur laquelle il faudrait s’arrêter longuement.
Alternance de panoramiques et de plans très serrés sur les visages, étirement extrême du temps
brusquement interrompu par une flambée de violence, plages de silence presque total et vacarme des
armes et des bombardements... C’est un film total, qui traverse presque tous les genres et toutes les
époques, à la fois d’une extrême modernité et d’un classicisme qui remonte aux premiers temps du muet.
Film dont l’action se situe il y a cent cinquante ans dans le sud-ouest des Etats-Unis, Le Bon, la brute et le
truand nous parle aussi, et peut-être avant tout, de l’Europe du vingtième siècle. Les tranchées de la
première guerre mondiale et les camps d’extermination, on l’a dit, mais aussi autre chose : le film a été
tourné en 1966 en Espagne. Donc, trente ans après la guerre civile espagnole, dans le franquisme
finissant. Or, que voyons-nous à l’entrée du dernier quart d’heure du film, entre l’explosion du pont et le
duel final dans le cimetière de Sad Hill ? Une scène très douce, comme une parenthèse dans une
cavalcade funèbre : un jeune soldat sudiste est en train de mourir. Il claque des dents, et son regard
suppliant croise celui de Blondin. Ce dernier le couvre de son manteau et lui offre quelques bouffées de
son cigarillo. La scène se passe dans une petite chapelle dont il ne reste que des pans de murs en ruine et
une charpente carbonisée. Cette chapelle n’a pas été construite pour le film, elle existait vraiment.
Comme le tournage a eu lieu trente ans après la guerre d’Espagne, on peut imaginer sans trop de risques
que cette chapelle a été détruite entre 1936 et 1939. Le Bon, la brute et le truand évoquerait ainsi, via la
guerre de Sécession, une des plus terrifiantes guerres civiles européennes du vingtième siècle.
Notes
[1] Angel eyes (Yeux d’ange) dans la VO en anglais
[2] Le conflit a causé plus de 600 000 morts dans les deux camps Voir sur Wikipedia
[3] Dans son article sur le site mad-movies.com, Diez nous livre les paroles de la chanson Soldier’s
story, jouée dans le film pendant le tabassage de Tuco et dont est extraite la phrase du titre de cet
article

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