La répression de l`adultère avant, pendant et après Calvin
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La répression de l`adultère avant, pendant et après Calvin
L’adultère Gravure tirée de Josse de Damhouder, Praxis Rerum Criminalium, [1601], New Jersey, 2005. L’adultère n’est pas un crime capital et le durcissement de sa répression se développe particulièrement au temps des Réformes protestante et catholique1. Auparavant, le crime existe mais les châtiments qui le sanctionnent varient en sévérité ; une certaine indulgence est même remarquée à la fin de l’époque médiévale. L’adultère est puni différemment au nord ou au sud de la France. Au nord, les crimes de mœurs dépendent du droit canonique qui ne sanctionne l’adultère que par des amendes légères, traitant hommes et femmes sur un pied d’égalité. Le midi, subissant plus fortement l’influence du droit romain, délègue la poursuite de l’adultère à la justice laïque. Le choix de la peine est alors arbitraire, plus ou moins sévère suivant les régions, et seule la femme est poursuivie. Jusqu’au XIe siècle, l’adultère est assimilé au viol puis à partir du XIIe siècle un témoignage de flagrant délit est exigé pour entamer une poursuite et les crimes de viol et d’adultère sont alors traités distinctement. Dès le XVIe siècle, l’adultère qualifie le « péché de la chair, qui se commet quand des gens mariés violent la foi qu’ils se sont promis dans le Sacrement de Mariage, en s’abandonnant à quelque autre »2. Au-delà d’une simple déviance du comportement conjugal, l’adultère représente une atteinte à l’ordre religieux et social : il « mérite » une procédure pénale et une condamnation sévère. En France, le jugement de l’adultère est complètement abandonné aux mains de la justice laïque, les juges prenant tout particulièrement en considération l’atteinte à la lignée familiale il en résulte une criminalisation de l’adultère. Dans le Saint Empire 1 2 Jean Marie Carbasse, Histoire du droit pénal et de la justice criminelle, Paris, 2000, pp. 310-313. Antoine Furetière, Le dictionnaire universel, [1690], Alain Rey (dir.), Paris, 1984. germanique, La Caroline de 1532 ne donne que peu d’arguments concernant le traitement réservé à ce crime Un homme marié ayant accusé criminellement un autre pour fait d’adultère commis avec sa femme, l’en aura convaincu, l’homme adultère de même que la femme seront punis selon nos Ordonnances Impériales, & celle de nos Prédécesseurs. Il en sera de même lorsqu’une femme mariée formera sa plainte contre son mari ou contre la personne avec laquelle l’adultère aura été consommé3. Accusés ou accusateurs, hommes et femmes sont traités sur un pied d’égalité et il n’est donné aucune indication concernant le choix de la peine qui dépend de l’arbitraire des juges et de la politique de tolérance institutionnelle des lieux du crime. A partir de 1541, à Genève, la répression du crime d’adultère est particulièrement sévère. Depuis l’établissement des Ordonnances Ecclésiastiques, la communauté subit un renforcement de la discipline morale : l’adultère comme la paillardise, sont des actes portant atteinte à la communauté et doivent être vigoureusement punis. Le Consistoire qui se préoccupe particulièrement du maintien de l’orthodoxie religieuse, redirige progressivement son activité vers le contrôle moral de la population et les problèmes maritaux4. Ne possédant que peu d’outils de répression autres que la réprimande, la privation de la Sainte Cène, voire l’excommunication, sa compétence est limitée. Lorsque l’individu n’est plus considéré comme « réformable » par les sanctions à sa disposition, le Consistoire s’en remet à la justice criminelle. Le Conseil n’intervient donc qu’après que le Consistoire ait à plusieurs reprises tenté de provoquer une modification de la conduite morale des protagonistes. Durant le XVIe siècle, divers édits définissent l’adultère et proposent des peines dont la rigueur se renforce tout au long du siècle. En 1534, hommes et femmes accusés d’adultère, sont traités comme des fornicateurs ou des maquereaux, et sont avisés de se réformer « sus la poyenne d’estres fuyattés et bannys de la ville ». En 1547, une peine de neufs jours de prison au pain et à l’eau associée à une amende pécuniaire dont le montant est laissé à la discrétion de la Seigneurie, sanctionne l’adultère. C’est en 1566 que la politique de moralisation prend toute son ampleur lors de l’adoption en Conseil Général de l’édit du 17 avril sur les paillardises et adultères. Dans le but de réguler le plus précisément possible le comportement moral des Genevois, l’Edit de 1566 puise son inspiration dans « La parole de Dieu, [….] mais aussi par les lois et constitutions impériales fondées sur le droit de nature », se référant ainsi au droit romain et divin. […] d’autant que de telles paillardises et sur tout des adultères s’ensuit toute confusion de tout ordre politique, mélange de sang, transport d’héritages aux enfants bâtards et illégitimes, infinies fraudes, dissipations de biens, empoisonnements et toutes espèces de meurtres, outre les ignominies et déshonneurs des familles5. Cet édit s’inscrit dans la continuité du modèle européen de laïcisation de la justice des mœurs. Comme en France, la désobéissance et les risques menaçant la transmission du bien au sein de la lignée familiale, jouent un rôle prépondérant dans la criminalisation de l’adultère. 3 Art. CXX « De la punition de l’Adultere », Code criminel de l’empereur Charles V, vulgairement appelle la Caroline, Paris, [1734 ], p.105. 4 William Monter, « The Consistory of Geneva, 1559-1569 », in Enforcing Morality in Early Modern Europe, Londres, 1987. 5 Emile Rivoire (éd.), Sources du droit du Canton de Genève, vol.3 (1551-1620), Aarau, 1933, « Edit contre la paillardise, 1566 ». Pourtant la singularité genevoise s’illustre par le choix des peines pour sanctionner l’adultère et par la sévérité d’application de l’Edit. […] on a depuis quelques années en ça mieux appréhendé la grandeur et énormité d’iceux, et pour cette raison usé de châtiments et punitions plus rudes et approchantes de l’ordonnance de dieu et mesmes des empereurs et autres princes payens […] ce qui n’a pas été inutile, car depuis qu’il a plu à dieu nous faire la grâce d’y tenir la main, on a vu croître et augmenter sa bénédiction sur nous et le mal se diminuer tellement qu’il est à espérer que, continuant de bien en mieux, notre Seigneur nous préservera de tels inconvénients et nous fera prospérer6. D’après Robert Kingdon, avant 1566 et depuis de nombreuses années, la peine de mort sanctionne l’adultère7 : parfaite démonstration d’une pratique précédant l’écriture de la norme, le texte de l’Edit confirme que le durcissement intervenu avant 1566 s’inspire des « normes païennes » autant que des lois divines et humaines. De plus il souligne le lien entre la « juste punition » appliquée au pêcheur qui doit entraîner en contre partie la « juste rétribution » divine, assurance de prospérité pour la cité. La suite de l’Edit énumère les peines encourues selon le statut marital des coupables et le degré de rétroactivité du délit : tout acte antérieur à 1560 est laissé au jugement de Dieu alors que les adultères commis entre 1560 et 1566 sont sanctionnés de six jours au pain et à l’eau en plus d’une amende arbitraire. La nouveauté du châtiment de l’adultère intervient pour les actes commis après 1566 : si l’homme est marié et la femme célibataire, les punitions restent de l’ordre de l’enfermement, de l’amende ou du bannissement pour les deux. Par contre, la sévérité est considérablement accrue lorsque la femme est mariée et l’homme célibataire : la « pureté de la lignée » restant l’aspect primordial pour les juges genevois. Lorsque les deux protagonistes sont mariés, on retrouve une application d’un traitement égalitaire : tous deux sont condamnés à mort L’homme non marié qui aura paillardé avec la femme mariée sera condamné et puni par le fouet public, et banni perpétuellement ; et s’il estoit serviteur en la maison, sera puni de mort. La femme mariée qui aura paillardé sera, pour les causes ci-dessus déclarées punies de mort. L’homme marié qui aura commis adultère avec la femme mariée sera semblablement puni de mort. D’après le nombre de procédures se concluant par une peine de mort, l’adultère n’est considéré comme crime capital qu’à partir de 1560 et jusqu’en 1609. Avant et après ces dates, dans une fourchette allant de 1530 à 1630, on ne trouve pas traces de condamnations à mort pour adultère. De 1560 à 1609, l’adultère est le plus souvent puni de mort et la noyade paraît être le mode d’exécution privilégié pour exécuter les femmes. Onze cas sur 40, soit à peu près un quart du contentieux criminel de la noyade sont des crimes d’adultère commis par des femmes. Il est toutefois impossible d’affirmer que le crime d’adultère est systématiquement puni de mort durant cette période, en effet, sa qualification varie au gré des circonstances et du nombre de récidives. Il n’existe pas de condamnation à mort par noyade uniquement pour crime d’adultère. Associé au vol, au viol, à la bigamie, il s’agit d’un acte qui peut être aggravé par d’autres délits ou par une récidive, et est alors considéré en tant que crime capital. De plus, l’adultère peut être une circonstance aggravante du crime de maquerellage8 ou 6 Emile Rivoire (éd.), Sources du droit du Canton de Genève, vol.3 (1551-1620), Aarau, 1933, « Edit contre la paillardise, 1566 ». 7 Robert, Kingdon, Adultery and Divorce in Calvin’s Geneva, Cambridge, Massachusetts, 1995. p. 117. 8 Archives d’Etat de Genève (abrégé AEG par la suite), PC 1267 1ère série, 1565, Pierre Gardet et Pierre Mibort, et AEG, PC 1268 1ère série, 1565, Jaquema Masson. d’inceste9. Dans plusieurs cas, les accusés ont précédemment été poursuivis pénalement pour le même crime et ont subi des peines de pilori ou de bannissement, certains ayant été convoqués devant le Consistoire à plusieurs reprises. L’évaluation du crime d’adultère démontre que la qualification du crime a une certaine importance aux yeux des juges genevois. Anne Lemoine est une mère de famille mariée depuis 26 ans 10. Son mari, est un marchand issu du refuge français, connu pour être « homme de bien mais fort violent ». En 1560, condamnée pour avoir accompli « plusieurs fois le détestable crime d’adultère », elle est accusée d’avoir commis « actes vilains et dissolus outrages et voulu frappé [s]on mari et lui avoir dérobé pour donner a [s]on paillard et autres et proféré plusieurs blasphèmes, reniements et diablement horribles et exécrables »11. Coupable de tels crimes elle ne peut échapper à la condamnation Et quand à ladite Anne y a si grande atrocité en ses crimes commis […] est quelle mérite êtres exterminé et pour le moins doit être condamnée a être noyée car selon la loi divine et les lois impériales chacun des crimes d’adultères et blasphèmes méritent par la mort et à plus forte raison quand tout deux sont commis ensemble et qu’elles s’est abandonnée à son propre serviteur domestique avec tels déshonneurs et vilenie exécrable dont ladite Anne est chargée et a continué en sa vieillesse en grand dommages et déshonneur de sa famille12. En plus de l’adultère, et de ses autres crimes, Anne Lemoine transgresse la séparation entre maître et serviteur. Transgression dont la gravité est aussi mise en évidence dans le cas de Catherine de Courtarouel13. Femme de François Bonnivard, précédemment bannie par le Petit Conseil pour « sa mauvaise vie », Catherine est condamnée en 1565 : Que déjà dès long temps tu tes adonnée à commettre adultère et fornication avec diverses personnes, mêmes avec homme marié et que méprisant le doux châtiment que tu en avais reçu, tu ais encore recherché à commettre adultère avec ton serviteur domestique en quoi tu as continué par longs espaces de temps, te montrant par là d’une nature incorrigible et en tout débordée mêmes par les autres vilains actes que tu as souffert de tondit paillard. Davantage que tu as bien osé lui faire promesse de mariage pendant la vie de ton mari et là lui confirmer en prison au lieu d’avoir repentance de tes forfaits. Pareillement que tu as soustrait le bien de tondit mari devant Dieu et son église […]14 Au-delà du fait que le bien matériel du mari et le respect de la femme envers son époux sont bafoués par l’adultère répété, le crime est aggravé puisqu’il a été commis avec un domestique ce qui, d’après Kingdon, démontrerait qu’il existe une grande sensibilité à la distinction des « classes » et un besoin de préserver la distance entre maître et serviteur15. En fait, il semble qu’il faille rechercher une influence du droit romain qui propose la mort pour punir l’adultère entre maître et serviteur16. En 1557, l’outrage au mari est à nouveau rapporté par les juges dans le cas de Bernardine Neyrot condamnée à « être attachée au collier en la place du Molard l’étant de 9 AEG, PC 1323 1ère série, 1566, Jacques St Mortier, Andrée Viste. AEG, PC 928 1ère série, 1560, Ce cas a été analysé par Kingdon, Adultery and Divorce in Calvin’s Geneva, p. 120. 11 AEG, PC 928 1ère série, 1560, Anne Lemoine, sentence. 12 AEG, PC 928 1ère série, 1560, Anne Lemoine, avis de droit. 13 AEG, PC 1272 1ère série, 1565, Marie de Courtarouel. 14 AEG, PC 1272 1ère série, 1565, Marie de Courtarouel, sentence 15 Kingdon, op. cit. p. 117. 16 Carbasse, op. cit. p. 312. 10 trois fers et a ten[ir] prison neufs jours en pain et eau »17. Récidivant en 1560, cette fille de notaire et femme de Bourgeois, mère d’enfants « mariés et à marier », est condamnée à être noyée pour avoir « perpétré derechef et par plusieurs fois le détestable crime d’adultère ». Le sommaire du procès rapporte que non seulement l’adultère a pris place à plusieurs reprises, mais de plus en la boutique du mari. Comme dans le cas d’Anne Lemoine, accusée d’avoir « continuer à paillarder et adulterer […] par deux fois sur la couche dudit mari », la relation sexuelle commise dans la boutique de l’époux ou dans le lit conjugal est considérée par les juges comme une intrusion dans la sphère privée du ménage, ce qui aggrave le crime. Comme Marie de Courtarouel, coupable d’avoir envisagé la mort de son conjoint et un futur avec son amant, les femmes qui commettent l’adultère, portent atteinte au patrimoine familial. Ces actes attentatoires au respect dû au mari, constituent des faits assez conséquents dans la conception morale du XVIe siècle, pour être mentionnés dans les sommaires des procès. L’adultère multiple qui est en fait un acte de prostitution, est le chef d’accusation de cinq autres femmes condamnées à être noyées : Marie Binot18, Louise Meystre19, Clauda Mermod20, Suzanne Fontaine21et Marie Mauclan22, toutes mariées ou qui l’ont été, sont convaincues d’adultères répétés. Marie Binot est accusée d’avoir « paillardé » avant et après son mariage, avec des hommes mariés ou célibataires. Le grand nombre de cadeaux reçus, dont la liste est établie dans le sommaire du procès, confirme l’accusation de prostitution : Tu as faussé la foi et loyauté que tu devais à ton mari, t’abandonnant à commettre le détestable crime de fornication et adultère tant en cette cité que ailleurs avec plusieurs hommes mariés et non mariés, en somme te prostituas à tous venant, jusques même aux inconnus, et combien que pour une partie desdits crimes, tu eusses été à bon droit châtiée, puis après répudiée de ton mari et divorcée d’avec lui tu as encore depuis continuée de mal en pis, même l’hors qu’on traitait de telle répudiation et divorce causés par ta turpitude. Qui démontre concupiscence charnelle,[…] La persévérance de Marie Binot en son comportement dévoyé semble avoir été l’élément motivant la peine de mort préconisée par l’Édit de 1566. En 1566, Louise Meystre est employée dans une taverne. Déjà punie pour paillardise avant son mariage, elle est convaincue de vols et d’adultères multiples, tant du vivant de son mari qu’après son décès. En 1570, Clauda Mermod est condamnée pour avoir, malgré son mariage et les efforts de son mari pour lui faire réintégrer le domicile conjugal, perpétré de nombreux adultères et paillardises, tout en multipliant les promesses de mariage à ses amants rencontrés dans une taverne où elle est employée. En 1581, un cas similaire est à l’origine d’un important scandale dont Théodore de Bèze se fait l’écho dans sa correspondance 23, ayant lui-même transcrit les aveux de l’accusée Suzanne Fontaine. Le degré de gravité de ce procès est justifié par l’implication d’un grand nombre d’hommes mariés ou célibataires. Ceux-ci, encourant des peines très lourdes, s’enfuient de la ville au grand scandale de l’assemblée des pasteurs qui revendiquent une application stricte de l’Édit de 1566. Le cas de Marie Mauclan en 1609, bien que distant de 40 ans, révèle l’importance accordée non seulement à l’adultère, mais aussi au mensonge social que représente la multiplication des promesses de mariage ou 17 AEG, PC 945 1ère série, 1560, Bernardine Neyrot. AEG, PC 1190 1ère série, 1564, Marie Binot. 19 AEG, PC 1339 1ère série, 1566, Louise Meystre. 20 AEG, PC 1594 1ère série, 1570, Claudia Mermod. 21 AEG, PC 1713 1ère série, 1581, Suzanne Fontana. 22 AEG, PC 1961 1ère série, 1609, Marie Mauclan. 23 Alain Dufour, Béatrice Nicollier et Hervé Genton, Correspondance de Théodore de Bèze, tome XIII, (1582), Genève, 2001, p. 14. 18 la bigamie. Ces derniers délits sont fermement poursuivis et dans cette procédure, ils justifient une enquête commanditée par le Conseil et menée jusqu’à Draguignan24. Ces cinq femmes, bien que condamnées pour adultères multiples, se différencient des précédentes par un désordre de conduite qui ne se cantonne pas à la sphère privée, mais déborde sur l’espace public, soulignant à nouveau à quel point les limites entre la vie privée de l’individu et la vie de la communauté sont loin d’être clairement définies. La procédure à l’encontre du couple Pierre et Jaquema Mibort et de leur « complice » Pierre Gardet représente un troisième type de délit qui associe l’accusation d’adultère à celle de maquerellage. Bien qu’ils soient tous trois arrêtés le 24 février 1565, en raison de la grossesse de Jaquema Mason, leurs cas sont traités en deux procédures distinctes25. En effet, les interrogatoires sous torture et l’exécution de la peine sont renvoyés après l’accouchement. Jaquema Mason n’est condamnée que le 12 décembre alors que Pierre Mibort et Pierre Gardet sont noyés le 7 mars. En 1565, Pierre Mibort, anciennement ministre et maître d’école, est imprimeur. Son parcours professionnel illustre parfaitement la mobilité sociale d’un individu de cette seconde moitié du XVIe siècle, en Suisse, au début de la Réforme26. Rencontrant Pierre Gardet, boucher de profession, Mibort lui achète une paire de chausses et lui propose de les payer ultérieurement. L’amitié se développe et Mibort, peu pressé de régler sa dette invite Gardet à souper. A la fin du repas, vue l’heure tardive, il lui propose de rester coucher avec lui et sa femme, leur lit étant assez grand : Ledit Gardet il se coucha avec ledit Mibor et sa femme, étant toutefois ledit Mibor au milieu, et environ une heure après minuit, ledit Mibor se leva pour aller besogner en imprimerie laissant ledit Gardet couché auprès de sa femme, voir combien quelle l’avertit de faire [illisible] en quoi il fait vrai acte de magnolage27 comme écrit et montré. Car étant sorti ledit Gardet paillarda avec la femme d’icelui par deux fois. Depuis ledit Gardet comme tous deux l’ont confessé a couché deux autres diverses fois avec ledit mari et étant la femme au milieu d’eux et […] dicelle paillarda avec ladite femme lequel Mibor présent qui faignait de dormir sans en faire autre compte sinon qu’il replaignit de ce qu’ils ne le laissaient pas reposer28. Pierre Mibor est accusé de servir de maquereau à sa femme, tandis que Pierre Gardet, déjà réprimandé dans le passé pour paillardise, est condamné pour récidive d’adultère29. L’Édit de 1566 prévoit la condamnation à mort pour celui qui fait acte de maquerellage envers un membre de sa famille, quoique le cas du mari servant de maquereau à sa femme ne soit pas mentionné30 Et si c’était le père, mère, frère, sœur, oncle, tante, tuteur, ou curateur qui eut ainsi livré sa fille, parente ou mineur, ou que le maquerelage fut pour induire à adultère, tel ou telle sera puni de mort. Lors du procès contre Jaquema Masson, seule l’accusation d’adultère est retenue. 24 AEG, R.C. 106, 29 avril 1609, f. 79 v. ; 19 mai 1609, f. 89 v. ; 24 mai 1609, f. 95.v. AEG, PC 1267 1ère série, 1565, Pierre Mibort, Pierre Gardet ; AEG, PC. 1268 1ère série, Jaquema Mason. 26 Emmanuel Le Roy Ladurie, Le siècle des Platter : 1499-1628, tome 1, Le mendiant et le professeur, Paris, 2000. 27 ou maquignolage. 28 AEG, PC 1267 1ère série, 1565, Pierre Mibort et Pierre Gardet, sommaire. 29 AEG, PC 967 1ère série et AEG, PC 974 1ère série. 30 Edit contre la paillardise de 1566 « maquereau et maquerelle », Emile Rivoire (éd.), Sources du droit du Canton de Genève, vol.3 (1551-1620), Aarau, 1933. 25 Au lieu de garder la foi et loyauté quelle devait a son mari elle s’est abandonnée pendant le temps susmentionné à commettre adultère et fornication avec ledit feu Pierre Gardet et ce par plusieurs et diverses fois en la maison de son dit feu mari31 Bien que dans la suite du sommaire, il soit spécifié que la situation a été provoquée par son mari, Jaquema Masson est accusée d’avoir porté atteinte au « saint État de mariage », et de n’avoir pas manifesté suffisamment son opposition, réitérant l’adultère à plusieurs reprises Que sans avoir égard aux saints commandements de Dieu et à la foi et loyauté qu tu avais promise à ton feu mari Tu l’as faussés et rompus t’étant abandonnés à diverse fois a commettre fornication et adultère avec un autres auquel tu avais donné trop grand accès en la maison de ton mari et qui pour mieux couvrir ledit crime détestables tu as voulu abusé du saint sacrement du baptème Ayant accepté tondit palliard pour compère de l’enfant duquel tu es délivré Jaquema Masson est aussi accusée d’avoir « abusé du sainct sacrement du baptesme » en acceptant son amant comme compère, c'est-à-dire comme parrain de l’enfant qui est né. Cet accord doit avoir eu lieu fort tôt durant la grossesse puisque Jaquema accouche en prison après l’exécution de son amant et de son mari. Le fait de promettre le parrainage d’un enfant à son « paillard » est considéré comme un acte choquant et suffisamment répréhensible pour figurer dans la sentence officielle. Utiliser le lien de parrainage pour faciliter les rencontres avec son amant fait aussi partie de l’accusation portée contre Blandine Neyrot : Et pour tant plus facilement commis leur méchanceté et avoir moyen de continuer en leur débordée fornication et fréquenter l’un avec l’autre familièrement lui avoir promis et accordé qu’il serait parrain de l’enfant quelle portait allors32 Bernardine a fait cette promesse au mois de novembre 1561. Arrêtée en décembre, elle n’est exécutée qu’en juillet 1562. En effet, malgré les visites des sages femmes qui ne la trouvent pas enceinte en décembre 156133, il semble que le Petit Conseil choisisse de surseoir à l’exécution, ne voulant pas courir le risque d’exécuter une femme enceinte. Les sept avis de droits émis par les juristes genevois au sujet de l’adultère dans les cas de noyades judiciaires, ne donnent que peu d’informations concernant le choix de la peine. Une accusation spécifiant que les accusés « ont ensemble commis adultère et pourtant suivant la loi de Dieu / et les constitutions impériales, ensembles les édits de ceste cité / et seigneurie sous laquelle à été commis ledit crime, tous deux méritent la mort »34, confirme que la loi divine, les constitutions impériales et les Édits de 1566 sont les textes de références pour déclarer l’adultère crime capital. Les Édits, copiés en annexe de cette procédure, rappellent la loi à appliquer. Certains avis de droit proposent la peine de la noyade, mais aucun ne motive le choix d’un tel mode d’exécution. Dans un seul cas, il est fait référence à une peine de mort usuelle, « par quoi semble qu’elle devoit être condamnée à la peine de mort accoutumée en tel cas, à savoir d’être noyée et finir sa vie en l’eau et son corps être après, mené au lieu de Champel »35. Daté de 1564, cet avis établit l’existence d’une pratique antérieure de la noyade judiciaire sans que l’on ne connaisse les circonstances exactes ni les motivations pour appliquer cette peine envers le crime d’adultère. 31 AEG, PC 1268 1ère série, 1565, Jaquema Masson, sommaire. AEG, PC 945 1ère série, 1560, Bernardine Neyrot, sommaire. 33 AEG, Jur. Pen. A2 f.131, décembre 1561. 34 AEG, PC 1594 1ère série, 1570, Clauda Mermod, avis de droit. 35 AEG, PC 1190 1ère série, 1564, Marie Binot, avis de droit. 32