Logique Modale – Introduction
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Logique Modale – Introduction
Logique Modale – Introduction Logique avancée 2014 1 De la logique “classique” à la logique modale Affirmative universelle (A) contraires Négative universelle (E) subalternes subalternes es toir c i d tra con Affirmative particulière (I) subcontraires Négative particulière (O) Figure 1 – Carré logique (A) Tous les schtroumpfs sont bleus. (E) Aucun schtroumpf n’est bleu. (I) Il y a des schtroumpfs bleus. (O) Il y a des schtroumpfs pas bleus. ∀x(Sx → Bx) ∀x(Sx → ¬Bx) ∃x(Sx ∧ Bx) ∃x(Sx ∧ ¬Bx) Modalité. De manière générale, concerne les notions de nécessaire, possible, impossible, etc. Il est nécessaire que Il est impossible que subalternes subalternes Il est possible que contraires ires icto d a tr con subcontraires Il est possible que non Figure 2 – Carré modal On peut voir une analogie avec des notions déjà rencontrées : tautologie, contradiction, contingence, conséquence logique, validité, théorème, axiome, déduction, etc. Cf. le triangle modal, fig. 3 ; nécessaire ≈ tautologique ; impossible ≈ contradictoire ; possible ≈ contingent. Mais en réalité, c’est plus subtil que cela. 1 impossible nécessaire contingent Figure 3 – Triangle modal Opérateur modal. La logique modale insère ces notions à l’intérieur (du vocabulaire) du langage logique. Ie dans les énoncés étudiés. Un opérateur modal est un opérateur qui porte sur une proposition et qui modifie (le sens de) cette proposition. (1) [il est nécessaire que] p Cf. ¬p. 2 Raisonnements et modalités Préoccupation de la logique modale : étudier des raisonnements qui contiennent des opérateurs modaux. (2) Tous les hommes sont mortels Il est possible que Héraclès soit un homme ? Différents types de nécessité : nécessité logique (aléthique) vs. nécessité ontique. (3) Tout animal est nécessairement mortel Tout homme est nécessairement un animal Donc nécessairement tout homme est nécessairement mortel Comparez (4-a) et (4-b) en examinant les propriétés logiques respectives de (5-a) et (5-b) : (4) a. b. Tout cheval est nécessairement un cheval. Tout triangle a nécessairement trois côtés. (5) a. b. Tout cheval est un cheval. Tout triangle a trois côtés. [il est nécessaire que] p = p ne peut pas être fausse. Mais il y a peut-être différentes raisons à cela. Raisonner à partir de normes : Modalités déontiques. On ne parle plus de nécessaire, impossible, possible, mais d’obligatoire, d’interdit, de permis. Il y a des raisonnements qui mettent en jeu des normes. (6) Je dois aller en mission à Bordeaux Il faut que j’achète mon billet de train pour aller en mission Je dois acheter mon billet de train 2 Obligatoire p Obligatoire (p → q) Obligatoire q (7) Je veux être élu maire Je deviendrai maire seulement si je vais souvent au pub Je dois aller souvent au pub (8) Je veux être élu maire Je ne veux pas aller souvent au pub Je deviendrai maire seulement si je vais souvent au pub ? Rapport entre modalité déontique et modalité aléthique (logique) : (9) Leibniz : « l’obligatoire est ce qu’il est nécessaire que fasse l’homme bon » Quelques paradoxes (à éviter) : (10) Paradoxe de Ross : p Obligatoire p (p ∨ q) Obligatoire (p ∨ q) Je dois poster la lettre Je dois poster la lettre ou la brûler (11) Paradoxe du Bon samaritain : Le bon samaritain doit porter secours à la victime qu’il rencontre sur son chemin. Or s’il y a victime, c’est qu’il y a eu crime. Donc il faut que le voyageur ait été agressé... ! (12) Paradoxe de l’obligation dérivée : Obligatoire ¬p Il est interdit de voler ¬p (p → q) Obligatoire (p → q) Il est obligatoire que tout voleur assassine (13) Dilemme de Sartre : Comment choisir entre deux obligations incompatibles : venger son père et rejoindre la résistance, ou rester auprès de sa mère et l’aider à vivre ? Ces deux phrases sont-elles (ou doivent-elles) être équivalentes ? (14) « tout ce qui n’est pas permis est interdit » = ? « tout ce qui n’est pas interdit est permis » Raisonner à partir que ce qu’on sait ou de ce que les autres savent : Modalités épistémiques. Ici le nécessaire et le possible correspondent au savoir et à l’ignorance, ou au certain et à l’incertain. (15) (16) (17) Il est certain que cette carte est du pique ou du trèfle Il se peut que la carte soit un as ? Paradoxe d’Œdipe : Jocaste = la mère d’Œdipe Œdipe a épousé Jocaste Œdipe a épousé sa mère Jocaste = la mère d’Œdipe Œdipe sait qu’il a épousé Jocaste Œdipe sait qu’il a épousé sa mère Enigme des trois conseillers. Un sultan désirant savoir lequel de ses trois conseillers est le plus sagace peint un point blanc sur le front de chacun d’eux. Le sultan leur dit qu’il a peint un point blanc ou un point noir sur le front de chacun et qu’au moins un des points est blanc ; il demande ensuite à chaque conseiller de deviner la couleur de son propre point. Après un temps 3 de réflexion le premier répond qu’il ne sait pas ; entendant cela le second dit qu’il ne sait pas non plus. Après avoir entendu la réponse des deux premiers, le troisième déclare que son point est blanc. Raisonner en tenant compte du temps : Modalités temporelles. Comment empêcher que le raisonnement (18) soit valide ? (18) 3 George V a épousé la reine Mary La reine Mary est veuve George V a épousé une veuve Implications et conditionnelles Problème de l’implication matérielle : elle traduit mal les conditionnelles de la langue en si..., alors.... Rappel : → et |= ne sont pas la même chose. (19) a. b. (“l’herbe est verte” → “la neige est blanche”) “l’herbe est verte” |= “la neige est blanche” (vrai) (incorrect) Sens de → : (20) (ϕ → ψ) est vraie ssi ϕ est fausse ou ψ est vraie. Ainsi (ϕ → ψ) ≡ (¬ϕ ∨ ψ). On en conclut, quelles que soient ϕ et ψ : (21) |= (ϕ → ψ) ∨ (ψ → ϕ) (22) a. b. Si Pierre attrape un rhume, la Tour Eiffel sera vendue aux japonais. Si la Tour Eiffel est vendue aux japonais, Pierre attrapera un rhume. En vertu de (21), une de ces deux phrases doit être vraie ! ! Négation d’une conditionnelle. (23) Si ce n’est pas le majordome qui a fait le coup, alors c’est le jardinier. (24) (¬p → q) (25) ¬(23) = Il est faux que si ce n’est pas le majordome qui a fait le coup, alors c’est le jardinier. « si on trouve la preuve de l’innocence du majordome, on ne devra pas pour autant en conclure la culpabilité du jardinier » (26) ¬(¬p → q) ≡ ¬(¬¬p ∨ q) ≡ ¬(p ∨ q) ≡ (¬p ∧ ¬q) « le jardinier et le majordome sont tous les deux innocents » 6= (25) Contrefactuels. (27) Si les kangourous n’avaient pas de queue, ils tomberaient à la renverse. (28) Si Elvis Presley était toujours vivant, il serait président des USA aujourd’hui. 4 L’antécédent est faux, donc la phrase entière est vraie ! ! ! 4 Préoccupations sémantiques (linguistique) Comment définir le sens d’une expression (ex. une phrase) qui contient un opérateur modal ? Expression des modalités Il existe de nombreux « parfums » de modalités ; cf. tableau 1 p. 6 et figure 4 p. 8. Les « auxiliaires » 1 modaux devoir et pouvoir sont très polyvalents. Problèmes d’ambiguïtés. Que signifient (29) et (30) ? (29) Bridget peut jouer de la clarinette, à l’heure qu’il est. (30) Les domestiques doivent parler anglais à la maîtresse de maison. Essayez de voir comment on peut compléter ces phrases avec une subordonnée en parce que. Diverses catégories de modalités et leurs expressions Modalités aléthiques et ontiques Elles relèvent souvent plus du champ philosophique que linguistique. (31) Si l’assassin est sur le lieu du crime et s’il n’y a que quatre personnes sur le lieu du crime, alors l’assassin est nécessairement une de ces quatre personnes. (aléthique) (32) Un chameau a nécessairement deux bosses. (ontique) Modalités métaphysiques/historiques C’est une catégorie un peu marginale (et débattue). Qualifient ce qui est possible ou nécessaire en fonction du cours des événements jusqu’à un moment donné. (33) À 5 km de l’arrivée, Jean pouvait encore gagner la course. Certains emplois du futur (voire du présent) peuvent être classés comme des nécessités métaphysiques/historiques. (34) L’humanité finira par détruire la planète. Modalités épistémiques Qualifient ce qui est possible ou nécessaire en fonction de tout ce qu’un agent (ou une communauté d’agents) sait. (35) a. b. Les clés peuvent être dans la boîte à gants. Marie doit être arrivée à Marseille à l’heure qu’il est. Certaines expressions du français sont spécialisées dans les modalités épistémiques : (36) a. b. possibilités épistémiques : il se peut que, il se pourrait que, peut-être, éventuellement... nécessités épistémiques : certain, sûr, certainement, sûrement, probable, probablement... 1. En fait, grammaticalement ce ne sont pas de véritables auxiliaires. 5 Table 1 – Catégories de modalité. métaphysique ou historique épistémique principes de logique nature des choses cours des événements connaissances doxastique croyances déontique devoirs, lois éthique morale boulétique ou boulique téléologique désirs habilitative capacités dispositionnelle circonstances quantificationnelle généralités temporelle temporalité chronologie aléthique ontique buts nécessaire, valide possible, contingent par définition — prédit prévisible su, certain ignoré, incertain cru « crédible » obligatoire permis obligatoire, bon permis désiré, voulu indifférent ou envisagé visé conseillé, suggéré (« inévitable ») faisable (« inévitable ») accessible générique occasionnel — passé/futur ... Il existe des gradations de modalités épistémiques (mais pas pour les autres modalités) : (37) impossible — improbable — possible — probable — certain Même conjugués au passé, les verbes modaux épistémiques renvoient à l’état actuel des connaissances des agents : (38) Tu as pu oublier les clés sur ton bureau. = Il est possible que tu aies oublié les clés sur ton bureau. 6= Il était possible que tu oublies les clés sur ton bureau. Les modaux épistémiques peuvent être suivis de prédicats statifs, normalement les modaux des catégories suivantes ne peuvent pas. Modalités doxastiques Sont une variante des épistémiques, mais s’appuient sur ce que l’on croit plutôt que sur que l’on sait. 6 Modalités radicales Les modalités épistémiques sont souvent appelées modalités de phrases, et les autres modalités de VP. Ces dernières sont regroupées sous le terme de modalités radicales. Elles incluent les modalités déontiques et variantes, les modalités dites dynamiques et les quantificationnelles. Modalités déontiques Qualifient ce qui est permis ou obligatoire en fonction de lois, règlements, commandes, etc. (39) a. b. Pierre doit faire refaire son passeport avant la fin du mois. On peut fumer sur cette terrasse de café. Certaines expressions sont spécialisées dans les modalités déontiques 2 : (40) a. b. permissions : avoir le droit, autorisé, etc. obligations : il faut que, avoir à, etc. Les impératifs comportent une dimension déontique. Les modalités dites éthiques ne sont qu’un cas particulier des déontiques. Modalités bouliques et téléologiques Ce sont des variantes des déontiques. Qualifient ce qui est possible ou indispensable pour réaliser une envie, un souhait, un désir... (bouliques) ou pour atteindre un but, un objectif (téléologiques). (41) a. b. Tu devrais aller en Finlande pour Noël (toi qui aime bien le froid). Il faut que j’aille voir ce film. (42) a. b. Pour venir chez moi, il faut prendre le ferry. Tu peux aussi mettre du potiron dans la soupe. (boulique) (boulique) (téléologique) (téléologique) Modalités habilitatives et dispositionnelles Les modalités habilitatives qualifient les capacités (voire les pouvoirs) des individus. Les dispositionnelles qualifient les opportunités qui se présentent en fonction des circonstances. (43) a. b. Alice peut soulever cette valise. On peut voir la mer de ma fenêtre. (habilitative) (dispositionnelles) Elles peuvent s’exprimer avec capable (habilitatives) et certains adjectifs en -able ou -ible. Quand la capacité exige des compétences cognitives, en français on utilise plutôt le verbe savoir : (44) Je sais coudre/nager/jouer de la trompette. Elles se réduisent le plus souvent à des possibilités, mais dans certains cas le futur peut avoir une valeur de nécessité habilitative ou dispositionnelle : (45) Il va se casser la figure (s’il continue à se balancer comme ça sur sa chaise). 2. Sachant que dans beaucoup de langues, historiquement, les modaux naissent souvent déontiques et acquièrent progressivement d’autres valeurs. 7 Modalités quantificationnelles Servent à faire de la quantification dans des constructions comme : (46) a. b. Une araignée, ça peut être venimeux. = Il y a des araignées venimeuses. Une araignée, c’est (forcément) venimeux. = Toutes les araignées sont venimeuses. Attitudes propositionnelles Les modalités servent aussi à analyser sémantiquement les verbes d’attitudes propositionnelles : savoir, croire, vouloir, souhaiter, espérer, regretter, exiger, affirmer, refuser, etc. Modalités aléthique ontique épistémique épistémique radicale doxastique dynamique prioritaire déontique boulique téléologique volitionnelle quantificationnelle habilitative dispositionnelle Figure 4 – Catégories de modalités 8