Remettre la politique culturelle en mouvement

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Remettre la politique culturelle en mouvement
Remettre la politique
culturelle en mouvement
L
D. R.
e modèle culturel français est aujourd’hui
menacé d’asthénie. Les grands fondamentaux et leur traduction institutionFabien Jannelle
nelle n’ont guère bougé en un demi-sièDirecteur de l’ONDA (Office
cle. Il faut redonner du mouvement,
retrouver le chemin de l’expérimentation
national de diffusion
pour préparer l’avenir.
artistique)
Dans le secteur spécifique du spectacle
vivant, la situation est particulièrement
préoccupante. En effet, la crise de l’interCette nouvelle orientation aura pour effet de retendre
mittence de 2003 dont les causes étaient
la relation entre les directions régionales et les administrations
bien antérieures (il est bon de le rappeler)
centrales pour plus de cohérence et d’efficience. C’est la
a contribué à tout «geler». Par ailleurs, la politique incertaine
condition de la réussite du point précédent. La recherche
depuis une dizaine d’années du ministère de la Culture
planifiée d’un «pacte» renouvelé avec les collectivités,
associée à la contraction de ses moyens financiers ont consifondement d’une nouvelle politique nationale, aidera
dérablement entamé sa crédibilité auprès des collectivités
à résoudre les dysfonctionnements entre les deux niveaux
locales et du milieu professionnel.
d’intervention de l’État. Il n’y a là aucun retour à un quelOutre le rétablissement d’un véritable dialogue avec ce
conque jacobinisme, bien au contraire. L’élaboration de cette
qu’il convenu d’appeler la profession, il est urgent de refonréforme se réalisera au niveau des territoires afin justement
der les relations entre l’État et les collectivités territoriales.
d’éviter la modélisation (qui est aujourd’hui de plus en plus
Les financements croisés, la montée en puissance des colleccontestée) en favorisant
tivités (particulièrement des Villes
des approches originales et
et des Régions) appellent une ardifférenciées tout en corriLa recherche planifiée
ticulation renouvelée entre l’État
geant certaines asymétries
d’un «pacte» renouvelé avec
et les collectivités territoriales.
régionales. Il faut remettre
La mise en œuvre d’une politique
les collectivités aidera à résoudre l’expérimentation au cœur
culturelle nationale passe par là.
des politiques culturelles.
les dysfonctionnements entre
C’est un vaste et complexe chanDans le cadre de ce proles deux niveaux d’intervention
tier qui demande du temps et qui
cessus, le ministère de la
de l’État.
nécessite préalablement de redéculture, dont c’est une des
finir les missions du ministère.
prérogatives, s’attachera
Si l’on souhaite agir sur la dérégulation qui caractérise l’acce que tous les futurs contrats ou conventions traduisent
tivité artistique et son économie, la coordination renforcée
concrètement une volonté politique de mieux articuler le secentre l’État et les collectivités est de première importance.
teur institutionnel et le secteur indépendant. Elle est indisLa concertation doit aussi prendre en compte la dimension
pensable à la relance de l’activité artistique dans notre pays.
européenne. La volonté du Ministère de la Culture de mettre
Aucune solution durable ne peut en faire l’économie.
en œuvre des pôles européens et plus généralement de donOn peut certes contribuer à l’amélioration de la situation
ner une résonance européenne aux divers projets artistiques
du secteur indépendant par des réformes ponctuelles mais
portés par les institutions ou les équipes qu’il soutient doit
la solution est globale. En effet, une grande partie de la vitalité
s’envisager en synergie avec les initiatives et dispositifs
artistique française est portée par le maillon le plus faible
élaborés par les collectivités territoriales.
du dispositif. Il doit pouvoir trouver au sein du secteur
À l’exception de quelques initiatives intéressantes mais
institutionnel (CDN, CCN, scènes nationales, scènes convenmodestes, la coopération interrégionale dans le domaine
tionnées…) des partenariats durables.
du spectacle vivant n’aura pas marqué la décennie passée.
La fluidité intergénérationnelle est en partie liée au point
Les politiques culturelles partagées entre les régions sont
précédent. Il est urgent de se rendre compte que «l’ascenseur»
restées en rade. Le ministère de la Culture, dans le cadre d’un
est bloqué pour les nouvelles générations. Il y a encore une
nouveau partenariat, a un rôle à jouer pour qu’émerge enfin
dizaine d’années, un jeune artiste talentueux était assuré
une dynamique qui sera bénéfique à l’activité artistique
d’une reconnaissance rapide par le biais du conventionnede chaque région.
ment ou d’une nomination. Ce système vertueux est en
«
«
42 I PRINTEMPS 2012 I LA SCÈNE
panne. Un pays ne peut pas négliger à ce point
celles et ceux qui constituent objectivement
l’avenir de la création artistique. Il ne s’agit pas
ici de «jeunisme», c’est une question politique
qui vise, par ailleurs, à rétablir une égalité entre
les générations.
Il y a aussi le délicat problème de la multiplication des guichets d’aide à la création : Villes,
Départements, Régions, DRAC, commissions
nationales diverses, sociétés d’auteurs, fondations…. auxquels il convient d’ajouter les centaines d’opérateurs (théâtres et festivals) dont
les faibles apports en coproduction n’ont pas
d’effet structurant. Cette situation est paradoxale en ce qu’elle permet aux compagnies
d’augmenter leurs chances d’obtenir une aide
tout en contribuant au «mal produire» et à la
dangereuse dérégulation actuelle. On conviendra qu’entre le guichet unique et le bricolage
actuel, on peut raisonnablement imaginer
une approche politique et des recherches
de solutions administratives soucieuses de
mieux articuler les différents niveaux et dispositifs des aides. L’ouverture de ce chantier est
d’une importance capitale pour l’économie
du spectacle vivant et le développement dans
le temps des carrières des artistes.
Enfin, instaurons de l’interministériel, comme
cela a été annoncé par François Hollande
à Nantes, à propos de l’éducation artistique.
Cette volonté doit s’étendre à d’autres secteurs
: à l’action culturelle extérieure afin de mieux
coordonner et renforcer les actions en ce domaine des ministères concernés, et tout particulièrement celles du ministère de la Culture,
au sein de l’Institut français, l’opérateur du seul
ministère des affaires étrangères et européennes.
On pourrait aussi réfléchir à la création auprès
du Ministère de la culture d’un organisme
équivalent à ce que fut le Fonds d’innovation
culturel (FIC) dont la mission était de soutenir
de manière interministérielle des projets innovants d’un point de vue social et culturel.
Articulations entre le ministère de la Culture
et les collectivités territoriales avec une perspective européenne partagée, entre les services
de ce ministère, entre les régions, entre les institutions et le secteur indépendant, entre les générations, entre les ministères eux-mêmes, entre les
guichets d’aide, voilà quelques pistes de réflexion
qui peuvent aider à la définition d’un cadre
et d’une méthode pour remettre en mouvement
la politique culturelle qui appellera nécessairement de nouveaux moyens financiers. ❚