Les vertus intégratives du sport

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Les vertus intégratives du sport
Les vertus intégratives du sport : une question sociologique ?
Dans les sciences humaines et sociales, on assiste depuis peu à un renouvellement des
interrogations sur ce qui fait que la société tient ensemble et forme un tout malgré les facteurs de
fragmentation qui la travaillent. Transformation du lien social, ethnicisation des rapports
sociaux, apparition de nouvelles formes de pauvreté et d’exclusion, discrimination sexuée ; tout
donne à penser que nos sociétés peinent à assurer leur intégration1. Face à ce constat, le sport a
souvent été présenté comme un puissant ciment fédérateur, ou du moins, comme un modèle
d’intégration pour des populations dites « vulnérables » ou « en difficulté »2. Or, l’association des
termes « sport » et « intégration » ne va pas de soi. Dans cet article, nous proposons de
questionner le schème des vertus intégratives du sport à partir d’une double dimension :
« l’intégration des immigrés par le sport » et « l’intégration des femmes au sport ».
L’intégration des immigrés par le sport
Si l’on en croit les discours dominants, le sport serait un formidable vecteur d’intégration
nationale pour les populations « issues de l’immigration » ou les « minorités ethniques ». Se
basant sur les exemples de parcours héroïques de certaines vedettes sportives d’origine
étrangère fortement médiatisées, ces discours produisent en réalité une « idée force » qui obtient
d’autant plus la croyance qu’elle est à l’occasion alimentée par les résultats de certains sondages
d’opinion3.
Les sciences sociales sont sollicitées ; mais elles se doivent de soumettre cette « idée
force » aux réalités du terrain. On constate alors dans le sport amateur que certains immigrés ne
pratiquent pas d’activités physiques et sportives, parfois pour des raisons culturelles mais aussi,
et surtout, pour des motifs d’appartenance sociale4. Les sociologues observent également des
phénomènes d’exclusion, de racisme et de repli communautaire dans le sport5. Le terrain sportif
représente régulièrement un espace où se forme l’expérience de la discrimination ethnique.
L’intégration des femmes au sport
Historiquement, le sport organisé représente un univers à dominante masculine.
Aujourd’hui, à la fois grâce à la transformation de la conception sociale des deux sexes et au
processus de différenciation du sport – cette distribution « genrée » tend à se modifier.
Néanmoins, l’intégration des deux sexes au sport se révèle encore contradictoire.
D’une part, le rapport entre les hommes et les femmes qui pratiquent un sport en club
s’équilibre. Cela dit, si l’on prend en compte d’autres critères de différenciation sociale,
notamment ceux considérés « à risque », le taux de pratique sportive diminue considérablement
du côté féminin6.
D’autre part, l’intégration des femmes au sport semble se réaliser dans la mesure où des
sports traditionnellement masculins perdent leur exclusivité « genrée ». Toutefois, la
1
WIEVIORKA M., « L’intégration : un concept en difficulté », Cahiers internationaux de Sociologie, Vol. CXXV, 2008, pp. 221-240.
GASPARINI W., « Les contradictions de l’intégration par le sport », in M. Falcoz et M. Koebel (dir.), Intégration par le sport :
représentations et réalités, Paris, L’Harmattan, 2005, pp. 243-260.
2
3
EUROBAROMETRE SPECIAL 213, Les citoyens de l’Union européenne et le sport, Commission européenne, 2004.
MULLER L., « Age, diplôme, niveau de vie : principaux facteurs sociodémographiques de la pratique sportive et des activités
choisies », Stat-Info, n°05-05, 2005.
4
5
MIGNON P., « Sport, insertion, intégration », Hommes & Migrations, n°1226, 2000, pp. 15-26.
KLEINDIENST-CACHAY C., Mädchen und Frauen mit Migrationshintergrund im organisierten Sport. Ergebnis zur Sportsozialisation –
Analyse ausgewählter Maßnahmen zur Integration in den Sport. Baltmannsweiler, Schneider Verlag Hohengehren, 2007.
6
participation égalitaire des deux sexes au sport et dans la société est loin d’être atteinte : les
femmes restent encore très largement sous-représentées dans les instances dirigeantes des
organismes sportifs7.
A travers différentes facettes de l’intégration des « immigrés » et des femmes, on s’aperçoit
bien que le sport n’est pas intégrateur en soi. « L’intégration au sport et par le sport », en tant que
catégorie de pratique et d’analyse8, doit être interrogée par les sciences sociales pour en saisir,
dans la confrontation au terrain, les conditions concrètes de réalisation.
Pierre Weiss
Doctorant en STAPS
Equipe d’Accueil en sciences sociales du sport (EA 1342)
Université de Strasbourg (France)
Astrid Schubring
Ingénieure de recherche
Institut des sciences du sport
Université de Heidelberg (Allemagne)
Revue scientifique Sport et Citoyenneté n°6 " sport et insertion sociale ", mars 2009
7
GASPARINI W., « Le sport, entre communauté et communautarisme », diversité ville école intégration, n°150, 2007, pp. 77-83.
8
BRUBAKER R., « Au-delà de l’“identité” », Actes de la recherche en sciences sociales, n°139, 2001, pp. 66-85.