Intervention d`Isabelle AUTISSIER,

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Intervention d`Isabelle AUTISSIER,
plénières
Intervention
d’Isabelle AUTISSIER,
navigatrice, présidente
du World Wild Fund1 (WWF) France
congrès de la FNCCR - juin 2016 / PLÉNIÈRES
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Intervention d’Isabelle AUTISSIER,
navigatrice, présidente du World Wild Fund1 (WWF) France
Animation :
Olivier SCHNEID, journaliste
Introduction
Xavier PINTAT
Président de la FNCCR, sénateur de la Gironde
La Fédération nationale de collectivités concédantes
et des régies (FNCCR) qui regroupe les collectivités
locales au titre de leurs compétences dans le
domaine de l’énergie, de l’eau et du numérique,
est très honorée que vous soyez à notre congrès.
Nos débats sont alimentés par des questions telles
que la transition énergétique, la gestion des milieux
aquatiques, la prévention du risque inondation,
la distribution d’énergie et d’eau, ou encore la
numérisation des services publics. Tout le monde
connaît votre parcours exceptionnel de navigatrice :
première femme à faire le tour du monde en
course, mise au point d’un des premiers voiliers de
course à quille basculante, record New-York - SanFrancisco par le Cap Horn en 1994. On sait moins
que vous êtes ingénieure agronome, spécialisée
dans les ressources halieutiques, et que vous
avez enseigné et fait des recherches pour l’Institut
français de recherche pour l’exploitation de la
mer (IFREMER)2. Vous avez également publié des
récits, des biographies historiques et des romans.
Nous vous connaissons aussi pour vos émissions
sur France Inter. Mais, c’est en votre qualité de
présidente du WWF que nous vous accueillons,
puisque vos préoccupations de développement
durable concernent bon nombre de nos activités.
Olivier SCHNEID
Si j’ai préparé cette conférence avec passion, il y
a néanmoins un côté déprimant, parce que nous
plongeons dans l’histoire d’un rongeur australien
disparu à cause du réchauffement climatique, dans
celle de la grande barrière de corail, qui blanchit à
vitesse accélérée, dans celle de l’ours blanc, qui ne
se porte pas très bien, dans celle de la banquise,
dont un scientifique estime qu’elle pourrait avoir
totalement fondu d’ici à l’été 2017, voire à l’automne
2016, dans celle du koala australien, qui vit des
moments difficiles, dans celle des océans, qui
connaissent aussi une évolution problématique.
Vous allez commencer par nous parler de
l’Antarctique.
’océan, les pôles, les bêtes
L
et les hommes
Isabelle AUTISSIER
Ingénieure agro-halieutique, navigatrice, présidente
du WWF France
Au cours de ce moment d’échanges, nous allons
essayer de nous laisser quelques petites lueurs
d’espoir dans ce monde de brutes. Depuis que je
suis petite fille, ce qui m’a tirée en avant, plutôt tirée
vers le haut, c’est cette magnifique planète bleue, qui
mérite qu’on lui consacre sa vie. Après un parcours
scientifique agro-halieutique et 10 ans de carrière
à l’IFREMER et dans différentes organisations,
puis de navigatrice autour du monde pendant une
quinzaine d’années, j’ai eu envie de changer de vie,
en restant marin, mais en étant aussi dans l’action
citoyenne, et dans le partage de ce qui a constitué
pour moi des beautés, des moments exceptionnels
que je ne peux pas garder pour moi.
Nous avons eu envie, pour introduire cette
conférence, de vous emmener en Antarctique,
que j’ai fréquentée pendant une dizaine d’années
pour mon bonheur, mais aussi pour comprendre
pourquoi ce qui se passait là-bas nous intéresse
et nous concerne. Ce petit film est issu du premier
voyage que j’ai fait avec mon voilier et avec Erik
Orsenna, académicien, écrivain, mais aussi marin.
Nous sommes partis ensemble pour témoigner à
travers un livre, « Salut au grand sud »3. J’ignore
si cela ouvrira une discussion sur le réchauffement
climatique, mais ce sont des images sympathiques,
qu’il me plaît de partager.
Olivier SCHNEID
Erik Orsenna qui évoquait, dans son discours de
réception à l’Académie Française « Mon père qui
1- Fond Mondial pour la nature, anciennement World Wildlife Fund.
2- Etablissement public à caractère industriel et commercial ayant pour missions de connaître, évaluer et mettre en valeur les ressources
des océans et permettre leur exploitation durable, améliorer les méthodes de surveillance, de prévision, d’évolution, de protection et de
mise en valeur du milieu marin et côtier, et favoriser le développement économique du monde maritime.
3- Salut au Grand Sud, Erik Orsenna et Isabelle Autissier, éditions Stock, sept. 2006, 270 pages.
2
m’a fait cadeau d’une île et du besoin de mer ».
Isabelle AUTISSIER
Breton, Bretagne Nord. Breton bretonnant.
Olivier SCHNEID
Et qui a aussi dit dans ce discours : « l’écrivain de
mer ne parle que du genre humain ».
Isabelle AUTISSIER
Et nous partageons aussi une furieuse curiosité
pour tout. Place à quelques images, et nous nous
retrouvons juste après.
en face de l’Amérique du Sud. Certains endroits,
qui étaient complètement prisonniers de la calotte
glacière sont devenus des îles, parce que la calotte
a un peu fondu. Par contre, le réchauffement est
en train d’affecter la vie biologique de l’Antarctique,
en particulier le plancton – surtout du krill, des
petites crevettes –, très sensible aux questions de
température. Par ailleurs, l’été austral prochain,
nous allons malheureusement voir des grosses
mortalités de manchots, parce que le phénomène
El Niño4 se propage, morcelle la glace, ce qui les
empêche d’aller s’alimenter et de nourrir leurs
petits. Si cela impacte peu en direct, il y a des
impacts par effet boomerang.
Projection vidéo
Isabelle AUTISSIER
Nous avions envie que vous puissiez voir ce film
sans commentaire, comme nous l’avons vu, c’està-dire « brut de décoffrage ». C’est cela, la vraie
rencontre.
P
ôle sud : Une terre encore
protégée, mais…
Olivier SCHNEID
Racontez-nous l’Antarctique.
Isabelle AUTISSIER
C’est un énorme continent couvert par 2 à 4 km
de glace. C’est le pôle qui fait marcher la machine
thermique de la planète. Sans lui, le climat ne
serait pas ce qu’il est. Si ce sont surtout les marges
qui subissent le réchauffement – et surtout la
marge ouest –, globalement l’Antarctique reste une
terre très protégée. Le réchauffement y est moins
sensible que dans l’Arctique. Malgré le tourisme,
il y a finalement extrêmement peu d’humains
à fréquenter cet endroit. Nous avons donc une
proximité avec la vie sauvage tout à fait particulière,
parce que les animaux ne savent pas que l’homme
peut éventuellement être dangereux et n’en n’ont
donc pas peur, ce qui n’est pas le cas en Arctique.
Olivier SCHNEID
A quelle échéance l’Antarctique est-il susceptible
de subir les effets du dérèglement climatique ?
Isabelle AUTISSIER
Il le subit déjà un peu sur ce que nous appelons
l’Antarctique de l’Ouest, c’est-à-dire toute la partie
Olivier SCHNEID
Pouvez-vous préciser la relation entre El Niño et le
dérèglement climatique ?
Isabelle AUTISSIER
Objectivement, nous observons des phénomènes
El Niño de plus en plus fréquents et de plus en
plus violents, parallèlement au réchauffement
climatique. Si, au départ, c’est un phénomène
climatique qui affecte le Pacifique, il engendre
des dérèglements en chaîne de manière très
importante, comme par exemple une très grave
sécheresse dans le sud de Madagascar due à la
propagation des phénomènes climatiques globaux
générés par El Niño. La machine thermique est
unique : quand il se passe des choses d’un côté,
cela a des conséquences éventuelles sur d’autres.
P
ôle nord : des effets de
réchauffement cumulatifs
Olivier SCHNEID
Changeons de pôle, et partons en Arctique.
4- El Niño (littéralement « l’Enfant (Jésus) », car il apparaît peu après Noël), désigne à l’origine un courant côtier saisonnier chaud au large
du Pérou et de l’Équateur mettant fin à la saison de pêche. Le terme désigne maintenant par extension le phénomène climatique particulier, différent du climat usuel, qui se caractérise par des températures anormalement élevées de l’eau dans la partie Est de l’océan
Pacifique Sud.
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3
Isabelle AUTISSIER
Après avoir beaucoup fréquenté l’Antarctique, j’ai eu
envie d’aller dans le Nord, où il y a des gens et des
activités humaines, ce qui est plutôt sympathique.
Mais le réchauffement y est extrêmement violent,
en moyenne 2,5 fois plus rapide que sur le reste
de la planète, pour une raison toute simple : alors
que la couleur noire concentre la chaleur, le blanc
la réfléchit. La banquise, qui il y a 20 ans faisait 4
mètres d’épaisseur, n’en fait plus que 2 : elle fond,
et quand cela fond, ce n’est plus blanc. La couleur
de l’océan devient très sombre, et absorbe les
calories que la glace, même fine, rejetait
à l’extérieur. Cela entraîne des effets de
réchauffement cumulatifs, et si l’on considère
que le réchauffement climatique de la planète
en général sera limité aux alentours de 2°ou 3°,
l’Arctique, lui, va se réchauffer de 6 à 8°. Cela n’a
absolument rien à voir, du point de vue de la glace,
des espèces vivantes, des hommes, des terres, du
réchauffement aussi, parce qu’en se réchauffant
l’Arctique va libérer des quantités colossales de
méthane, un gaz à effet de serre. Il se passe donc, en
Arctique, des choses, tout à fait déterminantes pour
la vie des hommes, et extrêmement rapides. Mon
bateau, parti avant moi dans le sud du Groenland,
aurait dû trouver de la glace compacte jusqu’à fin
juillet. Or, depuis mi-mai, il n’y a plus de glace.
Est-ce une année exceptionnelle ? Les années
exceptionnelles le sont de moins en moins et cela
modifie tout : la circulation des glaciers, la vie des
gens. Cela donne aussi des ouvertures, comme la
potentialité de faire passer des gros navires par les
routes du Nord, jusqu’à maintenant gelées, ou les
potentialités d’extractions pétrolières ou gazières.
La pêche va également être affectée. Ce sont des
enjeux économiques colossaux.
Olivier SCHNEID
Un scientifique de Cambridge affirme qu’un tel
phénomène n’avait plus menacé l’Arctique depuis
entre 100 000 et 120 000 ans.
Isabelle AUTISSIER
La différence, c’est qu’à cette époque il n’y avait pas
d’hommes là-bas. Maintenant, non seulement il y
a des hommes, mais en plus nous savons que ce
qui se passe là-bas peut potentiellement atténuer
le Gulf Stream5, ce qui a des conséquences directes
pour l’Europe de l’Ouest, dont il tempère le climat.
Le souci, au fond, n’est pas tant le réchauffement
lui-même que la vitesse à laquelle il se produit,
et surtout le fait que nous avons construit nos
sociétés sur des températures stables. Ce sont
surtout les conséquences économiques, sociales,
de qualité de vie, qui nous importent.
Besoin de stabilité
Olivier SCHNEID
Le Groupe d’experts intergouvernemental sur
l’évolution du climat (GIEC) disait dans un rapport :
« rarement nous avons autant su et si peu
entrepris ».
Isabelle AUTISSIER
L’apport du GIEC est colossal. Il fournit des
données concrètes et des scénarios dont nous
avons absolument besoin pour construire notre
avenir. Or, les civilisations humaines ont besoin de
stabilité, et la première est la stabilité climatique,
puis la stabilité biologique, et enfin celle de nos
organisations humaines. Si la stabilité climatique
se modifie de manière brutale, cela ne donne pas le
temps aux espèces et aux hommes de s’adapter, et
surtout cela fait une facture très lourde.
Il ne faut pas non plus trop noircir le débat. Nous
avons beaucoup de solutions à notre disposition, et
vous, élus, en êtes une partie importante, mais il ne
faut pas tarder.
Olivier SCHNEID
Avant d’en arriver aux solutions, vous évoquiez le
manchot, dont vous nous dites qu’il est menacé,
tout comme l’ours blanc.
Isabelle AUTISSIER
L’ours blanc a besoin de banquise pour pouvoir
galoper dessus et trouver les phoques. Mauvais
nageur, il ne peut pas les attraper dans l’eau. Il peut
donc le faire que grâce aux trous de respirations
qu’ont faits les phoques à travers la banquise. C’est
pour lui une nourriture très grasse, qui constitue
des réserves importantes. Donc, bien sûr, plus de
glace, plus d’ours à terme. Si nous n’y sommes pas
encore, à terme, les ours vont disparaître.
Olivier SCHNEID
Le phoque est lui aussi menacé.
Isabelle AUTISSIER
C’est l’ensemble de la chaîne alimentaire qui est
menacée. La vie sur terre est résiliente, c’est-àdire qu’elle résiste parce que chaque espèce est
en relation avec des centaines d’autres espèces.
C’est ce qui fait la stabilité. Mais plus certaines
5- Courant marin de surface chaud qui longe la côte américaine depuis le Golfe du Mexique et se dirige vers le nord-est de l’Océan Atlantique,
poussé par les vents dominants du sud-ouest, en se refroidissant progressivement. Il déplace l’eau chaude des zones subtropicales vers les
pôles.
4
espèces sont affectées, plus cela affecte la stabilité
globale. Du coup, d’autres espèces vont l’être à leur
tour parce que les espèces qu’elles consomment,
par exemple, sont infectées. Il faut avoir cette
vision globale, l’homme étant évidemment une des
espèces qui a le plus de relations avec l’ensemble
des espèces, à travers la nutrition, les processus
industriels, la laine, le coton, les fourrures, etc.
Nous sommes donc une des espèces les plus
sensibles à cette question de la stabilité globale de
la vie sur terre.
étrole arctique :
P
défense d’y toucher !
Olivier SCHNEID
Qu’allez-vous faire dans l’Arctique ?
Isabelle AUTISSIER
Il y a une dimension mer/montagne puisque je
pars avec des alpinistes, pour lesquels le bateau
est le seul vecteur pour aller d’un point à un autre.
Il leur sert de camp de base, en cas de problème ou
de mauvais temps,
Parallèlement, nous avons une mission du Centre
national de la recherche scientifique (CNRS) sur le
plancton. A cause du réchauffement, l’acidification
des océans – +30% en 20 ans –commence à être
sensible, et nous avons donc besoin de faire des
mesures, en particulier dans le nord. Nous allons
donc faire des prélèvements, essentiellement de
plancton.
Olivier SCHNEID
L’Arctique est-il une zone qui intéresse les groupes
pétroliers ?
Isabelle AUTISSIER
Il y en a aussi en Antarctique, mais un accord
international le protège. Par contre, en Arctique, il y
a beaucoup de pétrole et de gaz, contre l’exploitation
desquels le WWF se bat. En fait, il y a deux choses
qu’il faut bien comprendre. Pour respecter les
accords de la 21ème Conférence des Parties
(COP 21), il faut laisser là où il est 80% du pétrole
que nous avons déjà découvert, et évidemment
ne pas en chercher d’autre. Les scientifiques ont
calculé le quota auquel nous avions droit pour
arriver à 2° d’augmentation de température. C’est
un défi qui s’applique déjà, entre autres, à l’Arctique.
N’allons pas chercher plus de pétrole, puisque
nous avons pris collectivement l’engagement de ne
pas l’exploiter.
La deuxième raison, évidemment plus particulière
à l’Arctique, est la fragilité de ces régions. La vie
au froid est plus fragile, plus lente, les écosystèmes
sont moins fournis, moins diversifiés, donc la
résilience est moins grande. Les gens qui donnent
les concessions pétrolières évaluent à une chance
sur cinq le risque d’une explosion majeure. Or, nous
serons incapables d’intervenir comme nous avons
pu le faire dans le Golfe du Mexique – pourtant un
endroit facile, où nous avons pourtant mis trois mois
à boucher un malheureux puits. Dans l’Arctique,
cela pourrait prendre plusieurs années avant que
nous arrivions à faire quelque chose. Il y a toutefois
quelques bons signaux, en particulier la compagnie
Shell qui, sous la pression citoyenne, s’est retirée
très récemment en faisant don de sa concession à
une zone de parc naturel.
Olivier SCHNEID
Ce qui n’est pas le cas de Total à ma connaissance.
Isabelle AUTISSIER
Total s’est retiré de l’exploitation pétrolière, mais
est resté positionné sur le gaz, considérant que
c’est moins dangereux, parce qu’il produit moins de
gaz à effet de serre. Il n’entraîne pas les mêmes
risques que les exploitations pétrolières.
Olivier SCHNEID
Ceux qui s’opposent à laisser 80 % de pétrole
dans le sous-sol brandissent le développement
économique.
Isabelle AUTISSIER
C’est un faux argument. C’est la question de la
transition énergétique. Nous avons besoin d’énergie, mais nous en gaspillons directement un
tiers. Par exemple, la veille des appareils électroménagers représente l’équivalent en énergie d’une
tranche de centrale nucléaire.
Olivier SCHNEID
C’est de l’ordre de 5% de la consommation.
congrès de la FNCCR - juin 2016 / PLÉNIÈRES
5
Isabelle AUTISSIER
En outre, à peu près un tiers de l’énergie est mal
utilisée, comme par exemple le faible rendement
énergétique d’une voiture transportant une
personne de 60 kg. Nous avons là un boulevard
de créativité, de développement, d’innovation. Et
depuis quelques années nous savons que nous
pouvons tirer de l’énergie des renouvelables :
soleil, vent, courants, et autres phénomènes
naturels capables de produire de l’énergie. La
transition énergétique est donc urgente, et en 2015
le supplément de production énergétique – lié à
l’augmentation de la consommation – a été réalisé
à plus de 90% par des renouvelables. C’est une
accélération très forte, exponentielle, tout comme
l’investissement des grandes sociétés et fonds
d’investissement qui se dirigent vers les solutions
renouvelables. Ils investissent dans des choses
qui doivent leur rapporter dans l’avenir, et ont
compris que l’énergie fossile allait être de plus en
plus compliquée, de plus en plus chère, avec des
contraintes règlementaires, qui ne toucheront pas
le renouvelable. Nous avons des signaux, mais il
faut accélérer. Nous avons encore du pain sur la
planche. La transition énergétique est en train de «
prendre », à tous les niveaux, dans les pays en voie
de développement comme dans les pays riches.
la recherche de nouveaux
A
modèles de développement
Olivier SCHNEID
Donc, votre Organisation non gouvernementale
(ONG) ne s’occupe pas que des pandas ?
Isabelle AUTISSIER
Historiquement, le WWF a commencé à s’occuper de
la grande faune sauvage, ce qui continue d’ailleurs.
Mais, assez logiquement, quand on s’intéresse à
la faune sauvage, on s’intéresse aux espaces qui
l’accueillent, puis sur les menaces que subissent
ces espaces. On en arrive à s’interroger sur le mode
de développement des civilisations humaines et la
compatibilité entre ce mode de développement et le
climat, l’air, l’eau, la biodiversité, qui sont la base
de notre développement humain. Si nous sommes
effectivement toujours très présents aux côtés de la
biodiversité, nous sommes aussi très impliqués sur
la question climatique. Nous sommes partenaire
des COP depuis l’origine, ainsi qu’avec des
entreprises et des collectivités, pour trouver quels
nouveaux modèles et quels nouveaux instruments
nous pouvons mettre en œuvre pour accélérer
cette transition écologique. Cela nous amène à
travailler avec Carrefour, Michelin, Sodexo, la ville
de Paris, etc. Pour moi, il n’y a pas de barrière
entre l’économie et l’écologie, puisque les deux
coexistent sur la planète.
Les partenariats en question
Olivier SCHNEID
Travailler avec des entreprises qui ne sont pas
exemplaires en matière de développement durable
est un sujet sensible.
Isabelle AUTISSIER
Oui, mais nous avons une blacklist : le pétrole et le
nucléaire. Pour nous, le fondement de leur activité
doit cesser, c’est globalement difficile de travailler
avec eux.
Olivier SCHNEID
EDF ne finance pas d’actions du WWF ?
Isabelle AUTISSIER
Ni EDF ni Total. Mais nous sommes partisans de
discuter avec tout le monde. Si nous n’arrivons
pas à impacter le monde économique, nous
n’arriverons pas faire en sorte que l’homme puisse
continuer à vivre en harmonie avec sa planète. Par
ailleurs, il y a au sein des entreprises des gens qui
réfléchissent à ces sujets, parce que leur business
va être impacté : la crise écologique est la matrice
de crises économiques, sociales et politiques.
Même s’il ne s’intéresse pas directement à
l’environnement, le milieu économique est sensible
à la stabilité économique et politique, parce que
c’est notre modèle de développement. C’est la
raison pour laquelle les Chinois se sont convertis
à la question du réchauffement climatique. Leur
analyse est qu’il y a aujourd’hui, en Chine, plus
de révoltes environnementales que de révoltes
sociales pour des questions de salaires. Les
dirigeants chinois, pragmatiques, savent qu’il faut
régler ces problèmes au risque que leur pays ne
bascule dans une instabilité qui ne leur est pas
favorable.
Olivier SCHNEID
Vous interveniez dans les éco-quartiers avec
une filiale de Bouygues, lequel travaille dans des
états de la Communauté des états indépendants
(CEI)6 à des chantiers dans des états qui ne sont
respec-tueux ni de la planète, ni des droits de
l’homme.
6- La CEI est une entité intergouvernementale composée de 9 des 15 anciennes républiques soviétiques. Elle est dépourvue de personnalité
juridique internationale.
6
Isabelle AUTISSIER
Nous gardons notre propre jugement – c’est une
clause insérée dans tous nos partenariats. Ce
n’est pas parce que nous construisons ensemble
des choses qui vont dans le bons sens, que
nous n’avons pas la liberté de rompre certains
partenariats si jamais cela se passait mal. Nous
sommes en capacité – y compris financière – de
continuer à être critique. Je ne crois pas que cela
soit antagoniste. Ce qui est intéressant dans ce que
vous dites, c’est que nous voyons de plus en plus
de convergences entre les droits humains et ceux
de l’environnement. De plus en plus de problèmes
environnementaux sont à la base de problème de
droit humain. En mettant en œuvre des solutions
environnementales, qui en général passent par des
solutions de gouvernance, nous allons dans le sens
d’une meilleure appropriation du droit humain.
De la salle (Jean-Pierre LARDEAU, Vice-président du
syndicat ENERGIES VIENNE)
Nous avons une Société d’économie mixte (SEM)
spécialisée dans le photovoltaïque et l’éolien, et
nous sommes confrontés à beaucoup d’opposants
à nos projets éoliens. Avez-vous une influence pour
nous aider dans ce domaine ? Par ailleurs, vous
n’avez pas évoqué les gaz de schistes.
az de schistes ou énergies
G
renouvelables : la question
de l’acceptabilité
Isabelle AUTISSIER
Puisque de toute façon, il faut laisser 80% du pétrole
que nous avons déjà découvert, ce n’est pas la peine
d’aller en chercher du côté des gaz de schistes. Par
ailleurs, quand on voit comment cela se passe aux
Etats-Unis – où des zones non sismiques le sont
devenues –, on n’a vraiment pas envie d’avoir la
même chose, sans parler de la pollution des nappes
phréatiques et des problèmes de santé publique.
Les questions climatiques risquent de nous coûter
beaucoup plus cher que cela.
Sur la question de l’acceptabilité des installations
solaires et surtout éoliennes, je vous fais le pari que
d’ici 10 ans ou 15 ans, on ne les contestera pas plus
qu’on ne conteste les poteaux électriques ou les
châteaux d’eau aujourd’hui, parce qu’elles seront
tellement ancrées dans notre vie qu’on ne les verra
même plus. S’il peut être légitime de débattre de
leurs emplacements, il faut apprendre à vivre avec,
ce qui demande néanmoins de la pédagogie très
en amont. Si nous ne produirons pas d’énergie
sans empreinte, nous devons choisir celle qui a
l’empreinte la moins néfaste pour les hommes.
L’éolien et le photovoltaïque sont celles qui en ont
le moins d’empreintes.
Olivier SCHNEID
Vous disiez que personne ne contestait les poteaux,
mais notre public préconise l’enfouissement des
réseaux.
Isabelle AUTISSIER
C’est une bonne chose. Mais, à part pour les lignes
à haute tension, peu de gens manifestent contre les
poteaux électriques. Nous vivons avec beaucoup
de choses qui ne nous posent plus de problème
aujourd’hui.
Olivier SCHNEID
Le sujet du gaz de schistes intéresse directement
les collectivités pour différentes raisons, et il existe
un débat pour convaincre les collectivités de les
accepter, en leur donnant une redevance. Tout se
mêle : l’écologie, l’environnement, l’économie…
Isabelle AUTISSIER
C’est l’homme qui est à l’interférence de tout cela.
Je comprends que les sociétés qui veulent exploiter
les gaz de schistes vont promettre espèces
sonnantes et trébuchantes aux collectivités, qui y
sont sensibles. Mais il y a, en France, une très forte
réaction des gens sur ce sujet.
De la salle (Marie-Jo GREFFIER, Membre du Syndicat
intercommunal d’énergie d’Indre-et-Loire – SIEIL)
Quel est votre avis sur l’exploitation des icebergs au
Canada pour faire de l’eau potable, vendue à prix
d’or à Dubaï ou ailleurs ?
Isabelle AUTISSIER
C’est typiquement une fausse bonne idée. Tirer
un iceberg est très énergivore, puisqu’il y a à peu
près 7 fois autant en dessous qu’au dessus. Ce
genre d’idée ressort régulièrement, mais je ne crois
pas que cela puisse être intelligent. Par contre,
la désalinisation de l’eau de mer, dans certains
cas, peut apporter des vraies solutions. Je pense
que nous allons plus aller vers des solutions
comme cela pour les endroits qui vont manquer
d’eau.
’importance de l’engagement
L
des collectivités
Olivier SCHNEID
J’évoquais votre travail sur les éco-quartiers. J’ai
sous les yeux un rapport de votre ONG qui évoque
l’engagement de six collectivités françaises pour le
congrès de la FNCCR - juin 2016 / PLÉNIÈRES
7
climat. Est-ce un concours7 que vous lancez ?
Isabelle AUTISSIER
Earth Hour8 ne nous a pas paru suffisant. C’est
bien pour mobiliser les citoyens, parce que c’est
un moment où l’on parle de ces questions. Les
collectivités nous paraissent absolument cruciales
sur la question climatique, parce qu’elles gèrent
beaucoup de choses qui impliquent des questions
d’énergie et de climat. Nous avons fait le choix de
travailler sur les éco-quartiers pour essayer de
pousser l’ensemble des solutions nouvelles. On
s’intéresse beaucoup à tout ce qui est dialogue
citoyen. Comment crée-t-on un éco-quartier à
partir de la demande des citoyens ? Comment
l’exprime-t-on ? Comment dialogue-t-on ? Nous
pensons qu’il faut mettre en valeur les nombreuses
collectivités qui font des efforts. Nous avons inventé
ce petit challenge, qui s’adresse à n’importe quelle
collectivité, grande ou petite, à travers une sorte
d’audit des solutions mises en œuvre et des projets
sécurisés, bien sûr.
Olivier SCHNEID
Ce sont deux grandes collectivités qui ont remporté
ce concours l’année dernière.
Isabelle AUTISSIER
Elles sont grandes en effet, mais cela ne veut pas
dire qu’on ne s’adresse pas aux autres.
Olivier SCHNEID
Travaillez-vous aussi avec des petites collectivités ?
Isabelle AUTISSIER
Oui, nous pouvons tout à fait travailler avec des
petites collectivités. Si travailler avec des grandes
provoque un impact potentiellement plus grand, les
petites collectivités peuvent être très exemplaires
en termes de gestion collective et de gouvernance.
Olivier SCHNEID
Lors du colloque intitulé « réinventer les villes »,
avec Bouygues Construction, aviez-vous tous les
modèles de collectivités ?
Isabelle AUTISSIER
Oui, cela s’adressait à tout le monde. Bouygues
avait été acteur et aussi financeur de ce colloque.
Nous avions toutes les thématiques, et des experts
venaient dialoguer avec les collectivités sur la
question des villes en transition, de l’énergie, des
transports, des déchets, du réemploi, etc.
Olivier SCHNEID
Réinventer la ville, c’est la ré-enchanter ?
Isabelle AUTISSIER
Le parc immobilier se renouvelle à raison de 1% par
an ; il faut donc 100 ans pour tout refaire. Nous n’en
avons pas le temps. La question est donc : comment
les réinventer ? Comment faire changer un certain
nombre de fondamentaux, en conservant l’existant,
alors qu’il est plus compliqué de modifier des
bâtiments existants que de construire un bâtiment
à énergie positive ? C’est l’implication citoyenne qui
peut faire fonctionner cela. On peut inventer des
belles solutions, mais si les citoyens ne sont pas
associés, cela marche mal. Ce sont les acteurs euxmêmes qui vont se saisir des systèmes. Il existe des
systèmes pour pouvoir régler automatiquement
le chauffage, mais si les gens ne s’emparent pas
parce qu’ils ne savent pas s’en servir, ils continuent
à surchauffer fenêtre ouverte. S’il faut cette
innovation, il est essentiel que les citoyens s’en
saisissent.
Olivier SCHNEID
Nous parlerons de ce sujet dans une table ronde
sur l’architecture bioclimatique, où nous nous
poserons la question du décalage entre ce que
conçoivent architectes et urbanistes et le manque
d’appropriation par le citoyen.
Isabelle AUTISSIER
Nous sommes tous comme cela : quand nous
sommes devant un système nouveau, il faut qu’il soit
désirable. Il faut que les gens aient envie que cela
change, qu’ils y trouvent un certain intérêt matériel ou intellectuel, que cela soit simple, que tout le
monde puisse s’en saisir. D’où l’intérêt d’avoir des
terrains expérimentaux, pour mesurer et pouvoir
vraiment mettre en œuvre ces modifications.
Olivier SCHNEID
La Rochelle, dont vous êtes originaire, a reçu le prix
spécial COP21-Energie citoyenne. Un prix stimulet-il les collectivités ?
Isabelle AUTISSIER
J’ai couru après les prix dans ma carrière de marin,
je peux vous dire que cela fait du bien quand on
7- Il s’agit de Earth Hour City Challenge, qui a pour objectif d’encourager et d’accompagner les villes dans leur transition vers un futur
climatique durable. A l’occasion de cette compétition internationale, les collectivités locales présentent leurs plans d’actions pour un futur
sobre en carbone.
8- Manifestation annuelle à l’initiative du World Wide Fund for Nature (WWF) et du Sydney Morning Herald, un grand quotidien australien, qui
consiste à couper les lumières et débrancher les appareils électriques non essentiels pour une durée d’une heure afin de promouvoir
l’économie d’électricité et, par conséquent, la réduction des émissions de gaz à effet de serre et la lutte contre le réchauffement climatique.
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en a. Cela reconnaît les efforts que vous faites,
cela emmène les gens avec vous. On en parle, on
le partage, cela donne une fierté aux gens qui le
reçoivent et à ceux qui sont entrainés avec. C’est la
désirabilité qui nous fait bouger.
Olivier SCHNEID
Et les médias en parlent.
Isabelle AUTISSIER
Cela donne envie aux gens d’aller dans ce sens, et
même de continuer.
’empreinte des gens
L
et des événements
De la salle (Stéphane DEPONT, Directeur du service
Eau et Assainissement du Grand Poitiers)
Vous avez parlé d’empreinte écologique. Vous
êtes exploratrice, et nous avons envie de faire les
mêmes choses que vous. En voyant sur le film sur
le Groenland, on a envie de prendre l’avion et d’aller
explorer des terres « inconnues ». Est-ce grave
que des gens vous suivent, sachant qu’ils le font en
avion, en groupe, dans des terres un peu fragiles ?
Isabelle AUTISSIER
C’est la mauvaise face de ce que je peux faire par
ailleurs. J’assume le fait qu’en voyant ces imageslà, des gens parmi vous vont vouloir y aller. Tout le
monde peut légitimement avoir envie d’aller passer
un moment dans ces endroits très beaux, mais qui
font aussi réfléchir, qui donnent une autre vision
du monde. La question est : comment y aller ? On
veut y aller vite parce qu’on n’a pas beaucoup de
temps. A la voile, je pars pour plusieurs mois, mais
les gens n’ont que 15 jours de vacances. Essayons
de faire moins, mais mieux ; moins souvent mais
plus longtemps, et pas forcément le plus loin
possible. Pour certains, c’est le rêve de leur vie, et
c’est légitime. Dès lors, je dis : si c’est l’histoire de
votre vie, allez-y trois mois, et pas 15 jours, parce
que vous en profiterez plus, et cela réduira votre
empreinte. Il y a donc une question de modèle aquel
on peut réfléchir.
Olivier SCHNEID
Le WWF est partenaire de l’opération « Paris JO
2024 », et votre objectif est de faire en sorte que
cela se passe le plus écologiquement possible.
Mais l’empreinte écologique des Jeux olympiques
(JO) peut aussi poser problème ?
Isabelle AUTISSIER
C’est un événement mondial qui mobilise beaucoup
de gens au même moment. Ce qui nous intéresse,
c’est ce que nous allons mettre en route. Comment,
par exemple, allons-nous réintroduire de la nature
dans la ville ? Comment allons-nous réfléchir
autrement aux méthodes d’alimentation ? Comment
allons-nous nourrir les sportifs et nourrir les gens
qui vont venir ? Pouvons-nous fixer des objectifs
pour un certain pourcentage de bio, un certain
pourcentage de local ? Et ne pouvons-nous pas, à
cette occasion, redévelopper les ceintures vertes
dans la région Ile de France ?
Olivier SCHNEID
Votre ONG travaille aussi à un modèle d’Exposition
universelle, qui ne se passerait pas dans une seule
ville ?
Isabelle AUTISSIER
Nous n’avons été sollicités que sur les JO, mais
tous les grands événements mondiaux peuvent être
logés à la même enseigne, même s’il est vrai que
les JO déplacent le plus de monde dans un laps de
temps le plus court, et sont vus par 3 milliards de
personnes.
Olivier SCHNEID
Mais les retombées économiques d’une exposition
universelle sont supérieures.
Isabelle AUTISSIER
Je n’ai pas d’opinion sur l’un ou l’autre.
La force de la preuve
De la salle (Georges POTTECHER, Directeur du pôle
de compétitivité Hydreos)
Le changement climatique passe certainement par
des changements assez radicaux au niveau des
individus. Je ne peux pas imaginer que l’on atteigne
ces objectifs simplement dans la continuité de
nos meilleures pratiques. Qu’est-ce qui pourra
mettre en mouvement et permettre d’atteindre
des résultats ?
congrès de la FNCCR - juin 2016 / PLÉNIÈRES
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Isabelle AUTISSIER
C’est la réalité qui nous rattrape qui nous met
en mouvement, malheureusement, parce que
nous commençons à voir un certain nombre de
conséquences du réchauffement climatique.
Malheureusement, parce que la communauté
scientifique nous alerte depuis 30 ans sur la
question du climat, encore plus sur la question de
la biodiversité. Mais si la résistance au changement
est très partagée dans l’espèce, nous avons de
moins en moins le choix. L’élément déterminant
sera la question de la santé, que l’on voit arriver à
chaque fois qu’on gratte un peu sur les questions
d’environnement. C’est cela qui fait bouger les
gens sur les questions de pollution atmosphérique,
de climat, parce que c’est associé au risque. Ce
sont des questions qu’il faut décrypter de manière
assez claire pour que les gens puissent faire le lien
entre les deux. C’est un vrai travail de conviction,
qui doit s’appuyer sur la communauté scientifique.
Le réchauffement climatique, l’érosion de la
biodiversité, ce n’est pas une opinion, des gens le
mesurent. Il est très important de bien s’appuyer
là-dessus, pour ne pas être pris pour des rêveurs.
C’est la force de la preuve, et aujourd’hui, nous
l’avons. Nous avons largement ce qu’il faut pour
changer nos comportements.
Olivier SCHNEID
Une question sémantique : Monsieur parlait
de changement climatique, vous parlez de
réchauffement climatique… et je parle de dérèglement climatique ?
Isabelle AUTISSIER
C’est vous qui avez raison, puisque cette modification
globale du climat va se traduire globalement par
une exagération des crises et des extrêmes. Je vous
renvoie à l’étude de Jean JOUZEL, qui a étudié au
niveau de la France, les scénarios climatiques. On y
voit bien que la France ne sera pas globalement plus
chaude ; mais il y aura des épisodes caniculaires de
plus en plus fréquents, de plus en plus violents. Il
y aura des endroits où il pleuvra plus, des endroits
où il y aura plus de sécheresse, etc. Ce ne sera pas
uniforme. Par contre, nous allons tous subir ces
modifications.
Olivier SCHNEID
En sachant que tout événement climatique n’est
pas lié au dérèglement climatique.
Isabelle AUTISSIER
Les séries statistiques météorologiques montrent
qu’il y a toujours des années exceptionnelles. C’est
10
la tendance qui, si l’on regarde globalement sur la
question de la température, est à la hausse.
Notre-Dame des Landes,
symbole d’une question globale
Olivier SCHNEID
Vous avez prononcé les mots biodiversité et
pollution, ce qui m’amène naturellement à vous
poser la question de Notre-Dame des Landes et du
référendum du 26 juin. Le WWF s’est engagé dans
le « non » à Notre-Dame des Landes, mais vous ne
remettez pas en cause le transport aérien.
Isabelle AUTISSIER
Nous ne sommes pas une organisation politique
ou confessionnelle, mais nous pouvons porter des
avis sur des questions qui concernent la vie de la
cité. Nous sommes opposés à la construction de
l’aéroport de Notre-Dame des Landes, pour des
raisons qui nous touchent de près : la biodiversité et
la disparition des zones humides en France, ce qui
est extrêmement impactant. Ce territoire est une
zone humide exceptionnelle, tête de réseau pour
l’alimentation d’un certain nombre de rivières dans
la grande région, avec une biodiversité associée
pour partie exceptionnelle et pour partie rare. Ce qui
nous intéresse aussi, c’est la question de l’empreinte
carbone. Celle résultant de la construction de
l’aéroport de Notre-Dame des Landes sera 30 fois
plus importante que celle liée à l’augmentation de
trafic éventuel sur l’aéroport existant. Cela va à
l’inverse des engagements de la COP21, puisqu’on
produit un équipement plus émetteur de gaz à
effet de serre. Nous sommes sensibles à d’autres
arguments qui sont moins de notre ressort, comme
le déséquilibre Nord-Sud de la métropole nantaise,
qui va mettre plus de voitures en circulation dans
un périphérique déjà saturé, ou la création de
temps de déplacement plus importants. La solution
de re-calibrer l’aéroport existant paraît meilleure
aux points de vue écologiques, économiques et
climatiques.
Olivier SCHNEID
On voit bien que nous ne pouvons pas isoler les
sujets.
e retour à la terre, une solution
L
d’avenir ?
De la salle (Adrien DENIS, Délégué du Syndicat
Intercommunal d’énergies de Maine et Loire – SIEML)
Si l’évolution de nos technologies, en l’espace de
quelques décennies, nous influence fortement dans
notre vie de tous les jours, la solution ne viendraitelle pas de la sobriété ? Aujourd’hui, il suffit
d’appuyer sur un bouton et de tourner un robinet
pour avoir la lumière l’électricité, le gaz, l’eau, et
les gens à faibles ressources sociales ne se rendent
pas compte de se qu’ils consomment puisqu’ils ne
visualisent pas les quantités. Cette fuite en avant
technologique et cette « modernité » sont-elles
compatibles avec cette sobriété qui serait une des
solutions pour préserver d’une part, le climat et
d’autre part la biodiversité ?
Par ailleurs, la déruralisation des campagnes vers
les villes et ensuite des villes des pays pauvres vers
les villes des pays riches, cette migration poussée
par le dérèglement climatique, n’est-elle pas une
des origines du drame ?
Isabelle AUTISSIER
Si nous sommes d’accord pour la sobriété
heureuse prônée par Pierre RABHI9, nous ne
voulons pas, par exemple, que les gens retournent
chercher l’eau au puits, parce que c’est directement
antagonique avec l’éducation des petites filles qui,
pendant ce temps-là, ne vont pas à l’école. Nous
ne retournerons pas en arrière, en tout cas en
termes de technologie. Par contre, nous pouvons
travailler sur l’usage de ce qui est entre nos
mains. Nous ne reviendrons pas en arrière sur le
téléphone portable, mais changer de téléphone
portable tous les six mois pour des raisons futiles,
c’est du gaspillage qui consomme des ressources
Des économistes travaillent, par exemple, sur les
modèles de richesse pour essayer de déconnecter
l’accumulation des biens du sentiment de bienêtre, de plaisir et de bonheur dans la vie. C’est
vrai sujet, auquel il faut réfléchir, notamment dans
les collectivités : tout ce qui permet de remplacer
l’avoir par l’être, un objet par une fonction, tout ce
que l’on peut ou faire en commun, cela va dans le
bon sens. La mutualisation produit du lien social, et
le lien social produit du plaisir globalement. Notre
modèle de pays riche non seulement consomme
deux planètes et demi – donc n’est pas durable –,
mais en plus cette consommation ne nous rend pas
toujours heureux, voire nous frustre.
Sur la question de la terre, je vous rejoins
complètement. Dans les pays pauvres, les gens
qui cultivaient pour se nourrir et vendre un peu
quittent la terre soit pour des raisons climatiques,
soit parce à cause de l’appropriation des terres au
profit des cultures de rentes comme le coton, le
maïs transgénique, le soja, le caoutchouc, etc. 80 %
des gens qui ont faim sont des agriculteurs. C’est
un chiffre terrible : ceux qui sont censés produire
l’alimentation sont ceux qui ont faim, parce qu’ils
ne produisent plus d’alimentation. Il y a là une vraie
réflexion à avoir pour redynamiser et revenir à des
agricultures vivrières, produites, transformées
et consommées localement, ce qui créera des
emplois locaux. Les modèles économiques bio
– ou avec moins d’intrants – présentent un taux
d’employabilité bien supérieur, et sont viables.
La vraie question est : comment les laisser vivre
chez eux, parce que c’est ce qu’ils veulent.
Olivier SCHNEID
Merci beaucoup, Isabelle AUTISSIER. Je ne
peux toutefois pas vous laisser partir sans vous
avoir interrogée sur ces navigatrices engagées,
militantes : outre vous-mêmes, il y Catherine
Chabot, membre du Conseil économique, social
et environnemental (CESE), mais il y a aussi Maud
Fontenoy, dont vous ne partagez pas les opinions,
qui
est
susceptible
d’être
ministre
de
l’Environnement et qui dit : il faut savoir se
retrousser les manches. Qu’en pensez-vous ?
Encouragez-vous les gens qui ont votre notoriété à
s’investir dans le débat sociétal ?
Isabelle AUTISSIER
Si l’on veut que cela change, il faut se retrousser
les manches, chacun là où nous sommes. Pour
ma part, je l’ai fait de manière très consciente :
l’engagement environnemental est le combat du
siècle, l’espoir du siècle, et je peux amener un peu
de notoriété à cette cause. On peut également citer
Ellen Mc Arthur, très engagée dans une importante
fondation sur l’économie circulaire. Je constate
avec plaisir que les femmes marins s’engagent.
Oui, il faut s’engager. Construire l’avenir est
indispensable, et beaucoup plus plaisant que de
rabâcher ce qui s’est fait avant.
Olivier SCHNEID
Merci beaucoup.
9- Vers la sobriété heureuse, Pierre RABHI, Actes Sud Sciences humaines, avril 2010, 144 pages.
congrès de la FNCCR - juin 2016 / PLÉNIÈRES
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CONGRÈS 2016
Du 21 au 23 juin
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Intelligences territoriales
Tours
Rédaction et conception graphique : agence AVERTI – www.averti.fr

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