Le système de santé fondé sur la valeur en France

Transcription

Le système de santé fondé sur la valeur en France
Un rapport de l’Economist Intelligence Unit
Le système de santé fondé sur la
valeur en France
La lente adhésion aux critères coût-efficacité
PA R R A I NÉ PA R :
Le système de santé fondé sur la valeur en France : la lente adhésion aux critères coût-efficacité
Sommaire
À propos de ce rapport
2
Introduction3
Chapitre 1 Évaluation approfondie des innovations
4
Chapitre 2 Intégrer les concepts de valeur
8
Conclusion12
1
© The Economist Intelligence Unit Limited 2015
Le système de santé fondé sur la valeur en France : la lente adhésion aux critères coût-efficacité
À propos de ce
rapport
Le système de santé fondé sur la valeur en France : la lente
adhésion aux critères coût-efficacité est un rapport de
l'Economist Intelligence Unit (EIU), commandé par Gilead
Sciences. Un système de santé fondé sur la valeur étudie les
résultats des traitements obtenus sur la santé par rapport
à leur coût. Dans ce document, l'EIU s'intéresse à la façon
dont l'innovation liée à la santé est évaluée en France, à
la portée de l'influence exercée par le rapport qualité-prix
sur les négociations tarifaires engagées avec l'industrie
pharmaceutique, et à la mesure dans laquelle les directives
nationales façonnent les prestations de soins de santé.
En octobre 2015, l'EIU s'est entretenue avec trois experts
au sujet du système de santé fondé sur la valeur en France ;
l'éclairage qu'ils nous ont apporté, lors de ces trois entretiens
approfondis, apparaît tout au long de ce rapport. L'EIU tient
à remercier les personnes suivantes (données par ordre
alphabétique) pour le partage de leurs connaissances et
expérience :
l Claude Le Pen, professeur de Sciences Économiques,
Université Paris-Dauphine
l Valérie Paris, analyste des systèmes et politiques de
santé, Organisation de Coopération et de Développement
Économiques (OCDE), Paris
l Dominique Polton, conseillère auprès du directeur général
de la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs
salariés (CNAMTS).
L'EIU est l'unique responsable du contenu de ce rapport. Les
constatations et opinions qui y sont exprimées ne reflètent pas
nécessairement celles du commanditaire. Andrea Chipman est
l'auteur de ce rapport, et Martin Koehring, son relecteur.
Novembre 2015
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2
Le système de santé fondé sur la valeur en France : la lente adhésion aux critères coût-efficacité
Introduction
La France dispose de l'un des systèmes les plus
exhaustifs et les plus rationalisés en Europe pour
évaluer l'efficacité des nouveaux médicaments et
des nouvelles technologies médicales, puis pour
les proposer aux patients. Toutefois, quand il
s'agit d'introduire des notions de coût-efficacité
ou d'importer des concepts de valeur sur
l'ensemble de son système de santé, la France est
à la traîne, derrière bon nombre de ses voisins.
À l'instar de la plupart des pays de l'UE, la France
bénéficie d'un système de santé universel, qui
s'accompagne d'une prise en charge généreuse,
et de médicaments et équipements médicaux
dernière génération. Néanmoins, alors que les
budgets nationaux sont de plus en plus serrés et
que les ministères de la Santé de tout le continent
sont souvent obligés de faire des choix difficiles
sur les traitements à prendre en charge, la
notion d'analyse coût-efficacité représente une
3
approche comparativement nouvelle, et qui n'a
pas encore touché les prestations de soins de
première ligne.
« En France, le niveau d'amélioration est un
déterminant clé, plutôt que le prix » pour
décider de la valeur à donner à une innovation,
explique Claude Le Pen, professeur de
Sciences Économiques à l'Université ParisDauphine. Ceci représente un type d'approche
fondée sur la valeur, ajoute-t-il, mais « sans cette
terminologie ».
Toujours est-il que le manque de transparence
avec lequel on négocie le prix final des nouveaux
médicaments et le manque de cohérence dans le
respect des directives officielles de prescription
par les prestataires de santé compliquent
l'évaluation du rapport qualité-prix réel obtenu
par les autorités sanitaires françaises.
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Le système de santé fondé sur la valeur en France : la lente adhésion aux critères coût-efficacité
1
Sorenson, C., Drummond,
M. et al, « Ensuring value for
money in health care: The
role of health technology
assessment in the European
Union », Observatoire
européen des systèmes et
des politiques de santé,
Organisation mondiale de la
Santé, Observatory Studies
Series, n° 11, 2008, p. 86.
1
Chalkidou, K., Tunis,
S. et al, « Comparative
effectiveness research and
evidence-based health
policy: Experience from four
countries », The Milbank
Quarterly, Vol. 87, n° 2,
2009, p. 353.
2
Garrido, M. V., Kristensen,
F. B. et al, « Health
technology assessment
and health policy-making
in Europe: Current status,
challenges and potential »,
Observatoire européen des
systèmes et des politiques
de santé, Observatory
Studies Series, n° 14,
Organisation mondiale de la
Santé, 2008, p. 69.
3
Chapitre Un : Évaluation approfondie
des innovations
Bien que l'infrastructure française permettant
d'évaluer les technologies de santé soit en
place depuis plusieurs décennies, elle ne revêt
sa forme actuelle que depuis ces dix dernières
années. Ce système est axé sur une procédure en
deux étapes pour évaluer si le bénéfice sanitaire
que procure une nouvelle technologie justifie son
inclusion aux listes nationales (service médical
rendu – SMR), ainsi que le niveau de progrès
thérapeutique qu'elle apporte au regard des
normes de soins existantes (amélioration du
service médical rendu – ASMR).
« En France, nous valorisons énormément
l'accès du patient aux nouveaux médicaments »,
explique Dominique Polton, conseillère auprès
du directeur général de la Caisse nationale de
l'assurance maladie des travailleurs salariés
(CNAMTS). « C'est ce qui façonne la manière dont
notre système est organisé. »
Créée par une loi de 2004, la Haute Autorité de
Santé (HAS) est la principale autorité française
compétente en matière d'évaluation des
technologies de santé ; elle détermine la sécurité
et la portée des bénéfices médicaux, recommande
des conditions de remboursement pour les
procédures de soins, présente des directives
aux professionnels de santé et au grand public,
et conçoit les procédures et conditions de
certification des établissements de santé.1
La HAS est une autorité publique indépendante
et financièrement autonome. Son modèle de
financement, atypique, comprend non seulement
les subventions de l'État, la participation des
assureurs, la contribution des établissements
de santé par le biais de frais de certification
et celle des industriels de santé fabricants de
médicaments et d'équipements, mais également
la contribution supplémentaire – à hauteur
d'environ un tiers de son budget – d'une
partie d'une taxe publique prélevée sur les
dépenses promotionnelles de l'industrie
pharmaceutique.2
L'autorité regroupe des commissions distinctes
chargées des médicaments, des procédures
médicales et des dispositifs et équipements
médicaux.3 Elle a été responsable de la
Commission de la transparence, établie en 1980,
et de la Commission d'évaluation économique et
de santé publique (CEESP), toutes deux chargées
de déterminer l'inclusion ou non de médicaments
au panier de soins, ainsi que de la Commission
d’évaluation des produits et prestations (CEEP),
qui émet des recommandations du même ordre
sur les dispositifs médicaux.
La Commission de la transparence est composée
de représentants des pouvoirs publics et des
caisses d'assurance maladie, de professionnels
de santé, d'associations de patients et de
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4
Le système de santé fondé sur la valeur en France : la lente adhésion aux critères coût-efficacité
l'industrie pharmaceutique, en notant que cette
dernière ne jouit pas de droits de vote.
Lorsqu'elle étudie les traitements les plus
novateurs, la Commission de la transparence
évalue l'efficacité des produits et la compare
à celle d'autres, déjà disponibles, ou l'intérêt
médical présenté. Le critère ASMR comporte
cinq niveaux différents : progrès thérapeutique
majeur, progrès thérapeutique important,
progrès thérapeutique modéré, amélioration
mineure et amélioration inexistante (les trois
premiers impliquant un prix supérieur pour le
produit).4
L’Union nationale des caisses d'assurance
maladie (UNCAM) détermine le niveau de
remboursement des produits inscrits à la liste
des médicaments remboursables, et le Comité
économique des produits de santé (CEPS) est
chargé de la fixation des prix.
La CEESP qui, à l'origine, avait un rôle consultatif
auprès de la HAS, s'est vu octroyer de plus
amples pouvoirs en 2012 pour se pencher sur les
avantages de coûts des nouveaux médicaments.
Ses nouvelles directives l'ont habilitée à utiliser
la même mesure d'années de vie pondérées par
la qualité (QALY) que celle employée par son
homologue britannique, le National Institute
for Health and Care Excellence (NICE), bien que
plusieurs signes indiquent que cette mesure
façonne les évaluations.5
Le ministère de la Santé détermine l'inclusion
ou non des nouveaux médicaments à la liste des
spécialités pharmaceutiques remboursables aux
assurés sociaux. Les médicaments destinés au
secteur ambulatoire, s'ils sont approuvés, sont
inclus à la liste, les listes positives étant définies
au niveau national et applicables sur l'ensemble
du territoire et de ses régions. Pour le secteur des
hospitalisations, les spécialités pharmaceutiques
autorisées peuvent faire partie d'une liste de
médicaments du secteur ambulatoire à utiliser en
soins hospitaliers, ou sur une liste strictement
réservée aux établissements de santé.
Depuis 1994, la loi française prévoit également
des autorisations temporaires d'utilisation (ATU)
qui, dans des cas exceptionnels, permettent
l’utilisation de nouvelles technologies médicales
afin de mettre à la disposition des patients des
produits qui répondent à un besoin médical
non satisfait mais n'ayant pas encore reçu
5
d'autorisation de commercialisation. Cette
dérogation sert à traiter des dizaines de milliers
de patients chaque année.6
Les médicaments remboursables, vendus dans
les officines, sont soumis à des prix administrés,
tandis que les établissements de santé ont la
possibilité de négocier, avec les fabricants,
le prix d'un grand nombre de médicaments
qu'ils utilisent. Les exceptions sont les coûteux
médicaments « vedettes » imputés aux caisses
d'assurance maladie, les médicaments couverts
par les tarifs fixes des groupes homogènes
de malades (GHM) ou ceux que les patients
ambulatoires reçoivent des pharmacies à usage
intérieur. Pour ces catégories, les entreprises
sont dans l'obligation de déclarer leurs prix
au CEPS. Dans le cas où le CEPS n'approuve pas
le prix déclaré, il en fixe un après une courte
négociation.7
Alors que la HAS tient compte, jusqu'à un certain
point, des résultats médicaux dans sa procédure
d'évaluation, l'interprétation de cette mesure
est parfois légèrement souple. L'autorité évalue
les spécialités pharmaceutiques en fonction
de leur efficacité et de leurs éventuels effets
indésirables ou de leur intérêt médical, de la
gravité de la pathologie, des propriétés curatives,
préventives ou symptomatiques des médicaments
et de leur impact sur la santé publique, bien que
la définition de ce critère reste vague dans la
pratique.
Un article de 2012 sur la tarification des produits
pharmaceutiques indique que l'interprétation
française de l'intérêt pour la santé publique traite
du bénéfice qu'apporte un nouveau médicament
à l'ensemble de la population et pas uniquement
aux patients : « Sa mesure est tridimensionnelle :
les résultats sur la santé produits au niveau de la
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Paris, V. et Belloni, A.,
« Value in Pharmaceutical
Pricing », Documents de
travail sur la santé de
l'OCDE, n° 63, Publications
de l'OCDE, 2013, p. 39.
4
« Is France Creating Its Own
NICE? », RealEndpoints.
Disponible sur : http://
www.realendpoints.com/
is-france-creating-its-ownnice
5
Bélorgy, C., « Temporary
Authorisations for Use
(ATU) », Agence française
de sécurité sanitaire
des produits de santé,
juin 2001.
6
« France –
Pharmaceuticals »,
ISPOR Global Health
Care Systems Road Map,
International Society
for Pharmacoeconomics
and Outcomes Research,
octobre 2009. Disponible
sur : http://www.ispor.org/
htaroadmaps/france.asp
7
Le système de santé fondé sur la valeur en France : la lente adhésion aux critères coût-efficacité
Paris et Belloni, Value in
Pharmaceutical Pricing.
8
9
Ibid.
Garrido et al, Health
Technology Assessment,
p. 67.
10
Bellanger, M., Cherilova,
V. et Paris, V., « The 'health
benefit basket' in France »,
European Journal of Health
Economics, 2005, Vol. 6,
pages 24-29.
11
Paris et Belloni, Value
in Pharmaceutical Pricing,
p. 41.
12
13
14
Ibid., p. 50.
Ibid., p. 38.
Sorensen et al, Ensuring
value for money in health
care, p. 93.
15
Ruggeri, K. et Nolte, E.,
Pharmaceutical pricing: The
use of external reference
pricing, RAND Europe, 2013,
p. 38.
16
Paris et Belloni, Value
in Pharmaceutical Pricing,
p. 21.
17
population (ce dernier étant fonction du nombre
de patients atteints de la pathologie concernée
et de l'efficacité du traitement), le fait qu'un
nouveau produit réponde à un besoin médical
encore insatisfait, et son impact sur le système de
santé (ressources économisées ou déplacées au
sein du système de santé). »8 Les auteurs ajoutent
que le critère de besoin encore insatisfait est
plus susceptible de favoriser les traitements des
maladies orphelines. En pratique, toutefois, la
Commission de la transparence passe moins de
temps à étudier les questions de déplacement
ou d'économie de ressources, rendant de ce fait
plus difficile la pleine reconnaissance de la valeur
totale d'un traitement donné pour le système de
santé, conclut l'article.9
Négocier les prix
Le CEPS, qui regroupe des représentants des
ministères de la Santé, des Finances et de
l'Industrie, négocie les prix des médicaments
avec les fabricants sur avis de la HAS en matière
d'intérêt médical à en tirer, tout en ayant des
prix de médicaments de catégories ASMR I à
ASMR III qui doivent être considérés comme
cohérents avec ceux des autres pays européens.
Ce système est unique dans le sens où le niveau
de contribution et les négociations tarifaires
dépendent tous deux de la valeur ajoutée liée à
l'efficacité.10
Les taux de remboursement varient de 35 à 65 %,
tandis que quelque 30 pathologies de longue
durée sont intégralement prises en charge. La
plupart des citoyens français disposent d'une
mutuelle qui prend en charge le solde du coût
des médicaments. Les dispositifs médicaux
sont remboursés à des taux allant de 65 à 100 %
en fonction de l'évaluation du SMR. Près de la
moitié des médicaments disponibles en France
figurent sur la liste positive des médicaments
remboursables, la majorité se situant aux
alentours de 35 %. 11
Il existe toutefois des variantes. Si l'on prend
le cas du fingolimod utilisé dans le traitement
de la sclérose en plaques, ce médicament est
catégorisé ASMR IV et pris en charge à 65 %, bien
que les patients atteints de sclérose en plaques
soient en général exemptés de la quote-part du
traitement.12
Dans la mesure où les recommandations pour
l'inclusion de médicaments à la liste positive en
France se font sur la base des bénéfices et des
besoins cliniques préalablement au lancement
des négociations tarifaires, on attend du CEPS
qu'il parvienne à un accord tarifaire afin de faire
appliquer la recommandation positive, donnant
ainsi aux fabricants une influence considérable
sur les négociations. Ceci est particulièrement
vrai dans le domaine des médicaments utilisés
pour les maladies orphelines, où la rareté et le
manque d'alternatives thérapeutiques sont des
considérations fondamentales.13
Le CEPS peut aussi, à l'occasion, recourir à
des accords prix-volume de manière à obtenir
des remises supplémentaires de la part des
entreprises si les volumes de vente ayant servi de
base aux négociations tarifaires sont dépassés.14
Les coûts des nouvelles thérapies peuvent être
envisagés pour des alternatives génériques, mais
ils ne sont généralement pas pris en compte au
moment où leur statut de remboursement est
défini.15 Les génériques sont normalement soumis
au plafonnement des prix, en général à environ
40 % du prix de gros HT du médicament d'origine.16
Il existe un prix maximum réglementé en ce
qui concerne les spécialités pharmaceutiques
répertoriées pour les soins ambulatoires et les
coûteux médicaments hospitaliers. Il est établi
lors de l'inscription à la liste, avec une échelle
internationale pour les médicaments les plus
novateurs.17
« Le prix final est multifactoriel – le niveau de
l'ASMR, le prix dans des pays comparables, les
volumes, les volumes prévus et les populations cibles
– mais, parce que le prix était supposé suivre une
évaluation médicale indépendante, il y a eu un genre
de système de fixation des prix fondé sur la valeur »,
explique le professeur Le Pen.
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6
Le système de santé fondé sur la valeur en France : la lente adhésion aux critères coût-efficacité
Bien que les autorités françaises compétentes
dans la fixation des prix comparent le prix des
médicaments novateurs avec ceux d'autres
pays européens – principalement l'Allemagne,
l'Italie, l'Espagne et le R.-U. – il n'existe aucun
mécanisme officiel pour le faire.18 Entre 2007
et 2011, seuls 8 % des médicaments introduits
sur le marché français ont été soumis à des
références tarifaires extérieures.19
l'Agence nationale de sécurité du médicament et
des produits de santé (ANSM) à exiger des études
de sécurité et d'efficacité après autorisation, font
peser une nouvelle charge sur l'industrie, qui
doit justifier tout refus de donner suite.
Entre-temps, une loi de fin 2011 a permis de
mettre davantage l'accent sur les données
d'efficacité relatives, ainsi que sur les données
coût-efficacité. En conséquence, la HAS exige de
plus en plus des entreprises qu'elles produisent
des preuves supplémentaires devant servir
à réévaluer les médicaments ; les prix des
médicaments novateurs sont garantis pendant
cinq ans mais, après cela, ils peuvent être
réévalués, ce qui conduit à des modifications
périodiques et, parfois, à des baisses des
taux de remboursement. La Commission de la
transparence se réserve le droit de réévaluer le
SMR à tout moment en cas de changement de la
norme thérapeutique.
Le rôle accru de la recherche après
commercialisation, ainsi que l'habilitation de
Un article de 2013, émanant de l'industrie,
soutient que, même si la nouvelle loi était
évidemment mue par le besoin de déterminer
plus précisément combien le bénéfice médical
ajouté doit être payé, « le manque de cas
de référence clairs fait qu'il est difficile de
fournir une réponse ».20 L'article poursuit en
ajoutant que « l'on pourrait demander des
études économiques de la santé réelle lors du
renouvellement de l'inclusion d'un médicament
au formulaire après son évaluation, mais les
études économiques d'observation font qu'il
est très difficile d'obtenir des éléments probants
à cause de facteurs de confusion multiples et
de la taille d’échantillon requise pour prouver
une différence statistiquement significative ».21
En 2016, l'ANSM exigera des entreprises
pharmaceutiques qu'elles produisent les données
d'essais avec comparateurs actifs de manière à
fournir une assise factuelle supplémentaire pour
la prise de décisions.
Sorensen et al, Ensuring
value for money in health
care, p. 94.
18
Ruggeri et Nolte,
Pharmaceutical pricing,
p. 32.
19
Rémuzat, C., Toumi, M. et
al, « New Drug Regulations
in France: What are the
Impacts on Market Access?
Part 2 – Impacts for Market
Access and Impacts for the
Pharmaceutical Industry »,
Journal of Market Access and
Health Policy, Vol. 1 (2013).
20
21
7
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Ibid.
Le système de santé fondé sur la valeur en France : la lente adhésion aux critères coût-efficacité
2
Chapitre Deux : Intégrer les concepts
de valeur
Dans le contexte d'un système de santé élargi, la
France a testé bon nombre des mêmes mesures visant
à améliorer les prestations de soins de santé que ses
voisins européens. Elle a introduit des incitations
financières de 40 € par patient afin d'encourager
les différents professionnels de santé à travailler
ensemble au sein d'équipes pluridisciplinaires, y
compris des systèmes de paiement groupé. Elle a
également introduit les paiements par GHM pour
plus de 56 % des dépenses imputées aux patients
hospitalisés22 et lancé des programmes-pilotes de
paiement à la performance (P4P).
Charlesworth, A., Davies,
A., et Dixon, J., « Reforming
payment for health care in
Europe to achieve better
value », The Nuffield Trust,
août 2012, pages 6, 10,
25-26.
22
Pourtant, la terminologie existante concernant
la valeur et les résultats est relativement
jeune – et fréquemment problématique, selon
Valérie Paris, analyste des systèmes et politiques
de santé auprès de l'Organisation de Coopération
et de Développement Économiques (OCDE) à
Paris. « La HAS estime la valeur thérapeutique
ajoutée des nouveaux médicaments et dispositifs
médicaux, et ceci constitue la base sur laquelle
on négocie les prix avec le fabricant, parce que
tous les prix sont réglementés », dit-elle. Cela
pose des difficultés, explique-t-elle, parce que
bien que les médicaments à valeur thérapeutique
ajoutée soient admissibles à l'attribution
d'un prix équivalent au « prix de référence
international » et supérieur au prix de ceux
auxquels ils sont comparés, « la commission de
tarification ne dispose d'aucune 'règle' pour
l'aider à déterminer combien elle doit payer pour
un bénéfice donné. »
L'influence des prix du marché sur les classes
thérapeutiques ajoute un degré de complication
supplémentaire, affirme-t-elle. « Si vous essayez
de calculer un 'prix par QALY', pour le cancer
et le diabète, par exemple, vous obtiendrez des
prix très différents. Si vous êtes optimiste, vous
direz que c'est parce que les gens sont prêts à
payer plus contre le cancer, mais vous pouvez
également vous dire que ce n'est qu'à cause du
pouvoir du marché du cancer. »
La France a lancé des incitations P4P pour
les médecins généralistes, ainsi que certains
spécialistes et pharmaciens. Concernant ces
derniers, l'efficience est examinée davantage
que les résultats, alors que les généralistes et les
spécialistes sont évalués sur la « bonne qualité
de leurs procédures de soins » dans le domaine
des maladies chroniques. « Même si la tarification
fondée sur la valeur a gagné du terrain – dans le
discours, du moins, et peut-être uniquement de
manière temporaire – pour les médicaments, en
ce qui concerne le paiement pour les services,
elle repose encore grandement sur la 'ressource
utilisée', avec un plus pour la qualité dans les
meilleurs des cas », déclare Valérie Paris, en
ajoutant que la même remarque s'applique à la
plupart des pays de l'OCDE.
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8
Le système de santé fondé sur la valeur en France : la lente adhésion aux critères coût-efficacité
Au vu de la structure du système de santé
français et de son mécanisme de prise de
décisions, les considérations coût-efficacité
sont également moins susceptibles de parcourir
toute la structure et, plus particulièrement,
d'atteindre le niveau patient-médecin, selon
les personnes interrogées dans le cadre de ce
rapport.
Le professeur Le Pen mentionne une récente
conférence médicale qui s'est tenue à Chicago,
pendant laquelle les médecins américains se sont
plaints du coût élevé des médicaments utilisés
en oncologie. « C'est rarement le cas en France,
où cela ne fait partie de la décision clinique »,
explique-t-il. « Les médecins français ont
l'habitude de se considérer dans une position
médicale et non économique. Puisque c'est
l'État qui fixe tous les prix, c'est à lui que revient
la gestion des aspects économiques des soins
de santé, ce n'est pas le boulot des médecins. »
Toute tentative d'impliquer les prestataires
de santé dans le débat du coût demandera des
arguments médicaux qui montreront l'apport
ou l'absence d'un intérêt explicite pour les
patients, selon le professeur Le Pen.
Les mesures coût-efficacité sont
longues à prendre
Comme nous l'avons vu précédemment, les
décisions françaises sur la prise en charge de la
santé se prennent en grande partie sur la base
du besoin, de l'efficacité et de la sécurité. Dans
le cas des dispositifs médicaux et des produits
pharmaceutiques, ces critères comprennent
également le coût et le degré d'innovation.
Toutefois, contrairement à la plupart de ses
grands voisins européens – exception faite
de l'Italie – le coût-efficacité n'est pas une
considération essentielle pour guider la prise en
charge en France.23
En octobre 2013, la HAS a commencé à intégrer
l'évaluation économique à ses procédures
de tarification et de remboursement pour les
spécialités pharmaceutiques les plus novatrices
9
à la condition de ne pas se servir de ce nouveau
critère pour économiser de l'argent en limitant
l'accès à des services nécessaires mais plutôt
pour utiliser les ressources disponibles de
manière plus efficiente et plus juste.24
C'est l'exemple britannique, fait observer le
professeur Le Pen, qui a persuadé les autorités
françaises de se pencher sur le coût-efficacité,
même si l'approche française ne va pas aussi
loin que celle d'outre-Manche. « Il s'agit d'un
coût-efficacité informatif, un élément de la prise
de décision finale. Il ne peut pas empêcher un
médicament d'atteindre le marché, mais on peut
l'utiliser dans la tarification », ajoute-t-il, en
faisant remarquer que le NICE du R.-U. n'a pas
une action directe sur les prix mais qu'il peut
décider si un médicament est abordable pour
le National Health Service (NHS). « En France,
où c'est le gouvernement qui établit les prix, la
question ne se pose pas de savoir si le rapport
coût-efficacité est trop élevé. Indubitablement,
ils ont plus de pouvoir », observe le professeur
Le Pen.
Le fait que les citoyens français versent des
contributions par le biais de leur assurance au
lieu d'avoir des soins de santé financés par la
fiscalité générale incite les patients à oser exiger
les tout derniers traitements disponibles, selon
le professeur Le Pen. « Si je paie des primes à
une compagnie d'assurance, j'ai le droit de
recevoir une compensation pour mes primes. Les
Français ont l'impression qu'ils subventionnent
personnellement le système de santé et que, par
conséquent, ils ont le droit de bénéficier d'un
traitement. »
Il cite l'exemple de négociations qui se sont
déroulées au R.-U. pour un médicament
utilisé en oncologie et fabriqué par Roche, et
qui ont échoué parce que l'on estimait que
le médicament coûterait environ 160 000 £
(221 000 €) par QALY, la mesure dont se sert
© The Economist Intelligence Unit Limited 2015
Garrido et al, Health
technology assessment,
p. 74.
23
Chalkidou et al,
Comparative effectiveness
research, p. 360.
24
Le système de santé fondé sur la valeur en France : la lente adhésion aux critères coût-efficacité
le NICE pour estimer le coût-efficacité. Les
autorités britanniques ont demandé, sans
succès, une baisse du prix du médicament
de 60 %, tandis que les autorités françaises,
elles, ont demandé et obtenu une réduction de
45 %, pourcentage qui assurait la viabilité du
médicament.
Dominique Polton note que le coût-efficacité fait
partie de la mesure utilisée par la HAS depuis ces
deux dernières années mais que, contrairement
au NICE, la HAS ne l'utilise pas pour définir
un seuil d’inclusion à la couverture sociale
générale. Il s'agit plutôt d'une information
supplémentaire dans les négociations
tarifaires, ajoute-t-elle. « Lorsque les effets des
médicaments sont incertains, la HAS peut exiger
une collecte de données qui servira à réévaluer
les technologies. »
Dans la pratique, toutefois, les prestataires
de santé n'appliquent pas toujours avec
cohérence les recommandations de la HAS, fait
observer Dominique Polton. Pour les nouveaux
médicaments vedettes contre le diabète, par
exemple, la HAS conseille aux médecins de
rester prudents dans leur traitement de première
ligne, et de recourir dans un premier temps
aux médicaments moins récents combinés
à l'insuline, mais ils ne suivent pas toujours
ces recommandations, dit-elle. « Ce que nous
constatons, c'est que les médecins tendent à
prescrire des médicaments plus coûteux en dépit
des directives. »
En 2013, 19 % des patients français recevant
des gliptines (utilisées dans le traitement du
diabète) se les étaient vu prescrire alors qu'elles
n'avaient pas encore obtenu d'autorisation de
commercialisation, selon Dominique Polton, et
8 % supplémentaires les avaient reçues pour une
indication pour laquelle la HAS avait estimé que
ces médicaments n'étaient pas admissibles à un
remboursement.
Un manque de transparence sur les prix
La nature opaque de la procédure de fixation
des prix au niveau national et la tendance
qu'ont les établissements de santé à mener des
négociations tarifaires supplémentaires, dans
certains cas, donnent aux payeurs davantage de
marge de négociation, mais minent également le
sentiment de transparence vis-à-vis de la prise
de décision associée aux médicaments et à la
tarification.
« Tous les établissements hospitaliers ont leur
propre commission d'évaluation des technologies
de santé. Ils ont une certaine souplesse et ils
peuvent adapter les décisions [nationales], en
choisissant un médicament parmi plusieurs et
en négociant avec les entreprises », explique le
professeur Le Pen. « Cinq ou six ans en arrière, le
prix du marché était le prix réel, et il y avait de la
transparence. De plus en plus, le prix est double
– il y a le tarif en vigueur et les remises négociées
par les établissements de santé au niveau local. »
Avec les prix locaux, toute remise négociée reste
confidentielle, ajoute-t-il. De plus, les remises
sont souvent versées jusqu'à six ou neuf mois
après la vente d'un médicament. « Comment
pouvez-vous prendre une décision basée sur le
coût-efficacité si vous ne connaissez pas le coût
réel ? »
Les prix des médicaments hospitaliers
faisant partie d'un GHM ne sont pas soumis à
l'intervention des pouvoirs publics mais sont
directement négociés entre l'établissement de
santé et l'industrie.
« Il y a de moins en moins de transparence, et cela
est vrai pour tous les pays », affirme Valérie Paris.
« Les médicaments vedettes [qui ne sont pas
inclus dans les tarifs GHM] sont susceptibles de
faire partie d'une liste sur laquelle les prix sont
réglementés, mais si les hôpitaux ont l'occasion
d'acheter ces médicaments moins chers, ils le
feront. » En pratique, ajoute Valérie Paris, les
prix des médicaments hospitaliers peuvent,
en principe, toujours être négociés, mais cela
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Le système de santé fondé sur la valeur en France : la lente adhésion aux critères coût-efficacité
ne peut fonctionner que lorsqu'il y a assez de
concurrence entre les traitements. Le système
français d'évaluation des technologies de santé
permet aux prix d'être établis avec une remise
initiale, puis d'être réévalués ultérieurement,
selon Dominique Polton.
En attendant, la France, comme beaucoup
de ses voisins, a également eu recours à
des mécanismes de partage des risques et à
d'autres ententes basées sur les performances
pour les produits pharmaceutiques dans un
désir de diminuer les incertitudes liées à des
médicaments coûteux.25 Si l'on prend le cas
d'un traitement utilisé dans la schizophrénie et
dont on affirmait qu'il améliorait l'observance,
il a été approuvé à la condition que l'entreprise
contrôle l'observance réelle et rembourse une
partie des dépenses engagées par la Sécurité
sociale dans le cas où les cibles d'observance
n'auraient pas été atteintes.26 En 2012, le CEPS
divulguait une deuxième entente basée sur les
performances conclue avec le fabricant d'un
médicament utilisé dans le traitement du diabète
qui se targuait d'offrir un meilleur contrôle de
la glycémie ; l'entente stipulait que dans le cas
où ce résultat ne serait pas confirmé par l'étude
réelle, le prix du médicament serait abaissé et
l'entreprise devrait payer une remise en guise de
dédommagement pour le prix élevé qu'elle avait
obtenu.27
Néanmoins, ces arrangements sont compliqués
à négocier et plus rares que les accords prixvolume. Leur contenu est confidentiel de sorte
qu'il est difficile d'évaluer à quel point ils sont
largement ou efficacement utilisés, comme l'ont
souligné les personnes interrogées à l'occasion
de ce rapport. De plus, signer de tels contrats
peut parfois représenter un vrai défi.
« Nous savons que ces contrats existent, mais
vous devez vous mettre d'accord sur un indicateur
clinique qui soit simple, et le rendre opérationnel
n'est pas facile », avance le professeur Le Pen.
« Vous devez pouvoir suivre tous les patients,
et tout le monde doit s'entendre sur ce qui est
significatif du point de vue du patient. »
Valérie Paris concorde, et fait remarquer qu'il
y a peu d'informations accessibles au public au
sujet de ces contrats, à l'exception du nombre
d'accords et peut-être aussi de la somme
d'argent totale que le CEPS est en mesure de
récupérer par leur biais sur une année donnée.
La France jouit toutefois d'un certain niveau
d'influence grâce à sa position sur le marché.
Selon la Fédération Européenne des Industries et
Associations Pharmaceutiques (EFPIA), le marché
pharmaceutique français enregistrait la valeur
la plus forte (aux prix sortie d'usine) parmi les
32 pays européens en 2012, comptabilisant
presque 17 % des ventes de spécialités
pharmaceutiques en Europe.28 En outre, selon les
dernières données de la Banque mondiale, les
dépenses totales en soins de santé (publiques et
privées) représentaient près de 12 % du PIB en
France en 2013, le deuxième pourcentage le plus
élevé dans l'UE après les Pays-Bas et l'un des plus
élevés au monde.29
Dans le même temps, les récents changements
qui se sont produits ailleurs en Europe en matière
de politiques tarifaires signifient que le système
français d'évaluation internationale peine à se
mettre à niveau. « Je crois que le système français
n'a pas réellement mesuré l'impact de ces
changements », estime Valérie Paris. « Je pense
que personne ne sait qui paie quoi. »
Huber, B. et Doyle,
J., « Oncology drug
development and valuebased medicine »,
Quintiles, 8 janvier 2015.
Disponible sur : http://
www.quintiles.com/library/
white-papers/oncologydrug-development-andvaluebased-medicine
25
Paris et Belloni, Value
in Pharmaceutical Pricing,
p. 52.
26
27
Ibid., p. 54.
EFPIA, The Pharmaceutical
Industry in Figures, Key
Data, 2014.
28
Banque mondiale,
Dépenses en santé, total
(% du PIB). Disponible
sur : http://donnees.
banquemondiale.org/
indicateur/SH.XPD.TOTL.ZS
29
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Le système de santé fondé sur la valeur en France : la lente adhésion aux critères coût-efficacité
Conclusion
Le système français d'évaluation de la valeur
en matière de santé, tout comme ceux des pays
voisins, est véritablement un chantier. Bien
qu'il dispose d'un mécanisme sophistiqué pour
évaluer les nouvelles technologies et déterminer
la prise en charge, quelques-unes des certitudes
liées au prix final à payer se dissipent du fait
que les commissions locales des établissements
de santé négocient de plus en plus les prix
« réels » ou unitaires payés pour les traitements,
compliquant la vérification du niveau réel des
remises accordées.
Par ailleurs, malgré l'intention affichée depuis
ces deux dernières années d'inclure des
mesures de coût-efficacité en tant qu'élément
des procédures d'évaluation et de négociation
tarifaire, on ignore encore à quel point ce
critère est effectivement adopté dans la prise de
décision.
Les décideurs ont adroitement usé de leur
forte position sur le marché afin de mettre à la
disposition de la population les produits de santé
les plus novateurs et ce, sans avoir eu à prendre
de difficiles décisions de coût-bénéfice. Des
pressions de plus en plus fortes au niveau des
coûts et la rivalité existant entre les institutions
et les pays européens qui essaient de négocier les
prix les plus bas pour de nouveaux traitements
pourraient mettre ce système à rude épreuve à
l'avenir.
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