1. Montréal Ville Créative

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1. Montréal Ville Créative
Carnets du voyage d’études à Montréal et Chicago I Cycle national 2010-2011
1. Montréal Ville Créative ?
par Bernard BONIN, Cédric CREMIERE, Hervé MOULINIER, Anne SERFASS DENIS
Mais qu’est-ce qu’une ville
créative ?
mie, dans l’éducation, dans l’enseignement supérieur et la
recherche, dans la vie politique, sociale, familiale ?
Les critères qui font qu’une ville est créative :
• Plus que l’effet cluster
• Taille : ni trop gros ni trop petit, modèles des quartiers
ou des communautés
• Mixité culturelle, linguistique, raciale, sociale…
• Excellence de la formation initiale et au long de la vie
• Environnement compétitif (stimulation)
• Identité forte (exister, s’affirmer contre...)
• Culture portée à la performance et/ou à la différenciation
(hédonisme, « classe créative »)
• Solidarité, lien social, altruisme…
Référence peut être faite à une profusion d’études et de rapports sur la « créative economy » dont le rapport de l’ONU.
Les villes créatives sont des villes où on réunit en forte proximité et interaction, sciences, arts, culture, affaires, technologies, ce qui se traduit par une création de valeur et un
impact économique positif.
Création de valeur : il semblerait que les activités de la
création créent deux fois plus de valeur que les activités de
service et quatre fois plus que les activités manufacturières
Quelles sont les activités classées comme créatives ?
Publicité, architecture, arts plastiques, artisanat, design,
mode, film, musique, édition, livre, jeux, vidéos, musées…
dans cette énumération faite par Patrick Cohendet, il est
amusant de ne pas retrouver les activités gastronomiques
et culinaires par exemple…
A l’aune de ces critères, Montréal a été reconnue comme
une des villes les plus créatives de la planète, (cf. le rapport
de l’ONU), à peu près au même niveau que Stockholm,
Auckland, Barcelone, Amsterdam et Chicago. Lyon et surtout Grenoble, que nous avons visitées toutes deux au cours
de notre cycle, ont revendiqué cette qualité de ville créative.
Quels sont les atouts
et les caractéristiques
intrinsèques qui permettent
à Montréal de se proclamer
ville créative ?
Dans quels domaines
Montréal est-elle ville
créative ?
L’interrogation que l’on peut avoir est le parti pris de postuler que les activités industrielles manufacturières ne sont pas
considérées comme créatives. L’industrie des télécommunications et celle de l’informatique, qui sous tendent toutes
les autres, ne sont-elles pas créatives ? Comment serait
classée une firme comme Apple ? L’industrie automobile qui
intègre les paramètres de mode, de look & feel, d’usage
n’est-elle pas créative ? L’industrie aérospatiale (par laquelle
Montréal est d’ailleurs irriguée) n’est-elle pas créative ?
La ligne de partage est-elle celle des industries de la création, dont l’objet principal serait dans la nouveauté pour la
nouveauté et /ou l’immatériel, versus les industries de processus manufacturier fortement intensives en capital matériel immobilisé ?
Capitale économique et seule grande ville du Québec, Montréal s’est construite et affirmée d’une part dans des vagues
d’immigration successives et d’autre part dans une certaine
« opposition » à la domination anglo-saxonne. De par son
originalité francophone dans un monde anglophone, et de
par son caractère biculturel, elle bénéficie d’une marque propre qui en fait son rayonnement mondial.
Les qualités propres qui contribuent à son image et sa réalité de ville créative (qui seraient ses atouts et attraits) sont
de deux natures, celle qui sont intrinsèques ou historiques,
et celles qui sont le résultat d’une politique ou d’un choix.
Le distinguo est-il dans les processus créatifs (de type émergence, foisonnement et capture d’idée) versus les processus
d’innovation, visant à implémenter concrètement une nouvelle connaissance ou une nouvelle idée dans une réalisation
nouvelle répondant à une problématique.
Quels sont les paramètres qui stimulent la créativité ? Comment, à partir d’un noyau ou d’une masse critique autour
des industries de la création, transpose-t-on les mécanismes de la créativité dans les autres secteurs de l’écono-
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Pour les premières :
plus-value créative), Sid Lee (entreprise qui réinvente la publicité), la TOHU (lieu de spectacles et laboratoire de création artistique à couleur humaniste et écologique), l’Espace
pour la Vie (veut devenir la première place mondiale dédiée
à l’humain et à la nature et qui comprend : Jardin botanique,
insectarium, Biodôme, Planétarium), la SAT (organisation
d’événements liés à la culture numérique, et lieu de recherche pour la découverte de nouveaux usages des outils
numériques, lieu qui inspira la Gaîté Lyrique parisienne).
• Ville multiculturelle, bénéficiant d’un fort brassage, biculturalisme
• Ville solidaire (solidarité face à l’hiver, enthousiasme et renouveau du printemps…)
• Port par nature ouvert sur le monde, et place clé sur une
voie de communication,
• Ville aérée, où la place ne manque pas. Nous avons été
frappés de découvrir des terrains vagues et des terrains à
bâtir en centre ville ! Du point de vue de l’urbanisme, ceci
laisse la place à beaucoup d’initiatives.
• Culture de la citoyenneté.
• Taux de chômage très faible (8%)
• Tradition de pragmatisme, héritée des pionniers et des colons (notion de « patenteux », on se débrouille avec ce
qu’on a, cf. l’initiative « Les petits débrouillards » dans le
domaine de la culture scientifique)
Ce middleground repose sur un maillage culturel entre ces
projets phares d’une part et les quartiers spécialisés d’autre
part (arts graphiques, jeux, santé autour du Centre Hospitalier Universitaire de Montréal…).
Dans cette dynamique, ce momentum, Montréal bénéficie
d’intéressantes opportunités ou avantages.
• Opportunités : accord de libre échange Canada-Europe
pour lesquelles les coopérations franco québécoises sont
pionnières, le Québec a d’ailleurs beaucoup plus utilisé la
francophonie que la France.
• Pouvoir d’attractivité du Québec sur la France (les jeunes
immigrants français) non complètement réciproque, le
Québec vu comme un territoire des possibles pour les
francophones (idem rêve américain), la France a investi
d’ailleurs de longue date dans cette stratégie en y envoyant des coopérants.
• Les grands projets, le TGV, le futur tramway, le projet du
nouveau biodôme, le projet de création d’un quartier de
l’innovation, porté par l’Ecole de Technologie Supérieure
(ETS).
Pour les secondes :
• Puissance des universités (Montréal est le deuxième campus universitaire de l’Amérique du Nord, après Boston),
investissement constant et intensif dans 4 universités
(francophones UQAM, Université de Montréal et anglophones Mc Gill, Concordia) se stimulant entre elles
• Organisation de grands événements culturels internationaux (festival international du cirque, du jazz, du rire, …)
• Projets intégrés (habitat, commerces, entreprises, recherche et formation), l’exemple du campus de l’innovation de l’ETS a été précédé de démarches semblables
autour de Mc Gill et de Concordia
• Financement de la recherche par les entreprises et l’enseignement supérieur du Québec beaucoup plus que par
le niveau fédéral
• Brassage de classe sociale, pas de fort conflit ni de forte
délinquance (en apparence et dans Montréal)
• Coo-pétition entre universités, (capacité à coopérer et à
se challenger)
• Travail avec boîte à idée, consultation du citoyen, (exemple du projet de rénovation du biodôme qui prévoit un potager impliquant les « usagers »)
• L’entreprenariat, quel qu’il soit, est soutenu
• Implantation de l’industrie du jeu autour d’Ubisoft. Par
effet d’entraînement, la ville devient une place mondiale
visible dans le domaine.
A contrario quels sont ses freins et handicaps qui peuvent
menacer ou ralentir Montréal dans la réalisation de cette vision de ville créative ?
• Une démographie vieillissante, la pénurie de main d’œuvre revient fréquemment dans les discours. Dans ce
contexte, faire de Montréal une ville qui innove devient une
nécessité vitale, presque une condition de survie.
• L’absence de rôle régulateur de l’Etat fédéral est un avantage de liberté d’action qui peut se révéler comme un handicap dans la compétition avec Toronto, Vancouver et
Calgary sous la menace d’un rééquilibrage lié au changement politique.
• La quasi-absence de fonds publics. Pour ne donner qu’un
exemple, le financement du « Quartier de l’Innovation » de
Montréal sollicite principalement des fonds privés, au
risque de perdre de vue l’intérêt général. Les récents résultats des élections risquent d’accentuer cette tendance.
• Le climat ? En comparaison de Stockholm ou Barcelone,
nous ne considérons pas que ce soit déterminant.
• Le doute que nous pouvons avoir quand à la diffusion
Montréal semble avoir particulièrement développé son middleground, ensemble de structures permettant la rencontre
et l’expression des talents créatifs, qui complète l’upperground et l’underground - les exemples concrets qui nous
ont le plus frappés sont MOSAIC (structure partenariale mettant en contact les différents acteurs de l’économie créative), Moment factory (organisation d’événements avec
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réelle et rapide de la culture de l’innovation et de ses retombées dans une majorité de la population. Ce bouillonnement incontestable a-t-il un effet d’entraînement
mesurable et documenté, ou est-il limité à une frange de
la population la plus éduquée, la « classe créative », avec
un risque d’augmentation de la fracture numérique, culturelle et sociale ? Nous n’avons pas les éléments factuels
pour répondre.
En conclusion
La ville de Montréal, sous un fort leadership de ses Universités, nous semble avoir mis en place, un middleground extrêmement
développé qui fertilise efficacement un
écosystème de la création. La taille humaine de ses quartiers maillés nous semble très déterminante de même que
cette culture de l’implication citoyenne et solidaire.
La conceptualisation de ces avancées incontestables nous
paraît cependant se heurter à la limitation du périmètre de
focalisation aux industries de la création. Nous attendons
des retombées plus visibles dans le monde industriel classique que cela soit celui des jeux vidéo (l’activité d’Ubisoft
est elle réellement créative), celui de l’énergie via HydroQuébec (peu impliqué dans cette mouvance), ou celui du
fleuron industriel Bombardier dont les universitaires ont très
peu parlé au cours de notre visite.
Par ailleurs, la place peu visible des politiques publiques
dans cette dynamique pose notamment la question à terme
de la cohérence du projet global de ville que cette créativité
contribue à construire.
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2. Chicago, ville créative
par Bernard KAHANE, Marie de LATTRE-GASQUET, Françoise MORSEL, Patrice VERCHÈRE,
Christina WINCKLER
Introduction :
Chicago, the city of the big shoulders
A partir de la deuxième moitié du XIXe siècle, la cité américaine devient un poumon de l'industrie sidérurgique, avec
l'ouverture des premières usines, spécialisées dans l'acier.
La principale ville de l'Etat de l'Illinois est un centre majeur
de la "Manufacturing Belt" - la ceinture industrielle. Place
forte de l'industrie ferroviaire (acier...) durant plusieurs décennies, elle connait aujourd'hui, un certain déclin avec la
crise économique mondiale. La ville est également le siège
de la Bourse des denrées agricoles. C'est ici en effet que
sont fixés les prix du blé et des autres céréales. Chicago a
très vite obtenu ce rang, devenant dès le XIXe siècle, la plus
grande place commerciale des Etats-Unis et du monde pour
les céréales.
Dans notre monde globalisé et plat pour certains, certains
lieux comptent plus que d'autres. Chicago a été et veut
continuer à être un de ces lieux. Chicago occupe une place
à part dans notre imaginaire (Al Capone, la prohibition, les
grands lacs, l'industrie lourde, les syndicats, la corruption,...)
et dans le développement de l'Amérique. Alors que le
XXIème siècle bruisse de l'essor des pays émergents et d'un
réajustement de l'équilibre mondial autour des rives du Pacifique, quel peut être et quel sera le destin de la ville phare
du Middle West américain ?
Chicago est l'une des villes les plus cosmopolites des EtatsUnis. Durant la fin du XIXe siècle et le début du XXe, Chicago était une importante ville migratoire, accueillant ainsi
plusieurs milliers de personnes, venant notamment du Sud
des Etats-Unis, suite à la fin de l’esclavage, de l'Europe du
Nord (Irlande...) et de l'Europe de l'Est. Avec près de 3 millions d'habitants - 9 millions dans l'agglomération - Chicago
est la 3ème ville des Etats-Unis. Le poids économique de la
région de Chicago est impressionnant, avec un PNB supérieur à 400 milliards de dollars.
Chicago a su, années après années, tirer profit de sa situation géographique stratégique pour asseoir son développement industriel et économique. Point de passage obligé
depuis toujours, les Indiens s'en servaient déjà comme seuil
de portage, Chicago s'est vite trouvée au confluent entre les
productions et les matières premières des grandes plaines et
le reste des Etats Unis et du monde. De 550 habitants en
1833, Chicago est passé à 1,10 millions d'habitants en 1890.
Avec l'incendie de 1871, une grande partie du centre-ville
fut détruite. Cette date marquera le début et l'apogée de
nouveaux designs, avec en tête l'École de Chicago qui fait
la part belle aux nouveaux matériaux, acier, ciment, fer forgé
etc. dans des constructions rationnelles et utilitaires de bureaux, de grands magasins, d'usines, d'appartements et de
gares. La nécessité de la reconstruction de la ville permit
l'émergence d'une nouvelle approche de la construction
d'immeubles : les plus grands noms, de Louis Sullivan à
Mies Van der Rohe en passant par Frank Lloyd Wright, ont
marqué de leur empreinte la capitale du blues. Ils ont créé
par leur œuvre et par leur influence un modèle de développement urbain qui avec New York est emblématique du
chaos créateur et foisonnant de l’Amérique symbole du XXe
siècle et de ses potentialités.
1- Economie ou « comment
le plus gros charcutier
du monde devient le financier
de la planète ? »
Chicago est donc au centre de l’Amérique industrielle et
agricole : il suffit de s’élancer dans les grandes plaines agricoles de l’Illinois pour mesurer la richesse naturelle indéfectible qui entoure la ville. C’est le plus important marché de
céréales et de bétail au monde. Les industries lourdes, surtout la métallurgie, l’industrie ferroviaire et la transformation
alimentaire ont constitué le socle historique économique de
la ville.
Comme partout aux Etats Unis, le business est le dénominateur commun de cette économie ; la différence c’est que
c’est en grande partie Chicago qui en a inventé puis fixé les
règles : premier marché d’échange de matières premières et
agricoles ( le Chicago Board of Trade et le Chicago Board of
Exchange). La réputation que la ville s’est construite d’une
cité « globale » repose sur la part dominante des échanges
organisés, dont ses places boursières et le marché électronique qu’elle a créés, des futurs et des dérivés, sont le symbole : « the hog butcher to the world has become the world’s
risk manager » ! Le ballet des échanges à vue dans le stock
exchange auquel nous avons assisté orchestre une danse
bruyante et codifiée à l'extrême des échanges de milliers de
tonnes de céréales et de viande. Paradoxalement, à l'ère
électronique, cette visualisation des échanges ou chaque
geste, chaque parole est enregistrée par des caméras et ou
chacun connait chacun, est garant d’une transparence qui
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