L`assurance chômage, source de chômage

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L`assurance chômage, source de chômage
L’assurance chômage, source de chômage ?
1. Pour
commencer :
chômage ?
Quelles
indemnisations
du
Les conditions de l’indemnisation
Il est devenu courant, dans le monde politique, les médias ou l'opinion publique, de montrer
du doigt tout ou partie des chômeurs, en les accusant d'être des profiteurs ou des assistés.
Comme si l'indemnisation des demandeurs d'emploi favorisait le chômage, en n'incitant pas
les chômeurs à retrouver du travail immédiatement. Qu'en est-il dans les faits ?
L'indemnisation est-elle responsable du niveau du chômage ? Pour répondre à cette
question, il faut d'abord rappeler la réalité de l'indemnisation du chômage. L'indemnisation
versée par l'Unedic (les "Assedic") n'est pas accessible à tous. Pour pouvoir la toucher, il
faut avoir travaillé et cotisé au moins quatre mois au cours des vingt-huit mois précédant la
demande, selon les règles fixées par les partenaires sociaux en 2011. Et la durée
d'indemnisation est égale à la durée de cotisation : une personne ayant travaillé pendant
quatre mois aura droit à quatre mois d'allocations. Le tout dans la limite de vingt-quatre
mois (trente-six mois pour les demandeurs d'emploi de 50 ans et plus). Au total, seuls 40 %
des chômeurs sont indemnisés par l'Unedic, pour un montant moyen d'environ 1 200 euros
par mois, soit en moyenne 68 % de leur salaire antérieur de référence. Lorsqu'ils ont épuisé
leurs droits à l'indemnisation Unedic, un certain nombre d'entre eux basculent vers
l'allocation de solidarité spécifique (ASS), versée cette fois-ci par l'Etat, à condition de ne
pas dépasser un certain plafond de ressources et d'avoir travaillé au moins cinq ans au
cours des dix années qui ont précédé l'indemnisation Unedic. Le montant de l'ASS est de
16 euros par jour au maximum (moins si le conjoint a des revenus). Environ 10 % des
inscrits à Pôle emploi la perçoivent. Quant à ceux qui n'ont droit ni aux Assedic ni à l'ASS,
certains peuvent toucher le revenu de solidarité active (RSA) socle. Mais celui-ci n'est
accessible que sous conditions de ressources : dans le cas d'une personne vivant en
couple sans enfant, par exemple, il faut que l'ensemble des ressources du ménage soient
inférieures à 740 euros par mois. Et elle ne touchera que la différence entre le montant
maximal du RSA socle
et le montant des
ressources
de
son
ménage (y compris les
allocations familiales ou
les aides au logement).
Au final, un chômeur
peut donc percevoir soit
une indemnisation de
l'Unedic, certes parfois
relativement confortable
mais
d'une
durée
limitée, soit des minima
sociaux (ASS ou RSA)
dont le montant est
inférieur au seuil de
pauvreté, soit rien du
tout, lorsqu'il n'a pas
assez cotisé et qu'il ne remplit pas les conditions pour toucher le RSA (s'il a moins de 25
ans notamment).
Problèmes économiques HS n°3 – extraits de« L'assurance chômage : une institution au
cœur du marché du travail. » François FONTAINE.
Le montant de l'ARE
Le montant brut de l'allocation journalière d'aide au retour à l'emploi comprend :
une partie fixe égale à 11,64 €,
une partie variable, égale à 40,4 % du salaire journalier de référence (SJR).
Cette somme ne peut pas être inférieure à 57,4 % et supérieure à 75 % du salaire journalier
de référence. Lorsque la durée de travail du salarié était inférieure à la durée légale ou
conventionnelle, la partie fixe de l'ARE est proportionnellement réduite. Le revenu de
remplacement mensuel est égal au montant de l'allocation journalière multiplié par le
nombre de jours du mois considéré.
Le montant net de l'ARE ne peut pas être inférieur à 28,38 €.
Un demandeur d'emploi peut, sous certaines conditions, cumuler l'allocation d'aide au
retour à l'emploi (ARE) avec les revenus d'une activité professionnelle occasionnelle ou
réduite, salariée ou non. Le demandeur d'emploi peut cumuler l'ARE avec les revenus d'une
activité occasionnelle ou réduite si l'activité :
ne dépasse pas 110 heures par mois,
ne procure pas des rémunérations mensuelles supérieures à 70 % des
rémunérations brutes mensuelles perçues avant la perte partielle ou totale
d'emploi,
est exercée en France ou à l'étranger.
Les activités occasionnelles ou réduites doivent être déclarées par les demandeurs d'emploi
lors de l'actualisation mensuelle de leur situation. Que ce soit en cas d'activité conservée ou
de reprise d'activité, le cumul de l'ARE avec des revenus d'activité occasionnelle ou réduite
est assuré dans
la limite de 15
mois et des droits
à indemnisation
des demandeurs
d'emploi
concernés.
Toutefois,
la
limite des 15
mois
ne
s'applique
pas
aux allocataires
âgés de 50 ans
et plus et aux
titulaires
de
contrat
d'accompagnem
ent dans l'emploi
(CAE).
Service-public.fr
2. Quels sont les effets possibles de l’indemnisation sur
les comportements individuels des chômeurs?
Un risque d’alea moral ?
La raison première de l'assurance chômage est de protéger les travailleurs contre de trop
fortes pertes de revenu en cas de licenciement. Pour ce faire, elle mutualise les risques.
Tout d'abord, les chômeurs sont indemnisés grâce aux cotisations des travailleurs en
emploi. Obligatoire dans la grande majorité des pays, elle permet de rendre solidaires des
individus à haut risque et d'autres ayant peu de chance d’être licenciés. C’est une condition
importante de sa viabilité, notamment lorsque ces risques sont difficiles à évaluer a priori.
De ce point de vue, c'est une assurance peu différente d’une assurance maladie ou même
accident. Or, comme toute forme d’assurance, elle peut conduire à ce que l'assuré ne se
prémunisse pas contre les risques pour lesquels il est assuré, problème que les
économistes qualifient d'« aléa moral». Dans le cas d’une assurance automobile, ce sont
les risques d'accidents de la route. Dans le cas qui nous intéresse, ce sont les risques de
ne pas retrouver d’emploi immédiatement ou d'être licencié. Ne pas se prémunir contre ces
risques signifie alors ne pas faire suffisamment d'efforts pour retrouver un emploi ou ne pas
prendre assez de précaution pour garder celui qu'on occupe.
François FONTAINE, « L'assurance chômage : une institution au cœur du marché du
travail. », Problèmes économiques HS n°3, février 2013.
Comparaison de la durée maximale d’indemnisation en mois dans 15 pays
de l’UEM
L’assurance chômage, cause du chômage permanent ?
J. Rueff (1931) rend explicitement responsables les allocations chômage de la persistance
du chômage en Grande-Bretagne : elles empêchent l’ajustement des salaires, ce qui
permettrait, selon lui, de maintenir le plein-emploi. L’argumentation est indirecte. Les
allocations chômage ne sont pas condamnées en tant que telles, mais comme instrument
permettant le respect de la discipline syndicale ouvrière (rendant impossible une baisse du
salaire réel). Les allocations chômage sont de ce fait rendues responsables de la rigidité
des salaires réels et du chômage permanent. De plus, elles exercent un effet désincitatif
manifeste dans la mesure où elles constituent un seuil à la fixation du salaire (pour parler de
manière contemporaine, les allocations chômage fixent le seuil du salaire de réserve).
Muriel Maillefert, L'économie du travail, studirama, 2004
Un taux de remplacement important pour les mieux rémunérés
Le système français d’assurance chômage se caractérise par le fait que les droits ouverts
y sont largement proportionnels aux cotisations versées. Cette caractéristique se traduit
notamment par le plafond fixé pour le calcul de l’allocation d’aide au retour à l’emploi
(ARE), situé à un niveau très élevé. Dans les autres pays européens, le niveau de
l’indemnisation est souvent beaucoup plus strictement plafonné. Il s’ensuit une réduction du
taux de remplacement lorsque l’on s’élève dans l’échelle des revenus. Au contraire, le
système français garantit un taux de remplacement important, y compris pour des niveaux
de rémunérations élevés. Ainsi, pour un cadre de moins de 50 ans dont la
rémunération mensuelle brute était de 10 000 €, soit un net d’environ 7 200 €,
l’indemnité s’élève à 5 012,40 € net, soit un montant considérablement plus important
que celui auquel peut prétendre une personne dans une situation similaire en
Allemagne (environ 2 200 €).
Cour des comptes, Marché du travail : face à un chômage élevé, mieux cibler les politiques,
janvier 2013
Le système français est donc l’un de ceux où l’éventail des durées d’indemnisation est le
plus important. Il couvre les salariés les plus précaires, mais aussi réserve le plus haut
niveau de protection aux salariés les mieux insérés dans l’emploi.
Cour des comptes, Marché du travail : face à un chômage élevé, mieux cibler les politiques,
janvier 2013
Les effets de la durée d’allocation et du taux de remplacement
Il est aujourd'hui accepté que des allocations plus généreuses (par leur montant ou leur
allongent les épisodes de chômage. Tout d’abord, il a été estimé qu'une hausse de la durée
maximale d'indemnisation d'une semaine entraînait une augmentation de la durée du
chômage de 0,3 à 1,7 jour. De même, une progression de 10 % du taux de remplacement
des allocations correspond à un allongement de la durée de 4 à 18 %. L'ampleur de cette
augmentation est très variable selon les pays et les individus concernés. Cela est dû à
plusieurs facteurs. Tout d'abord, les pays étudiés ont différents systèmes de contrôle
laissant plus ou moins d’espace au problème d'aléa moral. En outre, la composition de la
main-d’œuvre n'est pas la même selon les pays. Au niveau individuel, les contraintes et
opportunités sur le marché du travail dépendent des caractéristiques du travailleur et
affectent sa réactivité au ratio de remplacement. Quoi qu’il en soit, les effets estimés sont
substantiels.
François FONTAINE, « L'assurance chômage : une institution au cœur du marché du
travail. », Problèmes économiques HS n°3, février 2013
3. Comment lutter contre les trappes à chômage ?
Les stratégies pour limiter l’effet désincitatif de l’assurance chômage.
Ces stratégies [pour limiter le problème d'aléa moral] peuvent être classées en deux
catégories, éventuellement combinables. Tout d’abord, la décroissance du montant des
allocations avec la durée au chômage : c’est le système qui a prévalu en France entre 1992
et la mise en place du plan d’aide au retour à l'emploi (PARE) en 2001. L'idée implicite est
que la durée du chômage serait un indicateur des efforts de recherche entrepris par
l’individu. Les travailleurs ayant les durées les plus longues seraient ceux qui font le moins
d'effort pour retrouver un emploi. Par ailleurs, la baisse des allocations au cours du temps
incite à intensifier son effort dès le début du chômage. La difficulté pratique est que la durée
observée est assez peu corrélée aux efforts entrepris. La dégressivité sanctionne à la fois
les demandeurs d’emploi malchanceux et ceux qui n’ont pas fait suffisamment d'efforts. Par
ailleurs, cette baisse défavorise davantage ceux qui, du fait de leur qualification ou de leur
âge, trouvent plus difficilement un emploi. Autre stratégie possible face à l'aléa moral, le
contrôle direct de l'effort de recherche par le service public pour l'emploi et la mise en place
de sanctions. En France, en 2001, le PARE a ainsi remplacé la dégressivité des allocations
par un système de contrôle et de sanctions. Ce système évite a priori de sanctionner sans
discernement comme le font des allocations chômage dégressives. Cependant, se pose le
problème du contrôle de l'effort. Quelles preuves peut-on apporter de son effort de
recherche ? À partir de quels manquements doit-il y avoir des sanctions ’.
In fine, la mise en place de sanctions ou la dégressivité des profils d’indemnisation
devraient être conditionnées à des évaluations empiriques du lien entre montant des
allocations et durée de chômage.
François FONTAINE, « L'assurance chômage : une institution au cœur du marché du
travail. », Problèmes économiques HS n°3, février 2013
Une logique de « workfare »
L'idée que l'indemnisation du chômage ou les minima sociaux désinciterait au travail est
assez répandue. C'est pourquoi certains qualifient ces dispositifs de "trappes" qui
enfermeraient les gens dans le chômage ou la pauvreté sans les aider à en sortir. Face à
cette analyse, de nombreux gouvernements ont mis en place des dispositifs d'"activation
des dépenses de protection sociale". En clair, il s'agit de dispositifs incitant les bénéficiaires
d'allocations à reprendre un emploi.
Dans sa version la plus extrême, cette logique a donné naissance à des formes de workfare
qui consistent à obliger les allocataires à travailler pour percevoir leur prestation : aux EtatsUnis, par exemple, le programme Temporary Assistance to Needy Families, instauré en
1996, conditionne le versement d'une prestation sociale (destinée essentiellement aux
familles monoparentales) à une contrepartie en travail dans des organismes non
marchands. De même, en Allemagne, la loi Hartz IV a contraint les allocataires de l'aide
sociale à accepter des emplois d'intérêt général payés un euro de l'heure pour continuer à
percevoir leur allocation. En France, la principale mesure d'activation des dépenses
passives a été la création, en 2009, du RSA. Ce dispositif prévoit deux allocations
différentes : le RSA socle qui est versé à condition de ne pas dépasser un plafond de
ressources fixé très bas (492 euros par mois pour une personne seule) ; et le RSA activité,
qui est un complément versé aux ménages qui travaillent mais ne gagnent pas assez pour
sortir de la pauvreté. Cette deuxième allocation vise clairement à inciter les allocataires du
RSA socle à reprendre un emploi, puisque grâce au RSA activité ils gagneront forcément
plus en travaillant.
Camille Dorival « Indemniser aggrave-t-il le chômage ? » Alternatives Economiques Horssérie n° 099
La trappe à chômage existe-elle cependant ?
Quatre ans après l'instauration de ce dispositif, son bilan est plutôt décevant. D'une part,
68 % des ménages qui pourraient avoir droit au RSA activité ne demandent pas à en
bénéficier, parce qu'ils estiment que le dispositif est trop stigmatisant ou parce que les
démarches sont trop complexes au regard du montant qu'ils peuvent espérer en retirer.
D'autre part, comme l'ont démontré Dominique Méda, Evelyne Serverin et Bernard Gomel,
le dispositif n'a pas favorisé le retour à l'emploi : les deux tiers des personnes qui étaient au
RSA socle en janvier 2010 y étaient toujours à la fin de l'année. Cet échec remet en cause
la théorie de la "trappe à chômage". Il démontre que de manière générale, et encore plus
dans un contexte de fort ralentissement économique, si les individus sont au chômage, c'est
avant tout, pour la grande majorité d'entre eux, parce que les emplois manquent.
De fait, indique le sociologue Nicolas Duvoux, "l'existence de trappes à pauvreté ou à
chômage est difficile à établir scientifiquement". Certaines données tendraient même à
prouver l'inverse : ainsi une étude publiée en 2002 s'intéressait au cas des allocataires du
revenu minimum d'insertion (RMI, remplacé depuis par le RSA socle). Parmi les célibataires
sans enfant qui étaient allocataires en décembre 1996 et étaient sortis du RMI un an plus
tard, un tiers avait repris un emploi pour des gains financiers inférieurs à… 76 euros par
mois ! Pour 10 % des allocataires qui retravaillaient, le gain financier était même nul.
Car ce que recherchent les gens en travaillant ne se limite pas à un gain financier. Le travail
représente bien plus que ça : le travail est en effet source d'identité dans notre société, mais
aussi source de sociabilité, de valorisation et souvent d'épanouissement personnel et de
réalisation de
Camille Dorival « Indemniser aggrave-t-il le chômage ? » Alternatives Economiques Horssérie n° 099