Allocution prononcée le 15 septembre 2005 `a l`occasion du

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Allocution prononcée le 15 septembre 2005 `a l`occasion du
Allocution prononcée le 15 septembre 2005
à l’occasion du Colloque Skoda
Christer Kiselman
Cher Henri, Mesdames, Messieurs
Je suis très heureux et très honoré d’être ici parmis vous. Ce colloque est
un évenement important avec des conférences intéressantes et de haut niveau.
Elles témoignent des intérêts scientifiques d’Henri Skoda et de son influence.
Henri et moi avons un point commun qui date il y a trente-sept ans. C’est
un point commun qui a était pour moi, et, sans doute, aussi pour Henri, très
important : il s’agit d’André Martineau.
Mes relations mathématiques avec la France ont commencé en mars 1966,
quand je reçus une carte d’André Martineau. Il était à l’époque à Montpellier ;
moi à Princeton. Je lui avais envoyé des tirages à part de mes deux premiers
travaux, et il m’en remercie, en écrivant : hh Ils sont très intéressants ; en particulier je n’avais pas songé à des énoncés du type du théorème 3.1 . . . ii Il
continue : hh Mais je pense que vous pouvez améliorer vos énoncés. ii Peu après,
il m’invite à Montpellier – et en janvier 1967 il écrit : hh Je dois vous mettre au
courant d’un fait nouveau. Dieudonné m’a demandé de venir à Nice. ii Une
semaine après : hh C’est décidé. Je vais à Nice et vous m’y suivez. ii C’est comme
ça que je suis venu en France pour une année entière, une année extrêmement
importante pour mon développement tant personnel que scientifique.
Martineau était un grand mathématicien et un grand être humain. Je me
souviens encore aujourd’hui de certaines choses qu’il disait dans le couloir
près des boı̂tes aux lettres où les mathématiciens s’étaient souvent rencontrés.
Il avait un sens de l’humour extraordinaire. Son ironie était la plus douce possible, jamais méchante, mais toujours très à propos. C’était un homme qui m’a
beaucoup influencé : j’ai appris de lui énormement de maths, mais autant de
son attitude vis-à-vis de la vie. Je sens très profondément que son influence est
encore vivante en France.
Jean Dieudonné était le doyen de la Faculté des Sciences à Nice et faisait un
grand effort pour réunir plusieurs très bons mathématiciens. Il était hh un Doyen
très dynamique ii d’après Martineau (lettre du 25 février 1967). Personne ne
peux dire le contraire . . . Et il décrit l’ambiance à Nice en continuant : hh Il y a à
Nice Douady, Houzel, Krée, Zerner, Dieudonné, Grisvard (octobre) et moi. Ils
sont tous jeunes sauf Dieudonné et (éventuellement) moi. Et certains comme
Douady de classe exceptionnelle. ii
Je suis arrivé à Nice début octobre 1967 avec ma femme et mes deux fils
dont le cadet n’avait que quatre mois.
Autour de Martineau il y avait Chin-Cheng Chou et André Hirschowitz,
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et, comme visiteurs pour l’année 1967-68, Gunter Bengel, Mitsuo Morimoto
et moi. Pour une période plus brève Pierre Schapira est venu. Vers la fin de
l’année on a décidé d’embaucher un jeune assistant pour l’année suivante :
Henri Skoda. C’est donc notre premier point commun : Nice, bien que cela
s’est passé des années differentes et que nous n’étions pas ensemble à Nice.
Or, de ce moment j’ai le sentiment d’être en contact continu avec Henri.
Aussi de cette époque date ma relation avec Pierre Lelong. Il m’a écrit au
mois de mars 1968 pour m’inviter à son célèbre séminaire, auquel j’ai parlé la
première fois le 13 mars 1968. Ainsi a débuté une longue et fructueuse relation,
dont je suis très reconnaissant. Je suis très heureux de le revoir aujourd’hui.
Aussi bien que pour moi, Pierre Lelong a eu pour Henri, je crois, une grande
importance.
Martineau faisait des conférences sur les ensembles linéellement convexes.
Je me suis intéressé à ces ensembles et plus tard, en 1978, j’ai publié un article.
Comme je pensais que les résultats sur ces ensembles étaient assez dispersés et
pas toujours avec des démonstrations optimales, j’ai fortement recommandé à
mon élève Mikael Passare, ici présent, d’en faire un article de survey. D’un côté
ce conseil était une excellente idée, car il a trouvé une foule de résultats avec
ses collègues Mats Andersson et Ragnar Sigurdsson, mais d’un autre côté, ce
n’était peut-être pas une bonne chose, car cet article de survey n’en finit pas de
croı̂tre : il leur a donné énormément de travail. Il est devenu un livre qui est
paru en 2004. De toute façon c’est à cause de Martineau que j’ai cet intérêt.
La méthode mathématique classique, à savoir la méthode axiomatique, est
trop limitée, disait-il un jour après avoir enseigné. Il faut utiliser des méthodes
plus vastes, plus intuitives. À l’avenir les mathématiciens le feront. Il me regardait de ses yeux bleus très clairs. Je n’y ai pas compris grand-chose. Mais
je pense maintenant qu’il avait raison. La méthode axiomatique est étroite.
Les mathématiciens ne trouvent pas leur résultats par cette voie, c’est plus ou
moins évident par introspection . . . si cela est un argument. Les mathématiciens
appliqués vérifient leurs résultats souvent par des calculs, qui donnent une
quasi-vérité . . . ou peut-être mieux. (Je ne suis pas sûr, évidemment, que c’est
à cela qu’il pensait.)
Martineau mourut le 4 mai 1972 à l’age de 42 ans. C’est triste de constater
que cette grande personnalité ait disparu si tôt.
Dans ce temps difficile pour les maths, Jean-Pierre Bourguignon, directeur
de l’Institut des Hautes Études Scientifiques et ancien président de la Société
mathématique européenne, nous donne de l’espoir, mais nous adresse aussi
un défi. Il écrit : hh In today’s society, mathematics is present more widely than
ever before, but this is rarely acknowledged, even by mathematicians. As a
result, exactly at a moment where citizens need to be comfortable with situations involving mathematical knowledge, so as to be helped with the evercomplex choices they have to make, mathematicians are not ready to properly
face this new challenge. ii Il décrit la tâche des mathématiciens, notre tâche :
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To start with, one has to analyse what makes mathematics special among the
sciences and why the development of modern society requires more mathematics. This is not enough though to ensure that mathematics will have the
impact it should. For that purpose, one needs to understand how mathematics is perceived by groups of people that have to deal with it in some way or
another—parents, professionals, managers and mathematicians themselves, as
teachers or as researchers. ii1
hh
Je trouve que Jean-Pierre Bourguignon a formulé un défi pour nous mathématiciens qu’il faut relever. Je trouve que dans son essai, il y une source d’inspiration et d’espoir.
Je voudrais ajouter ceci :
Les maths ont un côté déscriptif, et Claude Allègre prétend, comme vous le
savez, que ce côté ne joue pas un grand rôle dans les découvertes scientifiques.
Or les maths ont aussi un côté préscriptif, constructif. La loi de Newton nous
permet de décrire le mouvement des planètes et de prévoir les éclipses du soleil.
Il ne s’agit pas de produire une éclipse. Or dans la technologie les maths jouent
leur rôle d’outil de construction, d’outil pour la volonté de l’homme de faire
quelque chose. C’est bien autre chose que de décrire la réalité, c’est de faire la
réalité. Je pourrais longtemps vous parler de ce thème, mais, je crois que je
ferais mieux de me contenter de ce morceau d’une pensée qui laisse quand
même un espoir pour les mathématiques et où la France jouera un grand rôle.
Cher Henri, je te félicite d’avoir atteint l’age mûr de soixante ans, et je
peux t’assurer qu’il y a, en dépit de certains difficultés, aussi une vie après
les soixante ans. Je te remercie de tout cœur, et je remercie également les organisateurs de m’avoir invité à cet évènement remarquable.
Félicitations !
1 Jean-Pierre Bourguignon, A basis for a new relationship between mathematics and society.
Dans : Mathematics unlimited—2001 and beyond (2001:171).
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