Le modèle de la réussite à la Bernard Tapie ne fait plus rêver
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Le modèle de la réussite à la Bernard Tapie ne fait plus rêver
1 Le bonheur français L'Express du 24/01/2002 Réussir sa vie Les nouveaux codes du bonheur par Marie Huret et Anne Vidalie Si, dans les années 80, la réussite se mesurait à l'épaisseur du compte en banque et au grade dans l'entreprise, les critères ont bien changé. Aujourd'hui, notre sondage le révèle (lire le sondage), pour la majorité des Français, l'épanouissement passe d'abord par la case vie privée. Et les carriéristes ne sont plus qu'une minorité «Vas-y, tu es le meilleur!» murmure une voix dans l'oreillette du candidat. C'est faux. Il est nul, archinul, une vraie calamité. Et c'est justement pour ça qu'il participe à la première du Coach, la nouvelle émission de TF 1, diffusée le 4 janvier. Une poignée d'hommes et de femmes, sélectionnés pour leur remarquable capacité à échouer, vont apprendre à négocier un canapé, à draguer en discothèque ou à gagner un procès, grâce aux conseils d'un expert qui leur souffle les répliques dans l'oreillette. Il y a le «coach séduction», le «coach régime», le «coach avocat», le «coach salon en cuir». Réussir, devenir le meilleur partout: tel est le nouveau credo de la téléréalité. «Le modèle de la réussite à la Bernard Tapie ne fait plus rêver» Vous êtes un cas désespéré, un vrai serial loser? On vous réserve des cours de rattrapage. C'est le chouchou des Français, le judoka David Douillet, qui s'y colle en publiant 110%: 18 clés pour devenir un champion de la vie (Michel Lafon). Si l'échec n'est plus toléré sur le tatami, il l'est encore moins au travail, à l'école ou à la maison. Les rayons des librairies croulent sous les guides consacrés au développement personnel -Le Plaisir de réussir sa vie (Un monde différent), Savoir réussir ses projets (Retz), Comment aller de succès en succès (Axiome). «Nous sommes passés d'une société obéissante, où l'on demandait aux gens d'être ponctuels et disciplinés, à une société d'action, explique le sociologue Vincent de Gaulejac, directeur du laboratoire de changement social à Paris VII. Aujourd'hui, chacun est supposé mobiliser ses ressources internes pour réussir.» «Me demander à moi si je suis bien dans ma peau?» crânait un jeune homme, appuyé sur un piano à queue, un verre de whisky à la main, dans une publicité pour IBM au milieu des années 1980. C'était l'époque où la réussite sociale flirtait avec le fric, la frime et l'entreprise. Aujourd'hui, le même type serait flanqué de marmots. «Le modèle de la réussite à la Bernard Tapie qui prévalait dans ces années-là ne fait plus rêver, relève Guy Missoum, psychologue et prof à Paris X, qui a publié Réussir sa vie aujourd'hui (Interéditions). Il y a eu trop d'excès, trop de sacrifices. Désormais, les cadres sup' ne sont plus prêts à jouer des coudes et à écraser les autres pour parvenir à leurs fins.» Réussir leur vie de famille, d'abord Alors, que veulent vraiment les Français? Réussir leur vie de famille, d'abord, leur vie de couple, ensuite, leur carrière, enfin. Voilà la principale révélation du sondage que publie 2 couple, ensuite, leur carrière, enfin. Voilà la principale révélation du sondage que publie L'Express en exclusivité, sur «Les attitudes des Français à l'égard de la réussite», mené par l'institut Scan pour le Lab'Ho, l' «observatoire des hommes et des organisations» du groupe Adecco, spécialiste de l'intérim. A une époque où 1 mariage sur 3 se termine par un divorce, où l'éducation des enfants n'a jamais été si périlleuse, garder sa femme, ses amis et ses rejetons relève désormais de l'exploit. Deuxième enseignement: les Français ne vouent pas un culte démesuré à l'argent. Seuls 25% d'entre eux estiment qu'il est très important d'en gagner beaucoup. Au fond, ils suivent à la lettre le fabuleux conseil d'Amélie Poulain: il faut savourer les petits riens de la vie quotidienne. Pour 41,3% d'entre eux, réussir, c'est se satisfaire de ce que la vie nous a donné, sur le plan professionnel et personnel. Bref, il ne s'agit plus, aujourd'hui, de réussir sa vie, mais ses vies. A ce jeu-là, les Français estiment s'en tirer honnêtement: 89% d'entre eux pensent, tous comptes faits, avoir plutôt réussi dans la vie. Plus de 9 sur 10 sont satisfaits de leur vie familiale, de leurs relations avec leurs amis et de leur épanouissement personnel; 8 sur 10 de leurs amours et de leur boulot. «Les gens définissent la réussite en fonction de ce qu'ils en perçoivent dans leur propre vie, explique le psychiatre Patrick Légeron, patron de Stimulus, un cabinet de conseil aux entreprises. C'est la fable du renard et des raisins: puisque l'animal ne peut pas attraper les fruits, il décrète qu'ils sont trop verts. N'oublions pas que le sentiment de maîtriser son destin, d'en être l'artisan, est une variable essentielle de la réussite.» Aujourd'hui, il faut réussir d'autant plus qu'on est le seul responsable de son sort et de son destin. C'est un commandement si fort, une source d'angoisse si oppressante que l'on préfère clamer que tout va bien, à défaut de se convaincre soi-même. Les quatre familles Il y a plusieurs méthodes pour parvenir à ses fins. A chacun son plan d'attaque: les néostoïciens (41,3% des Français) jouent la sagesse et le bonheur, modestement. Les hédonistes (27,7%), qui se méfient de la réussite, cultivent leur jardin secret en prenant soin de maintenir les contraintes du travail dans de strictes limites. Toujours sur la brèche, les chercheurs d'excellence (22,1%), eux, veulent tout réussir, travail et vie privée. Enfin, les seuls à mettre franchement en avant la réussite sociale et professionnelle sont les entrepreneurs (8,3%). A force de travail ou de talent, ils comptent toucher le gros lot: belle carrière, responsabilités importantes et revenus élevés. Un quatuor qu'incarnent bien, dans l'ordre, la journaliste Pascale Clark, le musicien Louis Chedid, la ministre de la Famille, Ségolène Royal, et l'éditeur Bernard Fixot. «Les deux premiers groupes, les nouveaux stoïciens et les hédonistes, voient dans le modèle de compétition qui imprègne la logique de la réussite un contre-modèle, voire un antimodèle, analyse Gilles Achache, président de l'institut de sondage Scan. Pour eux, le bonheur ne se confond pas avec la réussite, perçue comme un leurre.» En revanche, pour les chercheurs d'excellence et les entrepreneurs, conquérants pétris d'ambition et épris de succès, bonheur et réussite ne font qu'un. Un point de vue nettement minoritaire. «69% des Français ne se reconnaissent pas dans le système capitaliste» Les entrepreneurs sont plutôt des hommes, jeunes (moins de 25 ans) ou âgés (plus de 60 ans), qui vivent assez fréquemment seuls. Les chercheurs d'excellence leur ressemblent: un peu plus vieux, un peu plus riches, souvent cadres supérieurs et professions libérales. Les hédonistes, eux, se recrutent dans toutes les tranches d'âge, chez les hommes comme chez les femmes, parmi les plus diplômés comme les plus modestes. Quant aux néostoïciens, c'est un groupe plutôt féminin dans lequel les Français issus des milieux sociaux les moins favorisés (employés, ouvriers, retraités et chômeurs) sont largement représentés. «Si on regroupe les hédonistes et les néostoïciens, 69% des Français ne se reconnaissent pas dans le système capitaliste, commente Gilles Achache. Ils placent la volonté et le soutien des proches devant les études, l'intelligence et la promotion sociale.» Les Français ne rêvent même pas de devenir riches. Bien sûr, gagner de l'argent est un objectif important de la vie professionnelle pour près de 8 sur 10 d'entre eux. Mais le salaire de leurs rêves n'est guère plus élevé que le chiffre inscrit au bas de leur feuille 3 salaire de leurs rêves n'est guère plus élevé que le chiffre inscrit au bas de leur feuille de paie - 300 euros de plus par mois, environ. Et 49% des Français qui touchent moins de 1 500 euros estiment même qu'il suffit de gagner... moins de 1 500 euros pour avoir réussi. Plus surprenant encore, la majorité de ceux qui perçoivent une rémunération mensuelle supérieure à 3 000 euros situent le nirvana financier entre... 1 500 et 3 800 euros. «Pour vivre heureux...» Dans notre tradition catholique, la modestie et la discrétion sont vertueuses, remarque Jean-Louis Muller, directeur du département management et développement des personnes de la société de conseil et de formation Cegos. L'ambition, ce n'est pas bien. Et la réussite est porteuse de culpabilité, comme si elle s'accomplissait toujours au détriment des autres.» Et voilà la mère de famille et l'employé honnête et consciencieux (vous, moi) propulsés aux premières places du hit-parade des héros du quotidien, juste derrière le chercheur, mais devant le créateur d'entreprise. Pour le psychiatre Eric Albert, fondateur de l'Institut français de l'anxiété et du stress, le modèle de réussite qui se dégage est, au fond, celui de l'adaptation à la contrainte: «Les gens verrouillent la dimension du désir. Il y a comme une absence de pulsion, d'envie, d'énergie dans leurs réponses. Pour vivre heureux, vivons cachés.» Les Français sont peut-être moins contents de leur sort qu'ils ne le prétendent. «Il est fort probable que, derrière l'apparente satisfaction qu'ils affichent à l'égard de leur propre réussite, se cache quelque frustration, voire quelque inquiétude», avance Gilles Achache. Alors que 54,5% d'entre eux jugent avoir «tout à fait» réussi leur vie familiale, ils ne sont que 40,5% à se dire «très optimistes» pour les années qui viennent. Même dégradation du côté de la vie sentimentale (on passe de 50,5% à 36%) et des relations amicales (on tombe de 47% de réponses positives à 31,5%). Quant à leur devenir professionnel, ils ne sont que 1 sur 5 à l'envisager avec un moral d'acier. Leurs priorités? 1. La famille (85% des réponses) 2. La vie affective (78%) 3. Le travail (59%). «Cette hiérarchisation est la même depuis vingt ans», affirme Pierre Bréchon, politologue et chercheur au Centre d'informatisation des données socio-politiques, qui a coordonné une passionnante étude sur Les Valeurs des Français. Evolutions de 1980 à 2000 (Armand Colin). «Avec la montée de l'individualisme, l'accomplissement de soi et la réussite de la vie affective sont plus valorisés que jamais, corrige la sociologue Claudine Attias-Donfut, qui vient de publier, chez Odile Jacob, Le Nouvel Esprit de famille [lire l'interview]. Plus que les générations précédentes, centrées sur le travail, le revenu ou le diplôme, les jeunes privilégient la vie familiale, l'un des derniers bastions de la solidarité.» Les enfants d'abord... Réussir sa vie de famille, c'est d'abord réussir l'éducation de sa progéniture (pour 92% des Français), avoir des enfants (71%), trouver l'amour (66,5%) et avoir des amis (59%). «Les enfants arrivent en tête parce que, justement, la conciliation entre la famille et le travail n'a jamais été si acrobatique, précise Thierry Blöss, sociologue à l'université d'Aix-Marseille, auteur de La Dialectique des rapports hommes-femmes (PUF). Ce sont les femmes qui en souffrent le plus, elles qui assument encore la double journée.» Ce sont aussi elles qui sont le plus attachées à la vie familiale - 88% estiment qu'il est «très important» de la réussir, pour 82% des hommes. Les résultats d'une récente enquête du CNRS sont d'ailleurs féroces: les mères passent deux fois plus de temps avec leurs enfants que les pères, soit 25 heures et 37 minutes par semaine, contre 12 heures et 41 minutes. «Il faut renforcer le rôle des pères», martèle Ségolène Royal. Depuis le 1er janvier 2002, les nouveaux pères peuvent prendre quatorze jours de congé à la naissance de leur enfant. A la mi-janvier, ils étaient 400 à l'avoir fait. «C'est un symbole fort, assure Jeanne Fagnani, sociologue [Un travail et des enfants, Bayard]. Mais, dans la réalité, je redoute que beaucoup de pères ne puissent le prendre, parce qu'ils croulent sous le travail ou qu'ils subissent les pressions de leur employeur.» 15% des adultes utilisent des produits dopants à des fins professionnelles 4 fins professionnelles Justement, les Français en ont assez que le boulot dévore leur temps. «Quand vous rencontrez les cadres, tout va bien: ils sont fiers, contents, raconte le sociologue Vincent de Gaulejac, auteur du Coût de l'excellence (Seuil). Puis ils murmurent qu'ils supportent mal la pression ambiante, qu'ils sont dans une tension permanente, qu'ils sont obligés de sacrifier leur vie familiale. Mais il ne faut pas qu'ils l'avouent. On voit bien comment, dans certaines entreprises, ceux qui ne peuvent plus montrer l'image de combattants sont mis en quarantaine.» Si les Français affirment vouloir réduire la cadence, c'est que, dans les faits, ils subissent plus que jamais le culte de la réussite - celle de l'entreprise. «Sous prétexte que la compétition est stimulante, tout le monde est invité à s'investir dans cette lutte des places», poursuit le chercheur. Faute de quoi, on passe pour le responsable de son propre échec. Pour tenir le coup, on triche, on crâne, on se dope. C'est la nouvelle maladie du travail: la maladie de l'excellence. Une enquête menée en Meurthe-et-Moselle par le médecin Patrick Laure, l'un des meilleurs spécialistes du dopage, révèle que 15% des adultes utilisent des produits dopants à des fins professionnelles. Moyenne d'âge: 30 à 39 ans. Principaux concernés: les cadres, les ingénieurs et les professions libérales. Ils n'en peuvent plus. Les plus vieux, auxquels on a inculqué la primauté du travail, n'osent pas encore se l'avouer. Mais les plus jeunes revendiquent une vie plus équilibrée. «Le clivage se situe entre les générations, indique Jean-François Tchernia, coauteur de l'ouvrage Les Valeurs des Français. Les Français veulent désormais qu'on attache moins d'importance à l'argent et aux biens, et que le travail prenne une place moins grande dans leur vie.» Est-ce l'effet des 35 heures? Les tenants du libéralisme pur et dur déplorent que les Français n'aient plus envie d'entreprendre, à force de s'entendre dire qu'il faut bosser moins. «Aujourd'hui, ceux qui travaillent trop - ou ont trop travaillé - sont frappés d'une sorte de disqualification», observe le sociologue Paul Yonnet, auteur de Travail, loisir (Gallimard). Pour Frédéric Tiberghien, patron de VediorBis, le n° 3 du travail temporaire, la valeur travail n'est pas encouragée dans notre pays: «On fait fortune en spéculant, ou bien en fondant une entreprise et en la revendant, pas en étant salarié. Pour les cadres sup', la seule façon de toucher le pactole est de se faire licencier!» Fini, le credo «Si je bosse, j'y arriverai». Le modèle classique de la réussite professionnelle a du plomb dans l'aile. «Le territoire de la réussite ne se confond plus avec le travail», résume Pascale Levet, responsable du Lab'Ho d'Adecco. «Normal, tranche le sociologue Jean Viard, directeur de recherche au CNRS, qui a remis, fin décembre, un copieux rapport sur les conséquences de la RTT à la ministre de l'Emploi, Elisabeth Guigou. Le travail ne peut plus être le coeur de la vie des gens, puisque le temps que nous lui consacrons est passé de 50% de notre vie éveillée en 1900 à 14% à présent.» Et le travail a changé de sens. «Sa finalité n'est plus immédiate, palpable, ni placée au service d'une communauté sociale, explique Patrick Légeron. Sous le diktat des cours de Bourse et de la mondialisation, difficile pour les salariés de faire du profit leur valeur ultime!» ... le travail ensuite D'autant que la vie professionnelle est devenue un placement à risque. Les années de crise ont mis à mal le mythe de l'ascenseur social et ébranlé la confiance en l'entreprise. Ancien DRH du Crédit lyonnais, marié avec la directrice générale d'un groupe de nettoyage, Philippe Wattier ne s'étonne pas que ses deux enfants empruntent des chemins différents du sien - l'ostéopathie pour sa fille, le rugby et la kinésithérapie pour son fils. «Ils n'avaient aucune envie de subir à leur tour la pression des grandes entreprises et de rentrer à 22 heures, la tête farcie de soucis...» Pourtant, notre sondage l'indique, 95,5% des Français pensent qu'il faut réussir sa vie professionnelle pour réussir sa vie tout court (voir le sondage). «Nous sommes même, en Europe, ceux qui accordent le plus d'importance au travail, extrêmement valorisé, insiste Jean-François Tchernia. Même s'ils revendiquent un rééquilibrage en faveur de leur vie privée, nos concitoyens aiment leur travail et y sont extrêmement attachés.» Travailler, oui, mais plus à n'importe quel prix. Une philosophie dont certains patrons ont 5 Travailler, oui, mais plus à n'importe quel prix. Une philosophie dont certains patrons ont déjà fait leur slogan. «Ma réussite professionnelle passe par ma capacité à me battre pour gagner, certes, mais en faisant preuve d'éthique, d'humanité, et en partageant avec mes collaborateurs les fruits de nos efforts communs», affirme Laurent Vincenti, directeur général de l'agence de design Altaï. PDG du laboratoire d'homéopathie qui porte son nom, Christian Boiron juge, lui, que «le management par le stress a vécu. On obtient plus d'un salarié épanoui que d'une personne sous pression». Cette soif d'équilibre n'est pas toujours... équilibrante. «Avec l'émancipation de la femme a émergé un modèle de réussite qui conjugue le succès dans les domaines réputés de la compétence des femmes et la réussite dans ceux qui sont supposés appartenir aux hommes», estime Paul Yonnet. Aujourd'hui, il faut donc faire un joli parcours professionnel et être un bon père ou une bonne mère. L'excellence partout. «Il est socialement valorisant de se présenter comme un être privé, juge Pascale Weil, sociologue et spécialiste des nouvelles tendances chez Publicis Consultants. On peut apprendre le chinois, se passionner pour l'aquarelle sans paraître le faire au détriment de sa vie professionnelle: au contraire, c'est une source de valeur ajoutée dans un monde du travail qui exige créativité et initiative.» Comme si cela ne suffisait pas, il faut aussi réussir son couple, cultiver ses amis, avoir des activités associatives et, en prime, être beau, mince et en forme. Nous voulons tout, et de préférence tout de suite. Quelques-uns y arrivent, semble-t -il. Prenez Loïc Le Meur, 29 ans, diplômé de HEC, brillant entrepreneur de la Net économie, marié depuis neuf ans, papa comblé de trois petits garçons, sportif accompli et membre du très élitiste club des Leaders internationaux de demain du World Economic Forum (l'exForum de Davos). Sans compter les cours dispensés à HEC et les responsabilités associatives. Son moteur? «L'insatisfaction, dit-il. Je me fixe en permanence des objectifs plus élevés. Comme si j'avais besoin d'être dans une situation de déséquilibre permanent.» Des jeunes trentenaires obsédés par la perfection, Catherine Caillard, coach de son état, en compte une dizaine parmi les hommes et les femmes qu'elle aide à avancer dans leur carrière professionnelle. «Ils sont extrêmement exigeants envers eux-mêmes, en quête d'un idéal du moi qui passe par l'accumulation des signes extérieurs de réussite, dans tous les domaines.» Ni tout à fait «entrepreneurs» ni vraiment «chercheurs d'excellence», ces produits (ou victimes?) d'une société qui nous bombarde de normes sont une espèce minoritaire, petite tribu avec ses codes et ses rites. La quête de soi Parce qu'il en avait assez de cette injonction d'être performant, l'écrivain Dominique Noguez publie ces jours-ci une ode à la «ratologie»: Comment rater sa vie en onze leçons (Payot). Au menu: comment rater un dîner, une photo, un débat télévisé, etc. «Les gens qui réussissent nous courent sur le haricot, explique-t-il. Qu'une vie heureuse peut être emmerdante! Quelquefois, ceux qui la ratent sont plus intéressants.» Dans la même (dé) veine, l'ex -Nul Dominique Farrugia sort une version vidéo de son livre La Stratégie de l'échec (Michel Lafon). «Vous en avez soupé de la réussite, écrit-il. Alors la stratégie de l'échec est faite pour vous.» Même les accros de la réussite ont des états d'âme. Et s'interrogent sur le sens de la vie. «Beaucoup de "coachés" souhaitent mieux faire coïncider ce qu'ils sont et ce qu'ils font, constate Catherine Caillard. Les expressions "projets de vie" et "quête de sens" reviennent souvent dans leur discours.» Comme si la quête de soi remplaçait petit à petit l'aspiration à la réussite sociale. Comme s'il fallait surtout réussir... à trouver le bonheur.