article pdf - Laboratoire de Glaciologie et Géophysique de l

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Les glaciers alpins face au réchauffement.
Glaciers et climat
L’évolution des glaciers est l’un des indicateurs majeurs sélectionnés par le Groupe
Intergouvernementale sur l’Evolution du Climat pour situer la variabilité et les tendances
climatiques au cours du dernier siècle. En effet, les bilans de masse des glaciers alpins, ou
variations de volume annuelles, sont le résultat des précipitations sous forme solide d’une part
(accumulation hivernale d’octobre à mai dans les Alpes), et des flux d’énergie en surface qui
provoquent la fusion neige/glace, d’autre part. Aussi , les mesures des bilans de masse
hivernaux (octobre à mai) et estivaux (juin à septembre) fournissent une image directe des
précipitations hivernales et des bilans d’énergie au cours de l’été (contrairement aux
fluctuations de longueur des glaciers dont l’interprétation est beaucoup plus complexe).
Réseau d’observations dans les Alpes françaises
Depuis plusieurs décennies, les observations de bilans de masse et de fluctuations glaciaires
ont été réalisées par le Laboratoire de Glaciologie de Grenoble sur des glaciers des Alpes
françaises en zone d’ablation (partie basse). Depuis 1994, ce réseau concerne des
observations systématiques bi-annuelles sur l’ensemble de la surface de 4 glaciers entre 1600
m et 3600 m d’altitude. Sur chacun de ces glaciers, nous disposons de 30 à 50 sites
d’observations (balises ou carottages). Ces observations visent à, 1°) déterminer les bilans de
masse hivernaux (accumulations hivernales obtenues par carottages) et estivaux (fontes
estivales déterminées à partir de balises implantées dans la glace) de 4 glaciers des Alpes
françaises (Argentière, Mer de Glace, Gébroulaz et Saint Sorlin), 2°) déterminer les
fluctuations glaciaires (variations de longueur, d’épaisseur et vitesses d’écoulement) de ces
mêmes glaciers. Depuis 2000, ce service d’observation du LGGE est reconnu et financé en
majeure partie par l’OSUG (Observatoire des Sciences de l’Univers de Grenoble, CNRS).
Depuis 2002, ce réseau d’observations fait partie d’un ORE (Observatoire de Recherche en
Environnement, Ministère de l’Environnement) qui comprend des observations glaciaires et
météorologiques dans les Alpes et dans les Andes.
Evolution des bilans de masse dans les Alpes françaises au cours du 20ème siècle.
Sur la figure 1 sont reportés les bilans cumulés de 4 glaciers français au cours du 20ème siècle :
ces valeurs correspondent à la variation d’épaisseur moyenne (sur l’ensemble de la surface de
chacun des glaciers), exprimée en mètre d’eau ; ainsi, les glaciers d’Argentière, de la Mer de
Glace et de Gébroulaz ont perdu environ 13 m d’eau depuis 1907, alors que le glacier de Saint
Sorlin a perdu 31 m d’eau au cours de la même période. Cette figure indique que la
décroissance des glaciers n’est pas du tout uniforme au cours du 20ème siècle ; deux périodes
de fortes décroissances caractérisent ce siècle: 1942-1953 et 1982-2003. La forte décrue de la
décennie 1940 est la conséquence d’hivers peu enneigés et d’une importante fusion estivale.
Au cours de cette période, l’ablation estivale était même plus élevée que celle enregistrée au
cours des 20 dernières années. Une partie de cette ablation est imputable à la diminution de
l’albédo de surface. Au contraire, le gain de masse de la plupart des glacie rs alpins observée
entre 1954 et 1981 est clairement liée aux faibles valeurs d’ablation. Les bilans positifs de
cette période ont provoqué une réavancée importante du front de certains glaciers (plusieurs
centaines de mètres pour les glaciers de la Mer de Glace, d’Argentière et des Bossons dans le
Massif du Mont Blanc). Sur la dernière période (1982-2003), la fusion estivale augmente très
significativement et l’accumulation hivernale croît légèrement.
... et sur l’ensemble du massif alpin.
Une étude récente (Vincent et al., sous presse) analyse les plus longues séries de bilans de
masse observées dans les Alpes autrichiennes, suisses et françaises. Ces séries ont une
cinquantaine d’année, à l’exception de la série de Clariden (Suisse) qui est exceptionne lle
puisqu’elle date de 1914. L’analyse de ces données révèle des fluctuations de bilans de masse
très similaires à l’échelle des Alpes (de Sarennes, en France, à Hintereisferner, en Autriche, à
400 km de distance) pour les 50 dernières années. Les fortes fluctuations décennales
dépendent pour une très large part des bilans estivaux. La variabilité des bilans hivernaux est
beaucoup plus faible. A partir de l’étude détaillée des 2 séries de bilans de masse hivernaux et
estivaux de Sarennes et Clariden, on a montré que la forte augmentation de la fusion estivale
des 20 dernières années étaient très similaires pour ces 2 glaciers situés à 290 km l’un de
l’autre et que, en conséquence, les variations du bilan d’énergie de surface qui affecte les
glaciers au cours de l’été sont similaires à l’échelle des Alpes : on observe en effet une
augmentation de la fusion estivale (juin-juillet-août) journalière de 0.5 cm d’eau par jour à
Sarennes entre 1954-81 et 1982-2002 très similaire à celle de Clariden (0.57 cm d’eau par
jour).
Interprétation climatique.
L’ablation (cm d’eau / jour) peut être convertie directement en énergie (W.m2 ) en utilisant la
chaleur latente de la fusion (334 000 J kg-1 ) et en supposant que l’ablation provient
uniquement de la fusion, ce qui est raisonnable dans les Alpes (sublimation très faible). Ainsi,
l’augmentation du taux de fusion journalier (environ 0.5 cm eau /jour) observée à la fois à
Clariden et à Sarennes entre 1954-81 et 1982-2002 correspond à une élévation des flux
d’énergie en surface de 20 W/m2 sur la période estivale (juin, juillet, août) ce qui est
considérable. Ces observations indiquent ainsi une variabilité pluridécennale très importante.
La variabilité interannuelle est également très élevée : même au cours des 20 dernières
années, avec des étés très chauds en moyenne, les étés de 1995 et 2001 ont été pourris et les
bilans de masse glaciaires nettement positifs. Par opposition, la valeur de la fonte estivale de
2003 dépasse de deux écarts type la valeur moyenne de 1982-2002 et trois écart types la
valeur moyenne de 1954-1981. De telles valeurs d’ablation n’ont jamais été atteintes au cours
des 50 dernières années. Il faut remonter à 1947 pour retrouver une valeur équivalente. La
variabilité pluricentennale est aussi très forte: la régression des glaciers alpins datent en réalité
du début du 19ème siècle, c’est à dire de la fin du Petit Age de Glace, qui s’est étendu sur
plusieurs siècles, avec des glaciers plus longs de 0.8 à 1.6 km par rapport à l’actuel ou au
Moyen Age. Dans le contexte des interrogations sur les changements climatiques, les longues
séries d’observations glaciaires s’avèrent ainsi particulièrement utiles pour l’analyse de
l’évolution du climat.
Glossaire :
. ablation: perte de masse par fusion ou sublimatio n.
. bilan de masse glaciaire : différence entre l’accumulation et l’ablation. A l’échelle d’un
glacier, c’est la variation de volume annuelle. Il est souvent exprimé en mètres d’eau (on
divise la variation de volume par la surface).
. bilan d’énergie : somme des flux d’énergie (radiations, chaleur sensible, chaleur latente).
Références
Vincent, C. , Influence of climate change over the 20th Century on four French glacier mass
balances, J. Geophys. Res., 107 (D19), 4375, doi:10.1029/2001JD000832, 2002.
Adresse du site du LGGE : http://www- lgge.ujf- grenoble.fr/equipes/glaciers/home.html
Contact : Christian. Vincent - Laboratoire de Glaciologie et de Géophysique de
l'Environnement
CNRS, [email protected] grenoble.fr
Travaux de forage sur le glacier de Talèfre (Massif du Mont-Blanc). Photo C. Vincent 2003.
Bilans de masse cumules (m.eau)
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Bilans de masse cumules (m.eau)
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St Sorlin (Massif des Grandes Rousses)
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Gebroulaz (Massif de la Vanoise)
1900 1920 1940 1960 1980 2000
1900 1920 1940 1960 1980 2000
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Argentiere (Massif du Mt Blanc)
-40
Mer de Glace (Massif du Mt Blanc)
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1900 1920 1940 1960 1980 2000
1900 1920 1940 1960 1980 2000
An
An
Figure 1 : Bilans de masse cumulés de 4 glaciers des Alpes françaises, en mètres d’eau (ils
correspondent aux variations d’épaisseur moyennées sur l’ensemble de la surface de chacun
de ces glaciers). Les petits triangles représentent les mesures directes de terrain, les larges
triangles représentent des données cartographiques ou photogrammétriques et la courbe en
trait plein est issue d’un modèle construit à partir de paramètres météorologiques.