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Les verbes épistémiques en langues romanes: grammaticalisation comme marqueurs
modaux ou usage comme énoncés performatifs ?
Section 1 – Linguistique générale / linguistique romane
Sur la base d’études récentes sur les verbes épistémiques utilisés parenthétiquement, on
pourrait partir de l’hypothèse que ces verbes s’utilisent, dans la langue orale, surtout comme
marqueurs modaux et qu’ils se trouvent dans un processus de grammaticalisation qui
rapproche leur fonction de celle des adverbes modaux (Il est, je crois, le meilleur chanteur du
pays.  Il est probablement le meilleur chanteur du pays.). Dans la grammaire générative, on
considère ces constructions incises comme des phrases matrices desquelles dépend une
proposition subordonnée par une conjonction couverte (Je crois [que  Ø] il est le meilleur
chanteur du pays). Si l’on accepte cette position syntaxique, les constructions avec des verbes
épistémiques devraient être décrites comme énoncés performatifs exprimant, dans ce cas,
l’acte de croire.
À partir d’études de corpus, nous avons étudié le comportement des verbes épistémiques
espagnols, français, italiens et portugais pour vérifier ces deux hypothèses contraires et pour
les modifier sous trois aspects : (1) L’usage parenthétique des verbes épistémiques est-il
vraiment le résultat du développement des langues ou constitue-t-il un fait de variation que
l’on peut observer dès les premières étapes ? (2) L’application du concept de
grammaticalisation à ce processus est-elle justifiée ou serait-il préférable d’examiner ce
processus en termes de polysémie et de pragmaticalisation ? (3) Les constructions sans
conjonction constituent-elles des cas de structures subordonnées ou des cas d’éventuelles
constructions incises antéposées ?
L’apport théorique de la contribution concernera la théorie de la grammaticalisation, modifiée
par la prise en compte de corpus historiques et par une étude contextuelle des éléments en
question. De plus, nous avons ouvert la perspective sur la pragmatique. Les résultats ont été
obtenus surtout à la base de recherches dans les corpus suivants : Frantext.
http://www.frantext.fr/;http://wortschatz.uni-leipzig.de/ws_fra/index.php; Corpus del español.
http://www.corpusdelespanol.org/; Corpus do portugues. http://www.corpusdoportugues.org;
Corpus di italiano scritto http://dslo.unibo.it/coris_ita.html; Corpus di italiano parlato.
http://www.digento.de/titel/102984.html.
L’usage parenthétique de verbes épistémiques était déjà possible en Ancien Français, ce qui
suggère d’en déduire que ces constructions étaient une variante libre, en langue parlée
surtout : E si n avrez, ço quid, de plus gentilz (Roland 150, ‘Et vous en aurez, je crois, de plus
nobles’). Pour le français contemporain, les résultats de l’analyse ont confirmé que je crois est
utilisé surtout comme phrase matrice suivie de la conjonction que, mais, dans des textes
conçus oralement, il apparaît aussi comme construction incise.
Les mêmes tendances peuvent être observées, avec un certain décalage dans le temps, pour
l’espagnol, le portugais et l’italien. En espagnol et en portugais, l’usage parenthétique fut
préparé par l’énoncé courant como creo/ como eu creio. L’usage fréquent en construction
parenthétique commence au 15ième siècle et il peut être constaté dans des lettres et des guides
pratiques ainsi que dans des récits de voyages et des œuvres littéraires. La forme espagnole
creo ne demande pas un mode spécifique dans la phrase subordonnée, et la formule como
creo disparaît dans cette période. Il n’y pas de contraintes sémantiques ou fonctionnelles de
l’ommission de que, sauf la tendance de l’omettre après un verbe épistémique introduit luimême par que: […] e syn mas tardança al dia sygujente primero del dios que creo [Ø]
corriesse como vn gamo segun el temor tengo destar aqui. (CDE, 1439-1441)
Au contraire du français, nous n’avons pas constaté de rejets normatifs de la construction
parenthétique dans les autres langues romanes. Tout au contraire, Juan de Valdés, dans son
Diálogo de la lengua (1535), recommande explicitement d’omettre le que « superflu ».
Il est étonnant que l’usage parenthétique des verbes épistémiques soit très peu représenté,
dans le Corpus del Español, pour le 20ème siècle (par exemple, 0,5 % des occurrences de creo
sont sans que). On pourrait expliquer cela par le fait que, dans l’usage parenthétique, le verbe
épistémique ne sert qu’à une modalisation secondaire de l’énoncé, tandis que dans une phrase
matrice avec que le locuteur peut exprimer son opinion de façon performative. En espagnol,
en italien et en portugais, langues pro-drop, cette expression d’un acte subjectif de pensée,
peut être soulignée par l’usage du pronom sujet, même en parenthèse : Passou-se, creio eu, no
tempo em que os animais falavam (CDP, Alexandre Cabral, Margem Norte).
En dehors de ces faits pragmatiques, la tendance vers une grammaticalisation de verbes
épistémiques comme marqueurs modaux paraît aussi restreinte par l’usage de verbes
exprimant la crainte et l’espoir, en position et fonction analogues (Et je n'étais pas le seul, je
le crains, dans cette situation.).
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