Nos enjeux pour le futur

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Nos enjeux pour le futur
Département fédéral de l'intérieur DFI
Office fédéral de la culture OFC
Perspectives pour la législature 2008/2011 de la section cinéma de l’Office fédéral de la culture
Nos enjeux pour le futur
En bref
Pour l’OFC, poser des perspectives de législature, c’est définir les enjeux
déterminants de sa politique culturelle pour les années à venir. Pour la législature 2008/2011, la section cinéma relève ainsi trois défis majeurs pour
son domaine d’activités :
-
-
réformer le soutien à la production des films d’art et d’essai, afin
d’augmenter leurs chances de trouver leur public,
évaluer ce que les nouveaux moyens d’expression audiovisuels, notamment la « révolution digitale », amènent de nouveau dans le domaine de
la culture cinématographique suisse,
lancer la construction de la nouvelle cinémathèque suisse.
Trois objectifs de natures très différentes, dont la finalité est pourtant cohérente : encourager une culture cinématographique suisse à la fois durable et
diversifiée, populaire et de qualité. Afin de se donner les moyens d’atteindre
ces objectifs, l’OFC se devra de prendre un certain nombre de mesures :
-
augmenter et mieux canaliser les moyens financiers alloués au développement et à la production des films d’art et d’essai,
procéder à une enquête poussée sur les nouveaux moyens d’expression
audiovisuels en Suisse,
augmenter les budgets alloués à la cinémathèque suisse afin de répondre
aux défis de la nouvelle politique de conservation développée dans le cadre de la construction des nouvelles infrastructures (Penthaz II).
(1) Des films et du public
Introduction
Les caractéristiques du cinéma suisse d’aujourd’hui, du début du 21e siècle pourrait-on dire, se sont
dessinées au cours de cette nouvelle décennie. Ce cinéma se différencie des autres périodes de son
histoire par la coexistence de trois genres : le documentaire de cinéma, le film d’art et d’essai1 et le
film grand public2. Tous ces genres sont naturellement apparus avant le 21e siècle, mais il est nouveau qu’ils coexistent de manière constante comme c’est le cas depuis quelques années en Suisse.
1
Par film d’art et d’essai, nous entendons un film dont la dynamique de production est centrée autour de l’univers personnel d’un auteur,
dont l’écriture, la réalisation ou la narration sont au centre du film.
2
Par grand public, nous entendons un film dont la dynamique de production est portée vers l’univers collectif d’un large public, où l’écriture,
la réalisation et la narration sont à la recherche de la rencontre de ce même public.
Cette coexistence rend plus complexe l’analyse du cinéma suisse ; il a ses forces et ses faiblesses
qu’il est difficile, de prime abord, de saisir avec certitude.
La mission de l’Office fédéral de la culture, dans le domaine du cinéma, est de soutenir des films de
qualité qui, dans leur diversité, trouvent leur public. L’essentiel de nos mesures de soutien est centrée sur cette dynamique : que les documentaires, les films d’art et d’essai et grand public de qualité
trouvent un public à leur mesure.
Nos films en salles
Afin de cerner aux mieux le lien entre la création cinématographique et son public, et d’orienter par
la suite la politique de la section, nous avons analysé – en fonction de leur genre et du nombre
d’entrées en salle3 - l’ensemble des films long métrage4 (soutenus ou non par la Confédération)
ayant été réalisés en Suisse entre le 1er janvier 2004 et le 31 décembre 2007 (au cours de la législature passée). Les résultats globaux de cette étude sont présentés dans le premier tableau ci-dessous.
Genre
Nbe total
de films
04-07
Moyenne annuelle
nbe de films
Nbe total
d’entrées
04-07
Moyenne annuelle
nbe d’entrées
Fiction
63
15.75
Documentaire
125
TOTAL
188
Moyenne
nbe d’entrées
par film
34 %
2'214’024
553’506
77 %
35’143
31.25
66 %
665’493
166’373
23 %
5’324
47
100 %
2'879’517
719’879
100 %
T.1. Films produits au cours de la législature précédente (2004-2007) et nombre d’entrées correspondant
Le tableau T.1 nous révèle qu’en moyenne 719’779 spectateurs vont voir des films suisses par an.
Parmi ces résultats, on observe que le documentaire se défend très bien. Le fait que près d’un quart
du nombre total d’entrées annuelles – un pourcentage très élevé en comparaison internationale – relève de la production de documentaires démontre la santé du documentaire en Suisse5. Cette balance entre les genres fiction et documentaire est par ailleurs de bon augure pour la diversité de
l’offre en Suisse.
Cependant, en dépit du fait que le cinéma suisse gagne l’intérêt de son public de manière croissante
depuis quelques années, et ce au-delà des frontières linguistiques régionales6, le nombre de spectateurs allant annuellement au cinéma voir un film suisse en Suisse reste – comparé aux scores des cinémas nationaux dans d’autres pays d’Europe – faible.
3
La participation d’un film en festival est aussi un indicateur de succès important. Si cet aspect n’est pas pris en compte ici, c’est que l’étude
menée se concentre avant tout sur la carrière des films au niveau national, les festivals relevant plutôt de l’international.
Les données traitées proviennent de l’Office fédéral de la statistique. Considérés comme « heureux hasards » de la production cinématographique, les films montrés en salle mais pensés et réalisés pour la télévision – p.ex. « Die Herbstzeitlosen » – ont été exclus de ces statistiques.
5
La moyenne du nombre d’entrées par film se situe légèrement au-dessus du nombre limite permettant d’accéder à l’aide liée au succès : un
résultat très positif !
4
6
Notons tout de même que le phénomène est plus marqué du côté des films suisse-alémaniques, qui franchissent plus souvent la Sarine et le
Gothard que les films romands ou suisse-italiens.
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719’779 spectateurs par an c’est mieux qu’il y a dix ans, mais ce n’est pas encore suffisant. Sur la
base de ce constat général, il s’agit donc de se demander comment les films suisses peuvent davantage atteindre leur public. Comme nous l’avons dit plus haut, le documentaire suisse va plutôt bien.
C’est davantage du côté de la fiction que le cinéma suisse peine à trouver son public. Afin de
connaître les détails des résultats de nos films de fiction, nous avons procédé à une analyse plus fine
de la catégorie fiction au sein du tableau T.2.
FICTIONS
> 200'000 entrées
Nbe total
de films
04-07
4
Moyenne annuelle
nbe de films
1
6%
Nbe total
d’entrées
04-07
1'430’156
Moyenne annuelle
nbe d’entrées
357’539
65 %
50’000-99'999 entrées
8
2
13 %
516’800
129’200
23 %
10’000-49'999 entrées
8
2
13 %
165’830
41’458
7%
5’000-9'999 entrées
6
1.5
10 %
45’811
11’453
2%
< 5000 entrées
37
9.25
59 %
55’427
13’857
3%
63
15.75
100 %
2'214’024
553’506
100 %
TOTAL
T.2. Films de fiction classés en fonction du nombre d’entrées
Le tableau T.2 révèle que 6 % des films produits encaissent 65 % des entrées et – surtout – 69% des
films n’atteignent pas les 10'000 entrées. On observe que les productions grand public constituent
en moyenne un tiers de la production annuelle en fiction et se situent toutes vers le haut du tableau
en affichant une moyenne largement supérieure à 50'000 entrées par films. Les films d’art et d’essai
(produits explicitement dans cette intention par leurs initiateurs), qui constituent donc en moyenne
les deux tiers de la production annuelle, ont des résultats assez faibles en salle avec une moyenne à
peine supérieure à 5’000 entrées par film. Parmi ces 37 films qui n’ont pas atteint les 5’000 entrées
durant la période analysée, on retrouve une grande majorité de films d’art et d’essai. Il ne s’agit pas
ici de juger de la qualité ou de la pertinence artistique de ces films, mais plutôt de constater du peu
de public qu’ils parviennent à mobiliser.
Bilan et perspectives
Les chiffres présentés ci-dessus, confrontés à la solide expérience de la section cinéma constituée au
fil de la longue analyse des dossiers de production qui lui sont soumis chaque année, permettent de
tirer un certains nombres de conclusions intermédiaires :
A. Le documentaire suisse va bien. Il existe en Suisse des entreprises de production « artisanales »
spécialisées dans le film documentaire qui effectuent en règle générale un excellent travail. Ces
entreprises, qui fonctionnent globalement sur le modèle de l’auteur-producteur, produisent des
films de qualité qui trouvent leur public.
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B. Le film grand public suisse va de mieux en mieux. Il existe en Suisse un petit nombre
d’entreprises de production spécialisées dans les films grand public et dont la santé est attestée
par le box office de ces quatre dernières années. Ces entreprises, qui fonctionnent généralement
sur des partenariats solides entre auteur/producteur/distributeur, connaissent parfois l’échec en
salle, mais c’est la règle du jeu dans cette catégorie. Même si les chiffres atteints n’ont rien à
voir en valeur absolue avec ceux d’un film grand public français ou allemand, proportionnellement les films suisses tiennent la comparaison.
C. Le film d’art et d’essai suisse est fragile. Il existe en Suisse de nombreuses entreprises de production spécialisée dans les films d’art et d’essai dont les résultats en salles ont été faibles voire
très faibles ces quatre dernières années. Pour certaines de ces entreprises, qui fonctionnent généralement sur un partenariat auteur / producteur où l’auteur est au centre du système, les temps
sont assez durs.
Ces trois conclusions ressortent d’un exercice de catégorisation qui a certainement ses défauts. Cependant, la position centrale de l’OFC dans le soutien au cinéma suisse permet à ce dernier de se
faire une image assez précise de l’état de notre cinématographie. Et cette image nous révèle que la
production et le soutien aux films d’art et d’essai nécessiteraient aujourd’hui une réforme.
Suite à une récente comparaison minutieuse entre nos productions d’art et d’essai et les productions
les plus expérimentées du même genre en France et Allemagne, un certain nombre de différences
ont été relevées. Dans ce domaine particulier, la Suisse ne manque pas d’auteurs ni de techniciens,
mais plutôt de moyens à investir dans la phase de développement. Tout d’abord, les budgets de développement des films d’art et d’essais de nos voisins sont largement plus élevés que les nôtres. On
observe également qu’un producteur allemand ou français abandonne souvent des projets même
s’ils ont été développés assez loin, qu’il s’impose plus d’exigences avant de rentrer en production.
En Suisse, on ne renonce que rarement à un projet et on rentre très vite en production. Notre faiblesse, apparemment se situe davantage en amont qu’en aval de la production. En comparaison européenne, nos films d’art et d’essai ne semblent pas assez développés et rentrent en production trop
tôt : voilà l’un des constats les plus solides que l’on peut faire à l’heure actuelle sur ce domaine de
notre cinéma.
La section peut bien sûr agir dans le cadre de ses compétences et appliquer aux dossiers des normes
d’évaluation plus strictes, notamment vis-à-vis des attentes explicitées en termes de création, production et de promotion au stade du développement. Cependant, au-delà de notre capacité à augmenter la qualité des dossiers par plus de rigueur, il faut admettre qu’il manque aux entreprises de
production les moyens financiers nécessaires à l’amélioration durable du niveau de production. Afin
de renforcer la qualité et le succès de nos productions, nous devons augmenter à la fois nos exigences et nos moyens financiers, notamment durant la phase du développement de projet. Il s’agira, assez vite, de lancer une consultation avec les milieux concernés sur la question d’une réforme straté-
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gique et financière de l’aide au développement des films d’art et d’essai, réforme qui visera notamment à donner une place centrale au producteur. Nous voulons une production d’art et d’essai plus
forte, à même de servir au mieux nos auteurs.
(2) Du monde de l’image en mouvement et de sa révolution
Un bref regard sur ces dernières années permet de le constater : le monde de l’image est en pleine
révolution, et ce dans tous les domaines et à tous les niveaux de production. Tandis que le numérique, le D-cinéma, envahit les grands studios américains et que les premières salles de cinéma entièrement digitalisées apparaissent en Suisse, un monde parallèle se développe de jours en jours. Loin
des réseaux de production et de distribution traditionnels, l’E-cinéma7 occupe une place qui semble
devenir toujours plus importante, explorant des voies créatrices très différentes de celles du cinéma
institutionnalisé. Sans parler des jeux vidéo dont les applications en font des créations audiovisuelles à part entière.
Face à ces nouveaux champs de développement audiovisuel, l’OFC se doit de réagir et d’évaluer –
si possible avant d’être dépassé par les événements – l’impact de ce nouveau réseau de production
et de diffusion d’images filmiques sur la culture cinématographique suisse. Bien consciente du fait
qu’il s’agit d’une scène aux contours extrêmement volatiles, la section cinéma se fixe ici l’objectif
de mieux comprendre le phénomène, afin de prendre des décisions solidement fondées pour définir
son rôle futur dans le domaine. L’idée est de faire appel à des experts et de mettre en place une évaluation de ces nouveaux champs afin de se prononcer sur d’éventuels nouveaux instruments de soutien dès la prochaine législature.
(3) De l’avenir de notre passé
Penser au futur implique aussi de se préoccuper des questions de patrimoine et de conservation du
passé. Pour la section cinéma, ces questions sont directement liées aux activités de la cinémathèque
suisse – l’une des plus importantes au niveau mondial. Dans le cadre de la législature en cours, la
cinémathèque se verra non seulement intégrer des nouveaux locaux conçus pour recevoir dignement
ses riches collections, mais accueillera aussi à sa tête un nouveau directeur, Frédéric Maire. Pour lui
comme pour la section cinéma de l’OFC, ces changements à la fois importants et motivants posent
évidemment des questions fondamentales liées au travail de conservation, d’archivage et de mise en
valeur des collections emmagasinées à la cinémathèque. Face, par exemple, à la révolution digitale
évoquée dans le chapitre précédent, les acteurs impliqués dans ces réflexions se doivent de considérer la chose avec un œil frais et innovateur, pensant à la fois aux supports du passé et à ceux du futur – notre patrimoine de demain. Il s’agira donc de travailler, avec la nouvelle Direction de
l’institution, à l’établissement d’une nouvelle politique pour la Cinémathèque suisse.
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Par opposition au D-cinéma (digital cinema), l’E-cinéma (electronic cinema ) désigne l’ensemble de la chaîne de production visuelle
numérique – de la réalisation à la distribution – travaillant avec des compressions d’images de qualité inférieure à 2K, avec des formats dits
donc « non-professionnels » qui sont facilement traités de manière rapide et individuelle : on retrouve ici par exemple toute la création faite
et vue exclusivement sur le Net,
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Ces nouvelles orientations impliqueront pour la Confédération de dégager de nouveaux moyens financiers, sur les plans logistique, matériel et humain. Ces nouveaux moyens seront présentés dans
le message de construction de la cinémathèque du Conseil fédéral qui sera proposé au Parlement,
probablement avant la fin de l’année 2008.
OFC / section cinéma / N. Bideau, juillet 2008.
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