Rencontre « Apprivoiser les écrans et grandir »

Rencontre « Apprivoiser les écrans et grandir » - Serge Tisseron
10 avril 2014 à Saint Etienne du Bois (01)
A l’initiative de la Crèche de Saint Etienne du Bois et la DLP de l’Ain, une rencontre avec le
psychanalyste Serge Tisseron était organisée à Saint Etienne du Bois ce jeudi 10 avril autour du
thème « Apprivoiser les écrans et grandir ».
Plutôt qu’une conférence, Serge Tisseron a privilégie l’échange avec des questions-réponses pour
répondre aux craintes et interrogations des nombreux parents, associations, professionnels présents
tout en relativisant et conseillant le public pour « apprendre aux enfants à s’auto-diriger, à
développer leur autonomie » vis-à-vis des nouveaux outils. L’accent a été mis sur la relation aux
écrans et leur influence sur les 0 à 6 ans ainsi que sur le rapport des adolescents au numérique. Une
solution possible : développer des actions collectives pour éveiller les consciences.
Petite présentation de Serge Tisseron extraite de son site www.sergetisseron.com :
« Serge Tisseron est psychiatre et psychanalyste, docteur en psychologie habilité à diriger des
recherches (HDR) à l’Université Paris VII Denis Diderot. Il est l’auteur d’une trentaine d’essais
personnels. Il a lancé en 2007 la règle « 3-6-9-12 » et « le Jeu des Trois Figures » pour développer
l’empathie et lutter contre la violence dès l’école maternelle. Il a créé en 2012, en lien avec le
Ministère du Développement durable, le site « memoiredescatastrophes.org, la mémoire de chacun
au service de la résilience de tous ». Il a été co-auteur de l’Avis de l’académie des Sciences sur
« L’enfant et les écrans » (janvier 2013). Il pratique aussi la photographie et le dessin. Il a créé à Paris
VII le premier Diplôme Universitaire (DU) consacré aux conséquences psychiques et sociales du
numérique. »
Petit compte-rendu de la soirée :
« En quelques années, les technologies numériques ont bouleversé notre vie publique, nos habitudes
familiales et même notre intimité. Les parents et les pédagogues en sont souvent désorientés. La
règle que j’ai appelée « 3-6-9-12 » donne quelques conseils simples articulés autour de quatre étapes
essentielles de la vie des enfants : l’admission en maternelle, l’entrée au CP, la maîtrise de la lecture
et de l’écriture, et le passage en collège »
Les écrans sont actuellement source de craintes mais il ne faut pas perdre de vue qu’ils offrent aussi
de nombreuses possibilités. Ils ont engendré un changement des pratiques culturelles. En effet les
enfants sont de plus en plus acteurs et non plus seulement consommateurs de produits culturels. Par
exemple, ils sont sollicités, invités au débat sur le net (forums, réseaux, sociaux, etc…) même si, par
conséquent,8ceci8s’accompagne8d’une8remise8en8question8de8l’autorité.
L’espoir d’une future culture démocratique avec ces nouveaux outils émerge également.
Afin d’aider les parents et professionnels, le psychanalyste propose des « balises » 3-6-9-12.
-3 ans : correspond à l’âge de l’entrée en maternelle  pas de télé avant l’âge de 3 ans. Les
écrans chez les moins de 3 ans gênent le développement de l’enfant. Il a été prouvé que des troubles
du développement datant d’avant cet âge ont encore des répercussions sur le développement à l’âge
dee10eanso(cf.oLindaoS.oPagani).
Selon S. Tisseron mettre un tout-petit devant un écran, c’est du temps de perdu pour son
développement.
De plus, il est important de favoriser la construction des repères temporels chez l’enfant en
limitant le temps de visionnage des écrans de 3 à 6 ans. Lui donner des repères temporels, c’est lui
signifier le temps : « tu viens de faire du coloriage, tu peux regarder le dvd pendant 20 minutes, et
ensuite on ira jouer dehors », tout en cessant bien le visionnage au bout de ces 20 minutes. Nommer
l’avant, le pendant et l’après est nécessaire pour qu’une fois plus grand il sache répartir ce temps de
façon autonome : c’est lui apprendre l’autorégulation (ne pas dire aux grands : « tu as 1h de télé »
mais8« tu8aso1hod’écrans ».
Conclusion : dans une société où nous vivons entourés d’écran, c’est à l’usager d’apprendre à ne pas
seolaisserodéborder.
-6 ans : âge de l’entrée en CP  pas de console personnelle avant 6 ans
-9 ans : âge auquel on sait lire et écrire  pas d’accès à internet avant 9 ans mais on peut
commenceroà8éduquer8les8enfants8à8internet8à8partir8de878ans.
-12 ans : âge d’entrée au collège, désir de faire comme les autres (avec Facebook)  pas de
réseaux8sociaux8avant8128ans.
Pourquoi des balises et non des repères ? La télévision et internet sont des outils complexes et
en évolution constante. L’idée des balises est d’encourager les bonnes pratiques plutôt que
d’interdire8des8mauvaises8pratiques8chez8les8enfants8et8jeunes8ados.
A noter que la campagne 3-6-9-12 : Apprivoiser les écrans et grandir est disponible sur le site De S.
TIsseron sur le lien suivant : http://www.sergetisseron.com/3-6-9-12/ L’affiche est en Licence CC
donc réutilisable pour nos structures ! C’est un excellent outil de médiation que nous pouvons
mettre à disposition des usagers et nous réapproprier pour de nombreuses animations et
manifestations.
Qu’est-ce8que8le8virtuel8change8à8la8construction8de8l’enfant ?
Le mot virtuel n’est pas le bon terme pour définir ce que nous appelons justement à tort le
« virtuel ». Au début, il s’agissait d’un terme pour désigner les espaces numériques à une époque où
nous n’étions pas encore interconnectés. Il faut désormais utiliser la notion de « monde numérique »
pour désigner internet, les réseaux sociaux et les jeux vidéo. C’est donc la question suivante qu’il faut
se8poser :8qu’est-ce8que8le8numérique8change ?
Serge Tisseron se veut rassurant à ce propos. Le numérique n’est pas que néfaste pour les plus
jeunes. En effet, ils permettent de développer le goût de l’interaction (relation aux autres dans les
jeux vidéo et réseaux sociaux), une relation différente aux savoirs (outils collaboratifs…), et le
développement d’une intelligence visuelle et spatiale (contrairement à l’école où la transmission se
fait8d’abord8par8l’écoute,8les8écrans8développent8une8intelligence8visuelle).
Il faut aussi se rappeler que les écrans ont deux fonctions : ils sont un espace de savoir autant qu’un
espace8de8défoulement.
Une référence a été citée à titre d’exemple pour parler de l’aspect éducatif des écrans, le site
www.pedagojeux.fr
Que8penser8de8l’utilisation8des8ordinateurs8dès8la8maternelle ?
L’utilisation des ordinateurs en maternelle est vivement déconseillée. Les enfants n’ont pas les
repères temporels et ne maîtrisent pas assez le langage à cet âge-là pour pouvoir les utiliser de façon
constructive.
De plus, avancer l’argument de permettre aux enfants de s’habituer dès le plus jeune âge pour leur
en faciliter l’utilisation par la suite n’est pas recevable. En effet, les outils et interfaces évoluent et ne
seront plus les mêmes au moment où ils seront vraiment en âge de pouvoir les utiliser, ce qui les
empêche d’en faire un bon usage.
Est-ce une bonne chose d’utiliser les tablettes pour apprendre des choses aux enfants ?
Non.8Il8ne8s’agit8que8d’un8argument8commercial8mensonger.
Par exemple, contrairement à des cubes en bois pour apprendre l’alphabet (cubes qui ont un poids,
une consistance, une texture, qu’on peut mettre à la bouche, manipuler, etc…), les tablettes ont des
contenus immatériels. Or, l’enfant a besoin de toucher, sentir, voir, entendre, goûter pour apprendre
et8non8pas8juste8voir.
Des pédiatres ont constaté le fait suivant : alors que des parents expliquent que leurs enfants sont
intelligents car ils arrivent à remettre des lettres de l’alphabet dans l’ordre sur une tablette tactile, ils
ne8savent8pas8le8faire8avec8des8cubes8en8bois.
Il faut savoir que les enfants sont des imitateurs : ils savent comment utiliser une tablette parce
qu’ils voient les parents le faire. Par contre si on ne montre pas à un enfant comment jouer avec un
jouet il ne montrera aucun signe d’intérêt pour celui-ci. D’où l’importance de leur montrer les
choses,8de8passer8du8temps8avec8eux.
Cependant, il est tout de même possible d’utiliser une tablette avec un enfant car on peut jouer avec
lui dessus, lui parler, etc… Ce qu’il ne faut pas faire, c’est laisser un enfant seul avec une tablette.
Peut-on8parler8d’une8addiction8aux8écrans ?
Il n’est pas question d’une addiction aux écrans, il s’agit surtout d’une mauvaise habitude : plus
un enfant regarde la télévision, moins il joue, et moins il joue, plus il regarde la télévision.
Nous pouvons déjà faire la distinction entre la passion qui est socialisante et la pathologie qui est
désocialisante.
Les scientifiques ne parlent pas d’addiction à l’écran (qui sous-entend une idée de sevrage et de
rechute) mais d’usage pathologique. Il est possible de passer d’un usage excessif à un usage normal
en8donnant8des8repères8temporels8aux8enfants.
Par contre, il y a effectivement des addictions aidées par l’écran (pornographie, jeux d’argent,
etc).
Pour ce qui est de savoir comment empêcher les enfants d’aller sur des sites pornographiques, Serge
Tisseron explique qu’il est normal pour les enfants de se poser des questions et d’aller voir ces sites
qui ne reflètent pas la réalité pour ce qui est de la sexualité. Il est important de leur faire comprendre
que ce qui est montré n’est pas la réalité et d’apprendre aux jeunes filles à se défendre et à savoir
dire non quand elles seront plus grandes. Ici encore le dialogue et l’accompagnement sont
nécessaires.
Quand8peut-on8laisser8les8enfants8aller8sur8les8réseaux8sociaux ?
Pas avant 12-13 ans. L’exemple de Facebook a été cité (à partir de 13 ans). Ce qu’il est important
de savoir, c’est que les enfants qui ont des problèmes sur les réseaux sociaux (surexposition et
dérives) sont ceux qui ne sont pas assez gratifiés dans la vie ce qui les pousse à faire tout et
n’importe quoi. L’important est de leur expliquer les règles et de les préparer à découvrir les réseaux
sociaux.
Bref, s’il y a quelques mots à retenir de la soirée : MEDIATION, LIMITES ET REPERES,
ACCOMPAGNEMENT
Bibliographie de Serge Tisseron sur le lien suivant : http://www.sergetisseron.com/ouvrages/
Et pour approfondir un peu plus la question, le blog de Serge Tisseron :
http://www.sergetisseron.com/blog/