Texte commandé par la Mel à Hervé Le Tellier à l`occasion du cycle
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Texte commandé par la Mel à Hervé Le Tellier à l`occasion du cycle
Texte commandé par la Mel à Hervé Le Tellier à l’occasion du cycle intitulé « Entendez-voir, la littérature est-elle soluble dans la télévision ? ». Rencontres organisées avec l’Ina, en partenariat avec le Magazine littéraire. Disparaître – le 6 avril 2009 Keskejfoulà ? Difficile de ne pas lire dans le regard de Queneau un certain désarroi lorsqu’il répond à ses intervieweurs de la RTF, puis de l’ORTF. S’il s’y prête chaque fois de bonne grâce, rapidement, l’entretien semble devenir son calvaire ou simplement l’ennuyer, et ses réponses, de brèves, virent aux monosyllabes. Queneau n’est pourtant ni un ignorant du monde de l’image, ni un timide. En 1952, il a, pour Pierre Kast, fait l’acteur dans un petit documentaire à l’humour glacé portant sur l’arithmétique. Pour Alain Resnais, il a écrit en 1957 le long poème épique qui sera la voix off du documentaire industriel « Le chant du styrène » sur la fabrication du plastique. Comment interpréter cet embarras de Queneau face à la caméra ? Osons l’explication suivante : Queneau craint de se trouver devant la caméra à la suite d’un quiproquo. Oui, sans doute, ce succès de Zazie est-il un malentendu. La télévision nationale naît à la toute fin des années 1940, mais ne se démocratise que dix ans plus tard, quand Queneau connaît justement un succès considérable : celui de Zazie dans le métro. C’est ce triomphe public qui le fait accéder à la notoriété et justifie en partie son invitation à « Lecture pour tous ». Un tel succès lui déplairait presque. Par seulement parce que, comme il le dira, « le succès à cinquante ans, c’est la moutarde au dessert. » Il est surtout « étonné que ça se vende », avoue-t-il à l’interviewer. Car le roman est-il une « lecture pour tous » ? Zazie est d’abord une curiosité littéraire où, comme l’écrira Roland Barthes dans la revue Critique, « les formes de duplicité sont […] innombrables ». Dans son Journal, le 16 septembre 1960, Queneau note même : [le succès fut] « un choc qu’il m’a été difficile de supporter. Je disais en ne disant pas, seulement pour les happy few je disais, et voilà que la foule s’écrie j’ai compris même si c’est faux c’est impressionnant. » Car, parce qu’une fillette y lâche à tout bout de champ son célèbre « mon cul ! », il y a scandale, polémique, les pour et les contre, dont un Mauriac péremptoire qui tranche dans le Figaro : « Ce n’est pas de la littérature ». Quand Zazie deviendra un sujet de conversation de comptoir, les ventes seront bel et bien là, et elles vont porter plus tard celles d’On est toujours trop bon avec les femmes, puis des Fleurs bleues. Longtemps, dans les interviews, Zazie sera omniprésente. C’est la référence principale de l’interviewer au point que Queneau s’en agace. – Sally Mara, n’est-ce pas une Zazie qui a grandi ? demande Dumayet, soucieux de respecter un téléspectateur qui, de Queneau, ne connaît que Zazie. – Oui, si on veut. Car Raymond Queneau est conciliant. – Les « ouatures », écrivez-vous dans les Fleurs bleues, demande dans un autre entretien le même Dumayet. Est-ce la même démarche que pour les bloudjines de Zazie ? – C’est comme ça qu’on le prononce, répond Queneau laconique. C’est assez vrai. Non, Queneau ne prise guère, à coup sûr, que les projecteurs soient braqués sur lui. Il est courtois, autant que ses interlocuteurs, et civil certes, mais on retrouve dans ces interviews le Raymond Queneau « franc et désenchanté » dont parle Jacques Reda. Ce dernier ne se trompe pas quand, à la sortie des Fleurs bleues, il écrit de l’ouvrage : « Il est la dernière conquête d’un savoir qui ne se la fait plus, la dernière satisfaction d’une intelligence qui s’amuse de ses pouvoirs ». Voudrait-on résumer le vrai Queneau qu’il suffirait d’une réponse, sobre et explicite. Lorsque paraît le recueil le Chien et la Mandoline, Dumayet reçoit de nouveau Queneau et cite le dernier vers du premier quatrain d’un sonnet irrégulier au titre sans équivoque, « Terre meuble » : « Et pourtant mon seul désir, mon unique but et mon vœu le plus cher est de disparaître ». Puis, Dumayet ajoute : – Est-ce que cela doit être lu comme un journal intime ? Raymond Queneau répond simplement : – Oui. Voici le premier quatrain de « Terre meuble » Tout ce que je demande c'est de me mettre un peu de terre dans le creux de la main Juste un peu de terre dans laquelle je pourrais m'enfouir et disparaître Regardez comme j'étale grande cette paume on croirait que je veux serrer la main Et pourtant mon unique but et mon vœu le plus cher c'est de disparaître