L`ECHO_26 mai 2016_Quid de l`indemnisation des

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L`ECHO_26 mai 2016_Quid de l`indemnisation des
L’ECHO JEUDI 26 MAI 2016
13
Opinions
La vision de Geens n’est pas
celle des acteurs de la Justice
sont inférieurs au minimum vital.
Le fait que les dépenses pour la Justice
seraient plus faibles dans d’autres pays
n’est pas un argument. Les systèmes sont
non seulement incomparables mais la
question est également celle du service
fourni.
Le ministre de la Justice français estime
ainsi que le corset d’économie «clochardise» la Justice, mais son homologue belge,
lui, n’y voit aucun problème. La seule véritable mesure de la situation est la réalité
concrète, et non pas un discours théorique. Lorsque, d’un côté, les magistrats se
plaignent de problèmes de personnel et,
de l’autre, les citoyens de problèmes de service, alors ces préoccupations doivent primer.
JAN BUELENS
Professeur en droit du travail à l’Université
d’Anvers et avocat chez Progress Lawyers Network
I
l y a de graves problèmes dans la Justice. Des gardiens de prison qui font
grève depuis quatre semaines, des
avocats qui se mobilisent pour le
maintien d’une aide juridique de qualité et
des magistrats qui menacent de faire des
actions en raison d’un manque structurel
de personnel. En ce qui concerne ces deux
dernières catégories de professions, ces actions seront une première depuis la Première Guerre mondiale. C’est bien la
preuve que le mécontentement est important.
Le premier président de la Cour de cassation n’est pas un homme qui fait des déclarations publiques régulièrement, tout
du contraire. Jusqu’à ce qu’il s’en prenne
au ministre de la Justice, Koen Geens. Ces
déclarations s’intègrent dans ce qui doit
être le plus long préavis d’action, puisque
Geens avait déjà été averti le 20 mars 2015
de la nécessité d’un changement de politique. Comme d’habitude, il a sans doute
écouté, mais nonobstant continué sa politique.
Pot-pourri pervers
Geens fait des deux problèmes un potpourri pervers. Il se fait fort de diminuer la
charge de travail pour les magistrats en
rendant l’accès à la Justice plus difficile
pour le citoyen.
À côté de seuils financiers importants
(TVA sur les honoraires d’avocats, hausse
des droits de greffe, limitation de l’aide ju-
ridique…), les différentes lois «Pot-pourri»
introduisent des seuils procéduraux qui
font que «les gens doivent réfléchir à deux fois
avant de procéder».
Le ministre oublie manifestement que
cette réflexion ne dure pas aussi longtemps pour ceux qui ont les moyens que
pour ceux qui ne les ont pas. Un ancien associé d’un bureau d’affaires peut défendre
cette fiction d’égalité, mais un ministre
doit la surpasser.
Derrière une discussion concernant les
moyens se cache en réalité un débat plus
essentiel sur l’opposition des pouvoirs.
Dans un cadre de référence néolibéral,
le pouvoir judiciaire est réduit à être une
prolongation du pouvoir exécutif. Cela se
passe de façon subtile, mais pas pour autant moins contraignante.
Cela s’opère en premier lieu via des mécanismes organisationnels (des chefs de
corps qui sont mis sous le contrôle permanent des fonctionnaires du ministère de la
Justice), mais une telle intrusion a également des conséquences au niveau du
contenu. Si la Justice dispose de moyens réduits, elle ne peut réaliser d’examen approfondi en matière de fraude fiscale ou
de l’Etat, qui ose également violer la loi.
En faisant un peu d’esprit, on peut dire
que réduire les moyens de la Justice constitue un avantage pour ceux qui ont le plus
de moyens.
Justice à deux vitesses
Tout comme les gardiens
de prison, les magistrats
ne demandent pas une
augmentation de salaire,
mais plus de personnel
pour tout simplement
pouvoir assurer les
services nécessaires.
Les demandes des magistrats, avocats et
gardiens de prison méritent d’être approuvées. Tous les problèmes auront-ils disparu
lorsque ces exigences auront été appliquées? Pas du tout. Quasi tous les acteurs
reconnaissent l’existence d’une Justice à
deux vitesses, ou d’une Justice de classe.
Une Justice humaine est un travail de
longue haleine. Mais le débat d’aujourd’hui est crucial. Car si les réformes de
Geens sont réalisées, le service public sera
ruiné et la Justice de classe institutionnalisée. Ce n’est pas un avenir enviable.
Vous avez dit corporatisme?
Il serait facile de repousser toute protestation comme étant corporatiste et conservatrice, mais le débat est beaucoup plus
fondamental. L’enjeu est le manque de
moyens, et en particulier de personnel.
Sans un minimum de moyens, il faut inévitablement improviser.
Un exemple: par mesure d’urgence, les
greffes néerlandophones du tribunal de
première instance de Bruxelles ne sont
plus joignables par téléphone l’après-midi.
Et il n’est pas possible en tant que citoyen
de consulter les informations d’un dossier
par le biais d’un site web performant… Si
beaucoup sont déjà à bout, quelle sera la
situation à la fin de la législature alors que
les économies les plus importantes sont
prévues à ce moment?
Tout comme les gardiens de prison, les
magistrats ne demandent pas une augmentation de salaire, mais plus de personnel pour tout simplement pouvoir assurer
les services nécessaires. Alors même que
les cadres des membres du personnel ont
été légalement définis, le ministre les met
de côté. Face à cette situation, la présidente
du Sénat Christine Defraigne (MR) a ellemême conclu que les moyens de la Justice
Les prêts sur
salaires font
débat aux
Etats-Unis
[email protected] - 227867-001
S
Si les réformes de Koen Geens sont réalisées, le service public sera ruiné et la
Justice de classe institutionnalisée. Ce n’est pas un avenir enviable. © PHOTONEWS
ource de financement vitale
pour ceux qui n’ont pas, ou
n’ont plus, de banque selon
ses partisans, vecteur d’endettement pour ses détracteurs, les
prêts sur salaires (payday loans)
aux taux prohibitifs qu’utilisent
des millions d’Américains pour
boucler leurs fins de mois font
l’objet d’un vif débat aux EtatsUnis où les autorités s’apprêtent à
les réformer de manière à lutter
plus efficacement contre leurs effets dévastateurs sur les finances
des ménages.
Ces prêts que l’on obtient en
ligne hors du secteur bancaire ou
plus souvent dans une des 20.000
boutiques ayant pignon sur rue,
ne dépassent pas 500 dollars pour
deux semaines ou un mois. Ils
s’adressent à des gens qui ont un
revenu et un compte bancaire car
ils sont remboursés par prélève-
ment sur la prochaine paie de
l’emprunteur. Si celui-ci ne parvient pas à honorer son remboursement, il peut reconduire le prêt
et payer une nouvelle commission.
S’installe ainsi un cercle vicieux
d’endettement auquel les régulateurs veulent mettre fin. À raison,
en moyenne, d’une commission de
15 dollars par tranche de 100 dollars prêtés pour deux semaines, le
taux d’intérêt annualisé peut approcher les 400%. À l’arrivée, «la
plupart des emprunteurs payent davantage en commissions que la
somme qu’ils ont empruntée», affirme l’ONG Pew Charitable Trusts
qui travaille sur le projet de régulation. D’un autre côté, ces crédits
aident quelque 5% à 6% de la population qui ont une rémunération «volatile», changeant de 25%
d’un mois sur l’autre, étant payés à
l’heure, nuance-t-elle.
Quid de
l’indemnisation des
actes terroristes
par les assureurs?
ARNAUD MASSART
Avocat, Cairn Legal
Assuralia annonçait, il y a quelques jours,
que le Comité de règlement des sinistres
avait donné son feu vert à l’indemnisation
complète des dommages corporels des victimes des attentats du 22 mars. Que signifie ce communiqué? Les victimes serontelles toutes intégralement et automatiquement indemnisées?
Rien n’est malheureusement moins sûr.
Pour bien appréhender le régime d’indemnisation en vigueur en Belgique, un petit
retour en arrière est nécessaire.
En 2007, devant l’augmentation de la
menace terroriste en Europe et la difficulté
d’assurer des risques de ce type, le législateur a adopté la loi du 1er avril 2007 relative
à l’assurance des dommages causés par le
terrorisme. Cette loi protège les assureurs
contre des conséquences financières auxquelles leurs réserves ne leur permettraient pas de faire face. Elle prévoit également l’intervention subsidiaire de l’État
dans l’indemnisation.
Le mécanisme mis en place par cette loi
prévoit la création, par les assureurs et les
réassureurs actifs en Belgique, d’une ASBL
dénommée Trip. Son objectif est de répartir entre ses différents membres les engagements financiers qu’ils doivent assumer
en cas de terrorisme.
La loi de 2007 prévoit que l’intervention
des assureurs et de l’État est limitée à un
plafond indexé qui approche, à l’heure actuelle, 1,2 milliard d’euros. Ce plafond d’intervention s’applique par année civile. Cela
signifie que si un autre attentat est malheureusement commis en Belgique avant
la fin de l’année 2016, les nouvelles victimes entreront en concurrence avec celles
des attentats du 22 mars.
La loi met également en place un comité qui est composé de représentants de
l’État et des assureurs. C’est ce comité qui
décide si un sinistre constitue bien un acte
terroriste. Le communiqué récent d’Assuralia confirme que le comité a fort logiquement considéré que les attaques du 22
mars constituaient bien des actes terroristes.
LE CHIFFRE
+14%
Cette année, la dotation globale
de Roland Garros a une nouvelle
fois été augmentée. De 28 millions d’euros en 2015 (allocations d’hébergement comprises), elle est passée à 32 millions d’euros (+14%).
Sauf convention fiscale particulière avec le pays du joueur, un
prélèvement forfaitaire de 15%
est prévu sur les gains des vainqueurs du tournoi de tennis de
Roland Garros qui empocheront
tout de même 1,7 million d’euros
nets…
Il en découle que l’indemnisation des
victimes sera soumise au plafond prévu
par la loi. Dans la mesure où la loi prévoit
que les dommages corporels sont prioritaires, le comité a donné son accord pour
que ceux-ci soient indemnisés intégralement par les assureurs.
Par contre, pour les dommages aux
biens et les dommages moraux, le comité,
qui redoute manifestement que le plafond
d’intervention soit dépassé, a limité leur
indemnisation à un pourcentage qui sera
réévalué tous les six mois. En pratique, cela
signifie, par exemple, que les parents
d’une victime ne pourront pas encore, à
l’heure actuelle, être entièrement indemnisés pour le préjudice moral lié à la perte
de leur enfant.
Il est évident que ce mécanisme d’indemnisation ne s’appliquera que pour autant que les victimes bénéficient d’une assurance pouvant intervenir. Il pourra s’agir
de l’assurance accidents du travail pour les
personnes qui étaient sur leur lieu de travail ou s’y rendaient. Les personnes bénéficiant d’une assurance-vie ou d’une assurance revenu garanti pourront également
en bénéficier. La Stib pourrait également
et à certaines conditions être amenée à intervenir pour les passagers de la rame de
métro dans le cadre de la loi sur l’indemnisation des usagers faibles.
Toutes les victimes se trouvant à l’aéroport ou dans la station de métro pourront
bénéficier de l’intervention des assureurs
de l’aéroport et de la Stib, qui couvrent la
responsabilité objective des exploitants de
lieux publics en cas d’incendie ou d’explosion. Cette intervention est néanmoins
plafonnée à 15 millions d’euros par sinistre, peu importe le nombre de victimes.
La France s’est dotée,
depuis bien longtemps
déjà, d’un Fonds de
garantie qui indemnise
automatiquement et
rapidement toutes les
victimes du terrorisme.
Ce n’est malheureusement
pas le cas en Belgique.
Enfin, le Fonds des victimes d’actes intentionnels de violence pourrait être
amené à intervenir, à concurrence de
maximum 62.000 euros par victime, pour
ceux qui n’auraient pas pu bénéficier
d’une indemnisation de la part d’assureurs.
La France s’est dotée, depuis bien longtemps déjà, d’un Fonds de garantie qui indemnise automatiquement et rapidement
toutes les victimes du terrorisme.
Ce n’est malheureusement pas le cas en
Belgique et chaque victime devra donc, au
cas par cas, examiner de quelles assurances
elle peut bénéficier. Elle devra également
croiser les doigts pour que les nombreux
plafonds d’intervention ne viennent pas limiter l’indemnisation de son dommage.
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