Contexte : Congo et Rwanda

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Contexte : Congo et Rwanda
Contexte : Congo et Rwanda
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République démocratique du Congo
État d'Afrique centrale, la République démocratique du Congo est limitée au nord par la
République centrafricaine et le Soudan, à l'est par l'Ouganda, le Rwanda, le Burundi et la
Tanzanie, au sud-est et au sud par la Zambie, au sud-ouest par l'Angola, avec un couloir divisant
ce dernier pays en deux (l'enclave de Cabinda appartenant à l'Angola) et s'acheminant jusqu'à
l'Atlantique, et à l'ouest par le Congo. À l'est, une série de lacs (du nord au sud, lac Albert, lac
Édouard, lac Kivu, lac Tanganyika, lac Mweru) constitue une frontière naturelle et discontinue.
Superficie : 2 345 000 km2
Nombre d'habitants : 66 020 000 (estimation pour 2009)
Nom des habitants : Congolais
Capitale : Kinshasa
Langue : français…
GÉOGRAPHIE
Le milieu naturel
Les grandes étapes de l'histoire géologique de l'Afrique centrale expliquent assez bien les
paysages morphologiques actuels de la République démocratique du Congo. Pendant toute la
période précambrienne, une succession de cycles orogéniques façonnèrent un socle continental,
ou bouclier, finalement aplani et fortement minéralisé. Du paléozoïque au cénozoïque, une
érosion surtout continentale accumule d'épaisses séries sédimentaires, en majorité gréseuses,
dans les dépressions de la surface. Au miocène, la tectonique a eu deux conséquences
essentielles : d'une part, la formation d'une vaste cuvette limitée par des bombements
périphériques plus ou moins élevés, et, d'autre part, des fractures majeures donnant naissance à
des fossés d'effondrement et à des manifestations éruptives. On peut reconnaître ainsi plusieurs
grandes unités physiques.
Au nord-ouest, limitée artificiellement par les cours du Congo et de l'Oubangui, s'étend, entre
300 et 500 m d'altitude, une cuvette alluviale sillonnée par un dense réseau hydrographique ; de
larges plaines inondables, où s'étalent les crues, s'enfoncent vers l'amont entre des terrasses
sablonneuses et sèches. Un talus bien marqué ou une pente régulière font la transition avec des
plateaux dont l'altitude croît jusqu'à plus de 1 000 m, et dans lesquels les rivières ont creusé des
vallées profondes et verdoyantes. Une troisième auréole est formée par les terrains anciens, qui
offrent des paysages variés : hauts plateaux semés d'inselbergs (Katanga occidental, Uélé),
alignements de collines et de chaînons appalachiens (Mayombe), lourds massifs aux sommets
aplanis (Mitumba, monts Kibara) voisinant avec des fossés d'effondrement (Upemba). Les
contrastes sont majeurs à l'est, avec les grands rifts occupés par des lacs (Tanganyika, Kivu), que
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dominent horsts granitiques (Ruwenzori) ou appareils volcaniques (chaîne des Virunga). À
l'ouest, une étroite façade maritime comprend de bas plateaux et une côte à cordons sableux
souvent marécageuse.
La République démocratique du Congo connaît trois régimes climatiques. Le Centre (la
Cuvette) a un régime équatorial : plus de 1 500 mm de pluies par an, étalées sur toute l'année,
une température moyenne de 26 °C à très faible amplitude, une forte humidité atmosphérique. Le
Nord et le Sud connaissent un régime tropical : 3 à 7 mois de saison sèche, averses souvent
violentes, amplitude thermique annuelle de 6 à 10 °C. L'altitude (à l'est) altère la zonalité des
climats : forts contrastes pluviométriques entre les versants, températures moyennes modérées
(16 à 18 °C) ; neiges éternelles et glaciers coiffent le Ruwenzori. La façade maritime, baignée
par les eaux fraîches du courant de Benguela, est anormalement sèche pour sa latitude (800 mm
par an). Ces caractéristiques climatiques expliquent les régimes fluviaux : à cheval sur les deux
hémisphères, le bassin du fleuve Congo est alimenté toute l'année. Les nombreux lacs de la
cuvette centrale et de l'Est jouent un rôle économique précieux (navigation et surtout pêche).
Trois grands types de formations végétales se partagent le territoire. La forêt dense ombrophile
(1 million de km2) occupe la basse cuvette, une partie des reliefs de l'Est et se prolonge en
galeries dans la zone des plateaux. La présence du palmier à huile y témoigne du passage des
hommes. La savane lui succède : son aspect varie avec les conditions locales physiques et
humaines : savane herbeuse, arbustive, arborée, boisée. Au Katanga et au sud-ouest règne la forêt
claire décidue, dont la strate arborée domine un tapis herbacé continu. Sur les pentes des hautes
montagnes de l'Est, l'étagement de la végétation est classique : nebelwald, puis forêt de bambous,
bruyères arborescentes, séneçons, mousses, etc.
La population
Un vaste territoire (plus de quatre fois la superficie de la France), des distances considérables
(l'équivalent de Paris-Moscou entre la façade atlantique et le Nord-Est), des obstacles
gigantesques (immenses fleuves coupés de rapides et de chutes, forêts impénétrables) : ces
contraintes naturelles ont marqué profondément, et depuis longtemps, le peuplement du pays.
Aux grandes régions physiques correspondent des groupements diversifiés, relativement isolés
les uns des autres, souvent liés à des populations transfrontalières et considérés, selon les
époques, comme des races, des peuples ou des ethnies. On distingue, pour l'essentiel, les groupes
de l'Ouest et du Sud-Ouest, notamment les Kongos et les Loubas, dont les liens avec le Congo et
le nord de l'Angola sont anciens ; ceux du Sud (Lundas), tournés également vers l'Angola mais
surtout vers la Zambie ; ceux de l'Est, parties prenantes de la région des Grands Lacs qui
bénéficie d'un climat d'altitude et accueille une population très dense et très variée. Le centre du
pays (la cuvette congolaise) ainsi que le Nord sont en revanche beaucoup moins peuplés.
Un second trait caractérise la République démocratique du Congo : l'urbanisation. C'est, en effet,
l'un des rares pays d'Afrique à posséder plusieurs agglomérations approchant ou dépassant le
million d'habitants. L'exode rural et la forte poussée démographique (près de 3 % par an) ont
gonflé les villes, à l'image de la capitale, Kinshasa, dont l'agglomération est estimée à près de
huit millions de « Kinois ». Parmi les autres grandes villes figurent Lubumbashi, Kisangani,
Bukavu, Kikwit et Mbuji-Mayi. Le verbe estimer revient constamment quand il s'agit d'observer
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la réalité humaine et économique de ce pays. L'appareil statistique s'est effondré en même temps
que l'État, et la volonté de reprise en main affichée par le nouveau régime ne s'est pas traduite par
une amélioration de l'information.
Une économie dévastée
Tout semble excessif lorsqu'il est question de la République démocratique du Congo, ses
dimensions, ses drames, mais aussi les jugements portés sur ses richesses. Elles seraient tout
simplement « fabuleuses ». Il est certain que la géologie, la variété des sols et des climats, le
réseau hydrographique, les forêts favorisent la diversité des productions, des minerais (cuivre,
cobalt) à la pêche, en passant par les cultures vivrières (maïs, manioc, banane plantain) et
commerciales (café, cacao, palmistes). Mais l'on oublie trop facilement certains handicaps,
comme la présence sur une partie du territoire de la mouche tsé-tsé, qui limite le développement
de l'élevage et des établissements humains, ou les difficultés d'exploitation de certains gisements.
Domine également le problème des transports. Les échanges internes sont longs, lents et coûteux,
et freinent l'émergence d'une économie nationale intégrée. Exportations et importations doivent
souvent être acheminées sur de longues distances à travers des pays étrangers (Angola, Zambie,
Tanzanie pour ce qui concerne le Sud et l'Est). L'amélioration de la « voie nationale » reliant le
Katanga à l'océan fut longtemps une obsession de l'ex-président Mobutu, qui, parallèlement à
l'aide extérieure, y consacra d'importants financements, sans résultat. L'entreprise exige de
combiner fleuve et rail, avec plusieurs ruptures de charge, et sa réussite dépendait d'une gestion
rigoureuse des infrastructures et des matériels, que l'ancien régime n'a jamais été en mesure
d'assumer.
Dans un tel contexte, l'économie du pays est devenue presque entièrement « informelle ». La
grande majorité de la population lutte pour sa simple survie, et y parvient de plus en plus mal.
Quelques-uns, liés au pouvoir, ou hiérarques des diverses armées étrangères se partageant le
pays, réussissent à accumuler des fortunes grâce à des trafics en tout genre (dont celui du
diamant). Les carences de l'État sont palliées vaille que vaille : c'est ainsi, par exemple, que les
communautés religieuses, implantées sur l'ensemble du pays, sont amenées à jouer un rôle
essentiel en matière de communications grâce à leur réseau radio et leurs petits avions…
Pays potentiellement riche en raison de ses nombreuses ressources naturelles, la République
démocratique du Congo a été ruinée par plusieurs années de désordres et de guerre civile. Mais
la situation paraît se stabiliser et l'espoir renaît depuis 2003. L'inflation a été considérablement
diminuée et les finances publiques ont été assainies. La dette publique demeure cependant très
élevée et grève lourdement le redressement économique. Ce dernier dépendra aussi de la
réunification du territoire et de la réhabilitation des infrastructures de transports. La majorité des
actifs se consacrent encore à l'agriculture, largement vivrière (manioc, maïs, banane plantain).
Des plantations fournissent de l'huile de palme et des palmistes, du café et du caoutchouc, qui
sont exportés. Mais toutes les ressources agricoles et animales ont connu une baisse de
production très sensible depuis une dizaine d'années, à l'exception notable du maïs. Aussi le pays
doit-il importer une part croissante de son alimentation. Les ressources minières sont très
abondantes et variées : cuivre, cobalt (pour lesquels le pays détient respectivement 10 % et 40 %
des réserves mondiales), zinc, argent, manganèse, étain, or, diamants à usage industriel, uranium
et pétrole. Cependant, à la suite de l'effondrement de la société publique Gécamines et de la
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baisse des cours mondiaux, la production a considérablement baissé, celle du cuivre, par
exemple, a été divisée par dix entre 1990 et 2002. Le potentiel hydroélectrique, un des plus
puissants du monde, est encore largement sous-utilisé. Peu compétitif, le secteur industriel se
concentre dans les trois pôles de Kinshasa, Lubumbashi et Kisangani. Il vise essentiellement la
satisfaction du marché national (métallurgie, mécanique, agroalimentaire, textile, travail du bois,
chimie, etc.).
En 2007, la République démocratique du Congo a signé avec la Chine un très gros contrat. De
grandes sociétés chinoises vont avoir un accès privilégié, pendant trente ans, aux mines de
cuivre, de cobalt et d'or ; elles s'engagent, en échange, à effectuer d'immenses travaux
d'infrastructures (routes, autoroutes, chemins de fer, universités, logements, hôpitaux).
HISTOIRE
Des anciens royaumes à la colonisation belge
La vaste cuvette congolaise est le théâtre de migrations importantes, qui expliquent la diversité
de peuplement du pays. De nombreux royaumes se mettent en place, pratiquant un commerce
actif. Le moins mal connu d'entre eux est le Kongo, qui le premier s'ouvre à l'influence
européenne, dès la fin du XVe s. La traite négrière ravage très tôt la région et se poursuit presque
jusqu'à la fin du XIXe s., au moins en ce qui concerne la traite orientale. On estime qu'elle touche
5 millions de personnes. C'est d'ailleurs sous le prétexte de l'éradiquer totalement que le roi des
Belges Léopold II s'intéresse au Congo, y envoie l'explorateur Stanley et obtient en 1885 à la
conférence de Berlin le contrôle à titre personnel du nouvel « État indépendant du Congo ».
Faute de moyens suffisants pour faire face aux révoltes, en butte à une campagne d'opinion
internationale qui critique ses méthodes brutales, incapable de rembourser les emprunts qu'il a
souscrits, il doit le rétrocéder à la Belgique en 1908.
Les piliers de la colonisation
Ne disposant pas d'une véritable administration, Léopold II ne peut que « sous-traiter » la mise
en valeur de son domaine. C'est le règne des sociétés concessionnaires, des compagnies à charte,
avec tous les excès que ce système implique, à commencer par l'appropriation des « terres
vacantes et sans maître », sur lesquelles le colonisateur refuse de voir que s'exerçaient
généralement des droits ancestraux. Sans parler du travail forcé pour le « portage » (transport à
dos d'homme) et la construction des infrastructures telles que pistes et chemins de fer. Malgré
l'adoucissement des méthodes imposées par le législateur belge à partir de 1908, les grandes
entreprises coloniales continuent de jouer un rôle essentiel dans la production destinée à
satisfaire les besoins de la métropole. L'Union minière du Haut-Katanga (UMHK), filiale de la
très puissante Société générale de Belgique, incarne l'État dans sa région, aucun gouverneur ne
pouvant être nommé sans son accord. L'UMHK s'occupe de tout, des « cantines » (magasins
d'entreprise) à la santé, en passant par le logement et l'éducation, qu'elle finance. Ce modèle très
paternaliste est aussi celui des grandes plantations. Il n'aurait sans doute pas pu s'étendre et durer
s'il n'avait pas été soutenu avec conviction par l'Église catholique, qui peut propager d'autant plus
facilement ses messages spirituels et temporels qu'elle dispose d'un quasi-monopole en matière
d'enseignement. Ce dernier n'est pas sans mérites : utilisant largement les langues nationales, il
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forme d'excellents cadres subalternes, y compris dans les secteurs techniques. Mais il faut
attendre 1954 pour que l'Église ouvre la première université (Lovanium, à Léopoldville), ce qui
décide l'État belge à créer la sienne à Élisabethville (Lubumbashi), au Katanga.
L'omniprésence des Églises « blanches » ne va pas sans réactions. La plus importante d'entre
elles est l'œuvre de Simon Kimbangu (1890-1951), qui se présente comme prophète et
thaumaturge, et que certains de ses disciples considèrent encore comme le « Messie noir » (
→ kimbanguisme). Inquiétant vivement les autorités par son nationalisme, Kimbangu est jeté en
prison en 1921, où il reste jusqu'à sa mort en 1951. Le prophète est désormais un martyr. Ses fils
fondent à la veille de l'indépendance l'« Église de Jésus-Christ sur la Terre selon Simon
Kimbangu », qui conquiert une grande audience populaire, notamment dans la capitale et sa
région. Le maintien de l'ordre, lorsque l'encadrement économique et spirituel ne parvient pas à
prévenir des révoltes, est confié à la « Force publique », sorte de gendarmerie noire entièrement
dirigée par des officiers belges, créée dès 1886.
Les premières fissures
La Seconde Guerre mondiale constitue une rupture. L'écrasement sur son propre sol du
colonisateur tout-puissant a un profond retentissement chez les « évolués », selon l'expression de
l'époque. Coupé totalement de sa métropole, le Congo belge devient pratiquement autonome, et
contribue à l'effort de guerre des Alliés par ses minerais (c'est avec de l'uranium congolais que
sera construite la première bombe atomique) et par ses hommes. Le boom des matières
premières, qui va se prolonger (besoins de la reconstruction européenne, guerre de Corée),
favorise le Congo et en fait une des colonies les plus riches d'Afrique. Le pays entre alors dans
une période d'expansion continue.
Sur le plan social, le « retour à la normale », en 1944-1945, se traduit par des soubresauts
révélateurs. De manière significative, la Force publique, à l'honneur pendant la guerre, se mutine
à plusieurs reprises ; les « corvées » (travail forcé), sont de moins en moins bien supportées ; le
développement du salariat conduit à la constitution des premiers syndicats noirs. Mais les lobbies
coloniaux, grandement influents dans les milieux politiques conservateurs et démocrateschrétiens de Bruxelles, refusent toute évolution. Les tentatives d'ouverture du cabinet socialistelibéral Van Acker (1954-1958), qui a tenté de mettre fin à l'influence de l'Église dans
l'enseignement congolais, soulèvent des passions. L'apaisement ne sera obtenu qu'au prix du
rétablissement des subventions aux écoles confessionnelles. Fin 1955, une étude du professeur
Van Bilsen intitulée Plan de trente ans pour l'émancipation de l'Afrique belge fait scandale, alors
que la France prépare la loi-cadre qui va accorder l'autonomie à ses territoires d'outre-mer et que
la Grande-Bretagne envisage l'indépendance de la Gold Coast (Ghana actuel), qui va intervenir
en 1957.
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Patrice Lumumba
Le mémoire Van Bilsen est un élément déclencheur pour un certain nombre d'intellectuels
congolais. Joseph Iléo et quelques autres publient en juin 1956 le Manifeste Conscience
africaine. Un peu plus tard, Joseph Kasavubu crée l'Alliance des Bakongos (Abako), Moïse
Tschombé, la Confédération des associations tribales du Katanga (Conakat). Tous les partis créés
alors sont régionalistes, ou même « ethniques », à une exception près, le Mouvement national
congolais (MNC), bientôt dirigé par Patrice Lumumba. Déjà apparaît le grand clivage entre
fédéralistes (voire séparatistes) et unitaristes qui demeure, quarante ans plus tard, la pierre de
touche de la vie politique congolaise.
L'indépendance bâclée (1959-1960)
Le 4 janvier 1959, l'Abako de J. Kasavubu organise une manifestation à Léopoldville, réprimée
si énergiquement qu'il y a 50 morts parmi les Africains. Les dirigeants de l'Abako sont arrêtés.
Le roi Baudouin admet alors officiellement le principe de l'indépendance du Congo. Un an plus
tard, une table ronde belgo-congolaise se réunit à Bruxelles pour discuter des modalités de
l'indépendance. La pression des nationalistes est d'autant plus vive qu'ils ont sous les yeux
l'exemple du Congo français, où les décisions libérales prises par le très respecté général de
Gaulle se sont concrétisées : Brazzaville est depuis novembre 1959 la capitale d'une République
associée à la France. La partie belge de la table ronde cède sur tous les points. Elle estime sans
doute que la tutelle de la métropole se maintiendra grâce aux cadres belges que ne peuvent
remplacer des cadres nationaux, en nombre très insuffisant. L'indépendance est fixée au 30 juin.
Le chaos congolais (1960-1965)
Dès la cérémonie d'indépendance, les malentendus s'installent. Devant le roi Baudouin, Patrice
Lumumba prononce un discours anticolonialiste et présente l'indépendance comme la conquête
du seul peuple congolais. Progressiste et centralisateur, il s'oppose bientôt au fédéraliste
J. Kasavubu, désigné comme chef du nouvel État. Le 5 juillet, la Force publique se mutine, ne
voulant plus être dirigée par des officiers belges. L'armée belge intervient de sa propre autorité
pour protéger les Européens, négligeant le fait qu'elle se trouve désormais dans un pays
indépendant. De graves troubles commencent, qui vont donner lieu à des excès de toute nature,
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portés à la connaissance de l'opinion publique mondiale par des journalistes qui insistent
volontiers sur le caractère « barbare » des exactions commises par les Congolais. La période
d'extrême confusion qui s'ouvre alors se caractérise essentiellement par des sécessions et des
rébellions qui menacent le pouvoir central d'anéantissement, et le laissent à la merci d'un coup
d'État.
Sécessions et rébellions
La première des sécessions, la plus durable et la plus connue, est celle du Katanga. Moïse
Tschombé, soutenu par l'UMHK et bénéficiant de la protection des troupes belges, proclame
l'indépendance de la riche province dès le 11 juillet 1960. Il met en place les structures d'un
véritable État, et notamment une force armée, les « gendarmes katangais », encadrés par des
mercenaires. Il ne s'inclinera qu'en janvier 1963, lorsque les forces de l'ONU, présentes depuis le
début des troubles, se décideront à intervenir d'une façon décisive. L'exemple de Tschombé est
suivi peu de temps après par Albert Kalonji au Sud-Kasaï. L'affaire tourne à la farce tragique
lorsque Kalonji s'autoproclame empereur.
Les rébellions commencent d'abord avec celle d'Antoine Gizenga, qui fonde en décembre 1960
à Stanleyville (actuelle Kisangani) un gouvernement qu'il considère comme le seul légal.
Gizenga se laissera facilement convaincre d'abandonner l'aventure contre un poste de vicePremier ministre à Léopoldville (août 1961). Plus sérieuses sont les rébellions déclenchées en
1964 au Kwilu (Pierre Mulele) ainsi qu'au Kivu et au Nord-Katanga. Cette dernière installe à
Stanleyville un gouvernement populaire dirigé par Christophe Gbenyé, qui sera réduit en
novembre par l'armée nationale, épaulée par les parachutistes belges. Pour leur part, les maquis
mulélistes combattront jusqu'à la mort de leur chef, qui sera assassiné en 1968.
Le coup d'État de Mobutu
Sese Seko Mobutu
Depuis le 14 septembre 1960, peu après la sécession du Katanga, l'ancien sergent Joseph Désiré
Mobutu, qui vient d'être nommé colonel et chef d'état-major de l'armée par Patrice Lumumba,
s'est emparé du pouvoir à Léopoldville. Pour mettre fin à l'antagonisme qui oppose le Premier
ministre au président Kasavubu, il a suspendu les institutions et confié le pouvoir à un collège de
jeunes universitaires. Placé en résidence surveillée, Lumumba est arrêté un peu plus tard lors
d'une évasion, et livré aux sécessionnistes katangais, qui l'assassinent (17 janvier 1961).
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Lumumba prend alors la dimension d'un mythe. C'est en son nom, symbole de la volonté d'unité
nationale, que sont engagées les rébellions de Gizenga, Mulele et Gbenyé. Mobutu lui-même
récupérera ce mythe à son profit à partir de 1966. Les années qui suivent la mort du héros
consacrent sur le plan politique la prééminence des tendances fédéralistes avec les
gouvernements de Cyrille Adoula et de Tschombé (juillet 1964), qui a été rappelé d'exil. En 1962
est adoptée une réforme qui crée 21 provinces (contre 6 auparavant). Le pays est totalement
balkanisé, soumis aux caprices et aux pillages des baronnies provinciales.
Sûr de l'appui d'une armée dans laquelle il a instauré un minimum de discipline, inquiet sans
doute du poids croissant de Tschombé, dont le parti, la Convention nationale congolaise
(Conaco), vient de remporter les élections législatives (printemps 1965), mais qui a été renvoyé
par le président Kasavubu en octobre, Mobutu destitue ce dernier le 24 novembre et déclare
assumer « pour cinq ans » les fonctions de chef de l'État. En réalité, son « règne » durera trente
ans.
La mise en place des instruments d'un pouvoir absolu (1966-1970)
Le coup d'État recueille une large approbation, tant dans le pays qu'à l'étranger. Mobutu est alors
perçu comme un homme énergique, mais pondéré et honnête. Il va mener une stratégie simple,
mais efficace : éliminer ses adversaires, neutraliser ses concurrents, imposer l'ordre intérieur,
renforcer l'unité du pays. Sur le plan extérieur, sa ligne politique, sommaire, se résume à un
anticommunisme qui lui vaudra l'appui sans faille, voire la complaisance, des puissances
occidentales, ce qui ne l'empêche pas de tenir, à usage interne, des discours nationalistes et
anticolonialistes.
Les années 1966 et 1967 sont révélatrices. Une des premières décisions de Mobutu est de
réduire le nombre des provinces à 14 et d'africaniser le nom des grandes villes. Léopoldville
devient Kinshasa. Le 2 juin 1966 sont exécutés publiquement, après un procès expéditif, « les
conjurés de la Pentecôte » arrêtés le 30 mai. Durant l'été, l'armée, aidée de mercenaires dirigés
par Jean Schramme et Bob Denard, met fin à une mutinerie « tschombiste » à Kisangani. En
décembre, l'UMHK est nationalisée. En avril-mai 1967 est créé le Mouvement populaire de la
révolution (MPR), dont Mobutu est le président-fondateur et qui est doté d'une charte, le
Manifeste de la N'Sélé, du nom du domaine du chef de l'État. En juin est adoptée par référendum
une Constitution instaurant un régime présidentiel et le bipartisme, et réduisant le nombre des
provinces à 8, tandis qu'est créée une nouvelle monnaie, le zaïre. Condamné à mort par
contumace en mars, Tschombé est victime à Majorque d'un mystérieux enlèvement, avant d'être
emprisonné à Alger, où il mourra en 1969. En novembre sont réduites les mutineries de
mercenaires et d'ex- « gendarmes katangais » au Kivu et au Katanga. Cette période s'achève le
31 octobre 1970, avec l'élection à la présidence de la République de Mobutu, candidat unique.
Le système Mobutu (1971-1989)
La longévité de Mobutu s'explique d'abord par le charisme de l'homme. Il est populaire, parce
qu'il a mis fin à la guerre civile et parce qu'il ravive, par la dénonciation incessante de
l'impérialisme, les sentiments anticoloniaux de la population. La politique d'« authenticité », qu'il
lance à partir de 1971, répond à cette seconde stratégie. Elle prend en premier lieu une forme
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symbolique, avec l'africanisation des noms de lieux et de personnes. Le Congo devient le Zaïre,
et les prénoms chrétiens sont proscrits, malgré la protestation de l'Église catholique, mais à la
grande joie des kimbanguistes. Sont interdits aussi le costume occidental et le port de la cravate
(remplacés non pas par une tenue traditionnelle, mais par une sorte de veste à col officier). Sur le
plan économique, les entreprises sont « zaïrianisées », avec des résultats plus que discutables. Le
culte de Mobutu est systématiquement entretenu par les diverses organisations du MPR, qu'une
révision constitutionnelle de 1974 définit comme la « nation zaïroise organisée politiquement ».
Un autre aspect caractéristique du régime est le recours à la violence, brutale quand il s'agit de
mater les étudiants ou les manifestations de rue, plus insidieuse lorsqu'il faut dissuader
d'éventuels contestataires. Mobutu saura mettre en place divers services « d'études » (en fait
police politique) et de répression, dont la trop fameuse DSP (Division spéciale présidentielle).
Mais rapidement se développe un système de corruption généralisée qui s'étend aux fonctions
officielles. Du simple policier au président, les détenteurs de l'autorité adoptent un comportement
de prédateurs. Comme par ailleurs le maréchal-président souhaite éviter par-dessus tout la
création de baronnies trop puissantes, la rotation des dirigeants devient un principe de
gouvernement. Premiers ministres, ministres, gouverneurs de province, dirigeants d'entreprises
nationales se succèdent donc à un rythme accéléré, chacun d'entre eux cherchant à se constituer
une réserve personnelle en prévision d'une disgrâce inévitable et prochaine.
Les excès du régime ne lui aliènent cependant pas la bonne volonté des puissances occidentales
(États-Unis, Belgique, France), même si les relations avec l'ancienne puissance coloniale
demeurent quelque peu chaotiques. Malgré des remontrances discrètes, les signes de soutien
sont, eux, très clairs. À deux reprises, en 1977 et 1978 (notamment à Kolwezi), les militaires
français et belges permettront de repousser une invasion armée au Shaba (Katanga).
L'anticommunisme de Mobutu, en ces temps de guerre froide, fait de lui un allié trop précieux
pour que l'on se permette de rompre avec lui. L'Afrique australe est en effet menacée de
déstabilisation, et les Cubains sont présents en Angola. Les États-Unis apprécient de pouvoir
utiliser le Zaïre comme base arrière dans leur soutien officieux à l'UNITA de Jonas Savimbi.
La crise du Kivu et la chute de Mobutu (1990-1997)
La chute du communisme, et notamment la fin tragique du dictateur roumain Ceauşescu,
prennent de court Mobutu. Le maréchal-président n'est plus aussi indispensable aux
Occidentaux, qui prennent progressivement leurs distances. Sur le plan intérieur, la contestation
se développe alors que les ressources de l'État s'effondrent. Mobutu, sans doute déjà affaibli par
la maladie, paraît désemparé, tentant parfois de récupérer le mouvement à son profit, ou plus
souvent réagissant avec raideur et autoritarisme. Mais les moyens de sa politique lui manquent
de plus en plus, et l'armée, dont les maigres soldes ne sont payées qu'avec de longs retards, se
livre régulièrement à des pillages en règle. L'histoire de cette période est particulièrement
complexe. On retiendra l'émergence de contre-pouvoirs avec la conférence nationale réunie à
partir d'août 1991, ce qui aboutira pendant un temps à la coexistence de deux Parlements et de
deux gouvernements. Au sein de l'opposition, divisée et en proie aux rivalités entre dirigeants,
une personnalité, Étienne Tshisekedi, se distingue et recueille la faveur des pays occidentaux.
Début 1996, il semble bien placé pour succéder à Mobutu, dont la fin paraît inéluctable.
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En réalité, le coup fatal au régime sera porté à partir de l'Est, au Kivu. Cette province, déjà
surpeuplée, a vu déferler à partir de juillet 1994 une vague de 1,2 million de Rwandais hutu
encadrés et infiltrés par des miliciens Interahamwe (les « génocidaires »), fuyant, par peur des
représailles, le nouveau pouvoir tutsi vainqueur à Kigali, le Front patriotique rwandais (FPR). Le
génocide rwandais et cette nouvelle pression démographique rendent la cohabitation entre
Zaïrois autochtones, Banyarwanda (Zaïrois hutus et tutsis originaires du Rwanda) et
Banyamulenge (Zaïrois tutsis d'origine rwandaise installés au Kivu depuis les années 1930) très
difficile et accroissent les tensions. Une hostilité anti-tutsi s'installe au Zaïre où le Parlement
adopte, en avril 1995, plusieurs résolutions visant à assimiler tous les Zaïrois d'origine rwandaise
à des réfugiés et appelant notamment à expulser les Banyamulenge, qui auraient acquis la
nationalité zaïroise de façon frauduleuse. Se sentant menacés, les Banyamulenge prennent les
armes en octobre 1996 et s'emparent d'Uvira. Leur rébellion, soutenue par le Rwanda, l'Ouganda
et le Burundi, et rejointe par des opposants de tous bords à Mobutu, s'organise en Alliance des
forces démocratiques pour la libération du Congo-Zaïre (AFDL), que dirige un inconnu, LaurentDésiré Kabila. En quelques jours, l'AFDL s'empare des principales villes du Kivu, l'armée
zaïroise se contentant de piller avant de disparaître. La plupart des réfugiés hutus parviennnent
de gré ou de force, mais toujours dans des conditions dramatiques, à rejoindre le Rwanda ;
300 000 d'entre eux, pris en tenailles, sont massacrés dans les forêts de l'Est zaïrois par l'AFDL
et ses alliés étrangers. Ces faciles succès convainquent L.-D. Kabila, aidé et conseillé par le
Rwanda, de poursuivre l'aventure et de marcher sur Kinshasa. Sa conquête de l'immense Zaïre ne
va prendre que quelques mois, l'appareil d'État s'effondrant à la simple annonce de l'arrivée de
l'AFDL : Kisangani tombe le 15 mars 1997, Mbuji-Mayi le 4 avril, Lubumbashi le 10. Des
négociations entre L.-D. Kabila et Mobutu, menées sous les auspices du président sud-africain
Nelson Mandela, ne donnent aucun résultat. Mobutu quitte Kinshasa le 16 mai 1997 (il mourra
en exil au Maroc en septembre). Le lendemain, alors que les rebelles prennent le contrôle de la
capitale, L.-D. Kabila se fait proclamer à la tête de l'État qu'il rebaptise République démocratique
du Congo (RDC).
La régionalisation du conflit (1998-2003)
L.-D. Kabila bénéficie initialement d'un réel soutien populaire. Chacun s'attend à ce qu'il s'appuie
sur les forces démocratiques issues de la conférence nationale et qu'il fasse de Tshisekedi son
Premier ministre. Il n'en est rien : L.-D. Kabila s'octroie par décret constitutionnel la totalité des
pouvoirs et interdit toute activité politique (les partis seront à nouveau autorisés en janvier 1999).
En avril 1999, l'AFDL est dissoute, alors que les Comités de pouvoir populaire, inspirés du
modèle libyen, qui fleurissent dans les ministères, les communes, les universités, les entreprises,
etc., ne remplissent pas les fonctions d'un véritable parti politique. La plus grande opacité
entoure les actions du nouveau régime, ainsi qu'en témoignent son obstruction à une enquête de
l'ONU sur le massacre des réfugiés hutus et les expulsions des organisations non
gouvernementales.
Fin 1997, L.-D. Kabila commence à prendre ses distances avec ses alliés rwandais, ougandais
et burundais dont les troupes stationnent toujours au Kivu, et les accuse, début 1998, de piller les
ressources minières du pays et de porter atteinte à son intégrité territoriale. Le Rwanda,
l'Ouganda et le Burundi justifient leur présence par la nécessité de sécuriser les frontières et
d'empêcher les incursions de mouvements rebelles vers leur pays respectif. Ils manifestent
11
surtout la volonté de consolider leur main-mise sur l'exploitation des richesses naturelles de la
région et décident, en août 1998, de soutenir les rébellions des Congolais tutsis d'origine
rwandaise – le Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD) et le Mouvement de
libération du Congo (MLC) de Jean-Pierre Bemba. L.-D. Kabila, rapidement menacé, parvient à
se maintenir grâce à l'appui de l'Angola, de la Namibie, du Zimbabwe et du Tchad. Le conflit
prend alors une dimension régionale avec l'implication de sept pays, d'une trentaine de groupes
armés.
L'accord de Lusaka (juillet 1999)
Le 10 juillet 1999, un accord de paix instaurant un cessez-le-feu est signé à Lusaka (Zambie) par
le gouvernement de Kinshasa et ses alliés angolais, namibiens et zimbabwéens, d'une part, et, par
le Rwanda, l'Ouganda et le Burundi, d'autre part. Les mouvements rebelles – le MLC de J.P. Bemba puis le RCD – se rallient peu après à cette initiative. L'accord de Lusaka prévoit le
retrait des groupes armés étrangers, l'instauration d'une force des Nations unies chargée de
désarmer les rebelles et l'ouverture d'un dialogue national. En dépit du déploiement de la
MONUC en février 2000, le cessez-le-feu est systématiquement violé par les différents
protagonistes du conflit ; du 5 au 10 juin 2000 notamment, plus de 600 civils sont tués et 3 000
autres blessés lors de combats opposant les forces armées rwandaises et ougandaises à
Kisangani.
Joseph Kabila et la difficile pacification du pays
Le 16 janvier 2001, L.-D. Kabila est assassiné par son propre garde du corps. Les mobiles de
cette élimination demeurent obscurs ; l'hypothèse, cependant, d'une orchestration par l'Angola ou
par le Zimbabwe, lassés des frasques et du caractère imprévisible de L.-D. Kabila, ne peut être
écartée. Son fils, Joseph, vingt-neuf ans, chef d'état-major de l'armée congolaise, resté jusqu'à
présent dans l'ombre de son père, est désigné par ses proches pour lui succéder.
Proclamé président de la République par le Parlement provisoire le 24 janvier 2001, Joseph
Kabila devient le plus jeune chef d'État au monde. Il promet une pacification rapide du pays et
entreprend une tournée diplomatique en Europe et aux États-Unis afin d'obtenir le soutien de la
communauté internationale à une relance de l'accord de Lusaka, resté lettre morte. Il s'engage à
organiser des élections libres après le retrait des troupes rwandaises et ougandaises. Alors que
seule la Namibie a accepté de rapatrier son contingent, le Burundi consent, en janvier 2002, au
retrait de ses troupes en échange de la sécurisation du Sud-Kivu par l'armée congolaise. En vertu
de l'accord de paix signé le 30 juillet 2002 à Pretoria, Kinshasa s'engage à désarmer avec l'aide
de la MONUC les milices Interahamwe repliées sur son territoire ; en contrepartie, le Rwanda
accepte le retrait de ses troupes (les derniers soldats rwandais quitteront Goma le 5 octobre). Le
6 septembre 2002, l'Ouganda conclut avec la RDC un accord similaire prévoyant le retrait total
de ses troupes du nord-est de la RDC et la normalisation des relations diplomatiques entre les
deux pays.
Le dialogue intercongolais et le partage du pouvoir
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Le dialogue intercongolais – volet politique du processus de paix initié par l'accord de Lusaka de
1999 – débute en octobre 2001 en Afrique du Sud. Il rassemble des représentants du pouvoir, de
l'opposition, des rebelles et de la société civile Après de difficiles pourparlers menés sous la
médiation de l'ONU et du président sud-africain Thabo Mbeki, un accord intervient le
17 décembre 2002. Il prévoit, avant l'organisation d'élections générales, un partage du pouvoir
pendant une période transitoire de deux ans entre l'actuel chef de l'État et quatre vice-présidents
émanant de l'opposition non armée, de la société civile et des deux principaux mouvements
rebelles (RCD et MLC). Après la signature le 2 avril 2003 à Sun City d'un accord global par
l'ensemble des factions belligérantes, J. Kabila promulgue une nouvelle Constitution et nomme,
conformément à l'accord du 17 décembre 2002, un gouvernement d'union nationale de transition
le 30 juin 2003.
Le référendum constitutionnel du 18 décembre 2005 (approuvé par 83 % des votants) amorce
le retour à la normale en ouvrant un cycle d'élections législatives, sénatoriales, locales et
présidentielle devant s'achever en 2006. À l'issue du deuxième tour de l'élection présidentielle, le
29 octobre 2006, J. Kabila est élu avec 58 % des suffrages exprimés, contre 41,9 % pour J.P. Bemba, qui devient l'un des quatre vice-présidents. La coalition présidentielle, Alliance pour
la majorité présidentielle (AMP) et ses alliés, dont le parti lumumbiste unifié (Palu) d'Antoine
Gizenga, bénéficient de la majorité à l'Assemblée nationale et au Sénat. Gizenga est nommé
Premier ministre. À la suite de violents affrontements opposant au printemps 2007 l'armée à ses
partisans, J.-P. Bemba se réfugie au Portugal (il sera arrêté en mai 2008 en Belgique, à la suite
d'un mandat d'arrêt délivré par la Cour pénale internationale [CPI], pour crimes de guerre et
crimes contre l'humanité commis par ses troupes du MLC lors d'incursions en République
centrafricaine de 2002 à 2003). En octobre 2008, Adolphe Muzito, numéro 2 du Palu, est nommé
Premier ministre, en remplacement de A. Gizenga démissionnaire. Depuis juin 2009, la coalition
présidentielle gouverne dans les 11 provinces.
Persistance des violences dans l'est du pays
En dépit de la présence de la MONUC, le processus de paix demeure toujours menacé. De graves
tensions persistent en Ituri au Kivu, entretenues par les incessants trafics d'armes, les luttes
d'influence entre le Rwanda et l'Ouganda, qui entendent poursuivre l'exploitation des richesses
naturelles de la RDC.
En Ituri, où les conflits entre Hemas et Lendus ont fait plus de 50 000 morts depuis 1999, les
affrontements se sont intensifiés en dépit du départ des troupes rwandaises et ougandaises et des
timides interventions de la MONUC. Après le massacre d'un millier de civils au nord de Bunia
au début de l'année 2003, l'Union européenne lance l'opération Artémis en juin. Dès octobre
2004, 4 800 Casques bleus sont déployés en Ituri. L'intensification des violences en Ituri (mort
de 9 Casques bleus bangladais dans une embuscade en février 2005) pousse, en avril 2005, le
Conseil de sécurité à prolonger de six mois la mission de la MONUC – dès lors la plus
importante mission de maintien de la paix des Nations unies dans le monde.
Au Nord-Kivu, l'armée congolaise appuyée par la MONUC parvient à prendre en décembre
2005 le contrôle de la quasi-totalité des camps de rebelles ougandais des Forces démocratiques
alliées (ADF) et de l'Armée nationale de libération de Ouganda (NALU). Elle est également
13
confrontée au Congrès national pour la défense du peuple (CNDP, fondé en 2006 par Laurent
Nkunda, un général rebelle tutsi soutenu par le Rwanda qui affirme vouloir protéger les
Banyamulenge contre les anciens génocidaires hutus des Forces démocratiques de libération du
Rwanda [FDLR]). En 2007, ces combats provoquent une crise sécuritaire majeure (attaque
systématique des civils, campagnes de viols et de recrutements d'enfants-soldats). En août 2008,
Nkunda lance une offensive qui contraint l'armée congolaise à abandonner la capitale régionale,
Goma. Le Rwanda et la RDC optent finalement pour un renversement d'alliances et décident
dans un accord secret (décembre 2008) d'engager ensemble une opération contre les FDLR.
Victime de ce retournement d'alliance, Nkunda se réfugie au Rwanda, où il est finalement arrêté
(janvier 2009). Le président de l'Assemblée nationale doit démissionner pour avoir critiqué
l'entrée des troupes rwandaises dans le pays.
14
Larousse.fr
http://www.larousse.fr/encyclopedie/pays/Rwanda/141732
Rwanda
État d'Afrique centrale situé dans la région dite « des Grands Lacs », le Rwanda est limité au
nord par l'Ouganda, à l'est par la Tanzanie, au sud par le Burundi et à l'ouest par la République
démocratique du Congo et le lac Kivu.
Superficie : 26 338 km2
Nombre d'habitants : 9 998 000 (estimation pour 2009)
Nom des habitants : Rwandais
Capitale : Kigali
Langues : anglais, français et rwanda…
GÉOGRAPHIE
Le Rwanda correspond à une partie du socle africain, dont le relief est le résultat de mouvements
tectoniques qui l'ont cassé, porté en hauteur, et qui ont permis la formation de la chaîne des
Virunga, composée d'une série de volcans, dont le plus élevé, le Karisimbi (4 507 m), porte le
point culminant du pays. Il se divise en trois éléments : la crête ou dorsale Congo-Nil, le Plateau
central et les Basses Terres. La crête s'étire du nord au sud sur une largeur de 20 à 50 km et avec
une altitude variant de 1 900 à 3 000 m. Elle domine le lac Kivu par un abrupt fortement
découpé. Le versant oriental, à la pente plus douce, se raccorde au Plateau central, formé d'une
multitude de collines. À l'est s'étendent les Basses Terres lacustres (1 300 à 1 500 m d'altitude),
qui annoncent déjà la pénéplaine tanzanienne. Le Rwanda, malgré la proximité de l'équateur, a,
grâce à l'altitude, des températures (moyenne annuelle : 19 °C) et des pluies (de 700 à 2 500 mm)
modérées.
Plantation de thé
15
Le Rwanda se situe dans la région des Grands Lacs, la plus densément peuplée de toute
l'Afrique. Le pays comptait près de 300 hab./km2 au début des années 1990, voire plus de
400 hab./km2 dans certaines préfectures comme celles de Kigali, de Ruhengeri ou de Butare. Le
dynamisme démographique était alors extrêmement élevé, avec une croissance naturelle proche
de 4 % par an, du fait d'une forte fécondité (8 enfants par femme) et d'une mortalité relativement
basse (de l'ordre de 18 ‰). Il en résultait une extrême jeunesse de la population, près de la moitié
des habitants ayant moins de 15 ans. Le drame de 1994 a notablement modifié ces données, du
fait des nombreuses victimes qu'il a occasionnées, mais aussi du départ des réfugiés dans les
pays voisins, dont une partie seulement est rentrée au pays. L'habitat est très majoritairement
rural, réparti sur les « collines », et le taux de population urbaine est inférieur à 20 %. Il est le
reflet de la prépondérance écrasante des productions agricoles dans l'économie nationale. Le petit
élevage (ovins, caprins, volailles) prend peu à peu le pas sur les bovins, faute d'espace, et les
cultures vivrières sont dominées par la banane plantain (dont on tire notamment une « bière » qui
est la boisson nationale), le manioc et la patate douce. Thé et café, d'excellente qualité, sont les
principales cultures d'exportation. Il est difficile de savoir si l'industrie, limitée à quelques
productions de biens de consommation (boissons, chaussures), est en voie de retrouver son
niveau de la fin des années 1980. Il serait de même hasardeux de donner des chiffres précis à
propos des finances publiques et de la balance commerciale, dont on sait seulement qu'elles sont
structurellement déficitaires. Le Rwanda est aujourd'hui l'un des pays les plus pauvres du monde.
Le génocide a répandu dans le monde entier l'image d'un Rwanda déchiré entre deux
« ethnies », l'une majoritaire, les Hutus, l'autre minoritaire, les Tutsis. On a de ce fait tendance à
laisser de côté ce qui fait l'unité de la population. En effet, outre un mode de vie rural dominant,
les Rwandais ont en commun une langue unique de type bantou, le kinyarwanda, et ils professent
très majoritairement la même religion, le catholicisme. Les causes des tragiques affrontements de
1994 doivent en réalité être davantage recherchées dans l'histoire du pays que dans un
quelconque déterminisme « ethnique ».
HISTOIRE
Peuplé dès la préhistoire, le Rwanda est érigé en État au XIVe s. sous la forme d'une monarchie
quasi théocratique à la tête de laquelle se trouve la dynastie des mwamis (rois) Banyiginyas, qui
régnera jusqu'en 1960. L'organisation de la société, qui vise notamment à assurer la pérennité des
deux ressources du royaume, l'agriculture et l'élevage, fait progressivement l'objet de règles
extrêmement précises, instaurant notamment un véritable code du fermage-métayage, tant en ce
qui concerne les troupeaux que les terres. Le pays est divisé en circonscriptions administratives,
les districts, avec à leur tête deux chefs, l'un pour le bétail, l'autre pour les terres. La distinction
entre les Tutsis et les Hutus est en quelque sorte fonctionnelle : les premiers sont éleveurs, les
seconds agriculteurs. Le passage d'une catégorie à une autre est possible, de même que les
mariages mixtes. L'aristocratie – qui possède bétail ou terre – est aussi bien hutue que tutsie.
La colonisation et la création du mythe tutsi
Comme au Burundi, ce sont les Allemands qui « découvrent » le Rwanda. La conquête est
pacifique, se traduisant par un traité de protectorat (1898) et par l'installation de la première
mission des Pères blancs dès 1900. Attaqués par les Belges, les Allemands doivent se retirer de
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la région en 1916. Les traités de paix entérinent cette situation, et le « Ruanda-Urundi », placé
sous mandat belge par la S.D.N. en 1924, est rattaché au Congo, avec cependant une certaine
autonomie.
Si les Belges maintiennent la monarchie traditionnelle, ils en dénaturent complètement la
signification. L'ancien système de redevances-prestations est en grande partie aboli, comme est
supprimée l'administration des districts. En 1931, le mwami Musinga est déposé et remplacé par
son fils, baptisé dans la religion catholique. Dans ce pays pauvre, l'Église devient la principale
puissance, et convertit massivement la population, tout en lui prodiguant soins et enseignement.
Ses membres contribuent à la reconstruction de l'histoire à propos des Tutsis, qui seraient
d'origine nilotique et se distingueraient par leur « grande taille » et la « finesse » de leurs traits.
Cette survalorisation de leur apparence – sans doute liée pour une part au mode d'alimentation
spécifique des éleveurs, et qui d'ailleurs n'est pas homogène – l'emporte sur la recherche
historique objective. Ainsi distingués par leur origine supposée, les Tutsis vont devenir les
privilégiés de la puissance coloniale, et assurer, sous l'autorité des Belges, l'encadrement du pays.
La « Toussaint rwandaise », la république et l'indépendance
En 1957 est publié le « Manifeste des Bahutu » (pluriel de Hutu en kinyarwanda), qui dénonce
« le monopole politique dont dispose une race, la Mututsi ». Les revendications hutues sont
désormais soutenues par l'Église catholique en la personne de Mgr Perraudin, d'origine suisse, qui
devient archevêque de Kigali en 1959. Cette même année voit la naissance d'un parti
monarchiste, l'Union nationale rwandaise (Unar) et d'une formation ethnique, le Parmehutu (parti
du Mouvement pour l'Émancipation des Bahutu). Elle s'achève avec le déclenchement, le
1er novembre, jour de la Toussaint, d'une révolte des Hutus, qui ensanglante le pays et entraîne le
départ en exil (notamment en Ouganda) de très nombreux Tutsis, mais aussi de Hutus. La
Belgique dépêche sur place un véritable proconsul, le colonel Logiest, qui, renversant la ligne
politique belge traditionnelle, décide de donner le pouvoir aux Hutus. Ces derniers triomphent
aux élections communales de juillet 1960, ce qui amène les autorités belges à déposer le mwami
Kigeri V en décembre suivant. Avec l'accord du colonel Logiest, la république est proclamée à
Gitarama le 28 janvier 1961. Ce « coup d'État » est entériné le 25 septembre par un référendum,
et Grégoire Kayibanda, « Hutu du Centre », est élu président de la République le 26 octobre. Les
législatives permettent au Parmehutu de recueillir 78 % des voix. L'indépendance intervient le
1er juillet 1962.
Grégoire Kayibanda et le pouvoir hutu
Le Parmehutu se transforme en Mouvement démocratique républicain (M.D.R.), appelé à
dominer la vie politique rwandaise au cours des années 1962-1973. Une attaque menée par des
exilés tutsis venus du Burundi a lieu en décembre 1963 (une première attaque s'était déjà
produite en mars 1961). En représailles, plusieurs milliers de Tutsis de l'intérieur sont massacrés,
et les membres tutsis du gouvernement d'union nationale sont exécutés. Une nouvelle vague
d'émigration vient renforcer la diaspora qui commence à se constituer, non seulement en Afrique
(Burundi, Tanzanie, Ouganda, Congo-Kinshasa), mais aussi en Belgique et aux États-Unis. Elle
est active et influente. L'antitutsisme devient une constante de la politique de Grégoire
Kayibanda, et culmine en février 1973 avec une épuration systématique entreprise dans les
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écoles, l'administration et le secteur privé, et de nouveaux massacres. Mais en juillet de la même
année, un coup d'État porte, sans effusion de sang, le général Juvénal Habyarimana, « Hutu du
Nord », au pouvoir.
La seconde République
Avec J. Habyarimana et la seconde République, une ère moins brutale commence. Le Parlement
et le M.D.R. sont suspendus. En 1978, une nouvelle Constitution est adoptée, qui instaure un
parti unique, le Mouvement révolutionnaire national pour le développement (M.R.N.D.), auquel
appartiennent tous les Rwandais dès leur naissance. La « question ethnique » est censée être
résolue par le système des quotas, inspiré du modèle belge. L'accès aux écoles, aux postes
administratifs, etc., est calqué sur la répartition ethnique de la population, soit 9 % pour les
Tutsis, 1 % pour les Twas (pygmées), 90 % pour les Hutus. Pour tous les observateurs étrangers,
le Rwanda est entré dans une période de stabilité et de progrès économique. L'image du pays et
celle de son président deviennent excellentes, les aides affluent (belge et française notamment,
mais pas uniquement), les O.N.G. multiplient leurs interventions, la Banque mondiale délivre un
satisfecit au gouvernement pour avoir fait en sorte que la production vivrière croisse plus vite
que la population.
Le double défi : la démocratisation et le Front patriotique rwandais
Dans le même temps en Ouganda, les émigrés rwandais – les Banyarwandas –, qui ne sont pas
tous tutsis, se sont organisés au sein d'une organisation de soutien aux réfugiés qui donne
naissance en 1987 au Front patriotique rwandais (F.P.R.). Plusieurs milliers d'entre eux, et
notamment l'officier tutsi Paul Kagame, ont combattu avec le futur président ougandais Yoweri
Museveni lors de sa conquête du pouvoir en 1986. Cette présence rwandaise est cependant de
moins en moins bien supportée par les Ougandais. Convaincu que les Banyarwandas ne pourront
rentrer pacifiquement dans leur pays – en 1982, J. Habyarimana en a refoulé 80 000 qui venaient
d'être expulsés par le président ougandais de l'époque, Milton Obote –, le F.P.R. pénètre en
armes au Rwanda le 1er octobre 1990.
Depuis quelques mois, J. Habyarimana s'efforce de maîtriser les aspirations démocratiques qui
se manifestent dans le pays. L'attaque du F.P.R. va lui permettre d'obtenir un renforcement des
aides française et belge, en particulier sur le plan militaire. La guerre, entrecoupée de trêves et de
cessez-le-feu, va durer presque quatre ans. Elle s'accompagne d'exodes de populations, de
massacres de Tutsis, du procès de « complices des envahisseurs », d'un renforcement
considérable des Forces armées rwandaises (F.A.R.). Dans le même temps, une nouvelle
Constitution est adoptée (juin 1991), qui reconnaît le multipartisme et accorde le droit de grève
aux fonctionnaires. En avril 1992, le président Habyarimana accepte la formation d'un
gouvernement de transition dirigé par un Premier ministre issu de l'opposition. Sous la pression
internationale, de difficiles négociations entre le gouvernement et le F.P.R. débutent à Arusha
(Tanzanie) au milieu de 1992. Elles visent non seulement à rétablir la paix, mais à organiser le
« partage du pouvoir » entre le M.R.N.D., le F.P.R. et les partis d'opposition. Après de
nombreuses vicissitudes, et en dépit de la poursuite des opérations militaires, elles débouchent
sur des accords signés le 4 août 1993. Mais ces derniers restent sans effet malgré la présence des
contingents de la MINUAR (Mission des Nations unies d'assistance au Rwanda) chargés de les
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faire respecter. Le Premier ministre Faustin Twagiramungu (un Hutu modéré, président du
M.D.R.) ne parvient pas à former un gouvernement de coalition.
Les cent jours d'un génocide planifié (7 avril-19 juillet 1994)
La démarche entreprise à Arusha est totalement rejetée par les extrémistes hutus. Ces derniers
ont fondé en 1992 la Coalition pour la défense de la République (C.D.R.), puis les milices
Interahamwe (« ceux qui tuent ensemble ») du parti unique du président Habyarimana, le
M.R.N.D. Ils se livrent, via le journal Kangura et, à partir de 1993, via la Radio des mille
collines, à une propagande massive outrageusement antitutsie. Ils assassinent des responsables
politiques modérés. C'est dans ce contexte que, le 6 avril 1994, l'avion qui transporte le président
J. Habyarimana et son homologue burundais est abattu lors de son atterrissage à Kigali. Le
génocide des Tutsis et des Hutus modérés, organisé par les milices Interahamwe et par une partie
des F.A.R. suivant des plans et des listes établis de longue date, commence le lendemain. Les
combats qui opposent les forces gouvernementales à celles du F.P.R. s'étendent rapidement à
l'ensemble du pays, provoquant d'atroces tueries et un exode massif de Hutus vers les pays
voisins. Face à l'impuissance de la MINUAR, dont les effectifs, réduits, tardent à se renforcer,
l'O.N.U. autorise la France à engager une opération militaire à but humanitaire (l'« opération
Turquoise », juin-août 1994) pour porter assistance aux civils rwandais réfugiés par centaines de
milliers dans une zone de sécurité créée dans le sud-ouest du pays, à la frontière du Zaïre. Après
sa victoire totale sur les forces gouvernementales, le F.P.R. entre dans Kigali le 4 juillet et prend
le pouvoir le 19.
Si les faits sont connus, leur interprétation fait encore l'objet, après plusieurs années, de vives
controverses. Concernant les victimes, les chiffres cités vont de 800 000 à 1 million ; la
responsabilité de l'attentat est aussi bien attribuée aux extrémistes hutus qu'au F.P.R. ; le
président Juvénal Habyarimana est présenté soit comme un élément modérateur, soit au contraire
comme un dictateur ayant soutenu les extrémistes ; la France, pour certains, est coupable d'avoir
soutenu un régime dictatorial et d'avoir protégé, avec l'« opération Turquoise », les auteurs du
génocide, alors que d'autres estiment qu'elle a fait pression en faveur des accords d'Arusha et
qu'elle a permis de sauver de très nombreuses vies humaines ; l'attitude de la Belgique, celle des
États-Unis, de l'O.N.U., sont mises en question. Face à un drame de cette ampleur, de longues
années seront nécessaires pour que la vérité puisse commencer à émerger du maelström des
passions.
Un pays meurtri
Le nouveau pouvoir, représenté par le président Pasteur Bizimungu, Hutu modéré, et dans lequel
l'organisateur de la victoire du F.P.R., le général tutsi P. Kagame, vice-président de la
République et ministre de la Défense depuis juillet 1994, joue un rôle éminent, s'attache avant
tout à assurer sa sécurité, alors que les troupes de la MINUAR quittent le Rwanda à l'expiration
de leur mandat (mars 1996). La présence de camps de réfugiés hutus dans l'Est zaïrois (au Nordet au Sud-Kivu), encadrés par d'anciens membres des F.A.R. et des milices, tolérés par le
maréchal Mobutu, conduit le gouvernement rwandais à soutenir le « raid » de Laurent-Désiré
Kabila contre le pouvoir zaïrois, en 1997. Chassés des camps par la force, une partie des réfugiés
rentrent au Rwanda, certains gagnent l'Angola, la République centrafricaine, le Congo, le Gabon
19
et le Cameroun, d'autres sont massacrés. Mais les extrémistes hutus, encouragés par la rébellion
hutue du Burundi, ne désarment pas : en bandes armées, ils sillonnent le pays et continuent de
massacrer de nouvelles victimes, justifiant du même coup la politique répressive et sanglante de
Kigali.
La dérive autoritaire du régime
Le gouvernement, peu confiant dans l'efficacité du Tribunal pénal international pour le Rwanda
(T.P.I.R.) institué par l'O.N.U. à Arusha en 1994, et auquel il reproche aussi de ne pouvoir
prononcer de peine capitale, a mis en place son propre dispositif répressif. Faute de moyens, les
prisons sont surchargées. Des voix nombreuses – à commencer par celle de Faustin
Twagiramungu, Premier ministre en juillet 1994, démissionnaire un an plus tard – s'élèvent pour
dénoncer les atteintes aux droits de l'homme commises par le F.P.R. La discrétion, pour ne pas
dire le secret, dont le gouvernement entoure son action n'est pas de nature à rassurer l'opinion
internationale. Quant au retour de la démocratie, le Forum des partis politiques rwandais, à
l'origine du premier gouvernement d'unité nationale mis en place en 1994, a décidé en juin 1999
de le retarder de quatre ans. La transition politique, au cours de laquelle étaient prévues
l'élaboration d'une Constitution et l'organisation d'élections, devait initialement être achevée en
juillet 1999. Enfin, les dissensions au sommet de l'État finissent par entraîner, en mars 2000, la
démission de P. Bizimungu de ses fonctions de président de la République et de vice-président
du F.P.R. ; P. Kagame assure l'intérim jusqu'au 17 avril, date à laquelle il est désigné par les
députés de l'Assemblée nationale transitoire (A.N.T.) et par le gouvernement président de la
République. Cette rupture entre les deux hommes, en mettant un point final à la tentative de 1994
de mise en place d'un gouvernement « mixte », porte un sérieux coup aux efforts visant à
réconcilier la majorité hutue et la minorité tutsie, qui détient le pouvoir.
Les interventions militaires rwandaises en République démocratique du Congo
En août 1998, le Rwanda engage – aux côtés de l'Ouganda et du Burundi – son armée en
République démocratique du Congo (ex-Zaïre). Après avoir aidé, en 1996, Laurent-Désiré
Kabila à conquérir le pouvoir, ces trois pays luttent à présent – chacun d'entre eux avec des
motivations différentes – pour le renverser et s'allient à trois groupes rebelles congolais, qui ont
par ailleurs des divergences entre eux. De l'autre côté, l'Angola, le Zimbabwe et la Namibie
soutiennent le régime de L.-D. Kabila. Le Rwanda, estimant, d'une part, sa sécurité menacée par
la présence dans l'Est congolais de milliers de miliciens Interahamwe auxquels s'est allié L.D. Kabila, apporte son soutien à la rébellion du R.C.D./Goma (Rassemblement congolais pour la
démocratie). D'autre part, le Rwanda, surpeuplé, cherche à étendre son territoire et vise, en
particulier, le Kivu congolais. En dépit d'un accord de cessez-le-feu signé en juillet 1999 à
Lusaka par l'ensemble des belligérants, les hostilités se poursuivent. Instaurant une guerre dans la
guerre, le Rwanda et l'Ouganda (ce dernier soutient le R.C.D./Kisangani, une faction rivale du
R.C.D./Goma) s'affrontent sporadiquement entre 1999 et 2000 pour le contrôle de Kisangani et
des richesses diamantifères. Le 30 juillet 2002, grâce à la médiation du président sud-africain
Thabo Mbeki, le Rwanda et la R.D.C. de Joseph Kabila signent un accord de paix prévoyant le
désarmement des milices Interahamwe puis leur rapatriement en échange d'un retrait des troupes
rwandaises du territoire congolais. Ce dernier s'achève effectivement en octobre 2002.
Cependant, l'armée rwandaise apporte son soutien à une nouvelle rébellion de soldats
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banyamulenge qui, en juin 2004, s'emparent brièvement de Bukavu. Et, en décembre, Kigali
menace de détruire les bases d'extrémistes hutus toujours présentes dans l'Est congolais si la
communauté internationale ne règle pas cette question. Finalement, le 31 mars 2005, après
plusieurs mois de pourparlers avec les autorités congolaises et rwandaises, l'ensemble des
groupes armés hutus, regroupés depuis 2000 au sein des Forces démocratiques de libération du
Rwanda (F.D.L.R.), s'engage à déposer les armes et à rentrer au Rwanda.
L'achèvement de la transition politique
À quelques mois des premières élections présidentielle et législatives depuis le génocide de
1994, et dès l'annonce de la candidature de l'ancien Premier ministre Faustin Twagiramungu, le
gouvernement recommande la dissolution du M.D.R. pour « divisionnisme », terme désignant
officiellement les dérives d'une politique sur base ethnique mais s'avérant, à l'usage, une arme
contre toute forme de contestation. Le 26 mai 2003, une nouvelle Constitution est soumise à
référendum : elle est approuvée par 93 % des suffrages. Entrée en vigueur en juin, elle instaure
un Parlement bicaméral, le rétablissement du multipartisme et, pour la première fois depuis 1994,
l'élection des députés au suffrage universel. Le président de la République sera également élu au
suffrage universel pour un mandat de sept ans, renouvelable une seule fois. Au terme d'une
campagne ponctuée d'opérations d'intimidation et largement dominée par le candidat sortant du
F.P.R., P. Kagame, ce dernier est réélu le 25 août 2003 avec 95,1 % des voix devant son
principal adversaire, l'ex-Premier ministre F. Twagiramungu (3,6 %). Les élections législatives
de septembre-octobre confirment la victoire écrasante du F.P.R., qui conquiert la majorité
absolue au Parlement. Toutefois la présence massive de représentants de P. Kagame participant à
la gestion des bureaux de vote, le harcèlement de ses adversaires politiques par le régime, la
mainmise de ce dernier sur les médias et, enfin, le silence de la communauté internationale
disqualifient lourdement la légitimité des scrutins.
En avril 2004, peu après la difficile célébration du dixième anniversaire du génocide, s'achève
le procès de l'ancien président P. Bizimungu ; ce dernier, placé en résidence surveillée puis arrêté
en 2002 pour « divisionnisme » alors qu'il tentait de fonder un nouveau parti politique, est
condamné à quinze ans de prison. Bénéficiant d'une grâce présidentielle, il est libéré en 2007.
Institués par la loi gacaca (2001) afin d'accélérer la réconciliation nationale, quelque dix-mille
tribunaux du même nom, inspirés des assemblées villagoises, accueillent en 2005 les premiers
procès au cours desquels sont confrontés survivants et exécutants du génocide. Conformément à
l'une des exigences de la communauté internationale pour que les procédures judiciaires à
l'encontre des génocidaires soient transférées à la juridiction nationale rwandaise avant la
dissolution T.P.I.R. en 2008, le Rwanda abolit la peine de mort le 26 juillet 2007.
Sur le plan extérieur, le Rwanda poursuit, conjointement avec sa politique de réglement du
problème de la présence de groupes armés congolais et rwandais dans l'Est de la R.D.C., sa
politique d'intégration régionale. Membre du Marché commun de l'Afrique orientale et australe
(Comesa), de la Communauté économique des pays des Grands Lacs (C.E.P.G.L.) et de la
Communauté est-africaine (EAC), il se retire en juin 2007 de la Communauté économique des
États de l'Afrique centrale (C.E.E.A.C.), privilégiant le maintien de ses relations en Afrique de
l'Est.
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En novembre 2006, au lendemain de la publication de l'ordonnance du juge français Jean-Louis
Bruguière désignant le président Kagame comme l'instigateur de l'attentat du 6 avril 1994 contre
son prédécesseur J. Habyarimana, le Rwanda rompt ses relations avec la France. Après quelques
signes de réchauffement à l'automne 2007, une entrevue entre les présidents français Nicolas
Sarkozy et son homologue rwandais, en marge du sommet Union européenne-Afrique de
Lisbonne (décembre), permet de lancer le processus de normalisation entre Paris et Kigali.
La coalition au pouvoir (F.P.R., associé à six petits partis) remporte la majorité absolue des
sièges aux élections législatives de septembre 2008, les femmes obtenant 44 des 80 sièges de
l'Assemblée nationale. L'opposition (une douzaine de partis en exil) n'a pas participé au scrutin.
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