Bouvard et Pécuchet - Atelier Théâtre Jean Vilar

Transcription

Bouvard et Pécuchet - Atelier Théâtre Jean Vilar
DOSSIER PEDAGOGIQUE
Bouvard et Pécuchet
d’après Gustave Flaubert
Distribution
Adaptation et mise en scène : Michel Tanner
Avec
Guy Pion : Bouvard
Jean-Mérie Pétiniot : Pécuchet
Scénographie : Vincent Lemaire
Assisté de Aline Breucker
Lumières : Guy Simard
Costumes : Isabelle Chevalier
Assistante à la mise en scène : Béatrix Ferauge
Création coproduction du Théâtre de l’Eveil / Le Manège.Mons / Le Service Provincial des Arts
de la Scène (SPAS) / La Province du Hainaut / L’Atelier Théâtre Jean VIlar. Avec l’aide de la
Communauté française Wallonie-Bruxelles.
Dates : du 16 janvier au 23 février 2007
Lieu : Théâtre Blocry
Durée du spectacle : 1h50 sans entracte
Réservations : 0800/25 325
Contact écoles :
Adrienne Gérard
0473/936.976 – 010/47.07.11 – [email protected]
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I. Présentation du projet par Michel Tanner
Bouvard et Pécuchet, est une histoire de « rencontres ». Bien sûr direz-vous.
« Comme il faisait une chaleur de 33°, le Boulevard Bourdon se trouvait absolument
désert. Plus bas le canal Saint Martin, fermé par les deux écluses, étalait en ligne droite son
eau couleur d’encre […] et tout semblait engourdi par le désœuvrement du dimanche et la
tristesse des jours d’été […].
Deux hommes parurent.
L’un venait de la Bastille, l’autre du Jardin des Plantes.
[…] Quand ils furent arrivés au milieu du boulevard, ils s’assirent à la même minute, sur
le même banc. »
Ceci est un extrait du début de l’ultime œuvre d’ailleurs de Gustave Flaubert, Bouvard et
Pécuchet, qui dans les éditions contemporaines est le plus souvent suivi du Dictionnaire des
idées reçues.
Il s’agit d’une des plus grandes histoires d’amitié jamais écrite même si son créateur
qualifiait ses protagonistes de « Cloportes ».
La création théâtrale de Bouvard et Pécuchet est également une histoire de rencontre
mais de rencontre entre - des - gens - qui - se - connaissaient - déjà - mais - qui - ne savaient - pas - qu’ils - pourraient - faire - ce - type - de - travail. Un jour, dans sa maison de
campagne hainuyère (le lieu n’est pas innocent), Guy Pion, l’indispensable directeur du
Théâtre de l’Eveil est touché par une grâce laïque et conçoit le projet de porter à la scène
une de ses lectures scolaires : Bouvard et Pécuchet.
Si vous connaissez Guy Pion, vous pouvez concevoir le reste (je n’ai pas dit imaginer).
Une rencontre avec le Manège.Mons, un rendez-vous avec l’Atelier Théâtre Jean Vilar, un
contact avec un complice de longue date, Jean-Marie Pétiniot, des recherches et des
demandes dans le monde théâtral de la communauté Wallonie Bruxelles et les retrouvailles
avec la Fabrique de Théâtre co-producteur. La commande est lancée et s’emballe après
quelques démarches par ci par là ; une équipe est créée.
Il faut prendre ce vocable « commande » dans le sens noble du terme. Les auteurs
classiques, les tragiques grecs répondaient à ce concept de commande, Shakespeare et les
Elisabéthains également et sans nous prendre, même pas de loin, pour ces génies qui ont
fait l’histoire du théâtre et l’histoire tout court, il faut affirmer que cette notion permet un
confort de travail et des possibilités de création à nulles autres pareilles. Il ne convient pas
de décrire ici les tenants et les aboutissants de la création mais de savoir que un an plus
tard, nous pouvions présenter notre Bouvard et Pécuchet, dans le cadre du Festival au
carré, avec pour étrange coïncidence qu’il faisait 33° (au moins) et que outre la salle et les
premiers publics, il nous fallait nous confronter avec des conditions climatiques peu
confortables et la concurrence du Mondial footbalistique qui allait voir l’Italie triompher
quelques temps plus tard.
Nous fûmes courageux, nous tînmes bon durant cette semaine, la récompense était au
bout, un formidable accueil qui englobait toute l’équipe et qui allait nous permettre de
poursuivre l’exploration de la « commande », de la montrer au plus grand nombre dans le
plus de lieux possibles ce qui est la plus grande des récompenses pour la bande de Bouvard
et Pécuchet.
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Personne dans le monde et dans la vie de cet art vivant qu’est le théâtre ne sait jamais
comment la réception d’un travail se fera. Aucun praticien ne peut avoir la prétention de dire
comment le public, les jeunes, les adultes, les spectateurs avertis, les autres, les
professionnels, les critiques, les publics scolaires vont réagir.
Nous avons été comblés pour nos premières représentations au Festival au Carré en
juillet 2006 et au Festival de Spa. Les spectateurs ont été intéressés par le fond et par la
forme, par la transcription d’une écriture romanesque qui prend près de 400 pages dans une
forme inachevée, vers une écriture théâtrale qui tend à montrer que les deux héros
flaubertien sont de géniaux protagonistes dans le sens le plus strict du terme, porteur d’une
action, d’un « conflit » théâtral magnifique. Ils sont tellement universels qu’ils fondent leur
force et leur puissance dans une forme à laquelle Flaubert n’avait même pas pensé.
II. Gustave Flaubert : biographie
Gustave Flaubert est né le 12 décembre 1821, à Rouen. Il est le deuxième enfant
d’un chirurgien réputé et d’une fille de médecin.
Après une scolarité sans enthousiasme au Collège Royal puis au lycée de Rouen, il
entreprend, en 1841, des études de droit qu’il abandonnera après trois ans, notamment en
raison de crises nerveuses. Flaubert est de famille bourgeoise. Les revenus de ses parents
lui permettent de vivre sans préoccupation financière, il se consacre alors exclusivement à
l’écriture.
Sa rencontre avec Élisa Schlésinger au cours de l’été 1836 est un élément important
de son adolescence. Elisa a 26 ans et est mariée, il n’a que 15 ans. Tout au long de sa vie,
Flaubert lui vouera une profonde passion. Cette rencontre inspire d’ailleurs à Flaubert
l’écriture de L’Education sentimentale. Des années après, il fait encore état de la flamme qui
le consume dans ses correspondances avec sa nièce « Je n'ai eu qu'une passion véritable.
J'avais à peine quinze ans. ».
En 1846, son père et sa sœur meurent successivement, celle-ci venait d’accoucher
d’une petite fille, que Flaubert prend en charge et avec qui il entretiendra une abondante
correspondance.
Il assiste à Paris à la Révolution de 1848 qu'il voit d'un œil très critique, une de ses
grandes préoccupations est de savoir quel sort sera réservé à l’art et il soutient le
gouvernement en place. A cette époque, il entame la rédaction de La Tentation de Saint
Antoine, roman qui le travaille toute sa vie et dont il livre au final trois versions.
Sous le Second Empire, il fréquente les salons parisiens les plus influents, comme
celui de Madame de Loynes dont il est très amoureux. Il y rencontre entre autre George
Sand. Mais Flaubert n’est pas seulement un homme d’intérieur, et il fait un long voyage en
Orient entre l'année 1849 et 1852. Outre ses voyages, c'est un homme sportif : il pratique la
natation, l'escrime, l'équitation, la chasse…
Entre-temps, Flaubert continue à écrire et Madame Bovary, son roman le plus
célèbre est publié dans La revue de Paris sous la forme de feuilletons en fin ‘56. L’ouvrage
provoque de vives réactions et fait l’objet d’un procès retentissant pour atteinte aux bonnes
mœurs. Flaubert est finalement acquitté. Madame Bovary est édité en avril 1857. Le livre
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connaît très rapidement un important succès en libraire, la première édition étant épuisée
après seulement quelques semaines.
Les voyages de Flaubert continuent et en 1858 il se rend à Carthage pendant trois
mois afin de se documenter pour rédiger Salammbô. L’action du roman se situe à Carthage
au IIIèmesiècle avant J-C. Flaubert voulait en effet s ‘éloigner du monde contemporain dans
son écriture. Ce roman relate la passion impossible d’un homme pour une femme, passion
qui déclenchera de violentes guerres. L’ouvrage paraît en ‘62.
Durant les années qui suivent, Flaubert multiplie les voyages, mais reste en Europe.
Son amitié avec George Sand se renforce et ils se rendent souvent visite. Il retravaille une
nouvelle fois La Tentation de Saint Antoine mais aussi L’Education sentimentale, dont la
première version date de 1844. Par ailleurs, il commence à méditer sur sa nouvelle création,
Bouvard et Pécuchet.
Le 6 avril 1872, la mère de Flaubert meurt. A cette époque, il a des difficultés
financières et sa santé est délicate. Toutefois sa production littéraire continue.
De 1877 à 1880, il s’atèle à la rédaction de Bouvard et Pécuchet, qu'il avait entamée
en 1872-1874. Mais la mort l'emporte, le 8 mai 1880, à Canteleu, au hameau de Croisset.
L’ouvrage paraîtra quand même, en publication posthume, en 1881.
De son temps à la fois contesté - pour des raisons morales - et admiré - pour sa force
littéraire -, Flaubert apparaît aujourd'hui comme l'un des plus grands romanciers de son
siècle.
III. L’œuvre de Flaubert
Gustave Flaubert est un auteur profondément pessimiste qui se situe à la charnière
du romantisme et du réalisme. Il est intéressant de noter que des auteurs comme Guy de
Maupassant, Zola et Daudet le considèrent comme leur maître.
Après sa mort, il prend une place de plus en plus importante dans la littérature
française en tant que chef de file de l'école réaliste. Pourtant, Flaubert jugeait son œuvre
trop complexe pour pouvoir la classifier. Il s’est d’ailleurs défendu de son vivant d’être le
meneur d’un quelconque mouvement littéraire. Il affirmait plutôt la dualité de son œuvre : « Il
y a en moi, littérairement parlant, deux bonshommes distincts : un qui est épris de
gueulades, de lyrisme, de grands vols d'aigles, de toutes les sonorités de la phrase et des
sommets de l’idée ; un autre qui creuse et fouille le vrai tant qu'il peut. »
A la recherche de la vérité sous les apparences, il décrit, tel un médecin, la réalité
avec la plus grande objectivité et une précision scrupuleuse, presque scientifique. « La
littérature prendra de plus en plus les allures de la science », déclare Flaubert. Le roman
flaubertien se devait d'obéir à deux disciplines corollaires : l'observation scientifique et
l'impassibilité de l'observateur. Cette impassibilité cède pourtant souvent le pas à une ironie
féroce. Flaubert se moque de tout, il est l'écrivain du dérisoire.
D’un autre coté, l’influence qu’il a le plus profondément subie est celle du romantisme
finissant. Les aspirations des romantiques ont été balayées, il n’y a plus d’espoir, ceci
expliquant le pessimisme qui règne dans l’œuvre de Flaubert. La plupart de ses
personnages souffrent, tous pour les mêmes raisons : ils se sont fait une idée par avance sur
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les sentiments qu'ils éprouveront et sont forcément déçus. Ses personnages se coupent du
monde pour finalement devoir confronter leurs idéaux à la réalité. Partout, leurs espoirs
viennent de leurs conversations ou lectures, et l’on peut aisément établir un parallèle avec
Flaubert lui-même. L’homme était empli d’espoir romantique, suite à ses nombreuses
lectures de jeunesses, mais a rapidement dû déchanter.
Il n’y a pas de passage d’un courant à l’autre dans l’œuvre de Flaubert, il alterne
production d’influence romantique et réaliste.
Selon lui, le génie littéraire n’existe pas. La ténacité est suffisante pour se livrer au
travail long et difficile d'écrivain. Flaubert rompt ainsi avec la tradition de l'artiste inspiré.
Obsédé par le style, il rature et réécrit sans cesse ses textes. Les multiples versions de La
Tentation de Saint-Antoine attestent bien ce comportement, de même que la durée que lui a
pris la rédaction de Madame Bovary : 56 mois, presque 5 ans. Flaubert vérifiait même si ses
textes « sonnaient » bien à l’oral. Il les soumettait donc à l’épreuve du « gueuloir » devant
des invités, tant pour avoir leur avis général, que pour pouvoir entendre ses productions. Si
beaucoup de gens jugent Flaubert comme un génie précoce, et il l’était sans doute, Madame
Bovary, son premier roman publié ne paraît que lorsque Flaubert est âgé de trente ans.
Chaque roman de Flaubert a son style. Madame Bovary est un roman de mœurs,
Salammbô est un récit antique, L’Education sentimentale est considérée comme son
ouvrage politique, en raison de son contexte, les mois de la révolution de ‘48, Bouvard et
Pécuchet est presque une œuvre scientifique et il s’intéresse à la religion dans La Tentation
de Saint-Antoine. Flaubert écrit par ailleurs des contes et même un vaudeville pour le
théâtre.
En dehors de ses principales œuvres, l’écrivain échangeait avec ses amis une
impressionnante correspondance. Elle constitue en elle-même un véritable chef d’œuvre qui
permet de mieux connaître l’homme. Flaubert considérait pourtant que l'écrivain doit rester
absent de son œuvre et déclarait : « L’artiste doit faire croire à la postérité qu’il n’a pas
vécu. »
Flaubert est sans doute l’écrivain français à qui on accorde le plus facilement
le mot « modernité », concept qu’il a aidé à faire exister voire même qu’il a
créé de fait.
Flaubert est celui qui conteste.
Son écriture dans sa forme et dans son fond fonctionne résolument contre son
siècle. L’auteur s’inscrit partout et toujours contre les idées dominantes de son
temps, il est celui qui dit « non » à tout ce qui dirige, qui fait la mode et les
courants et ainsi. Il est plus proche de nous que n’importe quel auteur non
seulement du XIXème mais de toute l’histoire littéraire.
Ses observations sur la société et sur les mœurs de son siècle sont faites
d’abord d’observations, de descriptions mais surtout de critiques et de
distances. Quoiqu’il arrive, Flaubert, sans crainte, exprime son désaccord, le
défend, l’assume.
Michel Tanner
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IV. Bouvard et Pécuchet
« Ce sera une espèce d'encyclopédie de la Bêtise moderne. Vous voyez que le sujet
est illimité. »
(Flaubert à Adèle Perrot le 17 octobre 1872)
Par une chaude journée d'été, à Paris, deux hommes, Bouvard et Pécuchet, se
rencontrent. Ils découvrent que, non seulement ils exercent le même métier - copiste - mais
qu’en plus ils ont les mêmes centres d'intérêts. S'ils le pouvaient, ils aimeraient vivre à la
campagne. Un héritage fort opportun va leur permettre de changer de vie. Ils reprennent une
ferme dans le Calvados, non loin de Caen et se lancent dans l'agriculture. Leur incapacité à
comprendre va n'engendrer que des désastres. De la même manière, ils vont s'intéresser à
la médecine, à la chimie, à la géologie, à la politique avec les mêmes résultats. Lassés par
tant d'échecs, ils retournent à leur métier de copiste.
Dans ce roman, Flaubert s’attache à démontrer à quel point les savoirs dont se
targuent ses contemporains sont loin d’être complets, ils se contredisent même parfois les
uns des autres. Il déconstruit ainsi l’une après l’autre l’ensemble des disciplines scientifiques
de son époque. Il disait : « Je veux montrer que l'éducation, quelle qu'elle soit, ne signifie
pas grand-chose, et que la nature fait tout ou presque tout. »
Avant de s’attaquer à la rédaction de cette « encyclopédie », de nombreuses
recherches furent nécessaires dans tous les domaines dont il traite, et dans ses
correspondances il fait d’ailleurs état à plusieurs reprises de son travail. Durant des années,
il recopie, réécrit et stylise des pages entières de traités, de manuels et d'encyclopédies.
« J'avale force volumes et je prends des notes. Il va en être ainsi pendant deux ou trois ans,
après quoi je me mettrai à écrire. »
Sa tâche ne s’arrête pas là, en effet un autre défi s’offrait à lui, il s’agissait de rendre
cet ouvrage attrayant pour le lecteur sans tomber dans le rébarbatif d’une encyclopédie.
« On peut dire que la moitié de la vie de Gustave Flaubert s'est passée à méditer
Bouvard et Pécuchet, et qu'il a consacré ses dix dernières années à exécuter ce tour de
force. Liseur insatiable, chercheur infatigable, il amoncelait sans repos les documents. Enfin,
un jour, il se mit à l’œuvre, épouvanté toutefois devant l'énormité de la besogne. « Il faut être
fou, disait-il souvent, pour entreprendre un pareil livre. » Il fallait surtout une patience
surhumaine et une indéracinable bonne volonté. » déclare Maupassant.
Durant ces années d’écriture, Flaubert va abandonner une première fois la rédaction
du roman, avant de s’y remettre, tant celui-ci le ronge. « Ça ne va pas du tout ! Bouvard et
Pécuchet sont restés en plan. Je me suis lancé dans une entreprise absurde. Je m'en
aperçois maintenant, et j'ai peur d'en rester là. Je crois que je suis vidé.» Cette idée qui
trottait la tête depuis tant d’années ne pouvait pas s’arrêter. Il n’a malheureusement pas eu
la possibilité de terminer cette œuvre, en effet, le roman que nous connaissons ne constitue
que la première partie du plan prévu. Malgré tout, pour de nombreux critiques actuels,
Bouvard et Pécuchet reste l'illustration et l'aboutissement du parcours intellectuel de
Flaubert.
Maupassant écrit un billet dans Le Gaulois du 6 avril 1881 sur Bouvard et Pécuchet. Il
s’agit d’un résumé écrit à l’occasion de la publication posthume de l’œuvre : « Le livre est
donc une revue de toutes les sciences, telles qu'elles apparaissent à deux esprits assez
lucides, médiocres et simples. C'est en même temps un formidable amoncellement de
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savoir, et surtout, une prodigieuse critique de tous les systèmes scientifiques opposés les
uns aux autres, se détruisant les uns les autres par les éternelles contradictions des auteurs,
les contradictions des faits, les contradictions des lois reconnues, indiscutées. Des
croyances établies pendant des siècles sont exposées, développées et désarticulées en dix
lignes par l'opposition d'autres croyances aussi nettement et vivement démontrées et
démolies. De page en page, de ligne en ligne, une connaissance se lève, et aussitôt une
autre se dresse à son tour, abat la première et tombe elle-même frappée par sa voisine. »
Notes dramaturgiques de Michel Tanner
Le théâtre a ceci d’universel que quelle que soit la pièce de répertoire ou
contemporaine sur laquelle on se penche et sur laquelle on pose une étude
« dramaturgique », les découvertes qu’on y fait rejoignent toujours l’actualité, le quotidien, la
vie. C’est ce qui autorise à dire que le théâtre, quelle que soit l’époque où il a été écrit est
toujours contemporain et que son propos, depuis la tragédie grecque, est toujours
d’actualité.
Le théâtre a toujours des résonances de ce qui nous touche de près même quand il
vient d’un passé lointain. Ainsi, dans l’adaptation de Bouvard et Pécuchet, nous nous
sommes confrontés à chaque chapitre à un sujet dont nous avons retrouvé des « traces »
(comme l’archéologie) dans la presse et dans des livres lus pendant le temps de
l’adaptation.
Dans un premier regard, ce qui intéressait l’équipe de création était le couple, la
gémellité, le complément en termes d’amitié, d’amour, de nos deux compères et ce dans
l’accord comme dans la discorde, dans la recherche comme dans la découverte. Le
reproche en son temps avait été fait à Flaubert d’avoir créé des personnages trop proches,
trop semblables, reproche qui dans un grand paradoxe a été émis par les frères ( ! )
Goncourt. Nous avons tenté d’éviter le piège recherchant nombres de différences entre eux,
en insistant sur leurs particularités propres. Remarquons en passant que gnome et nain de
jardin sont souvent les symboles, les icônes proposées pour « illustrer » Bouvard et
Pécuchet. Leur envie première de cultiver et d’aménager leur jardin ajoute encore à la
redondance de ces images.
Il nous est apparu, au départ de l’œuvre de Flaubert, et dans le registre comique qu’il
a voulu imprimer aux rapports entre Bouvard et Pécuchet, qu’il ne s’agissait pas d’un seul et
même personnage qui prenait des apparences diverses mais de deux entités distinctes qui
évoluent avec l’apprentissage et l’acquisition de la connaissance et qui, à tour de rôle prend
l’ascendant sur son compère. Bouvard et Pécuchet ne sont pas des individus monolithiques,
mais conservent la même position du début à la fin. Nous ne retrouvons pas dans leurs
relations celles de Don Juan et Sganarelle, par exemple et moins encore celles du Barbon et
du Blondin des comédies de Molière !
Bouvard et Pécuchet évoluent tout au long de leur fin de vie, en apprenant, en
communiquant l’un à l’autre leur savoir (nouveau et ancien) et en étant fier de leur science
nouvelle, même quand il s’agit d’un acquis bien superficiel. Ils ont une influence réciproque,
ils déteignent l’un sur l’autre et concluent qu’ils sont sans doute incapables de digérer « tant
d’écrits, tant de mots, tant de phrases ».
Les résultats de leurs études sont toutefois très étonnants puisque Bouvard et
Pécuchet, dans une métamorphose progressive ne deviennent sans doute pas plus
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intelligents, ni plus savants (au contraire pourrions-nous dire) mais petit à petit
« comprennent » la bêtise et la supporte de moins en moins facilement.
… l’universalité du théâtre n’est pas que légende.
Ainsi, et le propos est plus essentiel sans doute, nous avons traité la partie « Les
Origines de l’homme » dans l’adaptation théâtrale du roman au moment même ou le
Darwinisme est remis en cause par la triste pensée créationniste. Tant les quotidiens que les
revues n’ont pas manqué d’en faire écho.
Déjà à la fin du 19ème siècle, Flaubert et sa fulgurante pensée s’interroge sur l’origine
et l’évolution de l’homme dans un de ces chapitres où nos « étudiants » confrontent leur
théorie respective.
Pécuchet : C’est Buffon qui le dit : un jour, il y a longtemps, une comète a
heurté le soleil, il s’en est détaché une portion : la terre. Au début, l’eau
recouvrait la totalité de la surface de la planète et la mer a déposé des
sédiments et des coquillages.
Bouvard : Voilà pourquoi on en trouve parfois loin de la mer.
Pécuchet : Quand l’eau s’est retirée dans les cavernes, les continents, les
animaux puis les hommes sont apparus.
Bouvard : Incroyable, magnifique, grand. Mais n’est-ce pas contraire aux
Saintes Ecritures, à la Genèse.
L’homme descend du singe, voilà tout.
Pécuchet : Tu as peut-être raison, sans doute…Je veux bien admettre que
cela ne peut être LA vérité. Il est certain que la lumière n’a pu être créée
après le soleil, qui est la seule source de lumière.
Bouvard : A la bonne heure !
Pécuchet : Les animaux n’ont évidemment pas pu apparaître sous leur
forme tout d’un coup. Cela fait drôle de se dire que nous descendons du
poisson…
On dirait que ces assauts révisionnistes, du cours des siècles, sous des aspects
divers reviennent de manière récurrente...
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V. Le spectacle
Mis en scène par Michel Tanner, le spectacle réunit une nouvelle fois Guy Pion
(Bouvard) et Jean-Marie Pétiniot (Pécuchet), qui jouent ainsi leur treizième pièce ensemble !
Le défi était de taille pour le metteur en scène qui a également été l’adaptateur du
texte, car il nous ramène la totalité des 500 pages traitant sur le savoir en une heure trois
quart de spectacle. Pour cela, Michel Tanner a retravaillé les deux tiers des dialogues, et ce
sans perdre l’essence de l’œuvre de Flaubert.
La pièce a été créée au Festival au Carré de Mons en juillet 2006, puis au Festival de
Théâtre de Spa en août .
LA PRESSE
« Chapeau bas Messieurs ! Vos Bouvard et Pécuchet vous collent à la peau et nous
captivent. Ils excitent la pensée, frôlent l’émotion et mettent en joie ! (…)Ramener en une
heure quarante et en théâtre les 500 pages de Gustave Flaubert, où les strates du savoir
universel du XIXème siècle - et sa critique féroce - se télescopent à la vitesse de la lumière,
il fallait une bonne dose d’inconscience… et d’intelligence ! Michel Tanner a foncé, son
adaptation a taillé dans le vif, remodelé les deux tiers du dialogue, et forgé une vraie matière
scénique, sans jamais perdre de vue la moelle de l’œuvre. (…) Entre Guy Pion et JeanMarie Pétiniot, il y a du clown qui lorgne vers Beckett, avec ce mélange de naïveté,
d’absurde et de ferveur. Leur duo, bien croqué dans leurs individualités, est drôle et coule de
source. (…) Il court entre eux cette tendre amitié qui résiste à leurs bêtises et que nuance
admirablement la direction de Michel Tanner. »
(Michèle Friche, Le Soir, 7 juillet 2006)
« On n'oubliera pas de sitôt le tandem composé par Guy Pion et Jean-Marie
Pétiniot.(…) Guy Pion campe un Bouvard débonnaire, tendre et un tantinet suffisant, face au
Pécuchet névrosé et introverti de Jean-Marie Pétiniot. Ils n'en font ni trop ni trop peu,
promenant leurs personnages dans le labyrinthe du savoir avec une faconde à la fois ludique
et pathétique. Il faut saluer chaleureusement l'adaptation de Michel Tanner, également
responsable de la mise en scène. Il est parvenu, en effet, en l'espace d'une heure et demie,
à embrasser l'ensemble de l'oeuvre, à restituer sa tonalité et ses enjeux, à être complet sans
se perdre dans une chimérique exhaustivité (le roman fait quatre cents pages bien tassées).
(…) Théâtre philosophique et divertissant, métaphore misanthrope du couple et critique
radicale du positivisme voire de la connaissance en soi, ce Bouvard et Pécuchet illustre
brillamment le constat de Flaubert: « La bêtise n'est pas d'un côté et l'esprit de l'autre, c'est
comme le vice et la vertu. Malin qui les distingue.» »
(Philip Tirard, La Libre Belgique, 7 juillet 2006)
L’EQUIPE
Guy Pion
Guy Pion sort de l'I.A.D. en 1972. Il joue immédiatement à l'année au Théâtre
National de Belgique et ce pour 4 ans. Il passe par le Parvis dirigé par Marc Liebens de ’76 à
’80 et arrive cette année-là à l’Atelier théâtral de Louvain-la-Neuve. En 1982, sous
l’impulsion de plusieurs comédiens se joue L'Eveil du Printemps de Frank Wedekind. Le
succès est d’une rapidité incroyable. De 8 représentations, ce spectacle fait salles combles 6
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semaines au Théâtre Jean Vilar. Cette première création marque la naissance du Théâtre de
l’Eveil, dirigé par Guy Pion. En 36 ans de carrière, Guy Pion a participé à plus de 100
spectacles, que ce soit en tant qu’acteur, mais aussi au niveau de l’écriture et de la mise en
scène. Il a ainsi mis en scène plus de vingt spectacles. L’acteur apparaît aussi à l’écran,
dans les productions télévisuelles ou cinématographiques. Il joue dans des séries françaises,
des films, courts ou long-métrages, au total, une vingtaine d’apparitions.
Le Théâtre de l’Eveil
Le Théâtre de l’Eveil existe depuis 1982. Encore aujourd’hui, il est formé et géré
exclusivement par des comédiens professionnels. En 1990, il s’est installé en résidence au
Centre Culturel Régional de Mons. Il s’agit de la résidence principale de la compagnie et
surtout du point de départ de sa diffusion vers le reste de la Communauté Wallonie-Bruxelles
et vers l'étranger. Car pour bouger, ça bouge au Théâtre de l’Eveil ! Aussi bien
géographiquement que dans le registre de leurs spectacles. D’hier à aujourd’hui, la route de
l’Eveil a été jalonnée de créations des plus marquantes._Citons parmi celles-ci : La Légende
d’Ulenspiegel d’après Charles Decoster en 1984, L’Opéra de Quat’sous en 1999, La Nuit
des rois de Shakespeare en 2002, Moscou nuit blanche de Thierry Debroux et Mort
accidentelle d’un anarchiste de Dario Fo en 2003, La Noce chez les petits bourgeois en 2004
et cette saison Bouvard et Pécuchet.
Le Théâtre de l’Eveil a fêté ses 20 ans au Théâtre Le Public en 2002 avec Les
Jumeaux vénitiens, spectacle accueilli en 2003 au Théâtre Jean Vilar.
« Il nous plaît de penser que le spectacle, tout spectacle, est en devenir, perfectible
et sujet à controverses. Il exige d'être perçu comme le moment d'une démarche et non
comme un événement isolé plus ou moins bien réussi… » (Guy Pion)
Jean-Marie Pétiniot
Jean-Marie Pétiniot obtient son diplôme d’acteur à l’INSAS. Comédien passionné, il
tiendra très vite des rôles importants sur les plus grandes scènes du pays et notamment au
Théâtre du Parvis, au Théâtre National, au Théâtre des rues, au Théâtre Royal des Galeries,
au Théâtre de l’Esprit-Frappeur et surtout au Rideau de Bruxelles. Il y travaillera sous la
direction de Claude Etienne, Pierre Laroche, Nele Paxinou, Jacques Huisman, Daniel
Leveugle et de son ami disparu le réalisateur de cinéma français – Xavier Morell.
Les auteurs qu’il interprète alors sont Blaise Pascal, Dostoïevski, Apollinaire, Garcia
Lorca, Racine, Gorki, Willems, Shakespeare, Gatti.
C’est en 1977 qu’il rencontre Armand Delcampe et puis Benno Besson. Il joue Le
Cercle de craie caucasien de Bertolt Brecht à Avignon en ‘78. En 1979, il joue dans
Lorenzaccio de Musset, mis en scène par Otomar Krejca. Puis dans Les Trois Sœurs de
Techkhov, Le Perroquet vert de Schnitzler, Les Démons de Dostoïevski.
En 1982, il participe avec Guy Pion à la création du Théâtre de l’Eveil au sein duquel
il interprètera L’Eveil du Printemps de Frank Wedekind ou encore Salut Lenny compilation de
textes de Lenny Bruce. Deux succès très remarqués sur les scènes de notre pays.
En 1988, il retrouve Benno Besson à la Comédie de Genève et joue Un homme est
une homme de Bertolt Brecht.
A partir de cette expérience il travaillera beaucoup avec Bernard Debroux à Espaces
Sud à Namur.
Il sera de La Conquête du Pôle Sud de Manfred Karge au Théâtre National dans une
mise en scène de Philippe Van Kessel.
Parallèlement, en 1989, il crée Moi quelque part d’après des textes de Michel de
Ghelderode, avec Christian Leblicq, le responsable du Théâtre Hyposhésarts.
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Avec Leblicq, il crée en 1993 The naked man d’après l’œuvre de Bukowski. Le
spectacle sera joué plus de 130 fois – en tournée à Namur et au Théâtre de Poche – ainsi
qu’à l’Atelier théâtral de Louvain-la-Neuve lors de la saison ‘96-97.
Depuis 1996, il a retrouvé Armand Delcampe qui le dirige dans le rôle de Tartuffe,
dans la comédie de Molière et dans celui de Puntila dans Puntila et son valet Matti de Bertolt
Brecht.
A l’Atelier Théâtre Jean Vilar, il interprète Les contes de Mirbeau en ’97-98 avec
Marie-Line Lefebvre. Il joue le père dans Conversation en Wallonie de Jean Louvet au
Théâtre Jean Vilar en 2001 et 2003 et Machetu dans Ornifle ou le courant d’air de Jean
Anouilh. Il est un magnifique Saint-François dans François, le Saint jongleur en 2004 et
2005.
Au Théâtre Royal du Parc, on le retrouve en 2002, dans Le Diable et le bon dieu de
Sartre, dans une mise en scène de Jean-Claude Idée et il vient de terminer la série du
spectacle Amadeus.
Le metteur en scène et adaptateur, Michel Tanner
Né en 1947, Michel Tanner est depuis 1998 le Directeur de la « Fabrique de
Théâtre », service provincial situé à la Bouverie. Diplômé de l'I.N.S.A.S., il a assuré, de 1973
à 1978, une émission hebdomadaire sur les coutumes et les usages culturels régionaux sur
les ondes de la R.T.B. Il entre en 1978 à la Direction Générale des Affaires culturelles de la
Province de Hainaut comme Directeur du Service de Diffusion théâtrale et devient, dès 1985
responsable de Promotion Théâtre. Président du Centre Dramatique Hainuyer en 1985, il en
sera le Directeur artistique de 1990 à 1999. En 1989-1990, il exerça la fonction de Directeur
de stage de formation pour l'analyse dramaturgique, théorie et pratique et, en 1995 fut
désigné comme chargé de cours pour la formation de régisseurs (histoire de la
représentation et dramaturgie).
Michel Tanner est l'auteur de nombreux textes, écrits pour le théâtre (De la misère,
des luttes, de l'espoir, Malva, Constant), le théâtre de plein air (Le jeu de Boussu, Le jeu de
Saint Ghislain, Mons Passé Présent, Le Mystère de Mons, La petite graine), le théâtre de
marionnettes (Iphigénie, Electre, Ajax).
Il compte à son actif une multitude de mises en scène (Le Marchand de Venise, Le
Bourgeois gentilhomme, Les Bacchantes…) et de dramaturgies (Oncle Vania, La Ronde, La
Voix humaine, Bouvard et Pécuchet…).
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Bibliographie
Ouvrages
Sandrine Berthelot, Gustave Flaubert, Ellipses, Paris, 1999.
Jean-Paul Santerre, Leçon littéraire sur Bouvard et Pécuchet de Gustave Flaubert,
Sedes, Paris, 1988.
Rose Fontaine, Le roman français au XIXème siècle, Les universités de France, coll.
Que sais-je ?, Paris, 1982.
Sites Internet
http://fr.wikipedia.org/wiki/Accueil
Cohen C., Bouvard et Pecuchet réécrivent les sciences, Alliage, numéro 37-38, 1998,
consulté sur la page web : http://www.tribunes.com/tribune/alliage/37-38/cohen.htm
Le site web consacré à Gustave Flaubert :
http://perso.orange.fr/jb.guinot/pages/accueil.html
Le site web de l’université de Rouen : www.univ-rouen.fr/flaubert/
Presse
Michèle Friche, La moelle de Flaubert, sa féroce lucidité, Le Soir du 7 juillet 06.
Philip Tirard, Bouvard et Pécuchet, en chair et en os, La Libre Belgique du 7 juillet 06.
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