La religiosité de Borges Mesdames et Messieurs, Le diocèse de

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La religiosité de Borges Mesdames et Messieurs, Le diocèse de
La religiosité de Borges
Mesdames et Messieurs,
Le diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg remercie l’Ambassade d’Argentine à Genève et la
Fondation Borges pour son invitation à l’hommage à Jorge Luis Borges pour le 30e anniversaire de
sa mort et m’a demandé de le représenter, ce que je fais avec grand plaisir.
Pour tout amoureux de la littérature, mais plus spécialement pour les amoureux de la littérature de
langue espagnole, les écrits de Jorge Luis Borges sont un authentique cadeau. La richesse de son
œuvre sur des thèmes si variés fait les délices de nombreux lecteurs. Mais je ne veux pas faire ici
l’éloge de sa littérature, ni de sa culture hors du commun, car nombreux sont ceux qui l’ont fait et
qui continueront à le faire. La seule prétention de cette intervention est d’aborder la religiosité de ce
maître en littérature.
Durant sa vie, Borges n’a pratiqué aucune religion et il s’est même quelquefois déclaré agnostique,
voire même athée. En d’autres occasions, il a manifesté ses doutes sur la transcendance de
l’homme. En 1978, lors d’une interview accordée à César Hildebrandt, journaliste péruvien, Jorge
Luis Borges a affirmé avoir la certitude que Dieu n’existe pas.
Sa mère, Mme Léonor Acevedo Suarez, uruguayenne et fervente catholique, a tenté de lui
transmettre sa foi pendant ses premières années, mais son enfance agitée et les différents centres
d’études par lesquels il a dû passer, ont sans doute influencé son incroyance. Nous savons que
pendant la Seconde Guerre Mondiale la famille, qui habitait à Palerme, s’est installée à Genève, et
c’est dans cette ville où le jeune Jorge Luis et sa sœur Norah ont fréquenté l’école. Il a appris le
français, puis fait sa maturité dans le prestigieux collège fondé par Jean Calvin. L’ambiance de cet
établissement d’inspiration protestante ne semble pas avoir laissé sur lui d’empreinte religieuse.
Mme Léonor, comme toute mère, était fière de son fils pour lequel elle recevait de plus en plus
d’éloges et de compliments. De son côté, Jorge Luis vénérait sa mère et essayait d’éviter tout ce qui
pouvait la chagriner. Il n’a néanmoins pas pu éviter qu’elle apprenne son manque de croyances
religieuses.
Dans un intéressant texte de Pablo Caruso, publié dans la Gazette des Affaires le 6 février 2008, ce
journaliste nous dévoile le processus religieux de notre Jorge Luis Borges sur lequel sa mère, des
années après, a eu une influence décisive. D’ailleurs, je m’appuie sur lui pour ce qui suit.
Mme Léonor était une femme simple, sensée et dotée d’un caractère espiègle, dont son fils a hérité.
Cela se ressent dans l’anecdote qui suit. Cela se passe pendant les années difficiles de bombes et
menaces en Argentine, un soir, tard le soir, le téléphone de la maison sonne. « Nous allons vous tuer
vous et votre fils ». Mme Léonor répond très tranquillement : « Vous savez, j’ai plus de 90 ans, dès
lors si vous ne vous dépêchez pas d’exécuter votre menace, c’est sûr, je mourrai avant ». Et elle a
poursuivi sa nuit très sereinement, étrangère aux dangers externes. Cependant, il y avait quelque
chose qui l’inquiétait davantage. Savoir son fils agnostique, était pour elle une menace plus létale
qu’une bombe. Le salut éternel de son fils l’angoissait. Elle devait faire quelque chose, et c’est ce
qu’elle a fait. C’est un ami prêtre qui l’a raconté à Pablo Caruso en lui demandant d’en parler au
bon moment. L’histoire est la suivante :
Un jour, Mme Léonor, décide aborder ce thème directement avec son fils. « Fils, tout le monde dit
que tu es agnostique. Est-il vrai que tu doutes de l’existence de Dieu ? » La question si directe de sa
mère a fait bégayer plus que d’habitude l’écrivain, éternel candidat au prix Nobel de Littérature.
« Ce qu’il y a, mère, c’est que l’enfer et le paradis me paraissent disproportionnés. Les actes des
hommes n’en méritent pas tant », a répondu l’auteur de L’Aleph. C’est alors que Mme Léonor lui a
pris la main et lui a murmuré : « Promets-moi que tu diras un Je vous Salue Marie toutes les nuits
lorsque tu iras te coucher. Fais-le, même si physiquement je ne suis plus présente à ton côté, fais-le
comme si tu m’embrassais pour me dire bonne nuit ». « Tu sais, mère, je crois qu’il est préférable
de penser que Dieu n’accepte pas de pots de vins ». Madame Léonor est restée un moment
silencieuse puis lui a répondu « Alors, je dois admettre que tu m’as souvent soudoyé. Tu l’as fait
lorsque tu m’embrassais avant de me demander quelque chose que tu désirais ». Borges a souri et a
pris bonne note de cette demande, pour lui surprenante. Bien plus tard, l’écrivain a avoué à un de
ses amis que par amour pour sa mère, il n’avait jamais omis de réciter cette simple prière à Marie.
Mme Léonor est décédée en 1975 à l’âge de 99 ans et Borges a continué à prier respectant ainsi la
promesse faite à sa mère.
Jorge Luis Borges est décédé à Genève, cela fait aujourd’hui 30 ans. Sur son lit de mort, et à la
grande surprise des personnes présentes, il a demandé à voir un prêtre catholique.
Je ne doute pas que la prière adressée à la Vierge que Borges a récitée pendant des années – sans
doute par obligation et même sans grande foi - ait été la cause de son recours à la grâce divine en
ses derniers instants.
La requête adressée à la Mère de Dieu “Priez pour nous pauvres pécheurs, maintenant et à l’heure
de notre mort » est devenue patente en cet instant transcendantal de l’histoire de notre cher écrivain.
Aujourd’hui, dans ce cimetière des Rois à Plainpalais, où il repose depuis trente ans, en nous le
rappelant avec affection, et sans doute comme l’un des meilleurs écrivains de l’histoire, nous prions
pour son éternel repos, et, les catholiques, nous le faisons, comme il l’a lui-même fait au cours de
ses dernières années, en ayant recours à Marie la Mère de Dieu.
Pedro Estaún
Genève, 14-VI-2016

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