4. Les différentes facettes de l`innovation

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4. Les différentes facettes de l`innovation
Carnets du voyage d’études à Montréal et Chicago I Cycle national 2010-2011
4. Les différentes facettes de l’innovation
par Pascale BRENET, Gérard LEFLOUR, Yvan MALGORN, Michèle MARIN
A la fois processus et résultat, l’innovation est convoitée par
tous, entreprises, territoires et nations, car elle est porteuse
de promesses en termes d’avantages compétitifs et de progrès. L’innovation a longtemps été considérée comme un
processus linéaire partant d’une idée pour arriver à un produit mis sur le marché. C’est selon cette approche qu’ont
été mis en place les grands centres de recherche publics au
lendemain de la Deuxième guerre mondiale, avec pour mission la production de connaissances dans lesquelles les entreprises pourraient puiser afin de produire des innovations.
La politique d’innovation était alors limitée à une politique
de R&D. Depuis maintenant près de quarante ans, on a compris que le processus d’innovation n’est pas linéaire mais
itératif, fonctionnant par boucles successives et associant
des acteurs aux compétences multiples, tant dans l’entreprise et la recherche que dans leur environnement. On a
compris également toute la difficulté de la transformation
des connaissances en innovation. De nouvelles formes d’organisation se sont développées progressivement afin d’associer des acteurs multiples issus de la recherche, de la
formation et de l’entreprise : partenariats recherche – industrie, mission explicite de valorisation des résultats de la recherche publique, projets collaboratifs dans un cadre
régional, national ou européen, pôles de compétitivité et autres clusters, soutien en faveur des chercheurs créateurs
d’entreprises, etc. On parle ainsi aujourd’hui d’écosystème
de l’innovation qui comporte un réseau d’acteurs multiples
nouant des liens formels et informels nécessaires pour assurer la circulation des connaissances et leur traduction en
innovation.
Les travaux de Patrick Cohendet, que nous avons rencontré
lors de la première étape de ce voyage à Montréal, s’inscrivent dans cette logique et l’enrichissent. Ces travaux soulignent l’ancrage de l’écosystème de l’innovation dans les
différentes composantes d’un territoire, dans la logique de
ce que Florida appelle les cités créatives.
Patrick Cohendet considère en effet que l’innovation se développe grâce aux interactions qui naissent de la présence
simultanée de l’upperground, constitué des firmes qui cherchent à assurer leur position sur les marchés grâce à l’innovation, de l’underground, constitué de créatifs, citoyens et
artistes qui agissent en dehors de toute logique de marché,
et enfin du middleground qui assure sous des formes diverses des liaisons entre les deux autres univers et permet
ainsi la circulation des connaissances. Ces trois univers sont
présents et s’enrichissent dans les territoires créatifs. Selon
lui, la créativité est un processus de construction sociale,
qui passe par des collectifs et des communautés capables
d’emmener l’idée créatrice au marché.
C’est selon ce tryptique que nous avons choisi de structurer notre rapport d’étonnement du voyage qui nous a
conduits dans deux cités créatives ayant chacune leur histoire et leur spécificité.
L’upperground :
d’Ubisoft à Perkins &Will, en
passant par HydroQuébec et
Marquis Energie
Ces quatre entreprises opèrent sur quatre marchés extrêmement différents allant des matières premières et de l’énergie à l’immatériel. Il nous a semblé que leur contexte
d’affaires impacte fortement le degré de sophistication de
leur stratégie d’innovation.
Ubisoft, troisième éditeur mondial dans l’industrie du jeu
vidéo, s’inscrit dans un marché planétaire où la concurrence
est exacerbée, rythmée par le succès ou l’échec des lancements des nouveaux jeux qui doivent devenir des « blockbusters » pour permettre d’amortir les frais considérables de
création et de développement. L’innovation est donc la règle
du jeu, associant créativité, game design et force de frappe
marketing. Avec un fonctionnement basé sur le mode projet,
elle fonde sa créativité sur une grande communauté de praticiens et de professionnels qualifiés ; elle entretient des liens
avec la ville et se tourne vers le monde académique pour
assurer l’accès à un vivier sans cesse renouvelé de talents
et de compétences. Ubisoft est considérée comme une entreprise entretenant des liens étroits avec l’underground :
venue pour bénéficier des aides publiques à la fin des années 90, elle serait maintenant indéracinable d’une cité créative avec laquelle elle interagit. Cette réalité est difficile à
percevoir à l’occasion d’un bref voyage d’étude, elle ne serait palpable que par une réelle immersion.
Situé également dans une économie de l’immatériel, le
cabinet Perkins & Will emploie 1600 personnes dans le
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monde : on imagine la nécessité de gagner des contrats importants dans le monde entier (Inde, Chine et Dubaï étant
aujourd’hui les espaces des projets les plus ambitieux) pour
assurer le fonctionnement d’une telle équipe qualifiée et
coûteuse. Dans l’architecture, chaque projet est une création. Mais au-delà du concept, né de la vision d’un créateur
artiste, l’ingénierie de chaque projet pèse lourd : 95% des
budgets, selon l’indication donnée le Professeur Lesnikowski.
Hydro-Québec bénéficie d’un monopole historique dans la
production d’énergie et bénéficie d’une très forte rentabilité.
Ses efforts d’innovation portent sur les process et elle dispose d’importants moyens de R&D, comme en témoigne
l’importance des laboratoires visités. Malgré ce contexte très
favorable aujourd’hui, qui pourrait susciter l’endormissement, l’entreprise se prépare à des évolutions autour des réseaux intelligents et souhaite mettre à profit son énorme
potentiel de R&D. Elle a initié depuis peu des processus d’innovation ouverte ainsi qu’une démarche permettant de favoriser la créativité et le cheminement, la sélection et
l’émergence des idées. Il y a fort à parier que cette démarche suscitera des opportunités à développer hors du
cadre actuel de l’entreprise. La question de la valorisation
se posera alors.
Pour Marquis Energie, les enjeux portent sur la productivité
et sur la valorisation de sous-produits issus d’une matière
première aujourd’hui abondante, mais toujours sujette aux
variations de cours et aux changements climatiques. Cette
entreprise qui exploite ce qui est aujourd’hui une niche du
marché n’a pas évoqué l’innovation, ni ses liens avec les acteurs présents dans son environnement.
L’underground :
une vie souterraine ou
des gratte-ciels pour faire
éclore la créativité ?
L’underground renvoie naturellement à l’image de la vie souterraine des habitants de Montréal pendant le long hiver :
cette ville souterraine permet de maintenir l’animation qui
pourrait être mise en hibernation par les températures, mais
aussi d’apprécier par contraste l’éclosion du printemps et
de la vie à l’air libre. En mai, lors de notre passage, les Montréalais sont à l’affût des premiers arbres en fleur. Les idées
sont prêtes à éclore… La ville recèle des espaces encore libres, des bâtiments anciens à rénover qui sont autant d’opportunités pour de nouveaux projets. Mais il n’est pas facile
pour le visiteur fugitif de ressentir cette réalité de la capacité créative de l’underground.
A Chicago, on imagine l’underground car la ville est dense et
offre une vie culturelle d’une grande richesse. Mais contrairement à Montréal, l’architecture pose ici les symboles d’une
ville très active et créative. L’art et la culture sont présents
dans les rues, avec par exemple des sculptures monumentales et une bibliothèque de style postmoderne posée au
cœur de la ville. Chicago est constituée d’une population
aux origines diverses qui s’est intégrée au fil de l’histoire.
Toutefois, le plan de la ville fait apparaître des groupes nettement localisés : quartier polonais, Chinatown,… Là encore,
notre immersion a été trop courte pour nous permettre d’apprécier la richesse issue de la diversité ou de nous faire découvrir des lieux de partage et de rencontre autres que les
espaces et transports publics et quelques bars.
Le middleground :
ou comment animer
des lieux, des espaces,
des connaissances
et des évènements
C’est justement le middleground qui peut rendre compte auprès des visiteurs de la réalité de l’underground et des
échanges créatifs. Cela est bien en ligne avec son rôle, qui
consiste à créer des espaces de rencontre entre des acteurs multiples (et donc des espaces cognitifs), des lieux de
partage et de circulation, des évènements qui ponctuent le
temps et cristallisent les rencontres, et enfin des projets qui
permettent à la créativité de prendre corps. Le middleground
joue avec l’espace et le temps : il est un lieu de circulation
des idées entre des acteurs multiples et s’adapte aux temporalités de l’innovation. Il contribue à l’articulation entre la
structure hiérarchique des entreprises et les structures informelles de créativité.
Le voyage effectué de Montréal à Chicago nous a permis de
découvrir plusieurs espaces qui relèvent du middleground.
Des laboratoires d’idées, des hôtels à projets, des plateformes de partage de connaissances et de mise en pratique
voient le jour autour des foyers de formation, que ce soit en
management, en design ou encore en ingénierie technologique. Elles sont des lieux d’attractivité de dimension internationale, à la fois pour les étudiants, les chercheurs, les
entreprises et elles alimentent la dynamique collaborative.
Elles peuvent être le support des réseaux citoyens créatifs
ou d’initiatives innovantes en cité.
C’est par exemple MOSAIC, plateforme de recherche, de
développement et de partage de connaissances en économie créative et management de la création initiée à HEC
Montréal. MOSAIC se définit comme un espace ouvert, partenarial et convivial où se retrouvent passionnés, experts,
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curieux et naïfs venant de l’entreprise, du monde académique ou de la cité.
C’est aussi la SAT à Montréal et ses nombreuses initiatives
qui associent les citoyens dans une logique de grande proximité, sur des thématiques variées telle que l’usage du numérique, les transports collectifs et l’évolution des
fonctionnalités du vélo partagé, le BIXY.
C’est le Cirque du Soleil, mêlant technologie et art, gestuelle
et concepts, qui associe des talents multiples et assure par
ses réalisations un rayonnement de la capacité créative de
la ville de Montréal dans le monde entier.
C’est l’ETS (Ecole de Technologie Supérieure) à Montréal,
école d’ingénieurs qui crée son campus en centre ville et
consacre un bâtiment à l’innovation dans lequel des cellules
d'innovation sont à disposition des entreprises pour favoriser les contacts avec les chercheurs et les élèves ingénieurs
afin de créer un véritable accélérateur d'innovation.
C’est aussi à Chicago dans les espaces ouverts d’innovation
et le Parc Technologique, les initiatives du type idea shop ou
innovation alley, qui sont des lieux ouverts sur le campus associant étudiants, chercheurs et entreprises mais aussi investisseurs, relayées par des structures d’incubation et des
services de valorisation rompus au transfert de technologie
et à l’entrepreneuriat.
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