BERLIN 61, Gilbert et Freddy soulèvent le rideau
Transcription
BERLIN 61, Gilbert et Freddy soulèvent le rideau
BERLIN 61, Gilbert et Freddy soulèvent le rideau de fer. BERLIN, décidé, ce n’était ni Rome, ni Moscou, ni ailleurs. C’était Berlin. Mais pourquoi Berlin ? Jean Sinicki, « Gilbert », correspondait, lors de nos études à l’INSA, avec une Berlinoise, qui, elle-même avait une amie étudiant la langue française - ça tombait bien - et c’est ainsi que j’ai eu moi aussi ma partenaire épistolaire, en français et en allemand. Nous nous sommes échangés nos photos. Gilbert et moi avons élaboré alors un projet de voyage, dans le cadre bien entendu, du rapprochement des peuples et du Marché Commun. L’objectif était de vérifier la compatibilité parfaite du principe allemand (astuce minable d’époque) avec le principe français. Toute la promo 61 se souvient de Sinicki : il aimait la vie, les femmes et le bon vin. J’étais du même tonneau, mais je ne fumais pas, ce qui peut expliquer que je lui ai survécu jusqu’au Cinquantenaire de l’INSA. (on verra pour le Centenaire). Ma vaillante 2 CV, plus habituée aux trajets Lyon-Gray-Lyon, n’a pas rechigné un seul instant, et s’est déclarée prête à affronter les longs rubans d’Autobahn d’outre-Rhin. Nous avons mis le cap sur le Nord-Est, au départ de Gray, puis de Forbach, en passant par le chemin des écoliers. (logique : nous sortions de l’école) J’ai encore le souvenir de la traversée de Kassel, sinistre (parce que sinistrée..), ville industrielle, entre les constructions provisoires de cette époque, où nous avons « dégusté » une infâme « sauerkraut » vraiment acide, qui n’avait rien à voir avec une bonne choucroute alsacienne. Nous nous sommes plongés à Göttingen dans l’atmosphère romantique que Barbara chantera plus tard. Après un crochet par Hambourg, nous avons fait étape à Hanovre. Nous y avons fêté fraternellement avec les étudiants, attablés devant des montagnes de chopes de bière, leur départ en vacances. Au poste frontière d ‘Helmstedt, nous sommes passés de la zone occidentale à la zone orientale sans difficulté, grâce à la maîtrise parfaite de la langue de Goethe par l’ami Sinicki. Il nous restait moins de 200 km à « slalomer » sur l’autoroute (!), entre les nids de poule, avant d’atteindre Berlin. De temps à autres, une « Volga » de fabrication russe parvenait à nous doubler; Ses passagers, convaincus qu’ils étaient de leur évidente supériorité, nous regardaient de haut, d’un air goguenard et condescendant. Arrivés à Berlin, nous avons été reçu royalement par nos correspondantes, qui, hélas, partaient en vacances le lendemain sur l’Adriatique. Ces belles Allemandes, de nos âges, travaillant dans la mode, sportives, dynamiques et cultivées, financièrement à l’aise, étaient pourtant l’une et l’autre orphelines, suite aux bombardements de 45. Le centre militaire français au Quartier Napoléon nous a hébergé un temps, et nous nous sommes fait virer, lorsque le poste de garde a découvert le cachet de la DDR (Deutsche Democratische Republik), sur nos passeports. Vu rétrospectivement, c’était assez cocasse, à quelques semaines de l’incorporation dans l’Armée Française pour l’Algérie… Nous avons alors trouvé refuge, seuls dans un immense dortoir, chez un brave curé français gérant d’un centre d’accueil. Vu nos heures de rentrée (matinales), nous avions pris l’habitude de prendre notre petit déjeuner à l’heure du déjeuner. Notre hôte nous a expliqué gentiment un jour qu’il attendait un pensionnat de jeunes filles (des vraies, sans doute), venues de France, et que la cohabitation avec deux éléments mâles aussi peu catholiques, ne lui semblait pas envisageable… Il faut replacer ce voyage dans le contexte du moment : en pleine guerre froide, nous avons sillonné Berlin du nord au sud, du secteur français au secteur américain, en passant par le secteur anglais, mais aussi d’ouest en est dans le secteur soviétique. Pas de bousculade sous la porte de Brandebourg: seule ma 2 CV, parce qu’immatriculée en France, avait alors le privilège de pouvoir la franchir, sous le contrôle des « Vopos » armés jusqu’aux dents. Et pendant ce temps, un certain mur commençait à s’ériger…D’autres murs se construiront plus tard, ailleurs, au Moyen Orient, en Amérique du Nord, mais on ne les qualifiera pas de « mur de la honte ». Côté Occidental, au nord, les abords du « Tegelsee », (lac de Tegel ), en secteur français, conservaient leur aspect calme et romantique, au contraire des « Nicolas See» et « Wann See », au sud, en secteur américain, encombrés de bateaux sur toute leur surface. Dans l’ensemble de la partie occidentale, la circulation très dense témoignait d’une intense activité. Entre autres visites, nous avons gravi la « Siege Saüle » (colonne des victoires), érigée à la gloire de Bismark et des armée prussiennes, sur le prolongement de « Unter den Linden » de ce côté de la porte de Brandebourg, rebaptisé ici « Strasse des 17 Juni ». Nous avons parcouru le « Kufürstendamm » (Kudamm), les Grands Boulevards berlinois, sur lequel se trouvent les ruines de la « Gedächtnis Kirche » (église du souvenir), seul témoignage préservé en l’état du bombardement de Berlin, et aussi visité la « Kongresshalle » . Côté Oriental, au delà de la porte de Brandebourg, c’était la « Stalin Allee », déserte, bordée par d’immenses bâtiments à l’architecture parfaitement géométrique du plus pur style soviétique. A son entrée la monumentale statue du Kamarad Staline, n’avait pas encore été déboulonnée. Nous croisions de temps à autres de rares voitures officielles Tatra noires, (de fabrication tchèque) à la technique très particulière (moteur V8 arrière), ainsi que d’encore plus rares « Wartburg » au moteur 3 cylindres 2 temps, (identique à celui de la « Trabant »), au bruit caractéristique et aux abondantes fumées bleues… Après la visite d’un immense cimetière russe, notre curiosité nous a poussé à sortir de la ville en direction de l’est. (Sinicki était peut-être attiré par la Pologne, pays de ses ancêtres). Un « Vopo » est alors sorti de je ne sais où, pour nous inviter fermement à faire demi-tour. Les seuls contacts pris avec la jeunesse n’étaient pas dans les boites de nuit, mais dans les magasins de musique, pas chers et très fréquentés, ainsi que dans les librairies. J’ai acheté là un bouquin traitant (en allemand) des connaissances de base de l’Ingénieur (das Grundwissen des Ingenieurs). Sinicki s’est étonné de mon achat, me déclarant que jamais je ne l’ouvrirais. Je savais qu’il avait raison, mais j’ai pensé que cet ouvrage ferait bien, plus tard, dans ma bibliothèque, et impressionnerait mes visiteurs. On peut voir sur la facture ci-jointe, que le montant de mon investissement était raisonnable, d’autant qu’un Deutschmark oriental cotait alors le quart d’un Deutschmark occidental.(échangé, sauf erreur, à parité égale au moment de la réunification). D’un côté régnait l’opulence, de l’autre, c’était une pesante impression d’absence de vie. Ce contraste entretenu par les deux parties avait pour effet de créer une tension permanente maximum dans les esprits. Si les armées américaines, anglaises et françaises, n’étaient plus des armées d’occupation, mais intégrées à l’OTAN (la France de De Gaulle n’avait pas encore quitté l’organisation atlantique), la proximité de l’Armée Rouge était fortement redoutée. Périodiquement, nous observions le passage d’un petit détachement de soldats russes, venant relever la garde, au pas de l’oie, du mémorial soviétique du « Tiergarten », côté occidental. Le souvenir de la guerre était encore très vivace dans les esprits de la génération précédente, celle de nos parents. Nous avons quitté Berlin, remis le cap vers l’ouest, franchissant le Rhin vers la « Trouée Héroïque », saluant la Lorelei au passage. Nos derniers Deutschmark dépensés dans la « Drossel Gasse », à Rüdesheim, où la bière et le vin du Rhin coulent à flots, nous n’avons dormi que quelques heures, dans la 2 CV, au pied de la monumentale « Germania », dominant le Rhin et regardant vers la France en rêvant de la conquérir. De retour à Forbach, les parents de Sinicki avaient eu la bonne idée de nous laisser leur confortable maison à disposition. Nous avons pu recharger nos batteries - assez déchargées - en vidant, pour les remercier, quelques bouteilles de Champagne de leur cave… FREDDY SCHOELLHAMMER MA 61