Guerre, paix et taux d`intérêt (novembre)

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Guerre, paix et taux d`intérêt (novembre)
LE MONDE SELON BILL STERLING
W ILLIAM S TERLING
Guerre, paix et taux d’intérêt
Dans l’ouvrage intitulé Boomernomics, nous avancions que les
taux d’intérêt allaient dégringoler à des niveaux surprenants au
cours de la décennie. Pourquoi? Tout simplement parce que la
concurrence mondiale et la quantité impressionnante de biens offerts allaient, selon nous, tenir
l’inflation en échec à une période où les babyboomers vieillissants se livreraient à une concurrence féroce pour maximiser les rendements de
leurs placements en prévision de la retraite, ce qui
aurait pour effet de faire reculer ces rendements.
Nous rappelions également les paroles d’un historien émérite des marchés obligataires, du nom de
Sydney Homer, selon lequel chaque génération
doit généralement composer avec des taux d’intérêt surprenants qui, au cours de la période moderne, n’ont jamais été stables bien longtemps; les
taux auraient ainsi tendance à augmenter ou à
fléchir à des niveaux extrêmes.
Dans A History of Interest Rates, un classique
analysant l’évolution des taux d’intérêt sur une
période de 40 siècles, Sydney Homer laisse entendre que la fin de la Guerre froide a largement
profité aux obligations et, chose peu étonnante,
aux valorisations boursières. Dans un article
cosigné par Richard Johannesen en 1969, l’auteur
affirmait que les prévisionnistes à long terme
devraient toujours se poser la question suivante :
« Faut-il s’attendre à une période de guerre ou de
paix? » En cas de prévision de guerre, l’inflation et
l’augmentation des taux d’intérêt sont inévitables,
tout au moins jusqu’à ce que les autorités décrètent des mesures de contrôle. Si, au contraire, tout
semble annoncer une période de paix, on peut
alors s’attendre à un recul de l’inflation et à des
taux d’intérêt stables ou en baisse.
Une des questions qui revient le plus souvent
dans la bouche des clients ces derniers temps est
la suivante : « Comment les événements du 11
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S TRATÈGE M ONDIAL
PERSPECTIVE DE NOVEMBRE AU 31 OCTOBRE 2001
septembre ont-ils influé sur les observations à
long terme présentées dans Boomernomics? »
Pour ce qui est des tendances à long terme
comme la démographie et les bouleversements
technologiques, la réponse est simple : à moins
d’événements catastrophiques de nature terroriste, la génération des baby-boomers multipliera
les efforts pour épargner au cours des prochaines
années en prévision de la retraite, dont les vagues
successives devraient commencer à déferler
entre 2010 et 2015. En dépit des soubresauts
actuels du secteur de la haute technologie, nous
continuons de croire que l’accélération technologique recommencera à se manifester au
cours des prochaines années dans plusieurs
industries, allant de la biotechnologie aux télécommunications. Ces facteurs devraient favoriser
une inflation peu élevée et des taux d’intérêt
modestes, ce qui est de bon augure pour les
marchés financiers au cours des cinq à dix
prochaines années.
Augmentation des coûts de la sécurité
Il est plus difficile de répondre à la question que
pose Sidney Homer sur les perspectives de guerre
ou de paix. La nouvelle guerre de l’Amérique
contre le terrorisme grèvera-t-elle autant les
ressources budgétaires et physiques des États-Unis
que la Guerre froide contre le communisme?
Personne ne le sait. Nombre d’analystes
estiment que les coûts directs des opérations
militaires au Moyen-Orient s’établiront entre
30 et 40 milliards $, alors que la Guerre du
Golfe avait coûté 60 milliards $. Si le conflit est
circonscrit à l’Afghanistan et se conclut par une
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victoire décisive sur l’organisation Al-Qaida
d’Oussama ben Laden, son impact budgétaire
direct pourrait être limité.
Cette estimation ne tient cependant pas compte
de l’augmentation des coûts de la sécurité
intérieure, qui seront partagés entre l’État,
l’entreprise privée et les consommateurs. David
Hale, économiste chez Zurich Financial
Services, estime que les États-Unis dépensent à
l’heure actuelle environ 250 milliards $, ou
quelque 2,5 % du PIB, pour leur sécurité
intérieure, soit 70 milliards $ pour la police,
110 milliards $ pour les agents de sécurité,
21 milliards $ pour les services d’incendie et
47 milliards $ pour les pénitenciers. Le spécialiste s’attend à ce que ces coûts augmentent de
10 % à 20 % au cours des deux prochaines
années, soit l’équivalent d’un « impôt-sécurité »
de 25 à 50 milliards $ par année.
Un autre poste budgétaire qui risque d’augmenter considérablement par suite des attentats
du 11 septembre est celui de l’assurance.
L’économiste est d’avis que le coût de l’assurance
des particuliers pourrait augmenter de 5 % à
10 % et celui des entreprises, de 100 % à 150 %.
D’autres coûts sont plus difficiles à chiffrer,
comme le coût de la perte de productivité
attribuable à la sécurité accrue dans les aéroports
RALENTISSEMENT DE L’INFLATION
Évolution (%) par rapport à l’année précédente
Indice des prix à la consommation aux États-Unis
16
14
12
10
8
6
4
2
0
68
Source : WEFA
70
72
74
76
78
80
82
84
86
88 90
92
94
96
98
00
Année
Figure 1. En général, l’inflation recule considérablement au cours de l’année
qui suit une récession. La période actuelle ne devrait pas faire exception,
compte tenu de l’importance de la capacité de production excédentaire et
de la faiblesse du marché du travail.
et aux frontières, dans les bureaux de poste, etc.
Quelles proportions de ces coûts seront assumées
par le secteur public et le secteur privé? Il est trop
tôt pour le dire.
Dans l’ensemble, David Hale est d’avis que le coût
des nouvelles mesures de sécurité sera l’équivalent
d’une nouvelle taxe pour les entreprises et le
gouvernement correspondant à au moins 0,3 % ou
0,4 % du PIB par année et ce, pendant quelques
années. Ces coûts s’ajouteront à l’augmentation
des dépenses du gouvernement au plan militaire
et à la hausse des primes d’assurance sur les biens
et contre les accidents.
Ces nouvelles dépenses risquent-elles d’accroître
les pressions inflationnistes ou de déprimer
l’économie? Selon l’économiste, l’impact de ces
dépenses pourra se comparer à celui des dépenses
des entreprises au chapitre de la lutte contre la
pollution dans les années 1970 et 1980. Ces
dépenses, qu’on peut aujourd’hui chiffrer à
environ 180 milliards $, ont pu ralentir quelque
peu la croissance en faisant augmenter les coûts
des entreprises sans leur permettre d’accroître leur
productivité ou leur rentabilité. Cependant, il
serait faux de dire que ces dépenses ont porté un
coup dur à l’économie ou freiné la baisse de
l’inflation orchestrée par les autorités monétaires
dans les années 1980.
Évidemment, ce genre d’analyse soulève
d’importantes questions. David Hale estime en
effet que le coût véritable du nouvel impôt-sécurité aux États-Unis sera fonction d’événements
dont l’issue est encore inconnue. Les États-Unis
remporteront-ils une victoire décisive sur les
terroristes en Afghanistan? Les réseaux terroristes
en territoire américain poseront-ils de nouveaux
gestes de violence au sol ou dans les airs?
La guerre biologique actuellement limitée à
l’anthrax s’étendra-t-elle à des maladies plus
contagieuses comme la variole? Les terroristes
tenteront-ils d’utiliser du matériel ou des armes
nucléaires obtenus de l’ancienne Union soviétique au cours des années 1990? Le scénario
nucléaire donne froid dans le dos car il pourrait
inciter les États-Unis à une riposte contre des
pays disposant d’un arsenal nucléaire comme
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l’Iraq. En pareil cas, l’offensive stratégique
actuelle en Afghanistan pourrait dégénérer en
une guerre de civilisation dont le coût serait
extrêmement lourd pour tout le genre humain et
ce, pendant de nombreuses années.
La « déflation »
En dépit de ces divers points d’interrogation, on
constate que les prévisions d’inflation à court et à
long terme sont beaucoup plus modestes depuis
le 11 septembre et ce, malgré que les situations
de guerre ont toujours été associées par le passé à
une inflation plus élevée. Cette évolution est en
partie attribuable au recul des prix du pétrole par
suite du ralentissement de la demande causé par
la récession mondiale ainsi qu’à l’importante production de pays non membres de l’OPEP
comme la Russie.
Un autre facteur peut expliquer la modestie de
l’inflation : l’économie mondiale serait en récession, et la plupart des pays disposeraient maintenant d’une capacité de production excédentaire entraînant la faiblesse du marché du travail.
Comme le montre la figure 1, l’inflation aux
États-Unis a eu tendance, par le passé, à reculer
considérablement pendant une douzaine de
mois après le début du cycle de reprise
économique. En ce moment, l’inflation oscille
autour de 2,5 %. Si ce taux devait fléchir de
AUGMENTATION DES ACTIVITÉS DE REFINANCEMENT
Mars 1990 = 100
Indice de refinancement hypothécaire MBA
5 000
4 000
3 000
2 000
1 000
1997
Source : WEFA
1998
1999
2000
2001
Si l’inflation demeure à peu près nulle, il est
presque certain que de nombreux secteurs seront
confrontés à la déflation, c’est-à-dire une baisse
des prix, relativement soutenue. Si les marchés
boursiers réagissent généralement bien à une
inflation faible ou en baisse, la déflation est, par
contre, de très mauvais augure pour les marchés.
Pourquoi? Parce qu’en période de déflation, les
bénéfices des sociétés sont généralement durement touchés, ce qui engendre un cercle vicieux
caractérisé par la chute des investissements, la
baisse des prix et le recul de l’emploi.
L’économie japonaise des dernières années en
est un bon exemple, tout comme, bien que de
façon beaucoup plus accentuée, la Grande
Dépression des années 1930.
Si la baisse des taux d’intérêt ne parvient pas à
réveiller l’économie, est-ce que les États-Unis pourraient sombrer dans la déflation? On peut en
douter. Certains signes, comme l’augmentation
des activités de refinancement hypothécaire, donnent à entendre que les baisses des taux par la Fed
constituent un puissant stimulant pour l’économie
(voir la figure 2). En outre, différents indicateurs de
croissance de la masse monétaire évoluent
actuellement à la hausse, ce qui explique en partie
le redressement rapide du marché boursier après le
11 septembre (voir la figure 3).
Cela étant dit, des économistes américains en
vue comme Paul Krugman de l’Université
Princeton ont prévu que les États-Unis pourraient se retrouver avec un important problème
de liquidités comme le Japon si la confiance des
entreprises et des consommateurs continuait de
diminuer. Ce qui risque de se passer, en fait, c’est
que le désir effréné d’accumulation d’espèces (ou
d’autres avoirs liquides) vienne neutraliser la
capacité des taux d’intérêt nuls de stimuler les
activités de prêt et d’emprunt.
Année
Figure 2. Les craintes concernant l’inefficacité des réductions de taux par la
Fed devraient s’apaiser compte tenu de la reprise manifeste des activités de
refinancement hypothécaire, qui devrait augmenter le pouvoir de dépenser
des consommateurs.
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quelque 200 points de base au cours de la
prochaine année, comme l’histoire récente tend
à l’annoncer, les États-Unis pourraient se retrouver avec un taux d’inflation avoisinant le zéro.
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La Fed a observé avec attention et appréhension les
problèmes du Japon. C’est pour éviter que
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l’économie américaine ne sombre dans la déflation
que la Fed pourrait continuer à réduire de façon
énergique les taux d’intérêt. Nous croyons toujours
que le taux des fonds fédéraux pourrait se retrouver
aux alentours de 1,75 % au début de l’an prochain,
ou même plus bas si l’économie demeure chancelante au cours des premiers mois de 2002.
part, même si la Fed intervient massivement,
d’éventuels actes terroristes pourraient venir
miner la confiance des entreprises et des
consommateurs. En pareil cas, les marchés et
l’économie pourraient ne pas réagir normalement aux interventions de la Fed, ce qui pourrait
alimenter la déflation.
Nous retrouverons-nous, au bout du compte,
avec plus d’inflation? Pour l’instant, il est permis
de penser que la Fed envisage la possibilité d’une
inflation de 3 % en 2003 comme un « problème
agréable », qu’elle pourrait sans doute facilement
régler en augmentant légèrement les taux d’intérêt, une fois l’économie repartie. En ce
moment, la Fed veut plutôt combattre la déflation, et on peut s’attendre à un taux d’inflation se
situant entre 1,5 % et 2 % l’an prochain. En cas
de victoire – probable – contre la déflation, les
marchés boursiers auront considérablement progressé d’ici un an.
En temps normal, on pourrait s’attendre à ce que
les mesures d’assouplissement de la Fed combinées
aux stimulations budgétaires du gouvernement se
traduisent par une reprise économique et un
redressement des marchés en 2002. Cependant,
comme nous l’avons dit le mois dernier, nous ne
vivons pas une période normale, et les risques sont
plus élevés que d’habitude. Dans ces conditions, les
règles de base du placement (comme le fait que
rien ne sert d’aller à contre-courant par rapport à la
Fed) risquent de ne pas donner les mêmes résultats
que par le passé.
Qu’est-ce qui pourrait faire déraper ce scénario?
Tout d’abord, la Fed pourrait intervenir trop
timidement, comme la Banque du Japon l’a fait
au début des années 1990, en réduisant les taux
trop lentement pour contrecarrer les forces déflationnistes. Rétrospectivement, on peut sans
doute affirmer que les interventions de la Fed au
début de l’année ont été trop timides, bien que
les baisses de taux aient été importantes. D’autre
DES LIQUIDITÉS EN EXPANSION
En résumé, la nouvelle guerre de l’Amérique est
peut-être une bonne occasion de réfléchir et de
se demander notamment si la guerre est inflationniste ou non. Nous ne ménagerons aucun
effort pour analyser la situation au fur et à
mesure de son évolution et nous positionnerons
les portefeuilles de nos clients pour leur permettre de profiter du potentiel de croissance encore
élevé de l’économie mondiale.
Masse monétaire aux États-Unis
Évolution (%) par rapport à l’année précédente
Prudents, nous avons positionné le portefeuille
équilibré en prévision de jours meilleurs comme
suit : 60 % d’actions et 40 % de titres à revenu
fixe, sans nous laisser aveugler par les interventions de la Fed. Sur une base sectorielle, nous
privilégions les secteurs qui devraient, selon
nous, bénéficier de la reprise l’an prochain,
comme les produits de consommation et les produits industriels, ce qui ne nous a pas empêchés
de procéder immédiatement à une bonne
diversification sectorielle pour tenir compte de
l’incertitude particulièrement élevée.
20
15
10
5
0
-5
80
Source : WEFA
82
84
86
88
90
92
94
96
98
00
Année
Figure 3. La Fed a accéléré considérablement le rythme de création monétaire,
ce qui explique en partie le redressement rapide des marchés boursiers depuis
le choc du 11 septembre.
William Sterling
Stratège mondial,
CI Global Advisors LLP
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