Interview Ngadinah

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Interview Ngadinah
« ADIDAS DOIT ETRE PLUS ATTENTIVE AUX CONDITIONS
DE TRAVAIL CHEZ SES FOURNISSEURS »
Ngadinah Binti Abu Mawardi travaille pour l’usine de chaussures PT Panurab, un
fournisseur d’Adidas situé à Tangerang, non loin de Jakarta. Secrétaire générale de
PERBUPAS, l’un des deux syndicats actifs au sein de PT
Panurab, elle participe activement à une grève en
septembre 2000 afin d’obtenir de meilleures conditions de
travail. La direction de l’entreprise adopte une attitude
hostile à l’égard de Ngadulah à partir de ce moment et six
mois plus tard, elle est arrêtée et emprisonnée pour
« incitation à la résistance contre l’autorité publique » et
« actes déplaisants ». Les pressions syndicales et des
organisations non gouvernementales exercées aux niveaux
national et international ont finalement abouti à sa
libération après quatre semaines de détention. Agée de 30
ans, elle livre aujourd’hui son témoignage sur les deux
années sombres qu’elle vient de traverser et sur les
conditions de travail en vigueur chez le fournisseur
d’Adidas.
Quelles étaient les raisons de la grève menée en septembre 2000 chez PT Panurab ?
Nous voulions que la direction remplisse ses obligations légales envers les travailleurs,
notamment dans le paiement des heures supplémentaires, des cotisations pour la pension, des
indemnités en cas de départ et l’octroi de congés lors des menstruations (80 % des 10.000
travailleurs sont des femmes). Nous demandions également le respect de notre liberté
d’association et quelques améliorations dans la nourriture des équipes de nuit.
Nous n’avons pas obtenu grand-chose de la direction, hormis un engagement à payer les
cotisations de pension, des indemnités en cas de licenciement et un bonus quand on a travaillé
plus de cinq ans. La direction a également promis de ne prendre aucune mesure de vengeance
contre les travailleurs partis en grève.
Comment s’est déroulée votre arrestation ?
La grève a duré du 8 au 11 septembre 2000. Le 26, j’ai été appelée au bureau de la police
régionale, où l’on m’a posé une série de questions au sujet de la grève. La direction de PT
Panurab m’accusait d’avoir été l’une des organisatrices de cette protestation, au cours de
laquelle elle affirme avoir perdu 500 millions de rupiahs (58.500 euros). J’ai continué à
travailler pour PT Panurab, mais la direction avait un comportement hostile à mon égard. Le
13 avril 2001, lors du congrès de la fédération syndicale GSBI (« Gabungan Serikat Buruh
Independen », Fédération des syndicats indépendants), auquel est affiliée PERBUPAS, j’ai été
interviewée par un journaliste de la télévision, à qui j’ai parlé des conditions de travail dans
l’usine. Une semaine plus tard, le 20 avril, j’étais à nouveau appelée à me présenter au bureau
de police, où l’on m’a informée que les documents d’une enquête menée à mon sujet suite à la
grève avaient été transmis à la Justice. J’ai encore été convoquée le 23 avril, mais cette fois, la
police m’a arrêtée, j’étais accusée d’« incitation à la résistance contre l’autorité publique » et
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d’« actes déplaisants », ces derniers étant soi-disant commis à l’encontre de la direction de
l’entreprise. On m’a enfermée dans la prison pour femmes de Tangerang.
Quelles étaient vos conditions de détention ?
Je devais dormir à même le sol et les possibilités de visite étaient extrêmement réduites. J’ai
essayé de maintenir une certaine distance avec les autres détenues afin de ne pas être
maltraitée. Ma détention a duré quatre semaines, jusqu’au 22 mai 2001.
Comment avez-vous obtenu votre libération ?
Cinq personnes ont dû se porter garantes du fait que je n’allais pas quitter l’Indonésie, que je
resterais à la disposition de la justice. Les pressions nationales et internationales de syndicats
et d’ONG ont joué un grand rôle dans l’obtention de cette libération conditionnelle. J’ai alors
été assignée à résidence jusqu’à mon jugement, le 30 août 2001. Durant les quatre mois qui
ont suivi ma sortie de prison, j’ai été appelée chaque semaine au tribunal de Tangerang pour
répondre à différentes questions et être confrontée à plusieurs témoins. Finalement, le 30 août,
le juge a estimé que je n’étais coupable de rien, mais il a quand même décidé de référer mon
affaire à une instance judiciaire plus élevée ! Je ne sais pas quant cette instance examinera
mon cas. En attendant, mon assignation à résidence a été levée et j’ai pu reprendre mon travail
de façon normale chez PT Panurab.
Adidas a-t-il joué un rôle dans votre libération ?
Un responsable d’Adidas m’a récemment dit que sa multinationale avait demandé ma
libération au gouvernement indonésien. Je pense cependant qu’il s’agit plus d’un exercice de
relations publiques que d’un réel souci de faire respecter les droits des travailleurs. Adidas
doit être plus actif pour respecter son code de conduite, notamment en ce qui concerne
l’emploi de travailleurs sous contrat : depuis 1998, PT Panurab engage de préférence des
travailleurs sur base de contrats de trois ou six mois, ce qui les rend plus vulnérables dans les
négociations collectives. Ce comportement viole le code de conduite d’Adidas, mais celle-ci
ne réagit pas. Adidas accorde trop peu d’attention aux conditions de travail dans lesquelles
sont fabriqués ses produits.
Quelle est l’attitude de la direction à votre égard depuis votre réengagement ?
Il y a une amélioration par rapport à la période précédant mon arrestation. Elle me laisse
mener mes activités syndicales dans les limites définies par la loi. PT Panurab nous laisse
maintenant utiliser sa salle de réunion pour les réunions de PERBUPAS, et autorise les
membres de notre syndicat à assister à des ateliers de formation hors de l’entreprise.
Qu’en est-il des conditions de travail chez PT Panurab à l’heure d’aujourd’hui ?
Les travailleurs doivent toujours prester de nombreuses heures supplémentaires pour atteindre
les objectifs de production. Avec le salaire que nous recevons, il serait de toute façon
impossible de s’en sortir sans travailler en soirée et les jours fériés. Ceux qui sont employés
depuis moins d’un an reçoivent le salaire minimal, qui est de 590.000 rupiahs par mois (68
euros) dans ma province, plus 2.000 rupiahs (0,23 euro) par jour pour les repas. Les
travailleurs employés depuis plus d’un an reçoivent chaque jour un supplément de 200 rupiahs
par année d’engagement. C’est bien trop peu pour subvenir aux besoins d’une famille. Nous
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effectuons donc de nombreuses heures supplémentaires, ce qui nous permet de gagner jusqu’à
1,2 millions de rupiahs par mois (140 euros). Ces derniers mois, les ouvriers travaillaient
régulièrement dix heures par jour (au lieu de sept), voir douze heures dans certains
départements. Comme la plupart habitent à une ou deux heures de l’usine, il ne le leur reste
pas assez de temps pour se reposer ou s’occuper de leur famille. La direction pourrait engager
plus de travailleurs, mais elle devrait alors acheter plus de machines. Elle préfère rentabiliser
les machines actuelles au maximum en recourant aux heures supplémentaires et en
raccourcissant notre heure de table. Un jour, une femme souhaitait ne pas effectuer d’heures
supplémentaires car son enfant était malade, mais son supérieur hiérarchique a refusé de la
laisser partir.
La direction de PT Panurab semble être de bonne volonté à l’égard des travailleurs, mais son
message ne passe pas auprès des superviseurs et cadres moyens, qui continuent à s’adresser
aux travailleurs en des termes durs et blessants lorsque les objectifs de production ne sont pas
atteints. En février 2002, un chef de division est entré en colère et a frappé une employée. Ce
genre d’incident est fréquent. Notre syndicat tient aussi à dénoncer les mauvaises conditions
de santé et sécurité qui prévalent dans plusieurs salles de travail de l’entreprise : chaleur,
poussière et vacarme posent de sérieux problèmes aux travailleurs. Un équipement de
protection est fourni, mais personne n’explique comment s’en servir. Aucun comité n’est
responsable de la santé et sécurité dans toute l’entreprise.
D’une façon plus générale, y a-t-il une différence dans le respect des droits syndicaux en
Indonésie depuis la chute du régime de Suharto ?
Oui, l’Indonésie reconnaît maintenant la liberté d’association alors que sous Suharto, seul un
syndicat était autorisé. Le problème actuellement est qu’une soixantaine de syndicats coexistent en Indonésie sans être unis, ils sont en situation de concurrence. Ceci dit, le
gouvernement devrait surveiller plus efficacement l’application de la législation du travail
pour lutter contre l’importante collusion entre directions d’entreprises, membres du
gouvernement, police et procureurs.
Propos recueillis par Samuel Grumiau
Pour la campagne Vêtements Propres
Mai 2002
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