Textiles et broderies en Afrique Noire

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Textiles et broderies en Afrique Noire
Textiles et broderies en Afrique Noire, in http://perso.wanadoo.fr/annie.cicatelli/afrique.htm,
page consultée le 02 avril 2010.
Textiles et broderies en Afrique Noire
Les textiles de l’Afrique noire se caractérisent par
une grande variété de matériaux, le plus souvent
tissés, et par des couleurs chaleureuses. Ils jouent
un rôle important dans la vie des différentes sociétés,
ne se limitant pas à la seule fonction vestimentaire.
La qualité, la dimension et l’ornementation des
vêtements révèlent le rang de celui que les porte. Ce
sont aussi des attributs indispensables aux acteurs
des rituels qui en sont recouverts de la tête aux
pieds, la coutume voulant qu’on habille même les masques et les statuettes.
Les vêtements diffèrent selon la matière qui les compose : métal servant de cache-sexe ou
fixé sur le cou, les bras et les jambes, culotte en cuir, pagne en écorce dont l’ornement est
souvent identique à celui des étoffes tissées ou teintes.
On connaît très mal le passé lointain des différents textiles africains. Actuellement, les plus
anciens textiles connus et datés en Afrique noire ont été découverts en pays Dogon, au
Mali ; ils sont vieux d’un millénaire.
Les matériaux - Les zones herbeuses et forestières fournissent plus de fibres végétales que
celles plus sèches où l’on pratique l’élevage. Si les deux principales fibres animales, la laine
et la soie, restent relativement peu communes dans ces pays les matières végétales sont, en
revanche, largement exploitées. La plus ancienne est sans doute l’écorce ; détachée
soigneusement du tronc de certaines espèces d’arbres, humidifiée puis martelée avec un
maillet en ivoire de manière à ce quelle s’étire et s’assouplisse, elle donne de grandes
pièces rectangulaires. On trouve différentes variétés de coton au Sahel et dans les savanes
sèches de l’Afrique noire, l’expansion de l’Islam en ayant favorisé l’exploitation et l’utilisation.
On emploie aussi les fibres provenant soit de feuilles d’arbres comme le palmier raphia, soit
de modestes plantes, tel l’ananas commun dans les zones humides, soit encore d’herbes
proches du lin comme certaines variétés d’hibiscus.
Le tissage - Il existe deux principaux types de métiers.
Le premier, vertical, fixe et dressé contre un support, permet d’obtenir des pièces d’étoffes
d’environ cinquante centimètres de large. Courant en Afrique centrale, il est de conception
assez simple et se fixe au mur ou au toit de la maison. Destiné au travail du raphia, il est
alors manié par les hommes, les femmes tissant plutôt le coton.
Le second, horizontal et souvent à pédales, est réservé aux hommes ; il sert à tisser
d’étroites bandes dépassant rarement vingt centimètres de largeur. Fréquent au Sahel et en
Afrique occidentale, il est surtout destiné au coton. La forme et le fonctionnement de ces
métiers varient d’une région à l’autre. En Afrique occidentale, par exemple, la chaîne, très
longue, est étirée face au métier et tendue par un poids posé à même le sol ; les bandes que
l’on y tisse ne font parfois pas plus de deux centimètres !
La teinture - Les opérations de teinture sont généralement exécutées par les femmes,
suivant des recettes qui varient de région en région. Traditionnellement, on utilisait des
colorants extraits de plantes et de minéraux locaux : la noix de cola pour le jaune, le mil pour
l’ocre, l’anthracite pour le noir, par exemple. La teinture à l’indigo, très répandue en Afrique,
se faisait dans des cuves creusées dans le sol où l’on mettait les feuilles à fermenter ; ces
bains sont faits aujourd’hui à base de colorants chimiques.
Les réserves - Les techniques de réserve liées à l’indigo, le plangi et le tritik, consistent à
nouer ou à coudre l’étoffe afin de réserver des zones plus ou moins importantes qui ne
s’imprégneront pas de colorant. Le plangi est obtenu par insertion de graines dans une étoffe
étroitement ligaturée. On peut aussi pincer le tissu en plis parallèles avec un nouage de fils,
cette méthode faisant ressortir des fleurs claires dont le contour blanc tranche sur le fond
plus sombre. Le tritik est fait de points de couture habilement piqués en plus simples,
doubles ou triples, plus ou moins serrés, réguliers et froncés. Le tissu mis à tremper offre
ainsi une surface considérablement réduite. D’autres fois, les femmes brodent le tissu de
motifs géométriques simples mais avec toutes sortes de points (devant, quadrillé, de croix).
Les liens et les fils sont enlevés soit en cours de teinture, ce qui donne une nuance bleu
clair, soit après, les motifs ressortant alors en blanc.
L’ancienne technique de la teinture à la boue se pratique sur le coton ; elle est
caractéristique de l’important groupe Bambara d’Afrique occidentale. Un bain de
mordançage, à base de feuilles et d’écorces, est d’abord effectué. Sur ce tissu séché avec
une paille, un bambou ou une lame de métal, l’artiste dessine à la boue des motifs
géométriques. Cette boue provient d’une vase recueillie dans les mares à la fin de la saison
sèche et conservée à cet effet tout l’année. Lorsque la boue a totalement séché sur le drap,
il est lavé et étendu au soleil, les motifs géométriques réapparaissant alors en noir. Pour
enlever le fond jaunâtre, on traite le tissu dans une solution de soude caustique. Ces étoffes
sont souvent appelées bokofanfin ou bogolan.
Cette technique est proche de celle du batik qui est vraisemblablement plus récente et
d’influence étrangère. Le batik consiste à recouvrir d’une réserve la surface de l’étoffe, en y
ménageant des espaces libres qui seront les seuls imprégnés lors de l’immersion dans la
teinture. Cette réserve est faite de cire fondue, de colle de riz ou de manioc et s’applique
avec une tige, une plume, des tampons en bois ou en calebasses ou des pochoirs en zinc
découpés selon les motifs souhaités.
Le décor tissé - Une très ancienne technique de tissage permet d’obtenir des motifs aussi
bien géométriques que figuratifs en variant formes et couleurs par le simple jeu des fils de
chaîne. Aux fils de coton peuvent être adjoints des fils de soie plus chatoyants. C’est en
priorité une activité masculine que les souverains ont su exploiter comme en pays Ashanti au
Ghana. Les dessins, même simples, permettent souvent de reconnaître les origines du
fabricant de l’étoffe et de celui qui la porte.
La broderie et l’appliqué - La broderie sur coton est généralement réservée aux hommes
qui n’utilisent pratiquement plus que la machine à coudre. La région où l’on brode le plus est
le pays Haoussa au Nigeria, probablement influencé par l’Islam et les traditions orientales.
Les hommes portent de superbes broderies à l’encolure de leurs grands boubous. Elles sont
réalisées avec des fils de coton, de soie locale ou importée, teints ou de couleur naturelle.
Depuis quelques années, on brode aussi le bas des pantalons et les camisoles des femmes
dans diverses régions.
La broderie sur raphia est en revanche réservée aux
femmes, surtout chez les Bakuba en République
Démocratique du Congo. Sans patron préalable, elles
brodent avec des fils de raphia teints des motifs
géométriques qui s’entrelacent. Elles enfilent une courte
fibre sur une aiguille, la piquent dans plusieurs fils de
chaîne, la ressortent et la coupent enfin à quelques
millimètres de l’étoffe. Ces tissus portent généralement le
nom de velours.
Les étoffes peuvent aussi être ornées de pièces rapportées : tissus, écorce, cuir, métal,
perles, coquillages, os, jouant aussi bien un rôle décoratif que rituel. Ces ornements sont les
attributs des souverains et de leurs dignitaires dans les royautés du continent. Les tentures
d’Abomey sont parmi les plus célèbres. Sur fond de coton uni, l’artisan coud des pièces
découpées dans des tissus teints de différentes couleurs, représentant des animaux, des
plantes et les exploits propres à chaque souverain. Les populations de l’est du delta du Niger
ornent de la même façon des bannières destinées à commémorer leurs défunts.
Textiles locaux, textiles importés - Il est difficile de faire la part entre les apports étrangers
et les authentiques costumes en matière de textiles africains. Toutefois, depuis la conquête
arabe du nord de l’Afrique, des documents attestent l’apparition de nombreuses étoffes et de
vêtements d’origine variée : Moyen-Orient, Asie, Europe, Afrique du Nord. Comme nous le
rapporte l’auteur arabe Al Muhallabi à la fin du Xème siècle, c’est d’abord auprès des
souverains et de leur cour que l’on commença de porter des tuniques et des turbans en
même temps que se développait le goût pour les étoffes en soie.
En arrivant le long des côtés de l’Afrique au XVème siècle, les Européens reprirent les
habitudes des commerçants arabes. Après avoir découvert que l’on produisait des toiles de
coton de belle qualité dans la région de la Gambie, les Portugais les importèrent chez eux
puis établirent, au cours des siècles suivants, des plantations de coton dans les îles du CapVert. Ils commercialisèrent, ainsi que les Français et les Anglais, les différentes productions
locales le long de la côte atlantique et cherchèrent à en imiter certaines qualités dans leurs
propres manufactures, comme ce fut le cas dans la région de Rouen pour la France.
À leur tour, lorsqu’ils furent bien implantés en Extrême-Orient, les Hollandais exportèrent la
production textile orientale en Afrique, la faisant transiter par l’Europe où les étoffes étaient
parfois travaillées. C’est ainsi que les mouchoirs de Cholet étaient taillés dans des pièces
importées des Indes. Les livres de bord des négriers du XVIIIème siècle fournissent la liste
des différents tissus transportés et dont les noms pittoresques traduisent l’origine : madras
(mouchoirs teints en rouge à l’époque, originaires des Indes), guinées (toiles de Pondichéry
très fines), baffetas (toiles communes du Bengale), indiennes (toiles de coton peintes).
Bientôt, toute l’Europe comprit quel vaste marché constituait l’Afrique et de multiples étoffes
exécutées dans divers ateliers cheminèrent jusqu’aux ports où elles étaient chargées dans
les cales de navires. À la recherche de gros bénéfices, les centres textiles européens
s’adaptant à la demande se mirent à imiter les tissus orientaux : Marseille se spécialisa par
exemple dans les indiennes. La clientèle africaine étant difficile, ces manufactures durent
soigner leurs contrefaçons pour écouler leurs productions.
La technique du batik indonésien qui devait rencontrer un grand succès en Afrique fut
rapportée de ce pays par les Européens. Amsterdam devint un grand centre de fabrication et
de diffusion de ces textiles très prisés. Les Hollandais furent d’ailleurs indirectement
responsables de leur introduction en Afrique. Dans la première moitié du XIXème siècle, ils
recrutèrent des hommes au Ghana pour participer à la guerre qu’ils menaient. À l’arrêt des
hostilités, les Africains revinrent s’installer à Elmina près d’Accra, propageant ces nouveaux
procédés.
Devant le succès de ces tissus imprimés, les Européens développèrent particulièrement les
qualités et les motifs appréciés en Afrique. De nos jours, selon la qualité du support, le
nombre de couleurs et les soins apportés à la préparation, chaque variété porte un nom
différent : wax, java, fanti. Le wax, d’origine hollandaise, est le plus beau et le plus estimé.
Sa fabrication reprend la technique du batik, mais de façon mécanique. La réserve de cire
est appliquée au moyen de deux rouleaux de cuivre sur lesquels sont gravés les motifs de
base, puis l’étoffe est teinte à l’indigo. On utilise des planches pour imprimer directement les
couleurs secondaires. Les motifs restent d’inspiration indonésienne ou bien reprennent des
symboles régionaux africains.
Etoffes et société - En plus de sa fonction purement utilitaire et ornementale, l’étoffe joue un
rôle important dans les divers rituels, recouvrant totalement les personnages masqués. Les
vêtements sont faits alors en tissus anciens, parfois agrémentés de perles et de coquillages.
Certains sont encore en raphia, même dans les régions où il n’est plus tissé depuis le siècle
dernier.
Ces tissus traditionnels sont surtout indispensables au moment des cérémonies funéraires :
linceuls blancs faits d’étroites bandes cousues, pagnes ornés de motifs tissés sur lesquels
on expose les corps ou simples pagnes en raphia. Souvent, tous les participants à une
cérémonie, les hommes comme les femmes, portent le même vêtement dont le motif a été
réalisé sur commande.
Le choix des motifs dépend des sociétés, car ils étaient autrefois exécutés par des
tisserands sur ordre des souverains désirant graver des symboles liés à la royauté. Le roi
portait des vêtements ainsi décorés, les donnait parfois en récompense à ses dignitaires et
les offrait à d’autres chefs contre des présents. Cette coutume peut être observée chez les
Bamiléké et les Bamoun, au Cameroun, où la plus belle étoffe teinte à l’indigo s’appelle le
ndop. Les souverains Ashanti, qui sont vraisemblablement à l’origine du tissage de superbes
pagnes en soie, choisissaient des motifs qui les identifiaient. Leurs dignitaires ne se
drapaient que de certaines gammes d’étoffes liées à leur fonction.
La richesse du costume d’un individu est à la mesure de son importance dans la société.
Pendant la période médiévale, par exemple, le souverain du Mali honorait ses subordonnés
en les autorisant à ajouter une bande d’étoffe supplémentaire à la largeur de leur pantalon.
Les vêtements, symboles de la prospérité du groupe, révèlent aussi la fortune de leur
propriétaire. Les personnages riches se doivent de posséder beaucoup de pagnes dont un
grand nombre les accompagne dans la tombe. On cite fréquemment l’exemple d’un chef de
l’ancien Zaïre, qui possédait tant de pagnes qu’au moment de l’inhumer, il fallut défaire le
pignon de sa case pour laisser passer le corps recouvert de ces étoffes ! Les femmes, quant
à elles, accumulent les pagnes en guise d’épargne, mais elles les portent aussi avec plaisir
et en changent souvent pour montrer leur richesse.
Pendant de nombreux siècles, l’étoffe a même servi de valeur de référence : les carrés de
raphia étaient utilisés comme monnaie d’échange dans le royaume de Kongo depuis le
XIVème siècle et, peu à peu, cet usage a gagné le centre du continent. Au Sahel, les bandes
de coton écru ou gabak, jouaient ce rôle pour des paiements élevés tels les tributs et les
compensations matrimoniales. Les cavaliers les attachaient en rouleaux au devant de leur
selle. Au milieu du XIXème siècle, les guinées furent souvent employées dans les échanges
au Soudan occidental. Le gouvernement français versait à ses officiers une part de leur
solde en pagnes teints à l’indigo. Ces soldats, circulant dans la région du fleuve Sénégal,
pouvaient ainsi régler leurs achats sur place.
De nos jours, à l’occasion des mariages, ces tissus traditionnels représentent encore une
réelle valeur : des étoffes, des pagnes et des vêtements sont remis en compensation à la
famille de l’épouse.
Les textiles aujourd’hui - Sans pour autant supplanter les tissages traditionnels, les textiles
industriels représentent une activité importante dans chaque pays d’Afrique. Les principaux
centres textiles restent généralement attachés à des lieux actifs : anciennes capitales
royales pour les tissus anciens, zones de grande urbanisation pour les industries.
Les motifs restent très proches des anciennes sources d’inspiration et il n’est pas facile
d’introduire des innovations. Ces mêmes dessins se retrouvent sur les tatouages de la peau,
les objets en vannerie, les crépis des demeures ou les ornements en métal, dans un jeu de
significations symboliques communes. Comme eux, les étoffes sont des images colorées de
la société et racontent une partie de l’histoire de ce continent.
Source : Autour du Fil, Encyclopédie des arts textiles. Editions Fogtdal, Paris, 1988. Volume
1.