L`esca de la vigne L`esca de la vigne
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L`esca de la vigne L`esca de la vigne
L’esca de la vigne Contribution à la compréhension de la maladie Florian Bassini L’approche globale Dans une approche dite « globale », la recherche du vecteur de l’affection devient un outil et non pas une finalité. Comme le pensait Pasteur à la fin de sa vie : « la microbe n’est rien, le terrain est tout ». Une individualité contracte donc une maladie, d’abord parce qu’elle est en état de faiblesse et, ensuite parce que la maladie se trouve dans l’environnement. Cette conception de la maladie nous renvoie, dans notre cas, à la totalité de la vie de la vigne, c’est à dire aux moyens mis en œuvre pour la multiplier, la planter, la cultiver, la soigner et travailler la terre qui l’accueille. La recherche du facteur causal est bien souvent rigoureusement menée. L’agent pathogène responsable de la maladie est isolé, observé, analysé. Les symptômes de la maladie sont répertoriés et fidèlement décrits. Tout ces éléments de description et de biologie fondamentale nous permettent de donner un nom et nous sortent de l’inconnu. L’étude de l’état global du terrain est quant à elle beaucoup plus complexe. Cet exercice s’appelle l’épidémiologie (étude des relations entre les maladies et divers facteurs intervenant dans leur apparition et leur développement). L’environnement, la vie du sol, la santé du matériel végétal peuvent être insérés dans cette notion. De nouvelles interrogations sont alors soulevées. Pourquoi cette espèce est-elle malade ? Pourquoi cet « individu » et pas celui-là ? Quel est le sens de cette maladie, que veut-elle donc nous dire ? Identité du facteur causal L’esca est une maladie dite de dégénérescence (au même titre que l’eutypiose, le court-noué, la flavescence dorée), c’est à dire qui s’attaque aux parties pérennes de la vigne. Elle provoque un dépérissement prématuré des ceps. C’est une maladie du bois se caractérisant par une apoplexie plus ou moins rapide, des nécroses au centre des troncs et des tâches sur les feuilles. Les différents champignons impliqués dans l’esca peuvent évoluer lentement, sur plusieurs années (symptômes latents), puis entraîner la mort du cep en quelques jours ou quelques semaines. L’histoire et l’évolution de la maladie nous donne des informations assez importantes. L’esca est une très vieille maladie européenne puisque l’on trouve l’évocation de ses symptômes dans l’antiquité Grecque (présence de bois mou au centre du tronc). Ils nommaient alors cette maladie éské (cela pouvait désigner un champignon poussant sur les chênes et les noyers). Plus proche de notre époque, Henri Mares décrit en 1865 une « maladie terrible et très anciennement connue, désignée sous le nom d’apoplexie, qui frappe isolément les ceps, au milieu de l’été, en pleine végétation, et la fait périr en quelques jours ». Puis en 1873, De Rolland lance une première incrimination : « … la reconstitution du vignoble, à la suite de l’invasion phylloxérique (aux alentours de 1867), semble avoir augmenté la virulence de l’esca ». Symptôme foliaire sur cépage blanc Cette interrogation concernant la plus grande sensibilité des vignes sur porte-greffe américain est reprise par Viala en 1911… Un traitement « miracle » à base d’arsénite de sodium est découvert vers 1910. Il permet la destruction partielle des champignons à l’intérieur même des troncs. Puis ce traitement est progressivement interdit en Europe à la fin du vingt et unième siècle et en France à partir de novembre 2001 pour des raisons environnementales et de santé publique… L’esca a longtemps été considérée comme une maladie de vieillesse frappant isolément les ceps. Mais depuis quelques années, nous pouvons l’observer sur de très jeunes vignes (10 ans) et sa proportion augmente considérablement. L’approche de l’état du terrain au moyen des enquêtes Symptôme foliaire sur cépage noir L’arrêt total de ces traitements n’explique qu’en partie la prolifération de cette maladie mais cela n’explique en rien le changement de son comportement. Suite à l’utilisation de porte-greffes américains, la vigne a vécu de nombreux changements et évolutions techniques. Depuis, la sélection clonale permettant la sélection draconienne d’individus parfaits a destitué la traditionnelle sélection massale (d’un nombre importants d’individus, d’une population) vers 1960. L’essor du tracteur vers cette même époque a permis un travail du sol plus profond. En 1974, la greffe oméga, plus pratique et moins coûteuse, a remplacé la greffe anglaise chez les pépiniéristes. Les enquêtes se sont donc portées sur un échantillon de 24 exploitations situées dans 3 grandes régions viticoles (Provence, Bourgogne, Alsace). Les résultats concernant l’esca portent sur un total de 37 parcelles. La quasi totalité des exploitations pratique l’agriculture biologique ou biodynamique et cela afin de faire abstraction de possibles Nécrose centrale traitements récents à l’arsénite de sodium. Nous avons attribué à chaque parcelle, un état d’affection (faible, moyen ou important) en fonction de la proportion de la maladie, mais aussi de son évolution au cours du temps. Une comparaison de cet état selon différents critères (âge, type de greffe, type de sélection, quantité de production, époque de taille, luttes alternatives pratiquées) permet de faire ressortir quelques tendances dans la compréhension de l’esca. Le premier constat de ces résultats mène à une grande disparité de comportements de la maladie suivant les régions. Nous observons de faibles proportions en Bourgogne (entre 0,5% et 3 % de ceps contaminés par l’esca) mais une mortalité très élevée et brutale (quelques semaines). En Provence, les proportions peuvent être assez importantes (jusqu’à 50%) mais l’apoplexie (donc la mort) n’est pas systématique. La région Alsace est caractérisée par une importante proportion d’esca (5% à 20%) et une mort quasi certaine dans les deux à trois années qui suivent l’apparition des symptômes. Il apparaît que l’année 2004 a été particulièrement profitable à l’esca. Les premiers symptômes apparaissant normalement en juillet et août se sont manifestés très tôt, dés la mi-juin. De plus les proportions d’esca ont véritablement explosé atteignant des domaines jusque là exempts de cette maladie. La canicule de l’année 2003 et la sécheresse en 2003 et 2004 ont sans doute contribué à ce phénomène : les vignes ont probablement eu de la difficulté à accumuler des réserves en 2003 et les stress hydriques semblent favorables à la maladie. Nécrose sectorielle Photos de l’IFV Sud-ouest La première comparaison que nous avons voulu réaliser porte sur l’état d’affection et l’âge de la vigne (Tableau n°1). Trois tranches d’âges ont été choisies de manière à relater les principaux changements techniques. Les ceps plantés avant 1961 sont issus de sélection massale et de greffe anglaise. Entre 1961 et 1976, la sélection clonale et la greffe oméga prennent leur essor. Après 1976, la quasi totalité des vignes a subi ces deux changements. Nous pouvons donc nous demander si ce sont les vieilles vignes qui ont acquis une certaine forme de résistance, ou si ce sont les changements de techniques que sont la greffe oméga et la sélection clonale qui ont accentué le phénomène. Date de plantation ≼ à 1960 ≻ à 1960 et ≼ à 1976 ≻ à 1976 inconnue Affection faible 8 parcelles 1 parcelle 1 parcelle 1 parcelle Affection moyenne 1 parcelle 1 parcelle 6 parcelles 0 parcelle Affection forte 0 parcelle 6 parcelles 11 parcelles 1 parcelle Tableau n°1 Attachons nous maintenant à isoler ces deux facteurs en les comparant séparément. La comparaison suivante porte sur le type de sélection (Tableau n°2). S’il semble donc que la sélection massale n’empêche pas de fortes contaminations, il ressort tout de même que les vignes en sélection clonale ont une plus forte sensibilité à l’esca. Cela nous renvoie, par conséquent au rôle de la diversité génétique des vignes face à la maladie de l’esca (mais aussi des autres maladies). Type de sélection Clonale Massale inconnu Affection faible 2 parcelles 9 parcelles 0 parcelle Affection moyenne 4 parcelles 4 parcelles 0 parcelle Affection forte 10 parcelles 6 parcelles 2 parcelles Tableau n°2 Le type de greffe a été évoqué fréquemment par les viticulteurs. La qualité propre de la greffe oméga et ses effets secondaires (nécroses, anarchie cellulaire, mauvaise circulation de la sève) font donc débat. Les résultats montrent que les vignes greffées de cette manière semblent beaucoup plus sensible à l’esca. La greffe oméga a-t-elle une conséquence directe mais à retardement sur la maladie ? Type de greffe Anglaise Oméga inconnu Affection faible 8 parcelles 2 parcelles 1 parcelle Affection moyenne 2 parcelles 5 parcelles 0 parcelle Affection forte 2 parcelles 13 parcelles 2 parcelles Tableau n°3 La dernière comparaison que nous allons présenter porte sur la production par pied. Le rendement reflète en partie les choix et les pratiques exercés par chacun des viticulteurs. La production a, de plus, considérablement augmenté dans un temps somme toute assez court (150 ans). L’apparition de nouvelles maladies comme le mildiou (1879) ou la généralisation de l’oïdium (1845) se sont peut-être produites pour équilibrer la balance (travail du sol profond, forte fertilisation, puis porte-greffe vigoureux, sélection clonale axée sur la productivité…). Les maladies du bois suivent-elles cette logique ? Il ressort qu’une faible production par pied ne garantit pas une moindre fragilité , mais une forte production semble sensibiliser les vignes à cette maladie. La situation observée sur le terrain peut nous faire penser qu’un état de sur-vigueur, mais aussi de sous-vigueur productive, semble affaiblir la résistance de la vigne à l’esca. La plante ne peut rétablir un équilibre perturbé par un élément extérieur car elle est elle-même en déséquilibre interne. ≻ à 0,49 et ≼ à 0,99 ≻ à 0,99 Inconnue 6 parcelles 3 parcelles 1 parcelle 1 parcelle Affection moyenne 1 parcelle 4 parcelles 3 parcelles 0 parcelle Affection forte 3 parcelles 5 parcelles 9 parcelles 1 parcelle Production/pied litre Affection faible en ≼ à 0,49 Tableau n°4 Conclusion L’origine multifactorielle de l’esca aperçue lors de cette étude, nous amène à accentuer la réflexion sur différents facteurs ayant probablement une influence dans la sensibilité des vignes. La réflexion menée pour ce travail n’est pas une fin en soi. Elle ne contribue qu’aux prémices d’une réflexion globale dont l’aboutissement sera la réalisation d’un équilibre entre l’homme, la vigne, l’agriculture en général et la nature. La considération de la totalité des éléments, permettant d’engager un pied de vigne sur un chemin de vie cohérent et respectueux de sa nature profonde, permettra à long terme de s’affranchir d’artifices aujourd’hui indispensables. Quelles approches, de la sélection des bois jusqu’au mode de conduite, permettraient à la vigne d’exprimer pleinement son système immunitaire face aux différentes agressions ? Quelles sont les différentes techniques employées apportant une sensibilité aux maladies ? La maladie est-elle vraiment à considérer comme nuisible, n’est-elle pas à considérer comme une réaction normale d’un organisme en déséquilibre ? Année de l’enquête : 2004 Il existe un mémoire plus complet sur cette étude. Florian BASSINI Fondation la Clairière, Route de Villard, 20 1832 CHAMBY SUISSE [email protected] Extrait du Bulletin des professionnels de la biodynamie Numéro 18 – juin 2012