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Economic Focus
Octobre 2010
Le management catégoriel sous les feux de l’Autorité de la
concurrence : une analyse économique
Le management catégoriel (Retail Category
Management) consiste, pour un distributeur, à gérer
l’ensemble des produits d’une même catégorie (par
exemple, le rayon café d'un supermarché) de manière
centralisée et coordonnée, plutôt que de mener une
stratégie marque par marque. Le distributeur
optimise ainsi les ventes du rayon tout entier et évite
la dissipation de ses profits qu'engendrerait une
intense concurrence intermarques.
Cette coordination horizontale peut se doubler d'une
coopération verticale se traduisant par l'implication
d'un ou de plusieurs fournisseurs dans la gestion du
rayon. Par exemple, les accords de capitaine de
catégorie (Captain Category Management) délèguent
à l'un des fournisseurs la gestion coordonnée de
l'ensemble des produits du rayon, y compris ceux des
fournisseurs concurrents. Le capitaine de catégorie
peut ainsi centraliser les informations relatives aux
différents produits du rayon, gérer tout un ensemble
1
de services périphériques à la vente , voire même
participer à la fixation des prix de détail de ses
propres produits, mais également de ceux de ses
concurrents.
Les accords de capitaine de catégorie soulèvent de
2
légitimes préoccupations de concurrence . L’Autorité
3
de la concurrence s’est ainsi autosaisie et devrait
rendre un avis dont les objectifs annoncés sont d’une
part "d’estimer la fréquence et la portée de ces
accords de catégorie" (§6), d’autre part d'en
"apprécier les risques pour la concurrence" (§7).
Comme pour la plupart des pratiques commerciales,
ces accords sont en théorie susceptibles de produire à
la fois des effets pro et anticoncurrentiels. Cet article
1
Les services peuvent couvrir la gestion du linéaire et sa répartition
entre les produits, l’organisation des promotions, ou la mise en
avant de certains produits.
2
Bandyopadhyay, S., A. Rominger & Basaviah (2009). Developing a
framework to improve retail category management through
category captain arrangements, Journal of retailing and consumer
services, 16, 315-319.
3
Décision n°10-SOA-02 du 19 mars 2010 relative à une saisine
d’office pour avis portant sur les contrats de "management
catégoriel" entre les opérateurs de la grande distribution
alimentaire
et
certains
de
leurs
fournisseurs,
propose une revue synthétique des principaux effets
mis en évidence par la littérature économique.
Quels effets pro-concurrentiels attendre ?
La délégation au fournisseur des services d’aide à la
vente, voire de la fixation des prix de détail de ses
produits et de ceux de ses concurrents peut être
bénéfique au consommateur si le fournisseur est
mieux placé que le distributeur pour connaître les
caractéristiques de la demande.
C'est le plus souvent le cas car, contrairement au
distributeur qui gère un très grand nombre de
références et produits divers, le fournisseur est
spécialisé sur un petit nombre de produits : il les
connaît donc mieux et en vend beaucoup plus qu'un
distributeur donné.
Disposant d'une meilleure
connaissance de la demande, le fournisseur est
capable d'ajuster plus efficacement les prix de détail,
par exemple en optimisant la gestion des périodes de
promotion. La centralisation de la gestion du rayon
aux mains d'un seul fournisseur peut également
réduire les frais d'inventaire.
Un deuxième effet pro-concurrentiel résulterait d'une
meilleure incitation du fournisseur à consentir des
efforts. Un fournisseur est a priori incité à fournir des
services d’aide à la vente afin d’augmenter
l’attractivité de ses produits et donc le volume vendu.
Il peut craindre cependant que le distributeur
s'approprie les bénéfices des
investissements
consentis, par exemple en profitant de l’attractivité
nouvelle du produit pour augmenter les prix de détail.
Face au risque de hold-up, le fournisseur est moins
incité à investir. En lui délégant un certain nombre de
fonctions, le distributeur l'incite à fournir davantage
d'efforts en lui assurant qu'il conservera les gains
générés.
Enfin, et nous retrouvons là une justification classique
des effets bénéfiques de la fixation des prix de détail
par le fournisseur, les accords de capitaine de
catégorie peuvent éliminer la double marge qui
résulterait de la fixation d'un prix de gros élevé par le
www.autoritedelaconcurrence.fr/pdf/avis/10soa02.pdf.
1|Page
fournisseur et d'un prix de détail "doublement" élevé
par le distributeur.
Quels effets anticoncurrentiels craindre?
Deux grands types d'effets anticoncurrentiels sont
susceptibles d'être facilités par les accords de
capitaine de catégorie : d'une part les pratiques
d'éviction à l'encontre de certains fournisseurs,
d'autres part les pratiques collusives horizontales (i.e.,
entre fournisseurs), mais également verticales (i.e.,
4
entre fournisseurs et distributeurs) .
Les risques d’éviction des autres fournisseurs
Le fournisseur désigné comme capitaine de catégorie
pourrait utiliser le pouvoir qui lui est donné (gérer le
linéaire, organiser les périodes de promotion, fixer les
prix de détail) pour renforcer sa position au détriment
des fournisseurs concurrents, qui pourraient à terme
être marginalisés, voire évincés. La littérature
économique montre que l'incitation du capitaine de
catégorie à mettre en œuvre de telles pratiques peut
être limitée.
L’intuition est la suivante. D’un côté, le capitaine de
catégorie est incité à promouvoir sa propre marque,
pour augmenter ses ventes et son profit. Mais dans le
même temps, il craint la réaction de ses concurrents
qui pourraient baisser leur prix pour contrebalancer le
désavantage concurrentiel qu'ils subissent. Or il
subirait alors une forte pression sur ses propres prix.
L'éventuel effet anticoncurrentiel ne peut donc être
correctement apprécié qu'au cas par cas, en tenant
compte des dispositions particulières de chaque
accord. Il est en particulier clé de distinguer les
accords conférant la fixation des prix de détail au
capitaine de catégorie.

Cas 1 : le capitaine de catégorie ne fixe pas
les prix de détail
Lorsque le capitaine de catégorie est en charge
d'organiser les différents services complémentaires à
la vente, il dispose d'un moyen de jouer sur
l’attractivité relative des différents produits. Nous
présentons ici les intuitions des résultats de Dhang &
5
alli. (2010) en supposant que seuls deux fournisseurs
4
Voir par exemple le panorama des risques anticoncurrentiels
dressé par Desrochers, D., G.T. Gundlach & A. Foer (2003). Analysis
of Antitrust Challenges to Category Captain Arrangements, Journal
of Public Policy & Marketing, Vol. 22, No. 2, pp. 201-215.
5
Dhar, S., J. Raju, U. Subramanian & Y. Wang (à paraître). The
competitive consequences of using a category captain,
Management Science. Pour une approche du management
categoriel en général, voir Basuroy, S., M.K Mantrala & G. Walters
2|Page
se font concurrence. L'un des deux est nommé
capitaine de catégorie.
Les services complémentaires mis en œuvre par le
capitaine de catégorie lui permettent d'accroître ses
ventes. Sans surprise, à l’équilibre, le capitaine de
catégorie est incité à fournir un service biaisé en sa
faveur. Il accroît ainsi l'attractivité relative de son
produit, ce qui lui permet d’augmenter ses ventes à
prix inchangés.
Ce comportement est néanmoins contraint par la
réaction du fournisseur concurrent. En réponse à sa
moindre attractivité, celui-ci sera incité à réagir en
diminuant son prix de gros, ce qui incitera le
distributeur à diminuer le prix de détail. La baisse du
prix attirera des consommateurs vers les produits du
fournisseur concurrent, au détriment du capitaine de
catégorie. Plus la différenciation des produits est
faible, et donc plus les consommateurs sont sensibles
au prix, plus la réaction du fournisseur concurrent
sera préjudiciable au profit du capitaine de catégorie.
Le comportement de ce dernier sera donc plus
équilibré lorsque la concurrence en prix entre les
produits est forte.
Le capitaine de catégorie choisit donc un degré de
biais dans les services offerts qui lui permet
d’augmenter ses ventes sans créer une trop forte
réaction en prix du fournisseur concurrent.
Les auteurs montrent que le distributeur est toujours
gagnant d’un accord de capitaine de catégorie.
L’accord lui permet en effet d’augmenter le niveau de
service financé par les fournisseurs et donc le niveau
de vente, tout en exerçant une pression à la baisse sur
les prix de gros du fournisseur concurrent. Le
capitaine de catégorie est également toujours
gagnant, tandis que le fournisseur concurrent est
perdant, sauf dans les situations où la concurrence
intermarques est suffisamment vive pour dissuader
complètement le capitaine de catégorie de biaiser les
services d’aide à la vente en sa faveur. La hausse des
quantités vendues est en outre un bon indice du
caractère pro-concurrentiel de la pratique.

Cas 2 : le capitaine de catégorie fixe les prix
de détails
Certains accords confèrent au capitaine de catégorie
des pouvoirs importants tels que la répartition du
(2001). The impact of category management on retailer prices and
performance : theory and evidence, The Journal of Marketing, Vol
65, n°4, pp. 16-32 ainsi que Gajanan, S., S. Bausroy & S. Beldona
(2007). Category management, product assortment, and consumer
welfare, Market Lett, Vol 18, pp. 135–148.
linéaire disponible entre ses produits et ceux de ses
concurrents, la négociation des prix de gros ou la
fixation des prix de détail. En contrepartie, le
capitaine de catégorie reverse au distributeur une
partie des profits générés. Le rôle du distributeur peut
se trouver réduit à l'allocation du linéaire entre les
différents rayons en fonction du niveau de profit qu'ils
génèrent (et dont une partie lui est rétrocédée par le
capitaine de catégorie).
6
Kurtulus et Toktay (2010) analysent les prix
d’équilibre et la répartition du linéaire découlant du
comportement du capitaine de catégorie et des
réactions du distributeur et du fournisseur
concurrent.
Le capitaine est incité à se réserver la majeure partie
du linéaire, même s’il n’est pas plus efficace que son
concurrent. Mais comme précédemment, il est limité
dans cette volonté d’éviction par la réaction des
autres fournisseurs.
Comme dans le cas précédent, le fournisseur
concurrent réagit à la baisse de ses ventes par une
baisse de ses prix de gros. Puisqu’il maîtrise les prix de
détail, le capitaine de catégorie n’est plus soumis
directement à la pression en prix de son concurrent.
Mais il est intéressé à la profitabilité du rayon. Se
passer des produits du fournisseur concurrent, en lui
refusant le linéaire malgré des prix de gros plus
faibles, représente un coût d’opportunité. Si la baisse
des prix du fournisseur concurrent est suffisamment
forte, le capitaine de catégorie préférera vendre les
produits du concurrent avec un prix de gros plus faible
que d’augmenter ses propres ventes. La hausse du
profit du rayon qui en découle lui offre un revenu
direct (la part des profits qu’il conserve) et un revenu
indirect (l’augmentation du linéaire que le
distributeur lui confiera en échange de la hausse du
profit). L’intéressement à la profitabilité du rayon, qui
découle de son rôle de capitaine de catégorie, limite
donc son incitation à évincer les fournisseurs, qui
découle de sa position de fournisseur concurrent.
Le capitaine de catégorie est toujours gagnant,
puisqu’il profite de l’augmentation de sa part du
linéaire et éventuellement de l’augmentation de la
taille du linéaire. Le distributeur est également
gagnant à l’accord, à condition de ne pas rétrocéder
6
Kurtulus, M. & L. Toktay (à paraître). The impact of limited retail
shelf space on category management, forthcoming in Production
and Operation Management. Pour une approche qui intègre le
défaut de coordination entre les rayons, voir Cachon, G. & A. Kök
(2007). Category Management and coordination in retail
assortment planning in the presence of basket shopping consumers,
Management Science, Vol. 53 n°6, pp. 934-951.
3|Page
une part trop importante des profits du rayon. Il
bénéficie en effet directement de l’élimination de la
double marge et indirectement de la pression sur les
prix de gros du non-capitaine.
L’accord peut bénéficier au fournisseur concurrent
dans les cas où la quantité de linéaire allouée est très
sensible à la profitabilité du rayon. L’augmentation du
linéaire en réponse à une meilleure efficacité du
rayon peut alors compenser sa perte de part de
marché. Si, en revanche, le distributeur n’est pas
incité à offrir beaucoup de linéaire supplémentaire en
7
échange d’une efficacité du rayon plus grande,
l’accord est défavorable au fournisseur concurrent. Il
est également défavorable au consommateur en
raison de la hausse des prix de détail.
Les résultats présentés jusqu’ici ne tiennent pas
compte de la possibilité de mettre en concurrence les
fournisseurs au niveau de la sélection de celui qui sera
désigné comme capitaine de catégorie.
L’existence d’une mise en concurrence tend plutôt à
diminuer le risque d’éviction. Chaque fournisseur
candidat présente au distributeur un plan d’action en
tant que capitaine de catégorie. Pour convaincre le
distributeur de lui donner le poste de capitaine, le
fournisseur candidat est incité à augmenter la
profitabilité du rayon dans son ensemble plutôt que
8
son seul profit . Il est amené pour cela à s’appuyer
davantage sur les produits du fournisseur concurrent.
Le risque d’éviction est plus faible. Le gain du
capitaine est alors plus faible, le gain du distributeur
est plus élevé et les pertes du fournisseur concurrent
sont limitées.
Dans certains contextes cependant, cette concurrence
permet au distributeur d’être le seul bénéficiaire d’un
accord de capitaine de catégorie. C’est le cas lorsque
la concurrence entre marques est faible. Les candidats
savent alors que le capitaine de catégorie sera incité à
évincer le fournisseur concurrent. Par crainte de
l’éviction, les fournisseurs sont amenés à proposer au
distributeur un plan d’action en tant que capitaine qui
leur coûte davantage que ce qu’il leur rapportera. Les
fournisseurs sont prêts à payer pour obtenir une
situation de capitaine qui est moins profitable que
leur position actuelle, mais préférable à une position
de fournisseur concurrent risquant d’être évincé par
le capitaine. En mettant en place un accord de
capitaine de catégorie, le distributeur crée un risque
7
C’est le cas si l’accord prévoit un reversement trop important des
profits au capitaine de catégorie, ou si la rareté du linéaire est
forte.
8
On suppose ici que le fournisseur s'engage de façon crédible et
observable sur le niveau d'effort.
d’éviction qu’il utilise pour faire payer au futur
capitaine de catégorie le droit d’accès à son magasin.
Les auteurs montrent que l’accord est alors
exclusivement bénéfique au distributeur, et diminue
le bien-être des consommateurs compte tenu du
risque d'éviction.
Les risques d’entente
Les accords de capitaine de catégorie pourraient
faciliter une entente entre distributeurs sur les prix de
détail. En choisissant le même capitaine de catégorie
et en lui délégant la fixation des prix de détail, les
distributeurs d’une même zone de chalandise seraient
9
en mesure de limiter la concurrence . Le capitaine de
catégorie servirait alors de facilitateur de l’entente, en
permettant une coordination, par un opérateur tiers
des prix de détail pratiqués par les distributeurs.
Les accords de capitaine de catégorie pourraient
également augmenter la probabilité de collusion des
prix de gros entre fournisseurs. Le distributeur met à
disposition du capitaine de catégorie des informations
sur les produits et les prix de gros de ses concurrents,
ainsi qu’un espace officiel de communication sur des
données
potentiellement
sensibles
entre
fournisseurs. Ces échanges d’informations peuvent
faciliter le pilotage d’une entente entre fournisseurs.
Cependant, ce type d’entente est rendu difficile par le
contre-pouvoir des distributeurs, la concurrence vive
entre fournisseurs et leur asymétrie. Les gros
fournisseurs, qui forment l’essentiel des troupes de
capitaines de catégorie et sont présents sur
l’ensemble des marchés, pourraient être sensibles à
cette tentation. Mais de tels accords de collusion
risqueraient d’être fragilisés par l’existence des petits
fournisseurs, ne pouvant pas postuler au rôle de
capitaine de catégorie, et qui seraient moins sensibles
aux profits d’une coordination multi-marchés compte
tenu de leur implantation géographique limitée. Le
risque d’entente le plus crédible est donc bien celui
d'une entente entre distributeurs.
principaux à analyser pour identifier les accords les
plus susceptibles d'être anticoncurrentiels.
Une première conclusion est qu’une interdiction per
se n’est, du point de vue de l'analyse économique, pas
souhaitable. Sous certaines conditions, ces accords
peuvent
effectivement
bénéficier
aux
consommateurs, en incitant à un meilleur service
périphérique à la vente, en supprimant certains effets
néfastes tels que la double marginalisation, mais
aussi, plus indirectement, en créant une pression sur
les prix de gros susceptible d'être répercutée dans les
prix de détail.
L’essentiel des effets porte en fait sur la redistribution
des marges entre le capitaine de catégorie et les
fournisseurs concurrents, ou entre le distributeur et
les fournisseurs, lorsqu’ils sont en concurrence pour
le poste de capitaine de catégorie. Le droit de la
concurrence, dont l'objectif est la protection des
consommateurs, n'a pas en principe à se préoccuper
de tels transferts entre entreprises.
Certains accords sont en revanche susceptibles d’être
néfastes
aux
consommateurs.
Lorsque
la
différenciation est importante et la concurrence en
prix intermarques est faible, les risques d’éviction de
fournisseur, de hausse des prix de détail et de baisse
de la satisfaction des consommateurs sont plus
marqués. En outre, l’absence de mise en concurrence
pour le poste de capitaine accroît également le risque
d’effets anticoncurrentiels
Enfin, les accords pourraient apparaître comme
augmentant le risque de collusion entre distributeurs
lorsqu’un même capitaine de catégorie est choisi chez
différents distributeurs d’une même zone de
chalandise.
O. Sautel
©Microeconomix, octobre 201 0
Microeconomix
L'analyse économique appliquée au droit
Quels critères pour juger
anticoncurrentiel d’un accord ?
de
l’effet
Les acteurs impliqués dans des accords de capitaine
de catégorie doivent prendre en compte le risque
qu'ils soient considérés comme anticoncurrentiels par
une autorité de la concurrence. La revue de la
littérature économique permet de dégager les critères
9
Steiner, R. (2001). Category Management - A pervasive, new
vertical/horizontal format, Antitrust, Spring 2001.
4|Page
Droit de la concurrence
Régulation
Economie de l'énergie
Econométrie
www.microeconomix.fr

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