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L’Encéphale (2008) 34, 306—308
Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com
journal homepage: www.elsevier.com/locate/encep
EN BREF
La dépression après 50 ans
C. Spadone
Hôpital Saint-Louis (AP—HP), 1, avenue Claude-Vellefaux, 75010 Paris, France
Reçu le 15 décembre 2007 ; accepté le 24 février 2008
Disponible sur Internet le 23 mai 2008
L’épidémiologie de la dépression selon les tranches d’âge
est bien connue, au moins dans les pays occidentaux. On
observe ainsi une prévalence accrue de cette pathologie
chez les sujets âgés : les données de la littérature rapportent une prévalence de la dépression comprise entre dix
et 15 % au-delà de 65 ans et d’environ 20 % au-delà de 75
ans, des chiffres qui peuvent sans doute être doublés pour
les patients en institution.
Autre indicateur du taux de dépression : le taux de suicide est particulièrement élevé chez les personnes âgées.
On considère ainsi qu’environ un tiers du total des suicides aboutis concerne des sujets de plus de 60 ans ; on
sait, par ailleurs, depuis longtemps que le ratio suicide
abouti/tentatives de suicide augmente régulièrement avec
l’âge, pour approcher 1/1 dans le grand âge pour les
hommes.
Si la dépression du sujet âgé et du sujet très âgé (les old
olds des auteurs anglo-saxons) a été largement étudiée, la
littérature concernant celle des sujets ayant passé le cap
du milieu de la vie mais sans être entrés dans le grand âge
est beaucoup moins fournie. Cette période de la vie offre
pourtant des caractères spécifiques, mêlant le début des
« renoncements nécessaires » au désir de rester aussi actif
que possible [4].
Dépression après 50 ans : les facteurs en jeu
Si le tableau symptomatique de la dépression après 50
ans diffère peu de celui observé à l’age adulte (on
décrit toutefois une accentuation avec l’âge de certains
signes cliniques, comme l’apathie, les plaintes somatiques et douloureuses, les plaintes mnésiques, l’hostilité
Adresse e-mail : [email protected].
0013-7006/$ — see front matter © L‘Encéphale, Paris, 2008.
doi:10.1016/j.encep.2008.02.005
ou l’agressivité), en revanche, certains déterminants de
la maladie semblent relativement spécifiques. Au-delà
de 50 ans, en effet, de nombreux facteurs, biologiques
ou environnementaux, qui étaient moins prégnants chez
l’adulte plus jeune, peuvent interagir avec le processus
dépressif.
Facteurs psychosociaux
Les facteurs psychosociaux interagissent de manière notable
avec la dépression de l’adulte d’âge mûr ou âgé : un sentiment de mise à l’écart progressive apparaît fréquemment,
aussi bien dans le domaine professionnel que dans les
domaines occupationnels, associatifs, amicaux. . . Cela est
particulièrement marqué lors du virage de la retraite, qui
peut se traduire par un manque d’activité, mais aussi par
une perte de reconnaissance sociale. La « retraite active »,
vantée comme gage de jeunesse, n’est pas le lot de tout
un chacun. . . Parfois, c’est la simple perspective de cette
perte d’activité et de statut social, quelques mois ou années
avant qu’elle ne survienne, qui est un facteur de stress,
le sujet ne parvenant pas à se projeter vers un « après »
différent.
Au fur et à mesure que l’individu avance en âge, le
risque d’isolement croît : la perte du conjoint survient en
général bien au-delà de 50 ans, mais d’autres ruptures familiales, comme le départ des enfants (le « syndrome du nid
vide »), un divorce plus difficilement suivi d’une nouvelle vie
de couple, contribuent également au sentiment de solitude
— qui est l’un des facteurs majeurs de détresse psychologique et de dépression en général [2].
Des déterminants socioéconomiques peuvent également
intervenir : la période de cessation d’activité et le risque
de perte d’emploi (le chômage est plus fréquent après 50
ans) s’accompagnent souvent d’une diminution des revenus,
La dépression après 50 ans
et l’on sait que la dépression est plus fréquente chez les
individus de milieu socioéconomique modeste.
Le risque de pathologie physique augmente : ainsi, des
douleurs chroniques, une préoccupation pour le pronostic
vital ou évolutif d’une maladie, un handicap fonctionnel
marqué, favorisent-ils la dépression.
Ces mêmes facteurs infligent des blessures narcissiques,
des altérations lourdes de l’image de soi, entraînant une
perte de l’estime de soi et donc favorisant également le
processus dépressif.
Facteurs biologiques
Des facteurs biologiques d’ordres divers s’ajoutent à ces
déterminants sociaux et psychologiques.
La succession des épisodes dépressifs au cours de la vie
s’accompagne d’un risque croissant de récidive, que Robert
Post a théorisé avec le phénomène du kindling : chaque nouvel épisode laisse une « cicatrice biologique » qui renforce la
vulnérabilité dépressive.
Les données récentes des neurosciences confirment, par
ailleurs, le rôle central de la diminution de la neuroplasticité
dans les phénomènes dépressifs. Une perte de neuroplasticité du fait de l’accumulation des stress et des périodes
dépressives au cours de la vie, avec une diminution fonctionnelle des principaux facteurs neurotrophiques (brain
derived neurotrophic factor [BDNF] ; glial cell-line derived
neurotrophic factor [GDNF] ; vascular endothelial growth
factor [VEGF]. . .) et impliquant largement le système corticotrope, pourrait fournir un substrat explicatif à l’intuition
de Post. Cela serait bien sûr d’autant plus marqué que le
sujet est plus âgé et que la perte de neuroplasticité liée à
l’âge s’ajoute à celle consécutive aux stress accumulés.
Chez la femme, des facteurs hormonaux bien connus
entrent en jeu à partir de la ménopause, mais des modifications endocriniennes pourraient également jouer un rôle
chez l’homme.
Des facteurs iatrogènes peuvent d’ailleurs se surajouter,
lors de pathologies nécessitant des corticoïdes, des bêtabloquants ou par l’utilisation chez la femme de thérapies
hormonales substitutives trop fortement dosées en progestérone ou insuffisamment en estrogènes.
Diverses pathologies somatiques, dont la fréquence
augmente avec l’âge, majorent, par ailleurs, le risque
dépressif : pathologies cardiovasculaires et vasculaires cérébrales, pathologies endocriniennes. . .
Prise en charge du déprimé après 50 ans
Le diagnostic est souvent plus tardif lorsque le sujet est
plus âgé. D’une part, ces sujets ont moins de demande
de soins ou ont des demandes surtout tournées vers la
sphère somatique : les anciennes générations conservent
une image des maladies psychiques et de la psychiatrie
plus péjorative encore que la population générale et la
démarche vers le psychiatre est difficile. D’autre part,
certaines présentations cliniques sont moins aisément repérables, les intrications avec les maladies somatiques étant
plus complexes. Enfin, un traitement antidépresseur est
moins facilement envisagé par les médecins chez les sujets
plus âgés que chez les sujets jeunes : une dépression
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chez l’adulte jeune apparaît d’emblée pathologique, tandis qu’elle sera plus facilement qualifiée après 50 ans de
crise existentielle ou de réaction normale aux difficultés de
la vie.
Ce retard au diagnostic et donc à la mise en place du
traitement rend souvent la prise en charge plus difficile ou
moins efficace.
Traitements médicamenteux
Il existe peu de spécificités du maniement du traitement
antidépresseur chez le sujet plus âgé par rapport au sujet
jeune. L’augmentation de la résistance au traitement ou le
délai plus important d’efficacité sont classiquement décrits
chez le sujet âgé, mais ils concernent, en fait, surtout les
sujets très âgés, en particulier lorsqu’existent des troubles
cognitifs débutants ou une pathologie vasculaire cérébrale.
Dans le choix de la molécule, le praticien est souvent
conduit à privilégier des produits réputés plus stimulants, du
fait de la mise en avant fréquente des plaintes d’asthénie
ou de difficultés dans les activités quotidiennes ou professionnelles.
Les effets indésirables ne sont pas plus fréquents audelà de 50 ans, mais les contre-indications éventuelles
doivent être recherchées avec plus d’attention, et le risque
d’interactions médicamenteuses augmente proportionnellement avec le nombre de médicaments pris, qui lui-même suit
une progression régulière avec l’âge.
Enfin, on peut noter que les différentes alertes récentes
des autorités de santé concernant le risque suicidaire ont
jusqu’à présent relativement « épargné » l’adulte en milieu
de vie, comme si cette période était à moindre risque de
passage à l’acte : cette constatation statistique ne doit pas
entraver une vigilance individuelle. . .
Psychothérapies
Au-delà de 50 ans, on observe divers freins à proposer un travail psychothérapique, comme si les efforts à entreprendre
ne se justifiaient plus. Les thérapies de type psychanalytique, en particulier, passent au second plan, derrière des
thérapies plus axées sur des résultats concrets et rapides,
comme les thérapies cognitivocomportementales. Cellesci sont efficaces, en particulier en favorisant la reprise
d’activité. Toutefois, le choix de débuter un travail psychothérapique en profondeur doit être laissé au patient quel
que soit son âge. Le simple fait de l’encourager dans une
démarche longue, visant à modifier en profondeur son rapport aux autres et au monde, a sans doute déjà en soi des
vertus thérapeutiques, en restaurant le narcissisme du sujet
et en le projetant à nouveau vers l’avenir, lui indiquant
implicitement qu’il peut encore construire sa vie et pas
seulement l’empêcher de se déconstruire.
Les programmes de thérapie comportementale et cognitive ont des objectifs clairs : favoriser la connaissance
de la maladie et de ses propres symptômes, améliorer
l’observance médicamenteuse, développer des stratégies de
résolution de problème et des stratégies de coping pour
faire face aux conséquences psychosociales de la maladie [3]. Au-delà des prises en charge psychothérapiques
spécifiques, la prise en charge psychosociale de la dépres-
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sion est importante, associant psychoéducation, thérapies
cognitives avec des programmes spécifiquement axés sur
le long terme et la prévention des récidives, psychoéducation familiale, groupes ou associations de patients, voire des
outils plus nouveaux comme la remédiation cognitive ou la
thérapie interpersonnelle et des rythmes sociaux [1].
Conclusion
Bien qu’elle ne fasse pas l’objet d’un intérêt soutenu, il
convient de ne pas négliger la dépression après 50 ans.
Il existe en effet, à cette période, un risque de banaliser
une diminution modérée de certaines activités ou investissements, parfois un regard nostalgique plus fréquent vers
le passé, sans rechercher les signes d’une véritable dépression qu’ils pourraient masquer : perte d’activité et d’intérêt
importante, brutale, en rupture claire avec les mois précédents, retour douloureux sur le passé marqué par un
sentiment d’autodévalorisation. . .
Cette question évoque parfois pour le clinicien (avec toutefois beaucoup moins d’acuité, car elle en met pas en jeu
le pronostic vital) celle du syndrome de glissement retrouvé
chez le sujet plus âgé : un désinvestissement progressif et
général, sans expression d’une douleur morale manifeste ni
mise en évidence d’un tableau dépressif caractéristique, et
sur lequel rien ni personne ne semble avoir réellement prise.
C. Spadone
Face à de telles situations, si le traitement antidépresseur
est peu utile en l’absence d’une authentique dépression,
les prises en charges psychosociales au sens large sont, en
revanche, nécessaires, et elles peuvent être initiées par le
médecin, qu’il soit généraliste ou spécialiste.
Au-delà de 50 ans, les praticiens doivent être attentifs à la survenue d’une dépression et, en particulier,
les généralistes, car elle est souvent cachée derrière un
masque somatique ou un retrait considéré comme « lié à
l’âge ». Ces états dépressifs doivent faire l’objet d’une
prise en charge volontariste, axée sur le maintien ou la
reprise d’une activité dans les différents domaines, qui
seront les meilleures armes pour combattre les blessures
narcissiques caractérisant souvent cette « seconde moitié
de la vie ».
Références
[1] Frank E. Interpersonal and social rhythm therapy: a means of
improving depression and preventing relapse in bipolar disorder.
J Clin Psychol 2007;63(5):463—73.
[2] Gourion D, Lôo H. Les nuits de l’âme. Paris: Odile Jacob; 2007.
[3] Gut-Fayand A. Devenir fonctionnel des patients et thérapeutiques psychosociales Symposium « Autour du trouble
bipolaire », Paris, déc. 2007, à paraître dans l’Encéphale (2008).
[4] Millet-Bartoli F. La crise du milieu de la vie. Paris: Odile Jacob;
2006.

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