LES SYNDICAT VITIVINICOLE EN BOURGOGNE DE 1884 À LA
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LES SYNDICAT VITIVINICOLE EN BOURGOGNE DE 1884 À LA
LES SYNDICAT VITIVINICOLE EN BOURGOGNE DE 1884 À LA MISE EN PLACE DES AOC – HISTOIRE ET RÔLE DANS LA CONSTRUCTION DU SYSTÈME D'APPELLATION résumé de la conférence donnée le 27 avril 2010 à Puligny par Olivier Jacquet, docteur en histoire contemporaine, université de Bourgogne. 1.Les premiers syndicats 1.1.: la loi de 1884 La loi Waldeck Rousseau du 21 mars 1884, au départ destinée à l'industrie, est étendue lors de son passage devant le sénat grâce à une extension au mode agricole, sur proposition du sénateur du Doubs Oudart. Elle autorise de se réunir librement au delà de 20 personnes « exerçant la même profession, des métiers similaires, ou des professions connexes concourant à l'établissement d'un produit déterminé ». En particulier, cette loi autorise les associations professionnelles ainsi créées à « ester en justice » collectivement. C'est notamment cette existence juridique collective qui permettra aux vignerons de défendre leurs intérêts au cours des XIXe et XXe siècles, et en particulier de s'émanciper de la tutelle du négoce en procurant aux vignerons ainsi réunis un poids important. 1.2.le contexte de développement des premiers syndicats : crise phylloxérique et républicanisation des campagnes L'arrivée du Phylloxéra dès la fin des années 1860 ravage le vignoble français. Mais la maladie va en fait sévir sur de nombreuses années, et ne touchera pas toutes les régions françaises au même moment. Les premiers traitements au sulfure de Carbone, très chers et donc finalement réservés à une certaine élite économique, laissent place assez vite à la technique du greffage sur pieds américain. Mais la reconstitution du vignoble suite à ce désastre du phylloxéra ne peut se faire en un jour, et, forcément, les premiers touchés auront été les plus réactifs. Ainsi, lorsque la crise phylloxérique atteint la bourgogne, des vignobles greffés ont déjà été reconstitués, en particulier en Languedoc et en Algérie. La production chute donc en même temps que la concurrence s'accroit. Bizarrement, malgré la chute de la production, la quantité de vin vendu sous le nom de Bourgogne et de certains crus reste pratiquement stable...les falsifications et contrefaçons sont alors très nombreuses. En parallèle à la crise phylloxérique, on assiste suite à l'avènement de la IIIe république en 1875, à un processus de républicanisation des campagnes. En effet, si la république est déjà bien installée dans les villes, elle doit faire face dans le monde rural à des notables et un clergé encore très puissants, détenteurs à la fois du capital culturel et du capital économique. En face la république va s'appuyer sur l'éducation (l'instituteur, le professeur d'agriculture), et va s'attacher à la défense de la petite propriété. Les syndicats et leurs actions seront également un des socles de l''établissement définitif de la république dans les campagnes. Ainsi, les premiers syndicats sont-ils plutôt urbains (le syndicat viticole de la Côte dijonnaise, SVC Chalonnaine, celui de Mâcon) et vont regrouper l'ensemble des agriculteurs d'une région, ainsi que des notables républicains locaux, ou encore des hommes de loi.... En tout cas, il ne sont à l'époque pas des syndicats purement viti-vinicoles, sauf exception. (Un des précurseurs est le syndicat de Puligny créé en 1886). 1.3. Les premières actions syndicales Les premières actions syndicales sont très reliées au contexte évoqué précédemment. Les premières actions ont surtout pour but de palier à la crise, en mettant sur pied par exemple des coopératives d'achat. Les premières actions syndicales s'orientent donc autour des points suivants : –les syndicats boutiques qui permettent des achats de matériel ou d'intrants en commun –la mise en place de cours d'agriculture et d'écoles, la création de bibliothèques –des actions techniques autour de champs expérimentaux et de concours –des actions de lutte collective comme la création de syndicats grélifuges utilisant des canons à grêles. Cette première partie d'existence des syndicats, si elle n'est pas liée directement lié à la mise en place des AOC, va surtout permettre aux vignerons de se fédérer, d'apprendre l'action collective, d'avoir une « cagnotte » grâce aux actions des syndicats boutiques et enfin d'acquérir un savoir-faire technique, y compris un savoir vinicole qui était surtout alors détenu par le négoce. De fait, ces premiers syndicats constituent le socle à partir duquel vont pouvoir se développer des actions beaucoup plus large, qui vont parfois remettre en cause en profondeur la réglementation, le commerce, mais aussi l'image véhiculée par le vin. 2. 1905-1919 : Le temps des mutations et la marche vers les AOC 2.1. Les textes et lois sur le vin : des initiatives principalement issues de syndicats du négoce A partir de la loi de 1884, une quirielle de textes va se succéder, surtout à l'initiative de syndicats de négociants. Les plus importants étant les suivants : –la loi Griffe de 1889 donnant une définition légale au vin qui doit alors être issu « de la fermentation de raisins frais » –la loi d'août 1905, première loi réellement coordinatrice consacrant les « usages locaux, loyaux et constants » –la loi du 29 juin 1907 tendant à prévenir le mouillage des vins et les abus de sucrage. ce n'est qu'à partir de la loi du 6 mai 1919 et de sa mise en place que les syndicats bourguignons vont avoir une réelle et essentielle implication. 2.2.Des mutations syndicales importantes Entre la loi de 1884 et le début du XXe siècle, le monde syndical subit d'importantes mutations, se structure et commence vraiment à peser. On ne parle plus de syndicats-boutique, mais les nouvelle structures qui apparaissent sont d'avantage centrées sur le vignoble (et non plus seulement sur la ville ou la grande région agricole), et leur actions s'attachent surtout à la défense des intérêts particuliers des vignerons et à la lutte contre la fraude. Dès 1905, des fraudeurs (la plupart du temps négociants) vont se faire prendre, mais ce n'est qu'à partir de 1908 qu'un décret va permettre aux syndicats de s'attacher un agent de la répression des fraudes pour mieux lutter localement contre ces malversations. C'est également à ce moment que les premières grandes fédérations syndicales (comme la Confédération Générale des Associations Viticoles de Bourgogne) vont être créées. En réunissant tous les syndicats, ces structures vont permettre de peser jusqu'au plan national, au niveau de la chambre des députés. Cette plus grande force de pression va être accentuée par un changement de nature politique : en 1902 le député de Beaune Henri Ricard, proche du négoce, est battu par un vigneron, Etienne Camuzet. A ses côté siègera pour Dijon un autre Vigneron, JB Bouhey-Allex. Ces deux « députés-vignerons » sont socialistes, ce qui est capital car l'idéal socialiste est à l'époque de favoriser le petit propriétaire par rapport au grand. La perte d'influence politique du négoce se confirme en 1906 puis 1910, avec les défaites d'Albert Bichot, candidat républicain à la chambre et issu du négoce propriétaire. A partir de là, les syndicats vignerons vont peser de plus en plus jusqu'à la loi de 1919. 2.3. la loi de 1919 sur les appellations d'origine : une entreprise syndicale bourguignonne A partir de la loi de 1905, la délimitation des vignobles se faisait de manière administrative, au niveau préfectoral, ce qui a pu poser plusieurs problèmes (par exemple, la délimitation de l'appellation Bordeaux s'était à l'époque concentrée sur la Gironde, excluant de fait les départements limitrophes pourtant plus gros producteurs de vins historiquement vendus comme Bordeaux. Les limites de la délimitation administrative des appellations sont à nouveau visibles en 1910 lorsque l'Aube est exclue de l'appellation Champagne. Devant les problèmes posés par la délimitation par voie administrative, est lancée une réflexion impliquant les politiques, l'exécutif et les syndicats. C'est alors que le ministre de l'agriculture Jules Pams propose en 1910 une loi sur la délimitation par voie judiciaire, déclarant que les tribunaux auront à tenir compte « de l’origine, de la nature, de la composition, des qualités substantielles du produit vendu ». Ce terme de qualité substantielle sera la pierre d'achoppement de l'opposition entre le négoce et la petite propriété vigneronne durant la genèse de cette loi. Le négoce pratique en effet à l'époque « les équivalences ». C'est à dire qu'un raisin venant d'une origine X peut être utilisé pour un vin d'une appellation Y, si sa qualité est jugée équivalente. Ce principe d'équivalence et les assemblages qui en résultent permettent alors au négoce de beaucoup mieux contrôler une certaine constance dans la qualité de ses productions, avec une stratégie commerciale plus proche d'une stratégie de marque. « Ce qu'il faut demande à un produit c'est sa qualité et non son origine ». ainsi pouvait-on retrouver sous l'appellation Gevrey des vins issus de l'assemblage de raisins, moût ou vins provenant de plusieurs régions, tant que le vin produit était de qualité équivalente à ce que l'on pouvait attendre de la « marque » Gevrey. Par rapport à cela, on pourrait définir le système d'appellation que souhaiteraient mettre en place les vignerons comme une marque collective, qu'il faut défendre avec comme but que les raisins revendiquant une appellation proviennent effectivement de la zone géographique concernée. Les vignerons vont donc aller contre cette vision basée sur la qualité avant l'origine. L'unité syndicale existe sur ce point en Bourgogne, ainsi qu'avec une partie des régions regroupées au sein de la fédération des associations viticoles de France. Soutenus par des députés acquis à leur cause, les syndicats vignerons vont être entendus et un amendement déposé par les députés bourguignons sera voté en 1913 pour exclure de la loi cette notion de qualité substantielle. La loi finalement voté en 1914, ne sera promulguée telle qu'elle qu'après guerre le 6 mai 1919. Les vignerons ont gagné en particulier face au négoce non propriétaire : la définition des appellations devra se faire non pas sur la qualité mais sur l'origine. Les négociants pratiquant les équivalences et les assemblages devront être obligés de vendre leur production sous une marque commerciale « individuelle » et non sous la marque collective que constitue une appellation. 3. 1919-1940 : la lutte contre les fraudes et la mise en place effective des premières appellations d'origine. La période de l’entre deux guerre est fondamentale : L’émancipation du négoce, des points de vue à la fois économiques, politiques et culturels, le développement de la mise en bouteille à la propriété, mais aussi et surtout la mise en place effective des appellations d'origine. La Confédération Générale des Association Viticoles de Bourgogne de par son statut d'association (loi de 1901), n'est pas à proprement parlé un syndicat, et ne peut directement attaquer des fraudeurs éventuels en justice. C'est spécifiquement pour s'attacher un inspecteur de la répression des fraudes et avoir la possibilité d'intenter des actions en justice qu'est créé en 1912 le Syndicat de Défense de la Viticulture Bourguignonne, émanation directe de la CGAVB. Petit à petit, en particulier du fait de cotisations élevées (pour payer l'inspecteur de la répression des fraudes), ce syndicat va devenir un syndicat de propriétaires de crus. Présidé après la guerre par le marquis Sem d'Angerville, propriétaire à Volnay, le SDVB va engager et remporter 187 procès entre 1920 et 1940. Les fraudeurs visés sont essentiellement des négociants, mais aussi des établissements gastronomiques de renom accueillant des élites parisiennes, gastronomes, journalistes et autres prescripteurs. Cela a son importance, car en plus des amendes, dommages et intérêts, et peines de prison avec sursit qui sont prononcés, l'obligation d'insertion de ces jugement dans la presse va faire de la publicité à la fois contre les fraudeurs et pour les appellations citées. Ces jugements vont permettre une certaine médiatisation et la mise en avant des vins d'appellation « vignerons » auprès de prescripteurs influents. Mais la lutte contre les fraudes et l'importance économique des jugements rendus vont créer des tensions qui vont être exacerbées par la mise en place des Appellations d'Origine. Les « usages locaux loyaux et constants » vont donner lieu à des interprétations diverses selon les contextes historiques, les jeux d'acteurs et les rapports de force. –L'exemple de la délimitation de l'appellation Gevrey-Chambertin : le procès oppose des vignerons de Gevrey, à des vignerons de Brochon et Morey-Saint-Denis revendiquant également cette appellation dans leurs déclarations de récolte. Les vignerons de Gevrey avancent un argumentaire administratif et « cadastral » souhaitant limiter l'appellation Gevrey-Chambertin aux seules parcelles appartenant au village (sauf une partie de Brochon dont des vignerons de Gevrey sont propriétaires). En face, c'est l'usage commercial qui est avancé, les raisins concernés étant historiquement vendus sous l'appellation GevreyChambertin. Ce sont les arguments avancés par le syndicat de Gevrey qui l'emportent. Dans ce cas, c'est donc l'argumentaire administratif et cadastral qui l'a emporté sur les usages commerciaux. –L'exemple de l'appellation Corton : les vignerons d'Aloxe, emmenés par Louis Latour, intentent un procès à des vignerons de Pernand et de Ladoix , car ils souhaiteraient limiter l'appellation Corton aux parcelles situées sur la commune d'Aloxe, s'appuyant également sur le plan de 1860 du comité d'Agriculture de Beaune. Face à cet argument sont avancés là encore les usages commerciaux, les vignerons de Pernand et Ladoix possédant des parcelles sur la colline de Corton prétendant avoir toujours vendu les raisins sous l'appellation Corton. Le premier procès en 1931 donne l'avantage à Ladoix et Pernand. Ce jugement est confirmé en appel, puis à nouveau cassé par décret en 1942. Enfin, le jugement initial est à nouveau confirmé après guerre au bénéfice des vignerons de Ladoix et Pernand, étendant l'appellation aux parcelles situées sur ces deux villages. Dans ce cas et contrairement à l'exemple de Gevrey-Chambertin, c'est l'argument commercial qui l'emporte sur l'argument administratif. En plus de ces argumentaires, on peut ajouter que dans cet exemple un argumentaire social et politique sera très important, car les maires de Ladoix et Pernand, étaient plutôt proche des socialistes et radicaux, alors que le maire d'Aloxe était plus proche des milieux de droite. Dans ce procès s'est donc joué également une opposition entre la petite propriété proche du socialisme et le grand négociant propriétaire plutôt classé à droite qu'était Louis Latour. –L'exemple de l'appellation Bourgogne : si la délimitation géographique s'est déroulée avec une certaine unité syndicale (on peut noter qu'à l'époque le fait que le Beaujolais ait droit à l'appellation n'avait pas fait débat), c'est plus sur l'encépagement que des batailles vont se jouer. A l'époque, il est proposé de limiter l'appellation aux seuls Pinot blanc, Pinot Noir et Chardonnay, rejetant le Gamay et l'Alligoté. L'argumentaire est surtout historique, basé sur des différences qualitatives appréciée par des différences de prix ou encore sur les écrits de quelques scientifiques (Ladrey, Guyot, Viala, Pacottet) qui n'attribuent le statut de plan fin au Gamay que sur certains sols granitiques (correspondant grosso modo aux actuels crus du Beaujolais). Sont également cités amplement des ouvrages plus généraux des « érudits savants » de la première moitié du XIXe (Julien, Morlot, Lavalle). Antérieurs à 1856, ces ouvrages donnent valeurs d'ancienneté aux usages et classement y étant établi. De même, il est fait appel à une ordonnance ducale de Philippe le Hardi de 1395 ordonnant l'arrachage du Gamay (la référence à un auteur du XVIIIe (Courtépée) tenant lieu d'unique preuve de l'existence de ce décret). Les vignerons de l'Yonne, de Saône et Loire et des Hautes-Côtes, zones dans lesquelles le gamay et d'autres cépages sont bien implantés et servent historiquement à la production de vins considérés comme fins, argumente sur l'usage commercial à l'époque qui fait que leurs raisins sont vendus sous le nom Bourgogne. Mais dans ce jugement, c'est l'argumentaire historique, s'appuyant sur les ouvrages savants du XIXe siècle qui va s’imposer. Notons au passage qu’un auteur comme Jules Lavalle est clairement conscient de la valeur subjective de son travail et qu’il le revendique lui-même dans son introduction. Comme toute production de « son temps », l’ouvrage savant du XIXe siècle s’inscrit bien entendu dans une approche « modelée » par un certain contexte historique et social. Ces trois exemples montrent que la mise en place des appellations d'origine en Bourgogne se jouent sur différents registres, à la fois historique, social, commercial, politiques, administratif... En tout cas sur des aspects humains et non naturels. Il est important de noter que lors des procès bourguignons, on ne parle quasiment pas de sols ou de géologie (sauf pour les appellations Bourgogne dans la Beaujolais des crus et pour l’appellation Chablis). Ce n'est qu'en 1935 que le CNAO (futur INAO) sera créé... sans que ne soient remises en cause la géographie des délimitations judiciaires de la première moitié du XXe. Ce n'est ensuite qu'à partir des années 40 que l'INAO va commencer à s'appuyer sur des experts géologues, agronomes, pédologues... pour définir ses délimitations. Si les facteurs naturels ont sans aucun doute une influence importante sur la production, il est néanmoins essentiel d'avoir à l'esprit que les délimitations et normes de production associées, sont une construction on ne peut plus humaine, dans laquelle les enjeux de pouvoir, de propriété, les enjeux économiques et sociaux, ont toute leur importance. En ce sens, le rôle des syndicats viti-vinicoles bourguignons jusqu'en 35 est majeur et central dans la vision moderne des appellations d'origine. De 1884 à 1940, les vignerons de Bourgogne, en bouleversant les normes de production et et de commercialisation des vins de leur région, vont faire preuve d’un engagement visionnaire peu commun dans le monde agricole. ***** Pour aller plus loin : « Un siècle de construction du vignoble bourguignon – les organisations vitivinicoles de 1884 aux AOC » de Olivier JACQUET, éditions universitaires de Dijon (facilement trouvable via internet ou en vente à L'Athenaeum à Beaune) « Appropriation et identification des territoires du vin: la lutte entre grands et petits propriétaires du «Corton» » Jacquet et Laferté, disponible sur internet au lien suivant : http://www.inra.fr/esr/publications/cahiers/pdf/laferte1.pdf