L`obligation de formation des salariés - Infodoc

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L`obligation de formation des salariés - Infodoc
Synthèse // Réflexion // Une entreprise/un homme // Références
DROIT DU TRAVAIL
L’obligation de formation des salariés
Par Alice Fages, Directeur des Affaires sociales du CSOEC, Directeur d’Infodoc-experts
Depuis quelques années, les tribunaux sanctionnent régulièrement les
employeurs qui n’organisent pas (ou pas assez) de formations pour les
salariés et ils sont condamnés à leur verser des dommages-intérêts.
En effet, l’employeur est tenu d’adapter les salariés à l’évolution de
leur emploi et il doit à ce titre veiller à ce qu’ils suivent des formations,
quel que soit le poste du salarié.
En matière de formation professionnelle,
l’employeur n’est pas seulement tenu
de contribuer à son financement par le
versement d’une contribution comme il
s’en contente parfois. Il doit également
mettre en œuvre de manière effective son
obligation de formation sous peine d’être
condamné à indemniser les salariés. Cette
obligation est indépendante du droit du
salarié de se former dans le cadre du DIF
(droit individuel de formation) et, demain,
dans le cadre du compte personnel de
formation.
Obligation de formation
La loi impose à l’employeur de former les
salariés : « l’employeur assure l’adaptation
des salariés à leur poste de travail. Il veille
au maintien de leur capacité à occuper un
emploi, au regard notamment de l’évolution des emplois, des technologies et
des organisations » (art. L 6321-1 C.tr.).
Il s’agit d’une obligation générale qui
s’applique à l’ensemble des salariés, quel
que soit leur poste de travail.
Sanctions du défaut
de formation
Depuis quelques années, les actions
des salariés à l’encontre des employeurs
pour défaut de formation se multiplient,
généralement à la suite d’une rupture du
contrat de travail. Et la Cour de cassation
condamne régulièrement l’employeur en
raison du manquement à son obligation
d’adaptation des salariés à leur poste de
travail, entraînant pour les intéressés un
préjudice qu’il appartient au juge d’évaluer.
En voici quelques illustrations :
• en 2007, la Cour de cassation a
condamné l’employeur pour défaut de
formation dans une affaire concernant
deux salariés ayant respectivement 12 et
24 ans d’ancienneté qui n’avaient suivi
que 3 jours de formation (Cass. soc.
23 octobre 2007, n° 06-40950) ;
• en 2010, un employeur a été condamné
à indemniser des salariés occupant des
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fonctions de garçon de cuisine, car
il aurait dû proposer des formations,
notamment pour combattre leur illettrisme
du fait de leur origine malienne, ce qui les
a empêchés d’évoluer dans l’entreprise
(Cass. soc. 2 mars 2010, n° 09-40914 ;
09-40915 ; 09-40916 ; 09-4091) ;
• et, en 2014, deux nouvelles affaires
sont intervenues. Dans la première, une
secrétaire ayant 7 ans d’ancienneté a
obtenu 6 000 € de dommages intérêts
car elle n’avait suivi aucune formation ;
la cour d’appel avait rejeté la demande
de la salariée car elle ne démontrait
pas en quoi l’absence de stage aurait
eu une incidence sur ses possibilités
d’adaptation et/ ou de maintien dans
son emploi. Mais la Cour de cassation
a condamné l’employeur pour manquement à son obligation d’adaptation
(Cass. soc. 7 mai 2014, n° 13-14749).
Dans la seconde affaire, plusieurs salariés ayant une ancienneté de 2 à 8 ans
réclamaient eux aussi des dommages
et intérêts à l’employeur en raison
d’un manquement à son obligation de
formation ; là encore la cour d’appel a
rejeté leur demande, car ils n’avaient
jamais demandé de formation au cours
de l’exécution de leur contrat de travail ;
mais la Cour de cassation condamne
l’employeur à verser des dommages
et intérêts car l’obligation de veiller au
maintien de la capacité des salariés à
occuper un emploi relève de l’initiative
de l’employeur (Cass. soc. 18 juin 2014,
n° 13-14916).
Compte tenu de ces différentes décisions,
il incombe à l’employeur de prendre l’initiative d’organiser des formations pour
l’ensemble des salariés, quel que soit leur
poste, sans attendre que le salarié fasse
une demande, l’absence de formation
nuisant à leur employabilité. La condamnation de l’employeur est “automatique“,
comme le révèlent ces différents arrêts,
le salarié n’ayant pas à démontrer l’existence d’un préjudice pour être indemnisé.
Bien évidemment, le montant des dommages et intérêts alloués dépendra de
l’ancienneté du salarié.
// N°479 Septembre 2014 // Revue Française de Comptabilité
Entretien sur la formation
Pour mettre en œuvre ses obligations
en matière de formation, l’employeur
doit organiser un entretien professionnel
avec les salariés, qui doit être consacré
à ses perspectives d’évolution professionnelle, notamment en termes de
qualification et d’emploi. Cet entretien,
qui sera matérialisé par un écrit, a lieu
tous les 2 ans et il est obligatoire dans
toutes les entreprises, quel que soit leur
effectif et pour tous les salariés. Cette
obligation résulte de la loi du 5 mars
2014 sur la formation professionnelle ;
précédemment, il n’existait pas d’obligation légale d’organiser un entretien
sur la formation professionnelle, seules
y étaient tenues les entreprises relevant
de l’ANI (accord national interprofessionnel) de 2003, soit les entreprises
relevant du MEDEF, de la CGPME et
de l’UPA.
Cet entretien, qui doit être distinct de
l’entretien d’évaluation, sera le moment
clé pour identifier les besoins de formation du salarié, notamment au regard
des objectifs fixés par l’employeur. Ce
sera l’occasion de distinguer les formations qui relèvent du plan de formation,
dans le cadre de l’obligation d’adaptation et/ ou de maintien dans l’emploi,
et celles qui relèvent du DIF et, demain,
du compte personnel de formation, qui
sont à l’initiative du salarié. Et, bien
évidemment, il faudra veiller à ce que
les formations soient organisées.
Conclusion
Il résulte de ces différentes décisions que
l’obligation de formation à la charge de
l’employeur ne connaît pas de limite ; tout
salarié quittant l’entreprise (licenciement,
démission, départ à la retraite…) pourrait
demander à être indemnisé pour défaut
de formation et, demain, pour défaut
d’entretien sur la formation. On peut donc
supposer que les actions du salarié sur
ce fondement vont être de plus en plus
nombreuses.
Pour en savoir plus
Loi n° 2014-288 du 5 mars 2014 relative à la
formation professionnelle à l’emploi et à la
démocratie sociale.
Cass. soc. 18 juin 2014, n° 13-14916.