Les curares : étude bibliographique

Transcription

Les curares : étude bibliographique
SYNTHÈSES SCIENTIFIQUES
Les curares : étude bibliographique
° M. BESSET, °° P. VERWAERDE et °° A. AUTEFAGE
° Clinique Vétérinaire, 29 avenue du Maréchal-Juin, F-11000 Carcassonne
°° École Nationale Vétérinaire de Toulouse, Unité de Chirurgie/Anesthésie-Réanimation, 23 chemin des Capelles, F-31076 Toulouse Cedex
RÉSUMÉ
SUMMARY
Les curares sont des myorelaxants qui, à posologie adaptée, permettent
d’induire une paralysie musculaire contrôlée.
Il existe des molécules dépolarisantes et non dépolarisantes. Facilement
antagonisables et mieux tolérées, les deuxièmes sont les plus couramment
utilisées en médecine vétérinaire et humaine.
En médecine vétérinaire, une des molécules les plus connues est le bromure de Vécuronium (Norcuron ND). A la dose de 0,1 mg/kg, il permet
d’obtenir, chez le chien, un bloc neuro-musculaire d’environ vingt minutes.
Les curares restent cependant d’utilisation très ciblée chez l’animal : chirurgie ostéo-articulaire difficile et longue, thoracotomie,... Ils devront être
administrés à la demande, toujours après stabilisation de l’anesthésie générale. Cette dernière est alors plus difficile à évaluer et doit faire appel à un
monitoring précis. La profondeur de la curarisation sera estimée soit à l’aide d’un stimulateur, soit par visualisation des signes cliniques de décurarisation.
Pour les curares non dépolarisants, à la fin de l’intervention, un éventuel
bloc résiduel peut être réversé par l’administration de molécules à propriété anticholinestérasique.
Il est tout à fait possible d’utiliser des molécules curarisantes en médecine vétérinaire courante et leur participation aux anesthésies par inhalation
peut permettre de diminuer le temps opératoire de façon considérable.
Neuromuscular blocking agents : a bibliographic study. By M. BESSET, P. VERWAERDE and A. AUTEFAGE.
MOTS-CLÉS : chien - curares - anesthésie.
KEY-WORDS : dog - muscle relaxants - anaesthesia.
Introduction
pouvaient rester en vie, à condition d’être sous assistance respiratoire.
Tous les curares ont des propriétés voisines de celles des
extraits végétaux naturels, ils bloquent le fonctionnement de
la jonction neuro-musculaire ou plaque motrice. La d-tubocurarine, première molécule isolée et utilisée, reste l’agent
neuro-musculaire bloquant pris classiquement en référence
[1, 17]. Depuis, de nombreuses molécules semi- ou totalement synthétiques ont été fabriquées et sélectionnées selon
leur spécificité, leur durée d’action et l’importance de leurs
effets indésirables.
Bien que présentant l’avantage majeur de permettre une
myorelaxation parfaite et un contrôle précis de la fonction
Les Indiens d’Amérique du Sud (des bords de l’Amazone
et de l’Orénoque) connaissaient depuis fort longtemps l’effet
paralysant d’extraits végétaux issus d’une plante tropicale,
Chondodendron tomentosum. Les Indiens se servaient de
cette action paralysante mortelle des curares (principe actif
de ces extraits) pour chasser le gibier. Claude BERNARD, en
1850, démontra à partir d’expériences réalisées sur le muscle
gastrocnémien de grenouille, que l’action des curares est
périphérique et spécifique de la jonction neuro-musculaire
[6]. Dès le début du siècle dernier (1911), HOLMES a
démontré qu’après l’administration de curares, les animaux
Revue Méd. Vét., 2001, 152, 10, 667-680
Muscle relaxants allow to induce a specific and controlled neuromuscular blocking action.
According to their properties, the muscles relaxants are classified in non
depolarizing and depolarizing agents. The first one are commonly used in
veterinary and human medicine because they are better tolerated and their
action is reversible. In veterinary medicine, Vecuronium bromide is the
most used. At dose 0,1 mg/kg, it induces a twenty minutes neuromuscular
blockade in the dog.
Muscle relaxants could be used as anaesthesia adjuvant for long and difficult osteo-articular surgery, thoracotomy,...
They must be on request injected, only when anesthesia is stabilized.
However, clinical monitoring of anesthesia is more difficult and the dog
must be monitorized.
Quality blokade can be assessed with a stimulator or by visualization of
relaxants antagonism clinical signs.
When surgery is finished, a possible residual blockade can be reversed
with an anticholinesterasic drug.
It is possible to use neuromuscular blocking agents in veterinary anaesthesia. Their administration can allow to reduce surgery time.
668
BESSET (M.) ET COLLABORATEURS
respiratoire (paralysie des muscles respiratoires), les curares
demeurent actuellement peu utilisés en anesthésie vétérinaire. Adjuvants forts utiles de l’anesthésie générale lors de
chirurgies orthopédiques, thoraciques et ophtalmologiques,
la faible utilisation vétérinaire de ces médicaments réside
notamment dans une méconnaissance de leurs effets pharmacologiques et dans la réticence des cliniciens à pratiquer une
curarisation. Dans cette synthèse bibliographique, nous nous
proposons de faire le point sur les données pharmacologiques
des curares et de décrire la réalisation pratique d’une curarisation chez les carnivores domestiques.
1. Mode d’action des curares
Pharmacologiquement, on reconnaît deux grandes familles
de curares, les cholinomimétiques appelés encore curares
dépolarisants et les cholinocompétitifs aussi appelés non
dépolarisants. Afin de parfaitement appréhender le mode
d’action des curares, il apparaît utile de rappeler quelques
éléments de la physiologie de la jonction neuro-musculaire.
A) TRANSMISSION NEURO-MUSCULAIRE
L’acétylcholine, synthétisée dans la cellule nerveuse à partir de la choline et de l’acétyl co-enzyme A, est stockée au
sein de vésicules présynaptiques [15, 17, 32]. Lors de stimulation nerveuse (arrivée d’un influx nerveux au niveau du
bouton synaptique), des ions Ca2+ entrent massivement dans
la terminaison nerveuse et entraînent la libération d’acétylcholine dans l’espace synaptique par fusion de la membrane
des vésicules à la membrane plasmique présynaptique [15]. Il
est à noter qu’en l’absence d’ions Ca2+, la libération d’acétylcholine devient impossible [32] (Figure 1).
Les molécules d’acétylcholine libérées se fixent sur les
récepteurs cholinergiques post-synaptiques qui, au niveau de
la jonction neuro-musculaire, s’avèrent spécifiques (récepteurs nicotiniques de type NM) (Figure 2). Cette fixation
induit une augmentation de la conductance ionique à divers
cations. La stimulation des récepteurs nicotiniques de type
NM génère, d’une part, une entrée de sodium et de calcium
dans la cellule musculaire et, d’autre part, une sortie concomitante de potassium [17, 32]. Ces mouvements ioniques
sont à l’origine d’une dépolarisation membranaire postsynaptique localisée. La différence de potentiel de la membrane musculaire passe brutalement de - 90 mV à - 10 mV.
Lorsque cette dépolarisation atteint une valeur seuil
comprise entre - 60 mV et - 40 mV, un potentiel d’action se
déclenche. En se propageant le long de la membrane musculaire, ce potentiel d’action dit «post-jonctionnel» provoque la
contraction des myofibrilles sous-jacentes [32]. La propagation de la dépolarisation, et donc de la contraction musculaire, reste essentiellement sous l’influence de canaux
sodiques membranaires qui s’ouvrent lors de la dépolarisation et se ferment spontanément. Ces canaux restent en phase
réfractaire (état inactif : canaux fermés) tant que la dépolarisation persiste. Très rapidement, l’acétylcholine libérée dans
Ac : acétylcholine
FIGURE 1. — Anatomie de la jonction neuro-musculaire : site d’action des curarisants [33].
Revue Méd. Vét., 2001, 152, 10, 667-680
LES CURARES : ÉTUDE BIBLIOGRAPHIQUE
FIGURE 2. — Schéma simplifié de la physiologie de la jonction neuro-musculaire.
la fente synaptique est hydrolysée en choline et acétate par
une enzyme l’acétylcholinestérase. L’essentiel de l’acétylcholinestérase se trouve localisé à la surface externe de la
membrane post-synaptique et participe au rétrocontrôle de la
dépolarisation [15, 17].
B) MÉCANISME D’ACTION DES CURARES
La distinction pharmacologique des deux grandes familles
de curares repose sur leurs différences de mécanisme d’action.
a) Action des curares non dépolarisants
Pharmacologiquement, ces curares influencent à la fois
l’électrophysiologie des membranes présynaptiques (neuronales) et post-synaptiques (musculaires). Leurs effets myorelaxants résident essentiellement dans leurs conséquences sur
les mécanismes post-jonctionnels.
Revue Méd. Vét., 2001, 152, 10, 667-680
669
a) Mécanismes post-jonctionnels
Les curares non dépolarisants agissent par compétition, on
les nomme aussi curares cholino-compétitifs. Ils occupent les
mêmes récepteurs post-synaptiques que l’acétylcholine mais
n’engendrent aucun effet biologique, ils sont antagonistes
[33]. Au fur et à mesure de l’occupation croissante de ces
récepteurs par les agents neuro-musculaires bloquants, l’amplitude de la dépolarisation de la membrane post-jonctionnelle diminue progressivement. A terme, ce blocage se traduit par l’impossibilité d’apparition d’un potentiel d’action
[33]. Il s’agit d’un mode d’action par compétition réversible.
Ainsi, toute augmentation de la concentration en molécule
agoniste (acétylcholine) déplacera l’équilibre de la réaction
(déplacement des antagonistes) dans le sens d’une reprise de
contraction musculaire [17, 13]. En outre, comme il existe
plus de récepteurs et de molécules d’acétylcholine que nécessaire à une contraction musculaire physiologique, les molécules d’acétylcholine en surnombre peuvent se fixer sur les
récepteurs restés libres et déclencher une contraction musculaire. Une contraction musculaire pourra ainsi être obtenue
même si une fraction relativement importante de récepteur
s’avère occupée par les curares [17, 32].
Chez le chien, la souris, le chat et l’homme, 70 à 75 % des
récepteurs post-synaptiques doivent être occupés par un
agent neuro-musculaire bloquant pour provoquer un début de
paralysie musculaire [15, 17]. En conclusion, il faudra une
concentration élevée d’agent neuro-musculaire bloquant et
un nombre important de récepteurs bloqués pour empêcher la
contraction musculaire. C’est ce qui est couramment appelé
«marge de sécurité».
En outre, il existe d’une part des différences de sensibilité
des divers types de muscles à l’effet bloquant des curares et,
d’autre part, les curares semblent présenter un tropisme préférentiel pour les muscles striés squelettiques. Ainsi, la paralysie diaphragmatique ne débute que pour un blocage de 80 à
85 % des récepteurs post-synaptiques. Cette observation
explique en partie la relative résistance du diaphragme aux
agents curarisants et sa récupération spontanée plus précoce
que les autres groupes musculaires [17].
b) Mécanismes pré-jonctionnels
Concomitamment aux phénomènes post-jonctionnels,
l’action présynaptique des curares non dépolarisants
explique la diminution de la libération d’acétylcholine
observée. En effet, il existe des récepteurs cholinergiques
présynaptiques qui facilitent la mobilisation axonale de
l’acétylcholine [17]. Ces récepteurs présynaptiques s’avèrent inhibés en présence de ces molécules curarisantes et
génèrent donc une réduction de la libération des molécules
d’acétylcholine [5, 13]. Cet effet présynaptique vient renforcer l’effet post-synaptique.
b) Action des curares dépolarisants
Les curares dépolarisants présentent une pharmacodynamie très différente des précédents. En effet, ces agents neuromusculaires dits cholinomimétiques provoquent une dépolarisation continue et permanente de la membrane post-synaptique de la jonction neuro-musculaire. Leur temps de contact
avec la membrane post-synaptique s’avère plus durable car
670
ces molécules résistent à l’action de l’acétylcholinestérase.
Elles déclenchent une dépolarisation prolongée rendant la
membrane musculaire inexcitable, car les canaux sodiques
participant à la propagation du potentiel post-jonctionnel
demeurent en état inactif (maintien des canaux en conformation «fermée»). Cet état se traduit par un arrêt de la transmission neuro-musculaire [15, 17, 33].
Les effets de ces molécules curarisantes sur le fonctionnement de la jonction neuro-musculaire restent fonction de leur
concentration et du temps de contact des molécules sur la
membrane musculaire. Ainsi, l’administration prolongée
d’un curare dépolarisant aboutit plus ou moins rapidement à
un bloc neuro-musculaire ayant les caractéristiques d’un bloc
non dépolarisant (paralysie flasque progressive) [17].
Cliniquement, le bloc neuro-musculaire engendré par les
agents dépolarisants se produit en deux temps, d’abord un
bloc dit de phase I correspondant à l’activité dépolarisante de
la molécule puis, un bloc dit de phase II traduisant la période
de paralysie. Pendant la période de dépolarisation initiale, on
peut observer un court laps de temps pendant lequel se produisent des excitations musculaires répétitives se traduisant
cliniquement par des fasciculations [33]. Ces contractions
initiales peuvent également résulter d’une libération accrue
d’acétylcholine par une action présynaptique des substances
dépolarisantes [13]. Bien qu’il soit possible d’observer les
conséquences de cette fasciculation sur la pression intra-oculaire du chien (hypertonie), ces deux phases ne sont en fait
que très rarement observées en médecine vétérinaire.
Parallèlement à ce mode d’action principal, les curares
dépolarisants agissent également par d’autres mécanismes [5,
13] :
— «désensibilisation» à court terme des récepteurs cholinergiques post-synaptiques, ces derniers deviennent alors
inactivables,
— interférence avec le fonctionnement des canaux
ioniques de la plaque motrice,
— action directe sur les canaux sodiques de la membrane
post-synaptique.
La figure 3 résume le mode d’action des curarisants dépolarisants et non dépolarisants.
BESSET (M.) ET COLLABORATEURS
B) DISTRIBUTION
Les volumes de distribution des molécules curarisantes
sont précisés dans le tableau I. Ces valeurs demeurent
proches de celle de l'espace extracellulaire. La clairance et le
temps moyen de transit sont différents selon les molécules.
Ces différences s'expliquent par des particularismes en terme
d'élimination et de métabolisation. Les myorelaxants possédant les clairances les plus élevées ou les temps moyens de
transit les plus faibles apparaissent comme ayant une durée
d'action brève [5].
C) ÉLIMINATION
L'élimination et la métabolisation des différents agents
neuro-musculaires bloquants sont rénales et/ou hépatiques.
L'état fonctionnel des émonctoires s'avère donc susceptible
d'influencer la pharmacocinétique des curares [5]. Seul,
l'atracurium fait exception à cette règle car il subit une autoélimination (voir ci-après).
3. Les agents neuro-musculaires bloquants utilisés
Les curares ont des modes d'action apparentés à ceux des
extraits végétaux de curares naturels. Actuellement, de nombreuses molécules ont été expérimentées puis utilisées.
Seules les plus courantes seront décrites ici [15, 17, 25]. Les
principales caractéristiques de ces médicaments sont résumées dans le tableau II.
A) CURARES DÉPOLARISANTS
Le seul encore utilisé est le suxaméthonium (encore appelé
succinylcholine) (Célocurine ND).
La succinylcholine est hydrolysée par les pseudocholinestérases plasmatiques [25] dont les concentrations sanguines
s'avèrent diminuées par certains composés organophospho-
2. Éléments de pharmacocinétique générale des curares
A) ABSORPTION
Aux pH physiologiques, les curares sont des molécules
ionisées. Ces ammoniums quaternaires sont lipophobes et
traversent difficilement les membranes cellulaires. L'administration entérale est cliniquement inefficace, cette observation est par ailleurs à mettre en relation avec l'habitude
qu'avaient les Indiens d'Amérique du Sud de se nourrir du
gibier tué avec des flèches enduites de curare. En pratique,
ces médicaments devront être administrés par voie intraveineuse stricte. La voie intramusculaire peut éventuellement
être utilisée, mais la vitesse de mise en place du bloc neuromusculaire s'avère alors très variable et peu reproductible [1].
VDOT (ml/kg) : volume de distribution total ; TMT : temps moyen de transit ; N : normal ; IR : insuffisant rénal ; IH : insuffisant hépatique (* cirrhose,
** cholestase) ; ND : non déterminé.
TABLEAU I. — Pharmacocinétique des curares non dépolarisants [5].
Revue Méd. Vét., 2001, 152, 10, 667-680
LES CURARES : ÉTUDE BIBLIOGRAPHIQUE
FIGURE 3. — Mode d’action des agents neuro-musculaires bloquants non dépolarisants (panneau du haut) et dépolarisants (panneau du bas).
Revue Méd. Vét., 2001, 152, 10, 667-680
671
672
BESSET (M.) ET COLLABORATEURS
I.R. : Insuffisant rénal : I.H. : Insuffisant hépatique ; I.C. : Insuffisant cardiaque ; IV : intraveineux.
TABLEAU II. — Principales caractéristiques des curares utilisables en médecine vétérinaire.
rés. Il est donc déconseillé d'utiliser cette molécule chez un
animal traité avec un antiparasitaire de cette famille [25]. Des
états de cachexie ou de malnutrition, souvent associés à un
défaut de synthèse de pseudocholinestérases, peuvent être à
l'origine d'un prolongement des effets des curares dépolarisants [15, 25].
Utilisation
Chez l'homme, la durée d'action du suxaméthonium est de
quelques minutes pour une dose de 1 mg/kg [5]. Chez le
chien, la dose de 0,3 mg/kg induit un bloc neuro-musculaire
d'environ 20-25 minutes [25]. Chez le chat, la durée d'action
de ce curare est d'environ 5-6 minutes pour une dose de 3 à 5
mg in toto. Chez le porc, on observera un bloc de 2 minutes
pour une dose de 2 mg/kg [15]. Le suxaméthonium n'est pas
utilisé fréquemment en médecine vétérinaire et ne présente
en fait de véritable intérêt que pour l'intubation du chat et du
porc (a priori plus difficile) [15, 25]. Chez le chien, la durée
est bien trop longue pour réaliser une simple intubation endotrachéale. De même, chez l'homme, la molécule agit de façon
préférentielle au niveau des muscles laryngés. Sa durée d'action fait que cette molécule reste encore largement utilisée
pour l'intubation chez l'homme (intérêt clinique majeur) [5].
Effets indésirables du suxaméthonium
— Des fasciculations musculaires, dues à la dépolarisation
initiale de la membrane post-synaptique ont été décrites chez
l'homme et l'animal [25]. Leur durée peut être de vingt-quatre
heures chez l'homme [15]. Chez l'homme, elles peuvent être
à l'origine de douleurs musculaires post-opératoires [15, 25],
non décrites chez l'animal. Bien que certains auteurs aient
proposé de prévenir ces fasciculations par une administration
préalable de curare non dépolarisant [5], cette approche reste
discutée [7].
— Une hyperkaliémie peut résulter de l'utilisation du suxaméthonium. Lors de la dépolarisation permanente, une sortie
massive de K+ est associée à l'entrée de Na+. Ainsi, lors d'une
hyperkaliémie préexistante, l'usage de ce curare s'avère
contre-indiqué.
— Une augmentation de la pression intra-gastrique avec
une majoration du risque de reflux au moment de l'intubation
et une élévation de la pression intracrânienne ont été décrites
[5, 31]. En outre, il est fréquemment observé avec ce type de
curare, une élévation de la pression intra-oculaire à l'origine
de sa contre-indication en chirurgie ophtalmologique.
— Une libération dose dépendante d'histamine est décrite
chez l'homme avec la possibilité de choc anaphylactique
associé.
— Concernant l'appareil cardiovasculaire des troubles du
rythme [15] ainsi qu'une élévation de la pression artérielle
avec tachycardie ou bradycardie peuvent être rencontrés chez
l'homme et le chien [15, 25]. Les arythmies décrites semblent
être liées à la libération des ions K+ dans le sang [25, 31]. Des
précautions doivent donc être prises chez l'insuffisant cardiaque.
B) CURARES NON DÉPOLARISANTS
a) Bromure de pancuronium (Pavulon ND)
Anciennement très utilisé, ce curare sans effets indésirables
majeurs graves, présente une durée d'action moyenne [15].
Précautions d'emploi, contre-indications du pancuronium
— Appareil cardiovasculaire : Une injection intraveineuse entraîne chez le chien et le chat de légères modifications de la fréquence cardiaque ou de la pression veineuse
Revue Méd. Vét., 2001, 152, 10, 667-680
LES CURARES : ÉTUDE BIBLIOGRAPHIQUE
centrale mais sans altérations du tracé électrocardiographique [15]. Une hausse de la fréquence cardiaque et de la
pression artérielle chez le chien constituent les effets indésirables les plus fréquemment décrits [25].
— Fonction rénale : L'action est prolongée chez le chien
insuffisant rénal.
— Fonction hépatique : La durée du bloc neuro-musculaire est également augmentée lors d'obstruction des voies
biliaires.
Élimination
Le pancuronium est éliminé essentiellement par voie
rénale (90 % de la dose administrée) et pour une faible part
par voie biliaire (10 %) [15, 25]. Seulement 30 % de la molécule sont métabolisés, le reste est éliminé sous forme primitive [25].
Utilisation
Chez le chien une dose de 0,06 mg/kg par voie intraveineuse induit en 3 minutes un bloc neuro-musculaire d'approximativement 35 minutes [15, 25]. L'antagonisation
complète de ce bloc s'avère possible par l'administration
d'anticholinestérasiques, comme la néostigmine [15].
b) Bromure de vécuronium (Norcuron ND)
Le vécuronium est un analogue monoquaternaire du pancuronium [15, 20, 24]. Il s'agit du curare le plus couramment
utilisé en médecine vétérinaire, car sa durée d'action est un
peu plus courte que celle du pancuronium.
Précautions d'emploi, contre-indications du vécuronium
— Peu d'effets indésirables sont rencontrés lors de l'utilisation de vécuronium [8, 20], il est très faiblement histaminolibérateur chez le chien et l'homme [15, 20, 24]. Son effet
ganglionnaire reste négligeable [15, 20, 24, 25]. Le transfert
placentaire existe, mais demeure relativement faible [15].
— Appareil cardiovasculaire : L'utilisation d'une dose de
0,1 mg/kg chez le patient insuffisant cardiaque n'est pas
contre-indiquée [15, 20]. Chez le chien sain, la fréquence et
le rythme cardiaque restent pratiquement inchangés [20].
— Fonction rénale : Certains auteurs ont utilisé avec satisfaction le vécuronium chez l'homme insuffisant rénal [20,
25]. Seules les doses doivent être adaptées [24]. Il a été montré que chez le chat insuffisant rénal, la concentration en
vécuronium excrétée dans la bile est augmentée [4].
— Fonction hépatique : A la dose de 0,1 mg/kg, peu d'effets indésirables ont été décrits chez l'homme insuffisant hépatique [20]. Cependant, il existerait un effet cumulatif [15, 25],
ainsi certains auteurs recommandent la prudence lors d'utilisation de vécuronium chez l'insuffisant hépatique [25].
A la vue de ces données, il semblerait que le vécuronium
reste le curare non dépolarisant de choix chez l'animal insuffisant rénal et hépatique [20].
Élimination
Le vécuronium est éliminé sous forme inchangée dans la
bile (70 %) et dans l'urine (30 %). En fait, il existe trois métabolites qui ne sont rencontrés qu'en faible proportion dans la
bile [24].
Revue Méd. Vét., 2001, 152, 10, 667-680
673
Utilisation
— Chez le chien, la dose préconisée par voie intraveineuse
est de 0,1 mg/kg. Quatre minutes après l'injection, un bloc
neuro-musculaire d'environ 25 minutes est obtenu [20, 22,
25]. Le taux de reconversion est de 50 %, 17 minutes après
l'injection [20]. Par la suite, des bolus itératifs à la dose de
0,04 mg/kg peuvent être réalisés si nécessaire. Il faut laisser
approximativement 15 à 20 minutes entre chaque injection.
Chez le chien sain, six injections répétées à 0,04 mg/kg n'apparaissent ni nocives, ni cumulatives [20, 25].
— Chez le chien, dix minutes après un bolus de 0,1 mg/kg,
l'administration peut être entretenue par une perfusion intraveineuse à la dose de 0,1 mg/kg/h [24, 25]. La curarisation en
perfusion a été utilisée avec succès chez l'homme adulte et
chez l'enfant [24]. Le plus pratique est de composer une solution à 0,01 % par dilution de 1 mg de vécuronium dans 10 ml
de NaCl et d'utiliser un pousse-seringue [24].
L'administration du vécuronium en bolus répétés permet
une bonne relaxation musculaire, mais chez l'homme il existe
alors des variations dans le degré de réponse à la molécule
curarisante (variations dues à l'âge). Ces variations ne semblent pas rencontrées lors de perfusion [24]. Chez le chien,
l'administration en bolus ne pose pas de problèmes.
L'association néostigmine-atropine permet une décurarisation rapide et efficace [20, 24].
c) Atracurium (Tracrium ND)
Il s'agit d'une des molécules les plus récentes dont l'originalité reste son mode d'élimination très particulier.
Précautions d'emploi, contre-indications de l'atracurium
— Peu d'effets indésirables sont décrits avec l'atracurium
[22]. Ce curare peut provoquer une libération d'histamine et
doit donc être utilisé avec précaution chez l'animal ayant des
antécédents allergiques [15, 25].
— Appareil cardiovasculaire : L'atracurium est classiquement décrit comme hypotensif, mais chez le chien à une
dose comprise entre 0,2 et 0,6 mg/kg, on ne rencontre pas
d'anomalies cardiovasculaires importantes [19]. De faibles
variations de la fréquence cardiaque et de la pression artérielle systolique et diastolique sont décrites [25, 29].
— Fonction rénale : Chez l'homme insuffisant rénal,
l'atracurium s'avère être le curare de choix [22] car il ne présente pas d'effets cumulatifs et son élimination est aussi
rapide que chez l'individu normal [19]. Il en est de même
chez le chien.
— Fonction hépatique : Son mode d'élimination particulier explique qu'il n'existe pas de précautions à prendre chez
l'homme ou le chien insuffisant hépatique [19].
Élimination
Contrairement aux autres curares non dépolarisants, la
dégradation de l'atracurium ne dépend ni de l'activité hépatique, ni de l'activité rénale. A température corporelle, le produit est instable [15, 25] et se trouve dégradé dans l'organisme par deux voies distinctes :
— hydrolyse enzymatique par les pseudocholinestérases
plasmatiques avec production de métabolites monoquaternaires,
674
— dégradation selon la voie d'Hoffmann. Cette voie
s'avère prépondérante et dépend du pH sanguin et de la température corporelle [19, 22, 25].
Utilisation
— Chez le chien, à la dose de 0,5 mg/kg par voie intraveineuse, le bloc neuro-musculaire est obtenu après 2 minutes et
dure en moyenne 40 minutes. Cependant la durée demeure
très variable selon les individus (10 à 45 minutes) [22, 29].
Des injections successives à la dose de 0,2 mg/kg peuvent
être réalisées, produisant des blocs de 10 à 20 minutes [19,
25, 26]. Leur durée moyenne est de 17 minutes [25].
— A la dose de 0,5 mg/kg intraveineuse, le bloc neuromusculaire induit par l'atracurium peut être prolongé par une
perfusion à raison de 0,5 mg/kg/h chez le chien. Cette possibilité repose sur l'absence d'effets cumulatifs [22]. En pratique, il convient de diluer une ampoule de 2,5 ml (25 mg]
dans un volume équivalent de NaCl isotonique (diluant permettant la meilleure stabilité) et d'utiliser un pousse-seringue
[22]. Comparativement aux bolus itératifs, la perfusion permet de réduire la dose totale d'atracurium de 33 à 50 % chez
l'homme et de 20 % chez le chien. En effet, par ce procédé, on
obtient un bloc plus profond permettant ainsi de réduire la
dose utile d'atracurium [22]. Une réversion correcte du bloc
est obtenue par une combinaison d'atropine et de néostigmine
ou d'édrophonium [19, 22].
d) Bromure de pipécuronium
Apparu dans les années 1980, ce curare de synthèse n'est
pas encore disponible en France.
Précautions d'emploi, contre-indications
— Même à une dose de 1 mg/kg, l'utilisation de ce curare
n'entraîne pas de libération d'histamine [27]. Le transfert placentaire du pipécuronium apparaît très faible [27].
— Appareil cardiovasculaire : Très peu d'effets indésirables cardiovasculaires ont été décrits [18, 30]. Cependant,
un cas d'hypotension sévère a été rapporté chez un chien [18].
Dans l'espèce canine, il n'y a pas d'effets cumulatifs et des
doses de 10 mg/kg n'entraînent pas de modifications du tracé
électrocardiographique.
— Insuffisant rénal : En situation d'insuffisance rénale,
l'élimination du pipécuronium demeure réalisée par le foie,
cependant sa durée d'action apparaît prolongée [2]. Le temps
de demi-vie est allongé et la clairance plasmatique réduite
[2].
— Insuffisant hépatique : Aucune contre-indication n'a été
décrite à ce jour [2].
Élimination
La majeure partie de la molécule est éliminée par voie
rénale sous forme inchangée. Le foie et la bile participent
également à l'élimination mais dans une proportion moindre
[2].
Utilisation
Des doses de 0,025 à 0,05 mg/kg permettent d'obtenir un
bloc neuro-musculaire chez le chien anesthésié [18]. La
durée d'action semble variable d'un individu à l'autre [18],
elle est en moyenne de 40 minutes [30]. Le pic d'action est
BESSET (M.) ET COLLABORATEURS
obtenu environ 150 secondes après une injection intraveineuse [30]. L'effet myorelaxant du pipécuronium est réversé
par une injection de néostigmine et d'atropine [18].
e) Bromure de rocuronium (Esméron ND)
Le bromure de rocuronium est un curare de synthèse disponible en France depuis 1994.
Précautions d'emploi, contre-indications du rocuronium
— Bien que considéré comme non histamino-libérateur,
des augmentations plasmatiques d'histamine (sans répercussions cliniques) ont été observées après injection de bromure
de rocuronium. Le rocuronium semble ne pas présenter de
toxicité fœtale.
— Comme avec l'ensemble des agents neuro-musculaires
bloquants, il importe de diminuer les doses utilisées chez les
animaux obèses afin d'éviter une prolongation non recherchée du bloc.
— Appareil cardiovasculaire : Le rocuronium peut être à
l'origine d'une faible tachycardie sans modification de la
pression artérielle moyenne. Très peu d'effets indésirables
cardiovasculaires sont rapportés [28].
Utilisation
La durée d'action de la molécule est semblable à celle du
vécuronium (15 minutes chez le chien). Une de ses particularités est sa rapidité d'action, chez le chien le bloc neuro-musculaire est généralement effectif en 2 minutes [28]. Dans
cette espèce, la dose classiquement utilisée par voie intraveineuse est comprise entre 0,18 à 0,2 mg/kg.
Élimination
Le rocuronium présente un métabolisme hépatique et une
élimination principalement biliaire mais aussi rénale (moins
de 10 %). Bien que la littérature vétérinaire ne rapporte pas
de modification de la métabolisation et de l'élimination chez
les insuffisants rénaux ou hépatiques, ces affections sont à
l'origine de précautions d'emploi chez l'homme.
4. Principe d’une curarisation
A) LE BLOC NEURO-MUSCULAIRE
a) Mise en place d'un bloc neuro-musculaire
L'injection d'un curare non dépolarisant produit initialement une réduction de tonicité musculaire puis très progressivement une paralysie flasque [33]. De façon constante, la
paralysie ne s'installe pas à la même vitesse sur tous les
groupes musculaires.
Les petits muscles à mouvements rapides, comme ceux des
yeux, sont atteints en premier [33]. Les muscles de l'expression faciale, des joues et de la queue s'avèrent paralysés 30 à
60 secondes après une injection intraveineuse de curare. La
paralysie atteint ensuite les muscles du cou et des membres.
Puis, la déglutition devient difficile [15, 17, 26]. A ce stade
de curarisation, l'animal respire encore de façon normale
[33]. Progressivement, les muscles abdominaux et intercosRevue Méd. Vét., 2001, 152, 10, 667-680
LES CURARES : ÉTUDE BIBLIOGRAPHIQUE
taux se paralysent. La respiration devient diaphragmatique,
puis s'interrompt [15, 17, 26, 33]. Lorsque les concentrations
plasmatiques d'agent neuro-musculaire bloquant diminue, la
fonction diaphragmatique est la première à réapparaître. En
général, la décurarisation se fait dans l'ordre inverse d'apparition de la paralysie [15, 17, 26, 33].
b) Facteurs interférant avec le bloc neuro-musculaire
La littérature scientifique se révèle riche d'informations
démontrant l'influence de différents facteurs sur les qualités
(durée, intensité) du bloc neuro-musculaire engendré par les
curares dépolarisants ou non dépolarisants. Bien que l'essentiel de ces facteurs reste issu d'études menées chez l'homme,
certains d'entre eux présentent une pertinence clinique en
médecine vétérinaire [26].
Température corporelle
La température corporelle apparaît comme un facteur
essentiel en modifiant la durée du bloc neuro-musculaire.
Présentant une forte incidence en anesthésiologie vétérinaire,
l'hypothermie diminue l'élimination rénale, hépatique et
biliaire des curares. Dans ces conditions, le bloc neuro-musculaire apparaît généralement prolongé [15, 26]. A l'inverse,
l'atracurium (curare non dépolarisant) dont l'élimination se
réalise selon la voie d'Hoffmann sera, en situation d'hypothermie, éliminé plus rapidement [26].
Maladies neuro-musculaires
Chez les chiens atteints de myasthénie grave, le vécuronium ou l'atracurium peuvent être administrés afin d'obtenir
un bloc neuro-musculaire pharmacologique. Il importe
cependant d'adapter les doses utilisées à l'existence de cette
affection neuro-musculaire en les réduisant au 1/5 à 1/10 de
la dose normale [26].
Age
Du fait de leur résistance particulière à l'action paralysante
des curares, des doses plus importantes s'avèrent nécessaires
chez les jeunes animaux [26].
Électrolytes
Lors d'hypokaliémie et d'hypernatrémie, l'intensité du bloc
neuro-musculaire induit par les curares non dépolarisants
peut être accrue. Une hyperkaliémie et une hyponatrémie
apparaissent susceptibles de la réduire. A l'inverse, ces
troubles électrolytiques (hyperkaliémie et hyponatrémie)
potentialisent l'action du suxaméthonium (curare dépolarisant) [15, 26]. D'autres électrolytes plasmatiques influencent
les effets pharmacologiques des curares. Le Ca2+ peut antagoniser le bloc neuro-musculaire obtenu avec des curares non
dépolarisants [26]. En effet, l'augmentation de la concentration en Ca2+ induit une élévation de la quantité de molécules
d'acétylcholine au niveau de la plaque motrice. Inversement,
une hypermagnésémie et une hypocalcémie potentialisent les
curares non dépolarisants par diminution de la libération
d'acétylcholine [15, 26].
Équilibre acido-basique
Une acidose respiratoire (hypercapnie) prolonge la durée
du bloc neuro-musculaire créé par l'administration de vécuronium et d'atracurium (non dépolarisants). L'influence est
Revue Méd. Vét., 2001, 152, 10, 667-680
675
inverse sur un bloc obtenu avec le suxaméthonium (dépolarisant) [26].
Interactions médicamenteuses
• Tous les médicaments ayant des propriétés anticholinestérasiques tendent, en réduisant l'hydrolyse de l'acétylcholine, à antagoniser les curarisants non dépolarisants.
L'équilibre acétylcholine/curare est alors déplacé en faveur
de l'acétylcholine, la contraction musculaire devient alors
possible. A l'inverse, ces médicaments renforcent la curarisation observée avec le suxaméthonium (curare dépolarisant).
Les organophosphorés présents dans les préparations de pesticides et d'anthelmintiques augmentent cliniquement la
durée d'action du suxaméthonium.
• Les anesthésiques généraux majorent l'intensité et la
durée du bloc : l'halothane, l'isoflurane et la kétamine potentialisent les curares non dépolarisants [15, 26] et permettent
une diminution des doses d'entretien des myorelaxants [5].
Pharmacologiquement, la potentialisation obtenue avec la
kétamine repose sur une altération fonctionnelle des canaux
ioniques de la plaque motrice [5].
• De nombreux antibiotiques, comme la gentamicine, la
tobramycine, les tétracyclines, les antibiotiques polypeptidiques, la lincomycine et la clindamycine interfèrent avec le
bloc neuro-musculaire et prolongent la durée de curarisation.
Le métronidazole ne semble pas influencer la durée ou l'intensité du bloc neuro-musculaire induit par les curares dépolarisants ou non [14, 15, 17, 26].
• Les anti-arythmiques, les anesthésiques locaux et les diurétiques hypokaliémiants potentialisent les curarisants. Les
inhibiteurs calciques présentent également la même
influence [3, 15, 17, 26].
• Les curares non dépolarisants s'opposent aux effets des
dépolarisants [21].
B) MONITORING DE LA CURARISATION
La surveillance de la curarisation s'avère indispensable
notamment en fin d'anesthésie générale pour s'assurer de l'absence d'un bloc résiduel [8, 26]. En effet, il importe d'être sûr
que l'animal soit totalement décurarisé avant d'interrompre la
surveillance rapprochée de l'animal en cours de réveil.
Cliniquement, les signes de la décurarisation reposent soit
sur l'observation de mouvements respiratoires spontanés, soit
sur la réapparition d'une hypertonie musculaire de la sangle
abdominale ou encore sur la mise en évidence de mouvements limités aux racines des membres [15, 17].
Moyens de surveillance instrumentale
Même si cette évaluation clinique demeure un point majeur
de la surveillance de l'animal curarisé, une appréciation sensiblement plus objective peut être obtenue instrumentalement
en stimulant un nerf moteur et en observant en réponse les
contractions musculaires des fibres musculaires. Cette manipulation requiert un stimulateur portable. Chez le chien, le
nerf facial, le nerf ulnaire et le nerf fibulaire peuvent être stimulés [15, 26]. Chez l'homme, on stimule le nerf cubital et
l'on enregistre la réponse du muscle adducteur du pouce.
676
BESSET (M.) ET COLLABORATEURS
En pratique, différents types de stimulations électriques
peuvent être utilisés :
— Stimulation unique : Une seule stimulation à basse fréquence (0,1 ou 0,15 Hz) est appliquée au voisinage du nerf et
l'on enregistre la réponse musculaire. La stimulation peut être
répétée toutes les dix secondes. L'avantage de cette technique
est sa simplicité d'utilisation. Son inconvénient majeur reste
le manque de sensibilité et la nécessité d'avoir une valeur
témoin précédant l'administration du curare.
— Stimulation type "train de quatre" : Cette surveillance
demeure la plus utilisée en pratique courante d'anesthésie
humaine ou vétérinaire. On applique une suite de quatre stimulations à une fréquence de 2 Hz et l'on enregistre soit le
nombre de réponses visibles (pouvant varier de zéro à quatre
selon la profondeur du bloc musculaire), soit l'amplitude des
réponses musculaires (hauteur de la réponse numéro 4 par
rapport à la hauteur de la réponse numéro 1). Cette méthode
n'apparaît pertinente que pour les blocs non dépolarisants car
avec les curares dépolarisants, il n'est pas possible d'observer
des modifications de la réponse musculaire (les quatre
réponses ont la même amplitude). D'un point de vue pratique,
ce procédé présente une plus grande sensibilité et ne nécessite pas de valeur témoin car on compare les quatre réponses
entre elles. Le "train de quatre" stimulations ne doit pas être
répété à des intervalles inférieurs à dix secondes.
— Stimulation tétanique : On applique pendant cinq à dix
secondes une stimulation électrique de 50 à 100 Hz. Lors
d'un bloc non dépolarisant, la contraction musculaire n'est
pas soutenue à la différence d'un bloc dépolarisant où la
réponse obtenue reste soutenue [15, 17, 26].
Évaluation de la réponse musculaire
On peut mesurer la réponse mécanique (jauge de
contrainte) ou la réponse électromyographique. Ces
méthodes d'enregistrement des réponses engendrées par le
neurostimulateur s'avèrent plus fiables que la simple observation visuelle ou tactile de la contraction musculaire, mais
restent aussi plus coûteuses. Chez l'homme, les anesthésistes
calculent le rapport entre l'amplitude (mesurée par électromyographie) de la 4ème réponse (T4) et l'amplitude de la 1ère
réponse (T1) [26].
En pratique chez le chien, la réponse reste estimée visuellement. Pour une stimulation type "train de quatre", on
compte le nombre de réponses. Le bloc neuro-musculaire est
considéré profond si aucune ou une seule réponse musculaire
est observée [13, 24]. A 90 % de blocage, une seule contraction peut être visible. A 25 % de décurarisation, trois contractions sont généralement visibles. A ce stade, si cela s'avère
nécessaire, la prolongation du bloc neuro-musculaire est possible par ré-administration de curare [26].
L'interprétation de ces réponses musculaires ne doit pas
omettre qu'il existe des différences dans la vitesse de décurarisation des muscles striés stimulés et d'autres groupes musculaires, comme ceux du diaphragme [33]. Le diaphragme
est particulièrement résistant aux curares. Il a été montré chez
l'homme que chez certains sujets on peut observer un dysfonctionnement respiratoire alors qu'un rapport T4/T1 supérieur à 70 % est enregistré au niveau des muscles périphé-
riques. Par extrapolation chez l'animal, il faut donc dans tous
les cas essayer d'évaluer cliniquement la fonction respiratoire
de l'animal avant la fin de l'intervention (respiration ample et
régulière ou discordance respiratoire, tirage costal, ...).
C) DISPARITION D'UN BLOC NEURO-MUSCULAIRE
OU DÉCURARISATION
La décurarisation correspond à la disparition des effets
neuro-musculaires des curares. D'un point de vue clinique,
l'enjeu de la décurarisation réside essentiellement dans la disparition complète et durable des effets des curares sur la
fonction respiratoire. Elle peut être obtenue de différentes
façons.
a) Décurarisation spontanée
Progressivement et spontanément, la paralysie musculaire
induite par les curares disparaît quelques temps après la dernière administration. Le délai d'apparition de cette décurarisation s'avère directement fonction de la durée d'effet du
curare utilisé. La décurarisation spontanée repose sur les processus d'élimination propres à chacun des curares, mais reste
influencée par l'existence ou non de facteurs modulant la
durée du bloc neuro-musculaire [17]. En pratique, pour obtenir une décurarisation spontanée, il suffit d'attendre la disparition du bloc neuro-musculaire tout en maintenant l'animal
inconscient sous assistance respiratoire jusqu'à ce qu'elle soit
complète. Même si cette méthode de décurarisation reste la
plus simple et la plus utilisée en pratique vétérinaire, elle peut
aussi être obtenue par un procédé pharmacologique.
Cependant, cette décurarisation provoquée doit être réservée
au seul bloc neuro-musculaire induit par les curares non
dépolarisants.
b) Décurarisation provoquée
L'objectif de cette décurarisation provoquée consiste pharmacologiquement à déplacer l'équilibre entre les molécules
de curares et d'acétylcholine en augmentant la concentration
d'acétylcholine au niveau de la plaque motrice. La décurarisation provoquée repose sur l'utilisation d'agents inhibiteurs
réversibles de l'acétylcholinestérase comme la néostigmine,
l'édrophonium ou la pyridostigmine [4, 12]. Pour antagoniser
un bloc neuro-musculaire, la néostigmine est l'anticholinestérasique le plus fréquemment utilisé en médecine [15, 17, 26].
Il est à souligner que pharmacologiquement, les anticholinestérasiques ont un effet synergique sur l'effet des curares dépolarisants [33] et ne peuvent en aucun cas être utilisés pour
antagoniser de tels curares.
A moins que le bloc neuro-musculaire ne soit contrôlé par
une technique de stimulation nerveuse, l'antagoniste ne doit
jamais être administré avant la reprise d'une activité respiratoire spontanée même faible. D'un point de vue pratique, la
décurarisation peut être provoquée dès que les effets des
curares s'estompent. Lors d'utilisation d'une technique type
"train de quatre", il convient d'attendre d'obtenir au moins
deux réponses pour quatre stimuli avant de décurariser [15,
17, 26]. Certains auteurs recommandent même attendre d'observer quatre réponses pour une stimulation "train de quatre"
ou lors de stimulation unique d'obtenir une réponse supérieure à 25 % de la valeur de référence [5, 8]. En effet, une
Revue Méd. Vét., 2001, 152, 10, 667-680
LES CURARES : ÉTUDE BIBLIOGRAPHIQUE
décurarisation pharmacologique trop précoce par rapport à la
dernière administration de curare non dépolarisant peut avoir
un effet inverse à celui recherché, en prolongeant la durée de
paralysie notamment respiratoire [5, 15, 17, 26]. Cette
recommandation repose sur le fait qu'il existerait d'autres
sites de fixation des molécules curarisantes où celles-ci
seraient, en quelque sorte, mises en réserve. Lorsque l'on
injecte un anticholinestérasique alors que la concentration en
curare est encore élevée, les molécules "mises en réserve"
seraient relarguées dans l'espace synaptique entrant à nouveau en compétition avec les molécules d'acétylcholine. Ce
phénomène prolongerait la durée du bloc neuro-musculaire
[13].
Effets indésirables des anticholinestérasiques utilisés pour
une décurarisation
Les anticholinestérasiques induisent une élévation de la
concentration en acétylcholine au niveau des sites muscariniques (au niveau du cœur) et nicotiniques (ganglions sympathiques et parasympathiques) [9]. Les symptômes cliniques les plus souvent rencontrés sont alors une bradycardie, une augmentation des sécrétions bronchiques, diarrhées,
vomissements et mictions [5]. Ces effets indésirables doivent
être prévenus par une administration d'antagoniste muscarinique (glycopyrrolate ou sulfate d'atropine) quelques minutes
avant celle d'anticholinestérasique [33].
La néostigmine peut induire des arythmies cardiaques
sévères principalement si l'animal a été insuffisamment oxygéné. Une dose de 0,1 mg/kg peut entraîner une bradycardie
avec troubles du rythme (bloc auriculo-ventriculaire de degré
II ou arrêt sinusal). Ces effets indésirables apparaissent dose
dépendants car la bronchosécrétion et le ptyalisme observé
chez le chien à 0,1 mg/kg ne sont pas décrits pour une dose de
0,05 mg/kg [10]. Les anticholinestérasiques présentent en
outre une activité agoniste cholinergique directe. L'activité
muscarinique de l'édrophonium semble minimale par rapport
à celle de la néostigmine [27] et son pic d'action plus rapide
[16]. Il semble cependant que l'antagonisation d'un bloc
neuro-musculaire par la néostigmine soit plus efficace
qu'avec l'édrophonium [27].
Utilisation pratique des anticholinestérasiques
Néostigmine (Prostigmine ND) : La dose recommandée,
lorsque la décurarisation est cliniquement visible, est de 0,01
mg/kg par voie intraveineuse. Une dose de 0,1 mg/kg s'avère
nécessaire pour antagoniser un bloc neuro-musculaire plus
profond, cependant cette pratique demeure risquée (possibilité de prolongation du bloc) [23, 26].
Édrophonium (Reversol ND) : Les doses utilisées varient
entre 0,1 et 0,2 mg/kg par voie intraveineuse [12, 26].
Certains auteurs ont même utilisé chez le cheval une dose de
1 mg/kg, sans observer d'effets indésirables [16].
Afin de prévenir les effets indésirables des anticholinestérasiques, il est recommandé d'injecter un anticholinergique
comme le sulfate d'atropine (à raison de 0,04 mg/kg) ou le
glycopyrrolate (à 0,01 mg/kg), 1 à 2 minutes avant de réverser le bloc neuro-musculaire. D'un point de vue pratique, il
est aussi possible d'administrer l'anticholinergique dans la
même seringue que l'anticholinestérasique mais en réalisant
Revue Méd. Vét., 2001, 152, 10, 667-680
677
une intraveineuse lente [24]. L'injection doit être réalisée en
30 secondes minimum [10]. Si l'activité respiratoire spontanée ne reprend pas, le mélange peut être réinjecté toutes les 5
minutes [11, 15, 26].
5. Pratiques de la curarisation
en médecine vétérinaire
A) CHOIX D'UN AGENT NEURO-MUSCULAIRE BLOQUANT : COMPARAISON DE L'EFFICACITÉ DES DIFFÉRENTS CURARES
En pratique, le clinicien doit, parmi l'ensemble des curares
disponibles, réaliser un choix en tenant compte non seulement de l'état de santé du patient et des effets indésirables
propres à chacun de ces médicaments, mais aussi des qualités
(essentiellement de durée) que doit présenter le bloc pour
répondre aux besoins chirurgicaux.
Ainsi, en médecine vétérinaire l'utilisation de la succinylcholine est à l'heure actuelle tombée en désuétude car elle
présente divers effets indésirables très gênants et son action
ne peut pas être réversée. En outre, sa courte durée d'action et
sa pharmacocinétique considérée comme idéale, qui justifient encore son utilisation en médecine humaine, ne sont pas
vérifiées chez le chien. Par ailleurs, les indications vétérinaires de la curarisation requièrent généralement des blocs
neuro-musculaires durant plusieurs dizaines de minutes.
D'un point de vue pratique, le choix d'un curare doit, en
médecine vétérinaire, se porter préférentiellement vers un
curare de type non dépolarisant en fonction de sa durée d'effet. Ainsi, par exemple la durée du bloc neuro-musculaire
obtenu avec le vécuronium s'avère 20 à 25 % plus courte que
celle du pancuronium [31] et son pic d'action est atteint plus
rapidement [20, 24, 25]. Chez les animaux souffrant d'insuffisances hépatique ou rénale, l'atracurium ou le mivacurium,
qui induisent peu d'effets indésirables notamment cardiovasculaires peuvent être utilisés [19, 25]. Cependant chez le
chien, la durée d'action de l'atracurium apparaît variable d'un
individu à l'autre.
B) EXEMPLE DE L'UTILISATION D'UN CURARE : LE
VÉCURONIUM (NORCURON ND)
Les curares sont des médicaments myorelaxants à action
périphérique n'ayant aucun effet de narcose (inconscience,
sommeil artificiel) ou d'analgésie (absence de perception
douloureuse). Leur utilisation ne doit donc être envisagée
que dans le cadre d'une anesthésie générale parfaitement
contrôlée [Tableau III].
a) Pré-anesthésie
Cette étape préparatoire comporte notamment une prémédication dont l'un des objectifs majeurs reste l'amélioration
des qualités cliniques de l'anesthésie générale. Parmi les
médicaments de la prémédication, un phénothiazique comme
l'acépromazine (Calmivet ND) à la dose de 0,05 mg/kg par
voie intra-musculaire peut être utilisé. Cette prémédication
doit être réalisée 20 à 30 minutes avant l'induction de l'anes-
678
BESSET (M.) ET COLLABORATEURS
IM : Intra-musculaire ; IV : Intra-veineuse
TABLEAU III. — Protocole d’utilisation des curares - Exemple du Vécuronium (Norcuron ND).
Revue Méd. Vét., 2001, 152, 10, 667-680
LES CURARES : ÉTUDE BIBLIOGRAPHIQUE
thésie générale. L'animal doit ensuite être maintenu au calme
en attendant la mise en place de ses effets. Le rapport bénéfice/risque de l'administration pré-anesthésique d'anticholinergiques (sulfate d'atropine ou le glycopyrrolate) fait qu'actuellement ces médicaments ne sont injectés qu'en cas de
nécessité per-opératoire comme lors de bradycardie sévère
ou d'encombrement respiratoire par une hypersécrétion bronchique et salivaire [17, 26]. La valence analgésique du protocole anesthésique doit être améliorée en administrant en préanesthésie ou juste après l'induction notamment du chlorhydrate de morphine (0,05 à 0,1 mg/kg chez le chat, 0,1 à 0,2
mg/kg chez le chien).
Lorsque l'on envisage d'adjoindre une curarisation au protocole anesthésique, l'utilisation en prémédication d'une benzodiazépine, myorelaxant à action centrale n'est pas recommandée. En effet, les benzodiazépines majorent l'intensité et
la durée du bloc neuro-musculaire induit par les curares.
b) Induction de l'anesthésie générale
L'induction se fera après mise en place d'un cathéter dans la
veine céphalique. Une voie veineuse doit être conservée
durant toute la durée de l'anesthésie. Les agents inducteurs
utilisés peuvent être par exemple le thiopental sodique
(Nesdonal ND) ou le propofol (Rapinovet ND). L'animal est
alors intubé à l'aide d'une sonde endotrachéale de taille adaptée [15, 26]. Indispensable dans la majorité des anesthésies
générales, l'intubation endotrachéale est rendue obligatoire
par la nécessité de pratiquer une ventilation mécanique
contrôlée pendant la curarisation.
c) Entretien de l'anesthésie générale
L'anesthésie générale peut être entretenue par des agents
injectables (propofol) ou volatils (halogénés). L'inhalation
d'un mélange de vapeurs d'isoflurane (Forène ND) ou d'halothane (Fluothane ND) avec un gaz vecteur constitué préférentiellement de 100 % d'O2 (ou d'un mélange O2/N2O à raison de 1/3 - 2/3 ou 1/2 - 1/2) permet très aisément de mettre
en place une ventilation contrôlée pendant la curarisation
[15, 26].
d) Curarisation
En médecine vétérinaire, il est préférable de ne curariser un
animal que lorsque son anesthésie générale est stabilisée :
respiration ample et régulière, œil basculé et pupille en myosis, pourcentage constant en halogéné. Le vécuronium sera
injecté par voie intra-veineuse lente à la dose de 0,1 mg/kg.
L'animal interrompt peu à peu sa respiration. A ce moment,
l'assistance respiratoire devient indispensable. Cette ventilation sera réalisée soit manuellement, soit à l'aide d'un respirateur [15]. Initialement assistée, l'assistance respiratoire sera
contrôlée dès l'arrêt complet des mouvements respiratoires
spontanés.
Après curarisation, la surveillance de la profondeur de
l'anesthésie ne peut plus faire appel aux critères cliniques
habituels car les yeux débasculent, l'animal est en apnée et n'a
plus aucun tonus musculaire ou réflexe musculaire.
L'allègement de l'anesthésie peut se traduire par l'apparition
de signes évocateurs d'une perception douloureuse (pâleur
des muqueuses, tachycardie). L'animal se réveillant peut présenter une salivation accrue et des larmoiements. Dans la pluRevue Méd. Vét., 2001, 152, 10, 667-680
679
part des cas, la tachycardie reste le seul signe de réveil [15,
26]. À l'inverse, une bradycardie peut évoquer une profondeur trop importante de l'anesthésie. Une contraction des
muscles de la langue et des muscles faciaux est observable si
la curarisation n'est pas suffisamment profonde. En pratique,
la surveillance de l'animal anesthésié et curarisé requiert
l'emploi d'instruments de surveillance des fonctions cardiovasculaire et respiratoire (oxymétrie de pouls, capnographie,
capnométrie, mesure doppler de pression artérielle et électrocardiographie).
Dans la majorité des indications vétérinaires, la curarisation s'avère nécessaire pour un temps chirurgical assez court
(20 à 30 minutes). Le vécuronium n'est généralement pas réadministré et l'animal reprend peu à peu une respiration spontanée alors que la chirurgie se termine. L'assistance respiratoire sera poursuivie jusqu'à ce que l'amplitude respiratoire
soit jugée normale [15]. Dans certains cas, lors de chirurgie
thoracique par exemple, il est plus confortable pour le chirurgien de pouvoir imposer une fréquence respiratoire. Le vécuronium est alors ré-administré dès les premiers signes de respiration spontanée [15, 26]. La curarisation peut être également entretenue par une perfusion continue [22, 24].
e) Réveil
Lors du réveil, il faut s'assurer qu'il ne subsiste pas de bloc
neuro-musculaire résiduel. L'animal ne doit être extubé que
lorsque la respiration spontanée est d'amplitude physiologique. L'idéal est de posséder un neurostimulateur afin d'apprécier parfaitement la profondeur du bloc neuro-musculaire
et l'éventualité d'une décurarisation incomplète. En fin d'intervention chirurgicale, si un bloc résiduel semble présent, la
combinaison d'un anticholinestérasique et d'un anticholinergique peut être injectée (voir paragraphe 4.C) [15, 26]. Dans
tous les cas, l'animal doit être surveillé pendant les 2 heures
qui suivent la dernière injection de curare. Cette surveillance
post-opératoire est justifiée par la possibilité d'apnée postopératoire impromptue.
f) Complications
La complication majeure de la curarisation reste la prolongation "anormale" de l'apnée. La meilleure prévention est de
respecter les doses et de ne pas réinjecter trop souvent de
curare. Par exemple, il faut respecter des intervalles de 20
minutes avant de ré-administrer du vécuronium. Si la prolongation de l'apnée semble bien due à la paralysie des muscles
respiratoires, elle peut être traitée par l'administration d'un
anticholinestérasique et d'un anticholinergique (voir paragraphe 4.C). Il n'existe pas d'antidote pour les curares dépolarisants, le seul traitement de l'apnée est la poursuite d'une
ventilation contrôlée jusqu'à ce que la respiration spontanée
reprenne. La prolongation de l'apnée peut être aussi liée à une
hyperventilation prolongée qui induit une hypocapnie
(PaCO2 ≤ 30 mmHg) et donc une absence de stimulation des
centres respiratoires bulbaires. Dans ce cas, le traitement
consiste à favoriser une normocapnie en diminuant la ventilation ou en insufflant de l'air un peu enrichi en CO2.
En hypothermie, il est difficile de réverser un bloc produit
par un curare non dépolarisant [13]. En premier, il faut toujours tenter de réchauffer l'animal avant d'essayer de réverser
680
BESSET (M.) ET COLLABORATEURS
le bloc. Le mieux est de prévenir l'hypothermie : bloc opératoire chauffé, utilisation d'alèse ou de tapis chauffant afin que
l'animal ne soit pas au contact d'une table métallique froide.
Par prudence, l'animal ne doit jamais être remis au chenil si
un bloc neuro-musculaire résiduel demeure présent : amplitude respiratoire restreinte ou tonus musculaire insuffisant.
Le mieux est d'estimer le tonus du muscle masséter par une
traction douce sur la mandibule. A priori, si celui-ci est redevenu normal (le tester avant la curarisation afin de pouvoir
comparer), il y a peu de risques de complications (re-curarisation) [15, 26].
Conclusion
Les curares sont des molécules peu connues en médecine
vétérinaire, mais leur usage devrait se vulgariser. En effet, un
examen pré-opératoire, un respect des règles simples de la
curarisation et de son contrôle, une bonne attention au réveil
de l'animal permettent de prévenir la survenue de complications, en général conséquences d'erreurs d'anesthésie. En
dehors du fait qu'ils alourdissent un peu les protocoles anesthésiques, les curares s'avèrent particulièrement utiles en
médecine vétérinaire pour améliorer le confort opératoire.
Ces molécules sont utilisées en médecine humaine pour faciliter l'intubation. En médecine vétérinaire, l'intubation endotrachéale est généralement aisée, sauf éventuellement chez le
chat ou le porc. Les curares demeurent indiqués lors chirurgies spécialisées en orthopédie pour faciliter la réduction de
certaines fractures notamment chez des individus de grande
taille ou en ophtalmologie afin de notamment diminuer le
risque de réflexe oculo-cardiaque. La pratique de la curarisation requiert cependant une parfaite maîtrise des principes de
la ventilation mécanique.
Bibliographie
1. — ADAMS H.R. : Cholinergic pharmacology : neuromuscular blocking
agents. In : Veterinary Pharmacology and Therapeutics. Edited by
N.H. BOOTH and L.E. McDONALD, 5th ed., Iowa State University
Press.
2. — AGOSTON S., VANDERBROM R.H., WIERDA J.M., HOUWERTJES M.C. et KERSTEN U.W. : Pharmacokinetiks and disposition of pipecuronium bromide in the cat. Eur. J. Anaesthesiol., 1998,
5, (4), 233-242.
3. — ANDERSON K.A. et MARSHALL R.J. : Interactions between calcium entry blockers and vecuronium bromure in anesthetized cats. Br.
J. Anaesth., 1985, 57, 775-781.
4. — BENCINI A.F., SCAF A.H.J., AGOSTON S., HOUWERTJES M.C.,
et KERSTEN U.W. : Disposition of vecuronium bromure in the cat.
Br. J. Anaesth., 1985, 57, 782-788.
5. — BAURAIN M.J. et D'HOLLANDER A.A. : Myorelaxants et antagonistes. In : KAMRAN SAMII - Anesthésie réanimation chirurgicale.
Flammarion, 1995, 2ème édition, chap. 18, 163-174.
6. — BERNARD C. : Leçon sur les effets des substances toxiques et médicamenteuses. Compte-rendu Société Biologique, 1851, Paris, 2,
195-206.
7. — BUDD. A., SCOTT R.F.P., BLOGG C.E. et GOAT V.A. : Adverse
effects of suxamethonium. Anaesthesia, 1985, 40, 642-646.
8. — CALDWELL J.E., BRAIDWOOD J.M. et SIMPSON D.S. :
Vecuronium bromide in anaesthesia for laparoscopic sterilization. Br.
J. Anaesth., 1985, 57, 765-769.
9. — CARNIE J. : A pre-induction test for Suxamethonium. Anesthesia,
1986, 41, 358-362.
10. — CLUTTON R.E., BOYD C., FLORA R., PAYNE J. et Mc GRATH
C.J. : Autonomic and cardiovascular effects of neuromuscular blockade antagonism in the dog. Vet. Surg., 1992, 21, 1, 68-75.
11. — CLUTTON R.E. et PETERSEN-JONES S.M. : Edrophonium - induced asystole following neuromuscular blokade antagonism in a dog :
a case report. J. Vet. Anaesth., 1991, 18, 42-43.
12. — CLUTTON R.E. : Edrophonium for the antagonism of neuromuscular blockade in dogs. Vet. Rec., 1994, 134( 26), 674-678.
13. — FELDMAN S. : Neuromuscular blocking agents. In : FELDMAN Mechanisms of drugs in anaesthesia. 1993, 2th edit, chapt. 20,
336-356.
14. — FORSYTH S.F., ILKIW J.E. et HILDEBRAND S.V. : Effect of gentamicin in administration on the neuromuscular blockade induced by
atracurium in cats. J. Am. Vet. Med. Assoc., 1990, 51, (10), 1675-1678.
15. — HALL L.W. et CLARKE 5K.W. : Relaxation of the skeletal muscles
during anaesthesia. In : BAILLIERE TINDALL - Veterinary
Anesthesia., London, 1991, 9th edit., 113-132.
16. — HILDEBRAND S.V. et HOWITT B.A. : Antagonism of pancuronium
neuromuscular blockade in halothane - anesthetized ponies using
neostigmine and Edrophonium. Am. J. Vet. Res., 1984, 45 (11),
2276-2280.
17. — HOLLANDER A. : Transmission neuro-musculaire et curarisation.
Encycl. Méd. Chir. - Anesthésie-réanimation. Paris, France, 1987, 10,
36390 A 10, 11 p.
18. — JONES R.S. : Observations on the neuromuscular blocking action of
pipecuronium in the dog. Res. Vet. Sci., 1987, 43, (1), 101-103.
19. — JONES R.S. et CLUTTON R.E. : Clinical observation on the use of
the muscle relaxant atracurium in the dog. J. Small Anim. Pract.,
1984, 25, 473-477.
20. — JONES R.S. et SEYMOUR C.J. : Clinical observations on the use of
vecuronium as a muscle relaxant in the dog. J. Small Anim. Pract.,
1985, 26, 642-646.
21. — JONES R.S. : Interactions between vecuronium and suxamethonium
in the dog. Res. Vet. Sci, 1986, 41, 93-97.
22. — JONES R.S. et BREARLEY J.C. : Atracurium infusion in the dog. J.
Small Anim. Pract., 1987, 28, 197-201.
23. — JONES R.S. : Reversal of atracurium neuromuscular block with neostigmine in the dog. Res.Vet. Sci., 1990, 48, 96-98.
24. — JONES R.S. et YONG L.E. : Vecuronium infusion in the dog. J.
Small Anim. Pract., 1991, 32, 509-512.
25. — JONES R.S. : Muscle relaxants in canine anesthesia 1. J. Small Anim.
Pract., 1992, 33, 371-375.
26. — JONES R.S. : Muscle relaxants in canine anesthesia 2. J. Small Anim.
Pract., 1992, 33, 423-429.
27. — KARPATI E. et BIRO K. : Pharmacological study of a new competitive neuromuscular blocking steroid, pipecuronium bromide.
Arzeimittelforschung, 1980, 30, 2a, 346-357.
28. — MARSHALL R.J., MUIR A.W., SLEIGH T. et SAVAGE D.S. : An
overview of the pharmacology of rocuronium bromide in experimental animals. Eur. J. Anasthesiol., 1994, 9, Suppl., 9-15.
29. — MURISIER N. et SCHATZMANN U. : Die anwendung des mushelrelaxans (Atracurium) währand der anästhesie des hundes.
Kleintierpraxis, 1987, 32, (1), 1-44.
30. — PULAY I., ALANT O., DARVAS K., WELTNER J. et ZETENY Z. :
Respiration paralysing and circulatory effects of a new non-depolarizing relaxant, pipecurium bromide, in anaesthetized dogs.
Arzneimittelforschung, 1980, 30, (2a), 358-360.
31. — SLOAN M.H., LERMAN J. et BISSONETTE B. : Pharmacodynamics of high-dose vecuronium in children during balanced anesthesia. Anesthesiology, 1991, 74, 656-659.
32. — TASSONY E., GEMPERLE M. et SZAPPANYOS G. : Physiologie
de la plaque motrice et son exploration : Encycl. Med. Chir. Anesthésie-réanimation, Paris, France, 1975, 12, 36040, 6-50.
33. — TAYLOR P. : Molécules agissant au niveau de la jonction neuro-musculaire et des ganglions autonomes. In : GOODMAN AND GILMAN - Les bases pharmacologiques de l'utilisation des médicaments.
Mc Graw-Hill, 1998, 9ème édition, chap. 9, 179-198.
Revue Méd. Vét., 2001, 152, 10, 667-680

Documents pareils