Une charte pour le spectacle vivant en Languedoc-Roussillon

Transcription

Une charte pour le spectacle vivant en Languedoc-Roussillon
3 pages
Une charte pour le spectacle vivant en Languedoc-Roussillon
entretien avec François Duval, conseiller
spectacle vivant à la DRAC Languedoc-Roussillon
L’une des particularités de la Région LanguedocRoussillon est d’avoir su instaurer, depuis 2005,
un Comité régional des professions du spectacle
(COREPS) qui fonctionne. Là, cet organisme de
concertation consacré à l’emploi artistique, a procédé à une extension de ses domaines d’intérêt pour
y inclure la création. Dans la foulée des Entretiens
de Valois et en référence à la Charte des missions
de service public pour le spectacle vivant (1998), la
DRAC et la Région ont élaboré dans le cadre du COREPS – c’est une première – un « socle commun »
encadrant les différentes modalités d’intervention
de trente collectivités territoriales (conseils généraux, région, communes, intercommunalités). Cet
accord a été signé avec les organisations syndicales
professionnelles (CGT-Spectacle, Synavi, Sundeac,
SMA). Un pacte par lequel les signataires « reconnaissent l’importance de l’intervention de chacun
en faveur des équipes artistiques professionnelles ».
Avec, comme soucis premiers, la faisabilité des projets, le respect de la législation du travail artistique
et le partage des prises de risques artistiques. Extraits de la Charte d’accompagnement du spectacle
vivant en Languedoc-Roussillon par les collectivités territoriales et l’Etat”, signée le 21 avril en présence notamment de la présidente de la FNCC, et
entretien avec François Duval, conseiller spectacle
vivant à la DRAC.
La lecture de la Charte
ne peut manquer de faire penser à cette
‘‘loi d’orientation” que les professionnels
réclament pour le spectacle vivant afin
de protéger le secteur des fluctuations
des engagements publics. L’ampleur et la
diversité des concertations qui ont permis
d’aboutir à cette Charte signalent en effet
un travail remarquable sur les ‘‘fondamentaux” de l’activité artistique.
Définitions. Trois études ont été menées,
l’une sur la formation continue des professionnels, l’autre sur l’emploi artistique et
la troisième concernant les financements
publics. Rendu public en 2007, ce travail
préparatoire a donné lieu à l’organisation
de commissions et des réunions qui se
sont poursuivies jusqu’en 2009. Avec pour
effet, ce résultat indispensable à tout dialogue efficace : « Grâce à ces travaux, nous
parlons tous le même langage à propos de
la même réalité », constate François Duval
qui, par son parcours personnel à la fois
dans les structures professionnelles et au
sein des administrations territoriales et
nationales, a su faire partager ce lexique
commun. D’où l’aspect ‘‘définitoire” très net d’une Charte qui donne un sens précis aux principaux termes décrivant les modalités économiques et professionnelles
de la création artistique :
- une ‘‘œuvre” est un objet « contribuant à la transmission ou au renouvellement des
répertoires, comme à l’évolution desdites formes et expressions artistiques » ; - une ‘‘production artistique” est « la création d’une œuvre intégrant l’ensemble du processus artistique et économique allant de sa conception (recherche,
expérimenta­tion et écriture) à sa diffusion, dans toute la diversité de ses formes
et la pluralité de ses esthétiques » ;
- un ‘‘producteur” est « une personne physique ou morale qui prend l’initiative et
la responsabilité de la réalisation de l’œuvre et de sa diffusion » et en détient les
droits d’exploitation ;
- il y a ‘‘production déléguée” quand « les aides à la produc­tion sont attribuées à
un producteur de spectacles à qui le concepteur du projet a délégué par contrat
FNCC
La Lettre d’Echanges n°69 - début juin 2011
page
Une charte pour le spectacle vivant en Languedoc-Roussillon
signée par 30 collectivités territoriales et par la DRAC
les risques et la responsabilité de la réalisation et de la diffusion du projet, notamment
sur les plans financiers, administratifs, techniques et sociaux » et ‘‘coproduction” quand
la production et ses risques artistiques, financiers et sociaux sont partagés par plusieurs
personnes physiques ou morales.
Ces définitions peuvent paraître bien abstraites.
Or il en découle un engagement précis : les collectivités territoriales et l’Etat, « se situant dans
leur fonction de ‘‘subventionneurs”, ne sauraient en aucun cas être considérés ou identifiés
en tant que coproducteurs », c’est-à-dire que
les pouvoirs publics, s’ils portent le risque politique du choix de leur intervention pour ainsi
dire préliminaire, n’ont pas à intervenir ensuite.
Ce que traduit l’un des objectifs premiers de la
Charte : manifester « l’attachement à la liberté
de création et à l’autonomie de programmation ». Plus simplement, disons que pour les
signataires, l’autoproduction des pouvoirs
publics est exclue, un point sur lequel François
Duval insiste : « La Charte précise que les collectivités ne sont pas des coproducteurs. Car
certaines le font. Or là n’est pas leur rôle. »
Concertation mais autonomie. « Ce n’est pas
une révolution mais presque un code déontologique dont l’intérêt réside essentiellement
dans la démarche commune entre l’Etat et les
collectivités », explique François Duval ainsi
qu’un engagement vis-à-vis des professionnels
puisque les remarques, critiques et exigences
des syndicats – CGT, Synavi, Syndeac, CFDT…
– ont été prises en compte. Le conseiller spectacle vivant de la DRAC précise que c’est le
résultat d’un processus qui a duré six ans : « Le
dialogue ne se décrète pas. » Et, reconnaissant
l’exemplarité d’une telle concertation, il ajoute
que « même si cela peut paraître exemplaire,
ce n’est pas reproductible. Je ne revendique
pas la nécessité que toutes les Régions adoptent une charte de ce type – ailleurs, il peut y
avoir des blocages – même si on ne peut nier
l’utilité des collaborations régulières. »
D’ailleurs, la spécificité de la Charte, sa manière
de traduire un approfondissement de la décentralisation respectueux de l’autonomie de tous
les acteurs engagés, se manifeste par l’absence
page
de logo. Certes l’Etat a eu un rôle d’incitateur,
mais « cette charte n’appartient à personne. Elle
n’a pas de père. C’est un bien commun qui est
autant la propriété d’une petite Commune que
du Département de l’Aude ou de telle ou telle
ville. Si nous avons réussi, c’est précisément
parce que l’Etat n’a rien imposé, qu’il ne s’est
pas posé en donneur de leçon. Il n’y a pas de
bons et de mauvais élèves : nous avons appris
dans les deux sens, en s’interrogeant mutuellement sur les pratiques. Tout ici est collectif et
tous les élus ont travaillé en confiance, quelle
que soit la nature de leur collectivité et quelle
que soit leur couleur politique. »
Bien sûr, il y a eu quelques réticences, car « d’un
Département à l’autre, les politiques culturelles
diffèrent grandement. Par exemple celle de l’Hérault, qui concentre l’essentiel des équipements
culturels de la Région, et celle de la Lozère.
Mais chacun y puise ce qui lui convient. De
plus, c’est un appui pour les responsables de la
culture quand ils doivent défendre leurs projets
devant les élus », souligne François Duval. Sur
l’autonomie, la Charte est très claire. Si toutes les
collectivités signataires, soit « la quasi-totalité
de celles qui ont une politique culturelle pour le
spectacle vivant » (François Duval), « ont souhaité réaffirmer leurs engagements respectifs
en matière de politique culturelle et les inscrire
dans une démarche volontaire de concertation »,
« le contenu de cette charte n’exclut en rien des
financements singuliers propres aux poli­tiques
culturelles de chaque collectivité territoriale »
(préambule).
Enfin, l’un des effets – et sans doute des moteurs
– de la Charte a été la perspective inquiète de
la réforme des collectivités territoriales. « Les
conseils généraux ont hésité… Ils ne savaient
pas trop ‘‘à quelle sauce ils seraient mangés’’
en 2014. Mais finalement tous ont adhéré, car
cela leur donne une force supplémentaire en
montrant qu’ils sont très loin d’être des partenaires marginaux », se félicite François Duval.
Pour la co-responsablité. Les Entretiens de
Valois dans la suite desquels se place cette
concertation sont issus d’une volonté de répondre à la crise de l’intermittence de 2003. François Duval : « A l’époque, on a dit maladroite-
La Lettre d’Echanges n°69 - début juin 2011
FNCC
ment qu’il y avait trop de compagnies… Mais
la question posée était fondamentale, celle des
modes de production artistique », ceux-là même
qui ont abouti à l’inflation des dépenses de l’assurance-chômage. « J’ai été directeur de théâtre
dans les années 80. Bon nombre de théâtres
avaient alors une activité de producteurs délégués. Ils s’engageaient et soutenaient les risques
liés à création artistique. Puis, ils ont peu à peu
abandonné cette participation à la production »,
ce qui a contraint les artistes à créer autant de
structures que de projets donc un nombre considérable et toujours renaissant d’entreprises artistiques d’une grande fragilité. « Les théâtres se
sont éloignés de la production et les compagnies
ont dû assumer seules le risque financier. De
là cet intérêt, manifesté dans la Charte, pour la
notion de producteur délégué, essentielle pour
les esthétiques émergentes, forcément fragiles,
mais aussi pour l’accueil d’artistes étrangers. »
En effet, la viabilité des montages économiques et la notion de co-responsabilité s’avèrent être des éléments centraux de la charte :
« Les aides à la production artistique attribuées
par les collectivités territoriales signataires et
l’Etat/DRAC Languedoc-Roussillon prennent
en compte, dans leur évaluation, la richesse
artistique des projets, le parcours et l’évolution
professionnelle des artistes et la profession­
nalisation des équipes artistiques et techniques
qui les défendent (artistes, administrateurs,
producteurs, techniciens, régisseurs, diffuseurs,
etc.). Elles prennent ainsi en compte par ailleurs
la faisabilité économique des projets, notamment l’existence de réels apports en production
et de partenariats avérés de diffusion. »
Ce qu’est une résidence. Cette attention au
partage qui, s’il ne se fait pas, tend à pousser
les structures à renoncer au risque – c’est-àdire à renoncer à l’art –, se lit tout particulièrement dans les engagements de la Charte en
matière de résidence artistique. Tout d’abord, et
toujours avec cette volonté de bien s’entendre
sur ce dont on parle, quelques définitions. Il y a
plusieurs types de résidence :
- la ‘‘résidence de diffusion”, « qui s’inscrit
dans une stratégie de développement local,
avec pour objectif de sensibiliser des publics
FNCC
au domaine esthétique auquel se rattachent
les artistes accueillis, sans exclure toutefois
les projets pluridisciplinaires »,
- la ‘‘résidence de création et/ou d’expérimentation”, « qui contribue à donner à un artiste
ou à un groupe d’artistes les conditions
techniques et financières, pour concevoir,
écrire et créer une œuvre, ou pour préparer et
conduire une recherche »,
- la ‘‘résidence d’association”, « qui répond à la
néces­sité d’une présence artistique forte et de
longue durée dans un établissement culture »
et vise à soutenir des équipes « exerçant une
triple mission de création, de diffusion et de
sen­sibilisation en direction des publics », les
artistes devenant alors « des acteurs essentiels de la politique culturelle locale ».
Cet inventaire, là encore, n’a pas seulement
une valeur lexicologique. Il marque surtout
une volonté d’éviter toute attitude économiquement et professionnellement irresponsable :
« En aucun cas, la simple mise à disposition
d’un lieu de travail sans apport financier du
lieu d’accueil et sans rémunération des artistes et techniciens, ne saurait être qualifiée de
résidence par les collectivités territoriales et
l’Etat/ DRAC Languedoc-Roussillon. » Une
garantie forte pour les professionnels.
Enfin, du point de vue de la FNCC, la Charte
entre en écho étroit avec la Déclaration d’Avignon 2010 (alors même que son maître d’œuvre
en ignorait l’existence). Un texte qui non seulement souligne la nécessité d’un engagement
solidaire des collectivités en faveur de la culture,
qui appelle de ses vœux une « république culturelle décentralisée », mais encore déclare solennellement qu’« ensemble, les collectivités territoriales se reconnaissent comme des partenaires
aptes à assurer, en toute exigence de rigueur et
d’espoir, les conditions d’une vie culturelle
dense et accessible à tous. C’est par la concertation, par l’ambition singulière mais aussi par
l’expérimentation partagée, que ces conditions
pourront être réunies. » Elles semblent être en
passe de l’être en Languedoc-Roussillon…
Vincent Rouillon
Charte d’accompagnement des oeuvres et des
équipes artistiques professionnelles du spectacle
vivant en Languedoc-Roussillon
La Lettre d’Echanges n°69 - début juin 2011
page

Documents pareils