Alexandre Myszkowski Cette présentation vise à donner un

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Alexandre Myszkowski Cette présentation vise à donner un
Alexandre Myszkowski
Cette présentation vise à donner un éclairage qui est celui de l’association Aides, une association de lutte
contre le Sida. Nous intervenons Porte Dauphine historiquement depuis plus de 10 ans. Donc, la Porte Dauphine,
c’est un lieu historique de prostitution. On intervient sur la Porte elle-même et sur deux contre-allées autour du
Pavillon Dauphine. On est devant le mardi et le vendredi soirs, entre 22 heures et minuit, un peu plus, avec un
bus qui nous permet une présence, j’allais dire, statique, un bus avec distribution de boissons chaudes, de
préservatifs, de gel. C’est aussi un lieu dans lequel les prostitué(e)s peuvent aussi s’arrêter dix minutes, un quart
d’heure s’ils ou elles ont envie, dans leur travail, leur activité.
Et puis, on est présent encore une fois au travers d’une tournée que l’on effectue dans les deux contreallées. Deux volontaires partent avec un sac à dos à la rencontre des prostitués qui ne viendraient pas au stand.
Alors, cette action, on la mène depuis plus de dix ans. Je vais avoir le plus grand mal à vous la décrire
dans la mesure où je suis volontaire depuis près de trois ans et que c’est une action que j’ai vue évoluer
constamment. Je sais que l’on va avoir l’occasion d’y revenir… Mais je le dis d’emblée, je ne voudrais que cela
soit sujet à caution : on a vu bien évidemment les effets du texte Sarzozy. En aucun cas, vous ne me ferez dire
que la loi Sarkozy à créer une situation. Elle a considérablement complexifié notre intervention. C’est certain
que le Ministre de l’Intérieur ne nous a pas facilité la tâche. Elle a renforcé un climat de violence, et je tiens à
dire qu’il était préexistant au changement de majorité l’année dernière, préexistant depuis belle lurette. Je répète
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que les choses ne s’arrangent pas, bien au contraire, et que de ce point de vue, et encore une fois, on y reviendra,
je pense que ce n’est pas un contexte.
Alors, sur l’action elle-même, la population que l’on rencontre c’est de moins en moins une population…
Je tiens à dire que ce que je dis n’a pas de valeur statistique. Il n’y a aucun élément de statistique fiable que je
vais vous donner, pour une raison simple, c’est que l’action que l’on mène, l’intervention Porte Dauphine, elle
change d’un mois sur l’autre. Ce qui la caractérise le plus, c’est que c’est une action où l’on a de moins en moins
facilement de repères. Donc une partie de cette population de prostitués…, qui historiquement est la population à
qui l’on pouvait penser, et en tout cas, celle à qui je pouvais penser en me rendant pour la première fois à la Porte
Dauphine, c’est la prostitution du jeune tapin, 18-20 ans, plutôt beau gosse, qui pour certains arrondissent leur
fin de mois, et qui, en tout état de cause, ne le font pas pour vivre. Je le répète que cette partie de la population
est en train de considérablement diminuer. Le gros de la population que l’on rencontre est en grande situation de
précarité, population immigrante, Afrique du Nord, de plus en plus aujourd’hui, des jeunes gens de l’Europe de
l’Est, je dis des jeunes gens parce que l’on voit aussi, maintenant arriver des jeunes filles Porte Dauphine qui,
historiquement, était plutôt un lieu de prostitution pour les travestis, les transsexuels, et la population masculine.
Donc, aujourd’hui, je le répète le gros de cette prostitution est une prostitution de grande précarité. Vraiment ce
sont des personnes qui se prostituent pour pouvoir payer leur chambre le soir, et en aucun cas, ce n'est une façon
d’arrondir ses fins de mois, de payer un ou deux rails de coke à titre de plaisir, loin de là.
Notre action, encore une fois, c’est autour d’une distribution de préservatifs, le moyen de rentrer en
contact avec ces prostitués, de pouvoir avoir une espèce de suivi sur cette population. J’ai dit qu’elle changeait
vraiment d’un mois sur l’autre, on peut voir une personne, la suivre ou tenter de la suivre, y compris sur le plan
de sa santé, de son hygiène, tenter de connaître son statut sérologique, ses modes de prévention vis-à-vis de
l’épidémie de sida, puisque c’est quand même la raison pour laquelle nous sommes présents Porte Dauphine,
mais dans la mesure où comme je le disais cette population change très, très fréquemment, nous avons beaucoup
de mal à suivre ces jeunes.
Nous distribuons des préservatifs, et cela est peut-être, comment dire, presque, des éléments statistiques.
Nous avons eu sur l’année dernière un peu plus de 500 « entretiens ». Ces entretiens, on les a avec des prostitués
qui viennent à notre rencontre pour des problématiques qui sont récurrentes. Ce sont d’abord, en premier lieu,
des problématiques autour du VIH, aujourd’hui aussi autour de la recrudescence des IST, au premier rand
desquelles, la syphilis. Il y a aussi les problématiques autour du logement, de l’obtention de carte de séjour, de
papiers, de l’obtention d’une couverture maladie, une protection sociale. Je dirais que cela dépasse de beaucoup
la problématique du VIH, et cela c’est aussi une des caractéristiques majeures de notre intervention Porte
Dauphine.
Je dirais de façon rapide que nous sommes historiquement intervenus Porte Dauphine avec l’explosion de
l’épidémie du Sida, et puis très rapidement sont venus se greffer d’autres problèmes, a fortiori avec l’apparition
des tri-thérapies qui semblaient rendre dépassés les messages de prévention, sont apparues d’autres
problématiques, je le répète : pouvoir se loger, trouver un hébergement, avoir accès à une protection sociale. Ce
sont ces problématiques qui tendent à prendre aujourd’hui vraiment beaucoup d’importance dans les entretiens
que l’on peut avoir avec les prostitué(e)s. Bon, cela, c’est encore une fois le cadre de notre action.
Je dirais qu’il m’est très difficile de caractériser cette population aussi au regard de son état sanitaire. Je
disais tout à l’heure que cette population est en grande partie en grande précarité. Cela veut dire qu’on voit
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arriver de jeunes prostitués dans un état sanitaire d’hygiène, vraiment lamentable, sans aucune connaissance ou
suivi de leur statut sérologique. C’est aussi pour nous l’occasion d’amener ces prostitués à se faire dépister, à
connaître leur statut sérologique puisque c’est aussi le meilleur moyen qu’ils ou elles auront de lutter contre
l’épidémie de Sida. Donc encore une fois, notre travail c’est une mission de prévention, avec aujourd’hui
beaucoup de problématiques qui se greffent autour de cette mission de prévention, et c’est d’essayer d’avoir tant
bien que mal un suivi sur la population qui se prostitue, avec les débats que j’ai pu émettre. Je dirais que c’est un
travail qui est assez considérable.
Je vais peut-être en venir justement aux effets de la loi du Ministre de l’Intérieur, en ce sens que l’on a,
avec la création du délit de racolage passif, créé, non, on n’a pas créé, mais on a renforcé une situation de
violence, tant entre prostitués qu’entre clients et prostitués. Le ressenti que j’ai, c’est bien une solidarité, c’est
clair, entre beaucoup de prostitués, mais ce n’est pas un monde idyllique. Entre eux, ils ne se font pas de
cadeaux, notamment je pense aux prostitués qui sont en situation régulière par rapport aux prostitués qui sont en
situation irrégulière. Ce n’est pas anodin parce que l’on a pu entendre fréquemment au moment de l’adoption du
texte, des prostitués dire que finalement ce texte aura le mérite de clarifier les choses et de renvoyer dans leur
pays un certain nombre de prostitués qui leur font de la concurrence. C’est clair que c’est un « marché », c’est un
lieu de travail dans lequel s’exerce une très grande concurrence. On a pu entendre également que cela serait un
moyen pour eux de gagner correctement leur vie.
Cela aussi n’est certainement pas le fait de la loi Sarkozy. La présence de jeunes mineurs a
considérablement abaissé les prix des tarifs pratiqués. Dans les tarifs dont je pourrais vous parler, il n’y a pas de
valeurs de loi. Je ne suis pas en train de parler de l’état de la loi. On entend aujourd’hui des tarifs qui sont autour
de 10 Euros pour une fellation et de 20 Euros pour un rapport sexuel. Ce sont clairement des tarifs qui n’ont rien
à voir avec ce dont on entendait encore parler, il y a encore deux ans et demi, et a fortiori avec les tarifs qui
existaient, il y a quelques années. Typiquement, dans les premières interventions que j’ai pu faire, c’était
certainement très exagéré, j’entendais les prostitué(e)s me dire : « c’est super, je me suis fait 4 briques ce mois-ci
que j’ai claquées sur la côte ». Ce genre de prostitution, je ne l’entends plus, cela existe peut-être encore
aujourd’hui, mais cela devient vraiment très marginal. Ce n’est pas aujourd’hui une prostitution à 4 briques le
mois à claquer sur la côte. Notamment, cela vous apparaîtra sans doute clairement, quand on parle d’une
fellation à 10 Euros, on est loin de se faire 4 briques dans le mois. Si je vous ai donné ces tarifs, c’est une façon
d’être un peu concret.
Moi, j’avais à peu près terminé dans la description de ce que l’on fait, et puis je vous laisserais peut-être
poser des questions.
Le Modérateur, Jean-Marie Pierra
Oui, on va peut-être revenir effectivement sur la première approche qu’on peut avoir de la prostitution,
des politiques sur la prostitution mais peut-être aussi sur une sur les possibilités de sortie du métier, si on peut
appeler cela comme cela.
Alexandre Myszkowski
Les prostitutions par contre vous parleront d’un métier. Ils vous diront qu’ils ou elles exercent un métier.
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Christiane Grosse
Je voudrais quand même rappeler un principe de base : se prostituer, c’est avoir un rapport sexuel pour de
l’argent ou tout autre avantage matériel. Je parlerais d’abord des différents régimes législatifs qui concernent la
prostitution.
Il y a selon les divers pays trois régimes : la prohibition qui interdit la prostitution et poursuit pénalement
la personne prostituée, le proxénète et le client. Ce régime est appliqué dans certains états des Etats-Unis comme
le Texas. Aux Etats-Unis, il y a des écoles pour éduquer les "clients" (cf. San Franscico).
La réglementation, régime appliqué par des pays comme les Pays-Bas, l’Allemagne. La réglementation
cherche à réguler la prostitution en la cadrant dans des lieux précis, Eros Centers, formes modernes des maisons
closes d'autrefois. Les personnes qui sont dans ces Eros Centers sont reconnues comme exerçant un "métier", la
prostitution avec tous les droits afférents à un métier : protection sociale, papiers, droits à la retraite, impôts. En
Europe, d'autres pays tendent vers ce régime comme la Belgique, l'Espagne et même l'Italie.
L’abolition : ce terme ne signifie pas l’abolition de la prostitution, mais l'abolition de la réglementation,.
La France qui a pratiqué la réglementation jusqu’en 1946 avec ses maisons closes, a adopté avec la loi Marthe
Richard et la fermeture des maisons closes, le système abolitionniste. La personne prostituée est considérée
comme une victime et n'est donc pas poursuivie sur le plan pénal, le proxénète est passible de peines lourdes, le
client est ignoré par la loi. L'exercice de la prostitution est donc libre en France. Seul le proxénète qui se sert de
la prostituée et lui prend son argent est punissable.
Depuis peu, une nouvelle loi punit sévèrement le client de prostitué(e)s mineur(e)s.
Il faut rappeler que la France a signé la Convention des Nations Unies en 49, qui affirmait : « la
prostitution et le mal qui l’accompagne, c’est-à-dire la traite des êtres humains issue de la prostitution, sont
incompatibles avec la dignité et la valeur de la personne humaine, et mettent en danger le bien-être de l’individu,
de la famille et de la communauté. » 193 pays dont la France ont signé cette convention. En signant cette
Convention, la France s'est engagée. En 1960, des ordonnances ont été signées, obligeant le gouvernement à
créer des centres d'hébergement et de réinsertion pour les personnes prostituées, l'engagement était de un centre
par département. Seulement 7 ou 8 centres ont été ouverts depuis 1960. L'Etat s’est très vite déchargé de cette
mission sur les associations d'aide aux prostituées, tout en limitant au minimum l'aide financière.
Je voudrais par ailleurs rappeler que si on parle tant de la prostitution, c’est parce qu’elle a beaucoup
changé depuis dix ans. Il y a dix ans, la prostitution était principalement franco-française. Il s'agissait d' un
proxénète qui faisait travailler une ou deux prostituées dans un climat certainement moins violent, la prostituée
représentant un "capital" pour le proxénète..
Depuis dix ans, on assiste à des trafics d’êtres humains. Des réseaux mafieux ou semi-mafieux avec
énormément de violences, de contraintes, importent et exploitent sans aucune pitié des jeunes filles et des jeunes
garçons. Parmi les personnes que l’on rencontre sur les trottoirs de Paris, 70 % sont étrangères, et de tous pays.
Elles changent à toute vitesse de trottoirs et de villes. Les proxénètes les installent trois mois à Paris, trois mois à
Lyon, trois mois à Rome ou Berlin… Ces filles ne parlent la langue du pays où elles sont et n'ont pas le temps
d'apprendre. Elles n’ont plus de papiers ou bien ce sont de faux papiers. Elles n’ont souvent même pas de permis
de séjour. Elles sont dans un état sanitaire lamentable parce qu’elles sont passées de main en main, de pays en
pays. Elles ont été violées plusieurs fois. Elles sont venues, soit attirées par de fausses promesses du type "baby-
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sitting" ou "photos de presse". Certaines savent qu’elles vont se prostituer mais pensent qu'elles pourront
rapidement quitter la prostitution et travailler en France.
Pour elles, la France fait figure d'Eldorado. Depuis la chute du Mur de Berlin, les pays occidentaux
attirent beaucoup d'étrangers dont le niveau de vie est largement inférieur. Même chose pour le Magreb ou
l'Afrique… Les Chinois arrivent en masse depuis peu.
Donc, c’est vrai que la prostitution a énormément changé. Ce n’est plus du tout la même. Avant, cela
concernait essentiellement les femmes, maintenant il y a des mecs, et des enfants. Même en France, il y a des
enfants qui sont prostitués. Il n'y en a pas des masses, mais il y a des enjeux de prostitutions.
À noter aussi qu'autrefois, la prostitution concernait essentiellement les femmes, maintenant les hommes
et même des jeunes sont concernés.
La prostitution peut aussi être une activité occasionnelle due à des difficultés économiques temporaires, à
l’exclusion. parfois une femme seule, élevant trois enfants et n’arrivant pas à joindre les deux bouts, peut se
livrer à cette activité pour assurer ses fins de mois !
On pourrait aussi parler de la prostitution cachée. Depuis la loi Sarkozy et son délit de racolage, selon les
associations de terrain, la prostitution a tendance à disparaître des trottoirs pour aller dans des lieux cachés type
bars à hôtesses, saunas, salons de massage… On ne fait pas disparaître la prostitution avec un décret !
Alexandre Myszkowski
D’ailleurs je ne crois pas qu’on pourra la faire disparaître.
Christiane Grosse
Mais non, elle ne disparaîtra pas.
Alexandre Myszkowski
Je ne pense pas que Sarkozy est eu en tête de la faire disparaître, mais si jamais il a eu cette idée, c’est une
ineptie. Mais, en revanche, effectivement, prévoir qu’elle se déroule dans des conditions notamment sanitaires
correctes…
Christiane Grosse
…De violences diminuées…
Alexandre Myszkowski
…Qui permettent de travailler aux associations, qui permettent un suivi sanitaire, sur le plan du VIH,
c’est important.
Christophe Caresche
Oui, moi, je voudrais d’abord dire que c’est un sujet extrêmement complexe. C’est complexe parce qu’il y
a une diversité au niveau de la réalité de la prostitution. Il y a effectivement une prostitution de rue, une
prostitution dite cachée, qui s’est sans doute beaucoup développée via Internet, mais aussi à l’époque le Minitel.
Il y a une prostitution, j’allais dire, traditionnelle qui était à mon avis aussi violente, aussi importante. Il ne faut
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pas non plus avoir peut-être une image idyllique de cette prostitution. Certaines prostituées développent cette
idée-là, une espèce d’âge d’or de la prostitution parce que la prostitution n’a jamais été un âge d’or, et que c’est
toujours une violence.
C’est vrai qu’il y avait une prostitution dite traditionnelle dans un pays qui la tolérait et qui la tolère
toujours d’ailleurs. Puis il y a une prostitution qui est effectivement nouvelle. L’internationalisation et la
globalisation touche l’ensemble des secteurs de la vie et de la société, et donc touche aussi la prostitution, avec
quand même un phénomène qui est apparu ces dernières années qui est ce qu’on appelle la traite des êtres
humains, et finalement qu’on a appelé esclavagisme moderne.
C’est une diversité dans la réalité et c’est une diversité dans les approches, approches qui divisent
beaucoup à la fois la sphère politique, mais à la fois les mouvements féministes. Certains et certaines considèrent
que la prostitution doit rester une liberté. D’autres considèrent que c’est une violence faire aux femmes
insupportable et condamnable. Donc on est à la fois dans une diversité de réalités et d’approches, je dirais, au
niveau philosophique.
Alors, ce qui a provoqué, dans ce paysage extrêmement complexe, une prise de conscience et finalement
un débat public, c’est l’apparition de cette prostitution liée à l’esclavage moderne. C’est depuis quelques années
une réalité qui a finalement envahi le paysage de la prostitution, qui a aussi envahi par la même occasion certains
quartiers. C’est le cas à Paris, essentiellement les boulevards des Maréchaux, avec une augmentation quand
même très importante du nombre de prostituées, notamment à Paris, autour de 7 000, je crois, aujourd’hui. Au
niveau du pays, on évalue leur nombre entre 15 et 20 000, mais avec quand même une progression importante et
incontestable ces dernières années, et avec l’apparition de ce phénomène nouveau d’esclavage moderne.
Et c’est d’ailleurs sous cet angle que le précédent gouvernement a essayé de traiter cette question, pas
sous l’angle de la prostitution directement, mais sous l’angle de l’esclavage moderne avec une commission
d’enquête qui s’est réunie à l’Assemblée Nationale durant six mois, et qui a fait un constat, d’ailleurs assez
alarmant et préoccupant des nouvelles formes d’esclavages qui ne touchent pas uniquement les problèmes de
prostitution. Ils touchent aussi à la question de personnes qui sont soumises au joug d’autres personnes, des
relations domestiques ou des choses comme cela.
Les conclusions de ce rapport, très importantes, à mon avis, ont été de deux ordres : de renforcer la
législation sur la question de l’esclavage moderne en créant un délit spécifique de traite des êtres humains qui
n’existait pas dans la législation française, et de pénaliser les clients des prostitués. Et cette dernière disposition a
été adoptée par le Parlement, à travers un amendement d’ailleurs. Il y a eu l’adoption de cette législation qui fait
qu’aujourd’hui le recours à des prostitués mineurs est un délit dans la loi. D’ailleurs je dis au Préfet de police,
régulièrement, et au Procureur de la République, « n’hésitez pas à vous en occuper car la loi existe ». Voilà
comment les choses se sont un peu mises en place, dans un paysage qui, en terme législatif, est assez simple.
La France, finalement, si on la compare à d’autres pays européens, est effectivement dans un cadre qui ne
reconnaît pas l’organisation de la prostitution. C’est-à-dire qu’elle refuse la création d’Eros Centers ou de
maisons closes comme il peut y avoir en Allemagne ou aux Pays-Bas. Par exemple, aux Pays-Bas, c’est la
commune (j’étais à La Haye) qui fait vivre des centres, qui délivre des licences, des patentes qui permettent aux
prostituées d’occuper une vitrine, et donc la commune se retrouve dans la situation de proxénète en quelque
sorte, qui produit du proxénétisme, ce qui pose à mon avis d’énormes faiblesses. Mais c’est le système aux Pays-
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Bas et en Allemagne. On pourra y revenir parce qu’à mon avis l’expérience n’est pas très concluante, pour plein
de raisons, mais ce système existe.
Et puis, il y a un autre système qui a été mis en place en Suède, et qui, je crois, est en train d’être mis en
place au Danemark, qui est là non pas un système abolitionniste mais de prohibition de la prostitution. La
prostitution y est interdite. Et donc cette interdiction porte essentiellement non pas sur la prostituée mais sur le
client, et donc le client est passible d’une peine, théorique, de six mois d’emprisonnement et d’une amende
relativement conséquente.
La France est un peu à mi-chemin de ces deux modèles, si j’ose dire. Elle n’est pas réglementariste, mais
elle n’est pas non plus prohibitionniste, et la prostitution n’est pas interdite, disons qu’elle est tolérée. Une
tolérance juridique qui rejoint aussi parfaitement une tolérance de la société, c’est-à-dire, et c’est un problème
majeur, évidemment, c’est que l’on considère que la prostitution pose des problèmes, que parfois c’est,
effectivement, extrêmement difficile pour la personne prostituée, avec la violence. Mais enfin, le client n’est pas
a priori celui qu’on plaint le plus. On a même plutôt tendance à lui trouver beaucoup d’excuses pour recourir à la
prostitution. Voilà le système dans lequel nous sommes.
Moi, j’ai essayé…, Je suis d’accord avec ce qui a été dit, il ne s’agit pas d’avoir une orientation qui
cherche l’éradication de la prostitution, cela n’aurait pas de sens. En tout cas, ce n’est pas dans cette orientation
que je me situe, en tous les cas, à court terme. Une société sans prostitution, sur un plan idéal, c’est une société
qui est aussi finalement ce qu’on peut qualifier d’évoluée, mais ce n’est sans doute pas un objectif à très court
terme.
Mais c’est vrai que, notamment par rapport au développement de la prostitution dont j’ai parlé tout à
l’heure, c’est-à-dire de la traite des êtres humains, des phénomènes qui sont proches des phénomènes de
barbarie, disons clairement les choses : ces personnes sont mises sur le trottoir dans des conditions absolument
de violence extrême jusqu’au péril de leur vie d’ailleurs. Un certain nombre a été assassiné, y compris en France.
Avec des pressions. Un système extrêmement violent et extrêmement brutal.
Donc, c’est vrai que par rapport à cela, l’on peut quand même se poser la question de savoir sur qui
finalement on fait peser sinon l’interdiction, au moins la sanction pour essayer de limiter ce phénomène et pour
essayer tout du moins de le réguler au maximum. Alors, nous serons tous d’accord pour dire qu’il faut
sanctionner le proxénète. Pour cela, tout le monde est d’accord, la Droite comme la Gauche. Mais le fait-on
suffisamment ? Je n’en sais rien. Les services de police disent que oui, mais disent aussi que c’est très
compliqué. Je veux bien le croire aussi. C’est-à-dire que le proxénétisme des réseaux s’adapte, c’est vrai, très
facilement dans une société qui est ouverte, dont on ne contrôle pas les flux de populations aux frontières. C’est
extrêmement compliqué. C’est un espace ouvert. Mais c’est vrai là-dessus, il y aura unanimité pour sanctionner
les proxénètes et les réseaux.
Alors faut-il sanctionner la personne prostituée, c’est un peu la réponse qui a été donnée par le Ministre
actuel, Monsieur Sarkozy, même s’il a donné cette réponse, je dois bien le dire, avec discernement. Mais en tout
cas, elle est appliquée, je ne suis pas de son bord politique, je me permets quand même de le dire, avec
discernement. Mais cela pose un problème. On fait peser la sanction sur quelqu’un qui, quand même, est plutôt
une victime, et donc ne va-t-on pas sanctionner deux fois une victime ? Par ailleurs, il est vrai que cela peut créer
d’autres phénomènes, c’est-à-dire une prostitution plus cachée, plus clandestine.
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Le troisième point, c’est : est-ce que l’on sanctionne le client ? Moi, j’ai plutôt été dans ce sens, j’ai même
fait une proposition en sens. C’est vrai que c’est une solution qui est loin de faire l’unanimité et qui pose aussi
des problèmes. Je l’ai fait en disant que dans le système quand même, la demande joue un rôle. Je ne suis pas un
libéral, mais quand même il faut voir le fonctionnement économique du système : il y a un proxénète qui vend un
produit, la prostituée et un client qui achète le produit. Les choses fonctionnent comme cela.
Mais sanctionner le client c’est quand même une façon de responsabiliser. On peut faire prendre
conscience à certaines personnes que la prostituée à qui il demande un certain nombre de choses est quand même
dans un état individuel, personnel de précarité, voire de danger et de traite. Pour moi, les clients, honnêtement,
doivent avoir au minimum la conscience de cela. Mais en même temps, cela pose d’autres problèmes parce que
c’est vrai que cela paraît extrêmement brutal, que cela paraît aussi mettre en place, entrer dans une forme d’ordre
moral qui est dénoncé. J’entends ces arguments par Elizabeth Badinter, par exemple, qui dit « là attention, on
rentre dans des rapports entre les hommes et les femmes qui sont une régression, et l’on nous amène encore une
fois à proposer un ordre moral… ».
J’entends ces arguments, et en même temps, la situation et la réalité que vivent un certain nombre de
prostituées. Je pense que ces arguments sont extrêmement loin de la réalité, parce que nous savons très bien que
ces prostituées ne sont pas consentantes, que ce n’est pas une liberté pour elles de se prostituer.
Cela peut l’être pour d’autres. Là aussi, c’est un sujet de discussion. Est-ce qu’il y a vraiment une liberté
de se prostituer, de vendre son corps ? Il y en a qui disent oui et d’autres qui disent non. Cela se discute. Mais
même pour celles pour qui cela ne se discute pas, on tombe là aussi dans des phénomènes très complexes parce
que, cela a été dit, c’est un marché et que, c’est vrai, on a vu des prostitués avoir tout simplement une logique de
marché, vouloir protéger le marché. Et notamment, la prostitution traditionnelle dont je parlais tout à l’heure,
avec des prostituées plutôt âgées, va avoir des problèmes de reconversion, tout simplement. Elles voient arriver
sur le marché des prostituées plus jeunes pratiquant des tarifs beaucoup moins importants qu’avant, pour casser
le marché, et qui se retrouvent pour la loi Sarkozy. Parce que Sarkozy a dit clairement que cette loi ne s’adressait
pas à elles, qu’elle s’adressait essentiellement aux prostituées étrangères, avec un objectif simple qui est de les
ramener dans leur pays. Et bien, même sur cette loi-là, il y a eu une montée de bouclier d’une partie des
prostituées, notamment celle qui était à Lyon, Claire Kirko, qui était pour la défense de la liberté de se prostituer,
mais qui était quand même, de mon point de vue, assez ambiguë sur les finalités.
J’en termine pour dire que tout cela est complexe, et peut-être peut-on trouver une voie originale en
France, si on essaye de ne pas tomber, ni dans la tolérance qui me paraît condamnable même d’un point de vue
moral, personnellement je l’assume, ni dans la répression, l’interdiction, qui effectivement posent aussi
d’énormes problèmes, et qui nous orientent, c’est vrai, vers une société qui n’est pas très ouverte. Mais, en même
temps, j’ai la conviction, y compris si on met de côté la question de la pénalisation du client, que cela doit être
l’occasion de réfléchir à de nouveaux rapports entre les hommes et les femmes, à la façon dont la sexualité est
vécue dans notre pays. Ce qui nous a manqué jusqu’à présent dans ce débat, c’est peut-être un certain nombre
d’orientations et de propositions en ce sens. Et sur ce point, je rejoins d’ailleurs ce que peut dire Elizabeth
Badinter sur cette question. Il faut essayer d’inventer de nouveaux rapports entre les hommes et les femmes qui
ne soient pas des rapports d’éloignement, d’agressivité qui peuvent expliquer en partie le recours à la
prostitution. Cela suppose évidemment des initiatives, une orientation pédagogique, des lieux de rencontres… Je
ne sais pas. C’est vrai que cette dimension doit être aussi incluse dans le débat.
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Le Modérateur, Jean-Marie Pierra
Peut-être que l’on pourrait revenir maintenant sur la loi Sarkozy, sur ses effets ? Nous en discutions tout à
l’heure, les échos que nous pouvions avoir notamment des tribunaux, c’est que les enquêtes qui sont faites du
côté des prostituées pouvaient être assez sommaires…
Christiane Grosse
Dans le cadre de la loi Sarkozy et du délit de racolage, c’est la police qui intervient sur les lieux de
prostitution, elle arrête des personnes prostituées, étrangères en général, et les emmène au poste de police. Ces
prostituées ne parlant pas français, il faut trouver un interprète. Le but de cette opération est de les garder 48
heures en garde-à-vue et de leur faire dénoncer leur proxénète pendant ce délai afin de procéder à son arrestation.
Lors d’une réunion à l’Hôtel de Ville de Paris, un inspecteur de police à l’occasion nous a expliqué que cela leur
permettait quelques fois d’arrêter un proxénète à son domicile.
Il semble pourtant qu'un délai de 48 heures soit bien court pour amener une femme violée, trrorisée,
battue à dénoncer son proxénète. Cette femme sait que sans protection, elle risque sa vie voire celles de sa
famille restée au pays.
À cela, il faut ajouter que souvent les gros bonnets des réseaux ne sont pas sur place. Ils ont souvent des
« Kapos », des gens qui surveillent les prostituées avec des portables, et qui ramassent l'argent. Il est très difficile
d’arrêter des proxénètes. Il faudrait une collaboration au niveau de l’Europe, et ce qui n’existe pas encore, loin
de là… Actuellement le gouvernement, les associations essayent de coopérer avec les pays "sources" pour
faciliter le retour au pays des prostituées, ou faire de la prévention. Malheureusement, les réseaux de proxénètes
vont très vit et sont très réactifs aux mesures mises en place; La prostitution évolue très très vite.
Le Modérateur, Jean-Marie Pierra
Sur les choses que l’on a pu entendre, il semble effectivement qu’il y a eu une évolution des phénomènes
de prostitution qui pourrait être renforcée par cette loi Sarkozy, une prostitution plus masquée qui irait vers les
salons de massage, vers l’utilisation d’Internet (un phénomène qui est déjà assez répandu, mais c’est à voir…), et
de l’autre côté, sur le terrain, un rajeunissement des personnes prostituées avec des tarifs en forte baisse. Est-ce
que j’interprète bien ?
D’autre part, et peut-être vais-je être provocant, nous sommes dans un arrondissement où il y a une maire
qui a proposé une solution pour canaliser les choses, qui serait le retour des maisons closes…
Alexandre Myszkowski
C’est une chance que la Porte Dauphine ne soit pas dans le 17 ème. Non, c’est tout à fait vrai : l’un des
effets de la loi Sarkozy, c’est effectivement de rendre la prostitution plus clandestine qu’elle ne l’était. Je répète
que ce dont moi je parle, c’est d’une prostitution qui est précaire, une prostitution de plein air qui n’est pas dans
des lieux clos.
Par rapport à ce que vous disiez, Monsieur Caresche, je trouve très intéressant à l’idée de réfléchir aux
clients. Et moi je n’en sors absolument aucune solution. Il faudra aussi que je vous dise un peu ce que l’on fait
concrètement car vous seriez en droit de vous demander d’où j’interviens. Par rapport à l’idée d’agir sur le client,
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je dis agir sur le client parce que je ne sais pas s’il faut le pénaliser, la certitude que je peux avoir c’est que cela
va considérablement renforcer une prostitution « de luxe », si je dis « de luxe », elle ne l’est pas forcément tant
que cela, mais elle se passe sur Internet, dans des salons. Il y a des travestis de la Porte Dauphine qui y ont
recours. En Hiver, il fait froid et cela les gonfle de se prostituer par zéro degré comme on a pu l’avoir en janvier.
Elles ont recours à Internet. Cela fonctionne très bien. Cette prostitution-là ne va pas disparaître en pénalisant le
client. C’est une impression forte que j’ai, c’est qu’au contraire, on va voir une grande partie des clients qui,
traditionnellement, sont autour de la Porte Dauphine, disparaître et avoir recours à Internet.
Et là encore, il n’y a aucun jugement dans ce que je dis, je serais incapable de vous dire que finalement
c’est peut-être une bonne chose, c’est peut-être une mauvaise chose, mais c’est vrai, on peut savoir qu’une
augmentation de cette prostitution « de luxe » n’est pas une bonne chose. C’est une prostitution qui aujourd’hui
est totalement clandestine et plutôt protégée.
Ce que j’ai aussi oublié de dire tout à l’heure, juste un point, c’est que la prostitution masculine,
contrairement à la prostitution féminine, est une prostitution sans proxénète. C’est vraiment récent la présence de
proxénètes, et c’est notamment le fait de ces mafias et de ces réseaux. Ce ne sont même plus des proxénètes.
C’est devenu de l’esclavagisme. Mais historiquement la prostitution masculine est une prostitution qui se passait
du proxénète, et qui se passait plutôt bien.
Christiane Grosse
Et en 10 ans, c’est environ 30 % de la population prostituée. On dit qu’elle est en forte augmentation.
Alexandre Myszkowski
La prostitution masculine ? Elle est en forte augmentation. Cela doit représenter environ un tiers.
Le Modérateur, Jean-Marie Pierra
On va maintenant laisser la salle poser des questions.
Question
Je vais parler en tant qu’assistante sociale puisque c’est mon travail. La première remarque que j’ai à
faire, concernant les Centres d’Hébergement Éclaté de la sécurité sociale, les CHE, est que c’est difficile pour
l’Etat d’en prendre directement l’initiative en une sorte d’institutionnalisation.
La deuxième c’est le rapport à la drogue des prostituées, utilisation de la drogue pour supporter la
prostitution ou prostitution pour se procurer de la drogue.
Et puis, il y a une prostitution essentiellement alimentaire pour des gens, souvent immigrés, qui ne
trouvent aucun travail, et qui se prostituent pour nourrir leurs enfants ; et c’est une prostitution qui se déroule
dans des conditions lamentables.
La troisième concerne un nouveau rapport au corps qui est perçu comme un objet de consommation et
comme porteur de la consommation chez les jeunes filles, et cela, en partie à travers le message qui est porté à
travers les médias. Un moyen d’obtenir de l’argent rapidement et facilement, et qui devient pour elles la seule
façon de vivre leur sexualité.
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Alexandre Myszkowski
Cela me fait penser ce que vous disiez à l’instant, que chez les prostitué(e)s masculins, il y a une
prostitution à laquelle je n’ai pas allusion tout à l’heure, mais qui existe, totalement minoritaire, c’est le cas des
prostitués qui vivent leur sexualité, en vivant sur leur homosexualité, au travers d’un rapport d’argent, et qui ne
se qualifient pas comme étant homosexuels. S’ils couchent avec une personne du même sexe, ce n’est pas de
l’homosexualité, c’est une sexualité avec de l’argent. En clair, c’est « je ne suis pas pédé, je peux baiser des
femmes, mais je me fais payer ».
Christiane Grosse
Ce qui est important, c’est la prévention. Elle est essentielle. La prévention à l’école — nous travaillons
beaucoup en ce moment là-dessus — apparaît fondamentale dans un monde où nous avons complètement perdu
nos repères. Si l’on ouvre les yeux, on peut constater qu’il y a de la pornographie partout, qu’elle est
envahissante et l’image même de la femme en est détruite. Un jour, quelqu’un d’une association m’a fait
remarquer que des affiches dans le métro montraient un homme avec deux femmes dans les bras disant « Je m’en
paye deux pour le prix d’une », il s’agissait de deux semaines de voyages ! Et personne ne réagit !! La femme
devient un objet !.
Il apparaît comme essentiel de sensibiliser le potentiel « client » adulte ou jeune via l’école. Nous
sommes très demandeurs d’une campagne nationale de sensibilisation sur le sujet de la prostitution. Quelle est la
responsabilité du client qui « utilise » une prostituée et quels dégâts cet acte provoque-t-il chez la prostituée ? Le
respect de l’autre doit être enseigné dès l’enfance. On parle beaucoup de la prostitution, des réseaux, et des
trafics, mais on ne parle pas tellement de la prévention que l’on doit absolument faire à la fois au niveau des
écoles, au niveau des clients, et puis des personnels sociaux. Je crois que la Mairie de Paris y avait réfléchi,
qu’elle avait organisé des séances, des séminaires de formation des travailleurs sociaux pour qu’ils aient une
formation au niveau de la prostitution, pour qu’ils sachent déceler ce genre de problèmes, parce que, c’est vrai,
cela peut dépasser leurs compétences à certains moments.
Question
Est-ce que c’est un métier ? Parce que si c’est un métier, il faut donner un statut à la prostituée…
Christiane Grosse
Ce n’est pas un métier, mais par contre elles sont imposées.
Alexandre Myszkowski
Elles sont imposées à partir du moment où l’activité est déclarée. Alors évidemment, elles ne déclarent
pas toutes leurs activités, mais elles sont imposées, et elles savent dire qu’elles payent un impôt sur le revenu
conséquent sur ce qu’elles déclarent.
Christophe Caresche
Cela reste marginal.
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Christiane Grosse
Remarquez que cela fait partie des incohérences du système français. La Cour d’Appel vient de rendre un
jugement qui dit que les personnes prostituées devaient payer les mêmes cotisations que les travailleurs. On a
d’autre part, un régime qui ne reconnaît pas la prostitution comme un métier puisque la France est
abolitionniste…
Christophe Caresche
C’est un faux débat cette histoire de fiscalité. Le système français en termes de fiscal, il est déclaratif. Le
Fisc, si vous déclarez des revenus, il va vous taxer. Si vous n’en déclarez pas, il ne vous taxe pas, si ce n’est pas
illégal. Le fait qu’elles payent des impôts est lié au fait qu’elles les déclarent. Dans les faits, il n’y a pas
beaucoup de prostituées qui les déclarent, d’autant plus qu’il s’agit surtout d’argent liquide.
En revanche, je veux quand même dire un mot, car la précédente intervention m’y fait penser… Il y a tout
un débat aujourd’hui sur notamment la question de la victimisation de la femme, engagée par Elizabeth Badinter
et d’autres… et ces dernières considèrent qu’il y a une sorte de féminisme radical, un peu à l’américaine,
extrêmement répressif, qui est extrêmement nocif et qui contribue finalement, non pas à ce que les hommes et les
femmes se comprennent mieux, mais au contraire à les séparer. Et le livre qu’Elizabeth Badinter qu’elle vient de
sortir et qui s’appelle « Fausse route » est une condamnation virulente de ce type de féminisme, et elle défend (je
pense à elle, mais il y a aussi Marcella Yakou qui écrit de façon assez provocatrice sur ces questions) l’idée qu’à
travers la pénalisation du client, c’est une façon de voir la femme comme une victime. La femme devient victime
de son mari, de sa condition de femme… Jamais elle n’est vue et considérée comme un être qui a son librearbitre, qui a la capacité individuelle à décider par exemple de se prostituer ou de ne pas se prostituer, et c’est à
propos de cela qu’Elizabeth Badinter dit que la prostitution c’est une liberté. Elle va jusqu’au bout de sa logique
en disant qu’il n’y aurait qu’une seule prostituée pour dire « je veux me prostituer » qu’il faudrait la défendre au
nom de cette liberté. Évidemment, c’est théorique, mais en même temps, c’est une position que je crois qu’il faut
aussi entendre, et cela même alors que j’ai déposé un texte dans l’autre sens. Il ne faut pas voir les femmes
uniquement par ce prisme de la victimisation, qu’on les enferme à ce moment-là dans une conception qui les
prive de toute autonomie, et au fond est-ce que ce n’est pas, d’une façon tout à fait perverse, le jeu d’une
domination, y compris masculine.
Alexandre Myszkowski
On pourrait aussi parler de la question de savoir si le client est conscient ou pas de la situation de la
prostitution.
Christiane Grosse
Je pense qu’il y a deux sortes de clients. Il y a des clients, ce que l’on appelle les clients habituels, qui
pendant un certain temps de leur vie, ils sont presque drogués, ils aiment tellement les prostitué(e)s parce qu’ils
sont curieux, ils ont des fantasmes… Et puis, il y a des clients plus occasionnels où cela se passera quelques fois.
Je pense que le client est multiple. Il y a certainement des clients qui ont une pathologie. D’ailleurs je crois qu’il
y a une expérience intéressante qui a été faite en Suède pour créer des espèces de services d’aide psychologique
aux clients. Et cette voie n’a absolument pas été explorée en France. Cela pourrait être une sorte de numéro vert
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pour des gens qui ont des pulsions et qui, au fond, vont voir une personne prostituée mais qu’il voudrait avoir
une oreille qui les écoute raconter leurs problèmes, et ils ne peuvent pas parler ni à leur femme, ni à leur
entourage. Cette expérience en Suède marche assez bien.
Christophe Caresche
C’est quand même très difficile de définir une normalité en termes de sexualité. Là aussi, on a un débat
qui est compliqué parce que voir le client d’une prostituée sous l’angle purement pathologique, c’est aussi
tomber dans des thèses aussi dangereuses. Je ne pense pas qu’il y ait une pathologie à aller voir une prostituée.
D’abord, il y a, c’est vrai, des diversités de situations extrêmement importantes. Il y a des clients occasionnels,
des clients mariés, … des clients de toute nature. Il y a des clients qui n’ont aucune conscience car la transaction
elle-même les dédouane de toute responsabilité, j’allais dire de toute culpabilité, qui n’attache aucune
importance à l’acte, qui voit cela comme un rapport marchand, donc dans ce cadre-là, la prostituée n’existe plus,
c’est plus un être humain. C’est une prestation de services. Elle n’est qu’à un moment l’objet de la transaction.
Mais il ne se pose pas de questions de type « est-ce que cette personne a des problèmes… ? ». Ce n’est pas son
problème. En plus, nous sommes dans une société qui tolère totalement ce phénomène. Y compris, il y a
quelques années, c’est comme cela que l’on dépucelait les garçons, le papa allait… Ce n’est pas si loin que cela.
Donc nous sommes quand même dans une société qui a beaucoup intégré, intériorisé ce phénomène.
Aujourd’hui, quand on dit qu’on va pénaliser le client, il y a la moitié des Français ou 80 % qui disent que cela
n’a aucun sens, parce que, culturellement, c’est une question qui ne se pose pas.
Il y a eu à Bordeaux une tentative intéressante de la police, d’un procureur, de pénaliser le client sous un
angle de l’exhibition. On voyait les pauvres gars arriver au tribunal, vivrent un drame personnel assez fort, car ils
n’avaient pas du tout le sentiment d’avoir fauté, ils se retrouvent pourchassés par les caméras. Cela dit, cela a été
efficace, car dissuasif. À mon avis, du jour au lendemain, il y en a beaucoup qui… Mais enfin, pour la personne
qui est concernée, la plupart des gens se disent que c’est totalement disproportionné par rapport à l’acte. Le type,
alors sa femme est au courant… Il est peut-être brisé.
Je le dis d’autant plus que j’ai proposé de pénaliser le client. Je l’ai fait parce que je pensais qu’on ne peut
pas être simplement dans une société qui est bâtie sur la tolérance de ce phénomène. Ce qui est important, c’est
au moins de se poser des questions et de prendre conscience des problèmes qui sont complexes, parce que
derrière, il y a des phénomènes extrêmement graves et préoccupants, et parce que, aussi, c’est lié à l’état
inquisiteur dont nos sociétés concevaient la sexualité… Donc c’est bien de se poser un certain nombre de
questions.
Et moi, je pense qu’on a avancé car le débat a commencé à avoir lieu, effectivement à partir du moment
où cette question de traite des êtres humains a été posée. Il y a eu lieu avec la loi Sarkozy, on peut en penser ce
que l’on veut, mais enfin le débat a eu lieu.
À l’Assemblée Nationale, il y a eu un débat extrêmement intéressant, et qui n’était pas ridicule et qui
n’était pas simpliste. Nous y avons passé plus de deux heures à travers un certain nombre d’amendements que
nous avions déposés sur la pénalisation du client ou pas, avec Ségolène Royal. Le débat a été intéressant.
Aujourd’hui, beaucoup de collectivités territoriales, de communes, commencent à s’intéresser à la question, à
l’approcher, ainsi à la Mairie de Paris. Il y a eu un débat à Nantes aujourd’hui même. Les villes autour de Paris,
dans un comité qu’on a créé, viennent discuter. On arrive à faire discuter des policiers, des magistrats et des
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associations. Je veux dire qu’il y a quand même aujourd’hui, y compris le débat sous le prisme du féminisme,
des débats, et que tout cela est quand même plutôt satisfaisant, même si tout cela est complexe et contradictoire.
Le Modérateur, Jean-Marie Pierra
D’ailleurs, dans l’immédiate après-guerre, des études ont montré que c’était un homme sur huit qui se
« déniaisait », si l’on peut dire, qui avaient leur première relation avec des prostituées. À partir des années 70, les
chiffres tombent à moins de un sur vingt.
On reviendra peut-être ultérieurement sur les interventions des collectivités locales, les CHL, et les
initiatives des associations…
Alexandre Myszkowski
Je pense aussi à la question sur la protection de la prostituée qui dénonce son proxénète à laquelle nous
n’avons pas répondu. Vous me corrigerez si je me trompe : il n’y a pas de protection qui est prévue.
Christophe Caresche
Ils ont un titre de séjour…
Alexandre Myszkowski
Voilà. Et pour la prostituée qui est en situation irrégulière, elle bénéficie d’un titre de séjour.
Christophe Caresche
D’un titre de séjour, et quand même la police demande aux associations de s’en occuper…
Alexandre Myszkowski
Enfin, il n’y a pas de protection, et si le proxénète tombe sur elle…
Christophe Caresche
Mais l’idée d’avoir des appartements, des lieux où l’on puisse les protéger est une idée qui progresse.
Christiane Grosse
Elle progresse. Je pense qu’il y a des collectivités territoriales où il y a des avancées dans ce sens-là. Peutêtre, je n’en sais rien. Je pense qu’il y a aussi une collaboration entre associations. J’ai des propositions d’une
association qui proposait de mettre à disposition, pour l’hébergement d’urgence des personnes qui voulaient
sortir de la prostitution, des lieux, à paris ou ailleurs, et de former du personnel pour accueillir ces personnes qui
sont en grave précarité.
Je pense qu’à force de débat, on finira par aboutir à des résultats… Cela fait trois ans qu’il y a des débats,
des colloques, à l’Assemblée, le Sénat, chez les Verts, les Socialistes, dans les associations, la Cour de
Cassation, le Conseil Economique et Social.
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Question
Comment aide-t-on les prostituées à s’en sortir ? Est-ce qu’Aides reçoit des aides d’entreprises ou des
propositions de travail de leur part pour celles qui souhaiteraient s’en sortir ?
Alexandre Myszkowski
Alors, pour ce que nous, nous faisons, il n’y a pas d’entreprises qui vont proposer un travail à un prostitué
sur le trottoir. Il y a en revanche tout un accompagnement. Parce qu’on aura des prostitués qui vous diront qu’ils
assument très bien le fait d’être prostitués et qu’ils ont envie de le rester, on ne va pas aller les chercher, ce n’est
pas notre mission. Ce à quoi l’on veille, c’est que l’utilisation du préservatif se passe. Après, la personne, je ne
vais pas la chercher en lui disant de sortir du trottoir.
En revanche, il y a beaucoup de jeunes, et j’ai eu tort de ne pas en parler tout à l’heure, fraîchement
débarqués de leur province, qui viennent à Paris sans boulot, et qui vont se prostituer et qui vont aussi, dans
certains cas, vivre une homosexualité refoulée au travers de la prostitution. Et ceux-là, clairement, ce n’est pas la
panacée pour eux et manifestement, ils souhaitent s’en sortir. C’est un passage. C’est pour mettre un pied à Paris,
dans une grande ville, mais après s’en sortir. Vis-à-vis de ces personnes, ce qui est assez difficile, c’est qu’elle ne
va pas systématiquement venir nous voir. Au départ, on aura des contacts avec elle, à travers de discussions,
accompagnement à un test de dépistage. Après, on va s’apercevoir que la personne ne sait pas où dormir, elle a
hébergement qui est complètement irrégulier, sans parler des conditions sanitaires…
Alors, vis-à-vis de ces personnes, il y a un accompagnement qui est fait. D’abord, ces personnes sont
reçues chez Aides, faubourg Poissonnières où l’on a une permanence. Et avec ces personnes, on va pouvoir
définir, éventuellement, un projet, mais cela est clairement quelque chose qui se fait sur un très long terme,
plusieurs mois. On n’a pas de solutions préétablies pour leur permettre de trouver un lieu dans lequel ils
pourraient se reconstituer, dans ce laps de temps de trois, quatre, cinq mois, pendant lesquels on les aide dans la
rédaction d’un CV ou dans une démarche pour trouver un travail (on n’a pas de travail à proposer), et pendant
lesquels, je le répète, ces personnes n’ont pas d’hébergement. Sur un hébergement temporaire, Aides peut
effectivement trouver une solution mais sur du plus long terme, nous n’avons aucune solution.
Ce à quoi il faut travailler en ce qui concerne les associations, c’est de demander la création d’un lieu
d’hébergement, là je parle strictement pour les prostitué(e)s de la Porte Dauphine, donc des prostitués masculins,
qui pourront rester sur des périodes un peu plus longue qu’une semaine, de façon à reconstruire un projet
professionnel, à reprendre éventuellement des études, à reprendre contact avec un foyer, avec une famille laissée
en province parce que le gamin a tout plaqué. Cela, c’est un appel au politique pour qu’à Paris cela soit prévu.
Alors justement, il y a un projet dans les cartons. Mais il faut bien avoir conscience qu’on peut rencontrer, c’est
très variable, une cinquantaine de personnes un soir, ou cent. Toutes ne sont pas dans cette situation, mais si l’on
a un lieu d’hébergement qui permette l’accueil de seulement cinq personnes, cela est un maximum. Cela pour
vous expliquer la distance qu’il nous reste à parcourir.
Le Modérateur, Jean-Marie Pierra
Et quelles sont les relations qui peuvent exister aujourd’hui entre les différentes associations qui oeuvrent
dans ce domaine et les différents services publics ? Et les forces de police… ?
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Alexandre Myszkowski
Sur les forces de police, c’est intéressant parce que l’on n’est pas gêné par les forces de police, c’est à la
limite du scandale. Ils nous connaissent. On les voit. On est labellisé. Ils nous foutent la paix. Et pour cause ! Et
c’est la manifestation première de ce que l’Etat s’est totalement déchargé du travail. Il y a des associations, alors
c’est pour les garçons qui se prostituent Porte Dauphine, il y a le Bus des Femmes sur les boulevards des
Maréchaux, mais quelque part les collectivités territoriales se sont clairement dépossédées.
Alors il peut y avoir des problèmes avec des policiers, ils s’approchent, ils s’informent, mais en règle
générale, ils sont même polis. Une fois qu’on leur a expliqué qu’on était de Aides, ils s'en vont. Par contre, ce
n’est pas le cas des prostitués où là, lorsqu’ils ont des préservatifs en poche, il pèse sur ces personnes une
suspicion sur le fait qu’elles se prostituent.
Ça, c’est une chose qu’on a vue en revanche nettement depuis la loi Sarkozy. Avant la police ne ramassait
pas les gamins. En revanche aujourd’hui, les gamins n’osent plus avoir des capotes dans la poche, car s’ils en
ont, cela veut dire qu’ils sont des prostitués et par conséquent ils terminent au poste. Là, en revanche, les
rapports entre les policiers et les prostitué(e)s, ce n’est pas une société idyllique.
Christiane Grosse
Le problème, c’est que, pour les centres d’hébergement, ce qu’il n’y a pas, ce sont les finances.
Alexandre Myszkowski
Il y a financement de la DDASS, un financement public. Clairement, il faudrait augmenter les
financements pour prévoir les structures d’accueil nécessaires.
Christiane Grosse
À ce propos, la fondation Scelles fédère un certain nombre d’associations et nous nous sommes battus
l’année dernière parce qu’il faut quand même savoir que les financements, dont on parle, sont donnés par la
DGAS (Direction Générale des Affaires Sociales) à certaines de ces associations qui travaillent avec nous, tous
les ans en fin d’année. Cela veut dire qu’elles faisaient des projets, mais qu’elles ne savaient jamais où elles en
étaient. Ils n’arrivaient pas à monter des projets qui se font en général sur plusieurs années, donc nous avons fait
une action pour obtenir des subventions triennales, ce que nous avons obtenu d’ailleurs.
Il faudrait augmenter les subventions des associations de terrains pour qu’elles puissent prévoir et mettre
en place des choses. Elles sont tout le temps freinées dans leur travail par ces problèmes budgétaires.
Question
Le débat sur la prostitution m’amène à me poser une question, à savoir où passe la frontière entre le privé
et le public ? Sur cette question, il est normal qu’un sociologue s’y intéresse, mais en ce qui concerne le
politique, est-ce qu’il peut s’approcher de cela ? On touche au corps.
Christophe Caresche
Juste, simplement, pourquoi l’autorité publique est amenée à prendre en charge cette question-là, alors
qu’elle ne le faisait pas jusqu’à présent. La réalité, jusqu’à il y a peu, est qu’il n’y avait aucune action, enfin,
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indépendamment du proxénétisme et du démantèlement de certains réseaux. Chaque fois que j’ai posé en tant
que député du XVIIIe arrondissement des questions au commissaire de police pour savoir, contenu des nuisances
que pouvaient provoquer, dans tel ou tel endroit, la pratique de la prostitution, s’il allait intervenir, il m’a dit non.
Il m’a dit qu’il n’avait pas les moyens juridiques.
Encore une fois, pourquoi l’autorité publique a été amenée à intervenir ? Pour plusieurs raisons, le
développement du phénomène, y compris par rapport aux nuisances que cela engendrait dans un certain nombre
de quartiers, il faut dire clairement les choses. C’est le cas aussi à Bordeaux, la réaction a été liée au fait que
certains quartiers, du jour au lendemain, ont été envahis par ces phénomènes-là. Alors, en plus, la question ce
n’est pas seulement la prostitution, c’est aussi la drogue. Tout est lié, et donc, vous retrouvez dans les secteurs
des Maréchaux des quartiers qui sont le lieu de ces phénomènes et qui peuvent être très dérangeants pour les
habitants. J’ai le cas d’une personne qui habite à la Moskova, à proximité des boulevards, et dont l’immeuble
qu’elle occupait était devenu un lieu, à la fois de trafic, mais aussi de prostitution. Cela faisait six mois qu’elle ne
dormait plus. Donc cette pression s’est exercée sur les élus, et elle est devenue de plus en plus forte. Justement
parce que la prostitution, notamment à Paris, a tendance à quitter le centre, et à se retrouver en périphérie. Aussi,
au bois de Boulogne où il y a eu des pressions très fortes des personnes qui sont proches du bois. Ce sont souvent
des personnes qui sont dans de grandes difficultés financières, mais qui par ailleurs, ont aussi de l’entregent. Ils
sont capables de mobiliser un certain nombre de ressources, soit politiques, soit médiatiques. Il y a aussi la
pression médiatique. Qu’est-ce qu’il se passe à ce moment-là ? C’est-à-dire que vous avez aussi cette réalité,
proche de la barbarie, qui a été l’arrivée de cette nouvelle forme de prostitution, donc avec toutes les semaines,
un reportage parfois très complaisant, parce que cela fait de l’audience, sur les nouvelles formes de la
prostitution. Alors, un gouvernement, au bout de quelques semaines, il est bien obligé de se poser la question.
Les gens disent qu’il y a des pauvres filles qui sont tabassées, qui sont mises sur le trottoir, et que le
gouvernement ne fait rien.
Ce n’est pas une réaction qui a été motivée au départ par des considérations morales, de mentalité,
culturelles, de société… Il ne s’agissait pas de savoir si l’on était libre ou pas de se prostituer, ou un problème
d’égalité entre les hommes et les femmes. Cela a été pris en charge sous cette forme d’ordre public, mais qu’il ne
faut pas nier.
D’ailleurs, la position de Sarkozy est vraiment une position d’ordre publique. Avec son délit de racolage,
son objectif est très simple. C’est de faire diminuer la pression dans certains quartiers. Donc on fait des
opérations, et la police sait très bien faire cela, de laisser un phénomène se développer, et dès que cela atteint un
certain niveau, on fait une opération de police. Les prostitué(e)s se retrouvent ailleurs, parce qu’en fait on
déplace le phénomène. On a la même approche avec les phénomènes de toxicomanie. C’est pour ces raisons que
l’autorité publique s’est saisie de ces problèmes.
Mais la question que vous posez est parfaitement juste, mais on ne peut pas non plus s’interdire de voir
les choses du côté de la prostituée. Parce qu’où passe la frontière du privé ou du public pour le client c’est bien,
mais où passe cette frontière pour la prostituée ? Le fait de vendre son corps, est-ce que le corps est une
marchandise comme les autres ? Est-ce que la prostitution est un marché ? On peut aussi retourner la question.
Où est la sphère privée pour une prostituée ? La vraie question est là. Il y a quand même des études qui ont été
faites qui sont très intéressantes, des études par des médecins, des psychologues, sur les conséquences de la
prostitution pour les prostitué(e)s, avec des phénomènes extraordinaires de dédoublement de personnalité.
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Lorsqu’ils ou elles travaillent, ils développent une sorte d’insensibilité totale qui fait, que par exemple,
lorsqu’elles sont battues, elles n’en prennent pas nécessairement conscience tout de suite. C’est en rentrant chez
elles qu’elles constatent qu’elles ont des ecchymoses, qu’elles se sont faites tabasser. Elles sont dans une sorte de
dédoublement, de schizophrénie totale, qui est le seul moyen pour elles de se protéger, de protéger leur être
intime de ce qui est quand même une agression. C’est une agression, peut-être des plus brutales et violentes sur
le plan psychologique.
Question
Je voudrais savoir justement, et ma question s’adresse à Aides, comment ces hommes prostitués, parce
que les problématiques sont les mêmes, vivent-ils leur sexualité. Comment perçoivent-ils leur corps et leur
prostitution ? En tout cas, pour ceux qui veulent s’en sortir ?
Alexandre Myszkowski
Ceux qui vivent dans les réseaux sont tous des prostitués étrangers venant clairement des Pays de l’Est. Je
répète que la prostitution masculine n’est pas a priori sous l’emprise d’un rapport avec un proxénète. Mais c’est
vraiment le cas pour ces prostitués de l’Est. Ils sont jeunes. Si je vous dis qu’ils sont mineurs, évidemment nous
n’avons aucun moyen de le contrôler, mais quand je dis jeune, je parle de gamins de dix, douze ans pour
beaucoup d’entre eux. Se pose donc d’abord le problème de la langue, avant de pouvoir appréhender la façon
dont ils voient leur prostitution, il faut d’abord pouvoir parler avec eux. Dans un premier temps, ils viennent pour
des raisons alimentaires. On ne fournit pas de nourriture. On a simplement des boissons chaudes. Pour certains
d’entre eux, c’est le repas de la journée. Ils prennent un chocolat très, très sucré, et c’est à peu près avec cela
qu’ils tiennent. Donc là, on est vraiment dans les premières prémisses d’un rapport avec eux. Ils ne parlent pas
français.
Dans la mesure où ils viennent régulièrement, dans les premiers temps on a pu voir ce qui n’était
certainement pas un proxénète, mais ce que vous appeliez un « Kapo » qui leur disait d’aller chercher des
capotes. On a donc pu constater qu’ils étaient sous réseaux. Ces « Kapos » quand ils ont compris que nous étions
une association qui distribuait des capotes, ils nous les envoyaient pour chercher ce qui est en quelque sorte un
outil de travail. Depuis la loi Sarkozy, on a vu disparaître les proxénètes. Les gamins ne voulaient plus prendre
de préservatifs et venaient simplement se servir en café. Ensuite, instaurer une espèce de discussion… C’est-àdire ils chahutent… C’est cela qui est tellement difficile. Vouloir leur parler d’une problématique de dépistage,
c’est tellement loin de ce qu’ils vivent… On a l’impression de voir des gamins dans une cour de récréation… Ils
fument, ils prennent des drogues, qui ne sont pas des drogues, en tout cas pour ce que l’on en voit, très dures…
Et surtout, ils se prostituent. Voilà.
Quand ils viennent, l’on peut essayer de discuter avec eux, de connaître leur état sanitaire, savoir s’ils se
font dépister, savoir s’ils se font suivre, savoir où ils dorment aussi. Ils sont très, très évasifs sur l’endroit où ils
peuvent dormir, et pour beaucoup d’entre eux, d’ailleurs, il s’agit de dormir dans la rue. Et les Roumains
auxquels je pense, maintenant il y a aussi des Ukrainiens et des Bulgares, ces Roumains n’ont pas évidemment
pas de domiciles, et comme ils forment une communauté très, très compacte, elle est peu perméable, y compris
vis-à-vis des autres prostitués. Et c’est important car on peut noter chez les prostitué(e)s qui ne sont pas sous
l’emprise de ces réseaux, une forme de solidarité. C’est-à-dire, « Je me suis fait foutre à la porte de mon hôtel,
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j’ai perdu mon appartement, je n’ai plus de quoi payer mon appartement, je reste chez telle fille », il s’agit d’un
travesti souvent. On n’a pas du tout cette solidarité à l’égard de la communauté roumaine, alors je dis roumaine,
mais cela va bien au-delà des Roumains, et notamment c’est ce que l’on disait, c’est « Ils nous ont cassé les prix
et finalement, ils nous bouffent le marché ». Donc il n’y a aucune solidarité vis-à-vis de ces jeunes Roumains.
Ces derniers ont conscience qu’ils sont prostitués, mais ils n’en parlent absolument pas.
Et là, pour le coup, j’ai vraiment envie de dire, parce que c’est difficile d’en parler justement, par rapport
à cette appréhension de sa sexualité, pour ce que l’on peut en voir, jamais ils ne le vivront comme homosexuels.
Ce sont des garçons qui vous disent avoir une sexualité hétérosexuelle… Pour la sexualité qu’ils peuvent avoir
parce que je ne sais pas dans quelle plage de temps ils ont les moyens d’avoir une sexualité et de construire une
relation qu’elle soit hétéro ou homo. Donc la discussion et l’échange sont extrêmement difficiles.
Aujourd’hui, et c’est cela qui est difficile, où l’on va peut-être franchir la barrière de la langue avec la
communauté roumaine, il y a même des affiches qui ont été faites et placardées dans le bus sur l’incitation au
dépistage, sur la syphilis… Maintenant, on a une communauté bulgare ou des Ukrainiens. On n’est pas
polyglottes. Donc, il faut reprendre le travail à zéro, et vous les verrez disparaître au fur et à mesure des rafles de
police, je disais que l’on ne les voyait pas sur le stand, mais en revanche ils arrêtent les Roumains, ou d’autres.
Quand ils sont arrêtés 48 heures le temps d’une garde-à-vue. Pour eux, au passage, je le dis mais ce n’est
absolument pas cynique, c’est aussi un moyen d’être hébergés. C’est le moyen de passer une nuit au chaud. Et
puis, on les voit revenir au bout de 48 heures.
De la même façon, vis-à-vis de cette population, on a fait des signalements au Parquet. Très peu de ces
signalements ont été suivis d’effet. Et d’ailleurs, quelle suite peut-on donner à partir du moment où il n’y a pas
de structures d’accueil pour ces mineurs. De plus lorsqu’il existe un foyer, vous avez le mineur qui va partir.
Bien sûr, d’un point de vue juridique, il y a normalement obligation d’aider des mineurs. Mais il est très difficile
d’établir leur âge, ils n’ont pas de papiers. Bien sûr, l’on peut faire des expertises osseuses qui sont sujettes à
caution.
Et puis, le problème c’est leur nombre. On en aurait un ou deux… Mais on avait l’année dernière 80
Roumains qui tournaient, pas tous les soirs, mais au moins une cinquantaine. Aujourd’hui, il y en a d’autres
pays, et les Roumains en proportion sont moins nombreux. Mais vraiment, on peut dire que je n’ai vu aucun
effet, les choses ont même plutôt tendance à empirer, et cela indépendamment de la loi Sarkozy, et a fortiori avec
elle.
Christophe Caresche
Sur le classement des mineurs errants, étrangers, la loi est simple. Il y a effectivement obligation pour
l’Aide sociale à l’enfance de prendre en charge ces mineurs ; Celle-ci, d’ailleurs, à Paris et en banlieue, accueille
de plus en plus de mineurs étrangers ; ce qui ne va pas sans poser un certain nombre de problèmes puisque ces
foyers ne sont évidemment pas faits pour cela. Il y a discussion actuellement avec l’Etat et avec le Préfet pour
justement essayer de débloquer un peu cette situation, de créer des lieux d’accueil. C’est vrai qu’il y a un
placement qui se fait via le juge, mais avec effectivement, une expertise osseuse qui est d’ailleurs demandée par
le département parce qu’ils veulent, évidemment, limiter, je dis clairement les choses, la prise en charge de ces
populations dans la mesure où cette prise en charge est difficile. Ce n’est pas simple parce qu’on est sur des
problématiques où l’Etat a des responsabilités, mais le département aussi, alors…
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En plus, concernant les Roumains, il y a aussi eu des tentatives de les renvoyer dans leur pays avec l’aide
de la Roumanie. Il y a eu un accord qui a été signé entre les autorités françaises et les autorités roumaines de
sorte que les mineurs puissent être pris en charge en Roumanie. Alors, cela veut dire aussi ouvrir des structures
en Roumanie…
Il y a quand même un travail qui est fait dans ce sens-là. Mais c’est vrai que c’est l’un des principaux
problèmes, les mineurs. Il faut voir à la gare du Nord, de la même façon comme c’est devenu un lieu de
prostitution masculine d’ailleurs, et qui concerne des mineurs.
Il y a aussi une loi qui a été votée. Mais j’ai l’impression que la police, pour l’instant, elle reste quand
même assez évanescente.
Christiane Grosse
Je voudrais signaler tout de même qu’il y a une association qui s’appelle « Jeunes errants », qui travaille
avec le Maghreb, et leur travail est intéressant parce qu’ils ramassent les enfants, ils travaillent avec le juge et les
services sociaux et surtout ils ont des liaisons avec le Maroc, l’Algérie, la Tunisie, avec tous les pays du
Maghreb, et à chaque fois qu’ils arrivent à savoir d’où un enfant arrive, il y a des appels avec le pays pour le
ramener si c’est possible.
Question
Est-ce que vous pouvez nous dire qu’elles sont les possibilités qui sont ouvertes pour les personnes
prostituées de se réinsérer ?
Christophe Caresche
Il existe des réponses mais très insatisfaisantes. Nous, à la ville de Paris, on a essayé avec le Bus de
Femmes de monter un programme avec l’ANPE pour essayer une réinsertion professionnelle. La vérité, c’est que
les personnes prostituées qui veulent sortir de la prostitution ont beaucoup de mal. D’abord parce que les revenus
sont sans commune mesure avec le travail ou l’aide sociale, même s’ils sont bien moindres qu’auparavant. Donc
beaucoup ont beaucoup de mal à sortir du système, on peut le comprendre.
En plus, il faut prendre en compte le phénomène de la drogue. C’est-à-dire beaucoup sont quand même
sous son emprise. C’est un des éléments qui fait que la prostitution est tolérable. Ce n’est pas qu’un problème de
revenu, mais c’est aussi celui de supporter la prostitution. On se drogue évidemment, avec la complicité des
proxénètes qui voient aussi un moyen de ne pas avoir de problèmes avec la prostituée pour mieux la contrôler.
Alors on se retrouve dans des situations qui sont inextricables, il faut dire clairement les choses. Les prostitué(e)s
qui sont sous son emprise, qui prennent du crack sur le boulevard de la Chapelle, leur avenir est quand même
extrêmement compromis. Ce sont des situations qui sont difficiles à gérer.
C’est pour cela que je reviens sur la pénalisation du client. Agir sur la demande, c’est aussi très efficace.
Je parle encore une fois d’un point de vue économique ou libéral. Vous faites peur au client, il y a moins de
clients donc moins de prostituées. Même si c’est vrai qu’il y a beaucoup de difficultés à cela, comme je l’ai dit
tout à l’heure.
En Suède, il y a un système qui a permis de détourner un peu les réseaux. C’est plus difficile, d’autant que
la Suède est encore plus proche que nous de toute cette problématique des pays de l’Est. C’est vrai que du fait de
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la législation suédoise, les réseaux ont plus de mal à s’y implanter. En revanche, les Pays-Bas et l’Allemagne qui
sont des pays réglementaristes ont à la fois la prostitution réglementée, mais aussi la prostitution illégale. Mon
point de vue, c’est que le fait de réglementer ne limite pas le phénomène. Je dirais presque que cela l’encourage.
Et évidemment, les prostitué(e)s sont soit-disant libres… Dans les faits, ce n’est pas vrai. On a légalisé et l’on a
mis au grand jour des réseaux de prostitution. C’est d’ailleurs toute l’ambiguïté de ce système réglementariste.
C’est-à-dire que la prostituée a certes sa vitrine, mais elle est liée à un proxénète, à un réseau plus ou moins
mafieux. C’est-à-dire que le système réglementariste, il entretient, il permet même aux réseaux de se développer.
Quand j’étais à La Haye, leur grand problème était de limiter le nombre de vitrines parce qu’ils avaient
une explosion du phénomène. Il faut bien comprendre qu’aux Pays-Bas, cette situation est liée à une philosophie
très différente de la nôtre, une logique très utilitariste. C’est pareil pour la drogue. Ils traitent les nuisances, ils
traitent les problèmes d’ordre public, mais ils ne traitent pas le phénomène lui-même. Pour parler clairement un
trafiquant de drogue qui a pignon sur rue, mais qui ne créée aucun désordre, tout le monde sait qu’il est là, la
police sait très bien ce qu’il fait, mais personne n’ira l’embêter. À partir du moment où son activité est organisée,
et où il ne créée aucun problème ni aux voisins, ni à personne, l’activité est tolérée. En revanche, un trafiquant de
drogue, peut-être à une échelle beaucoup moindre, qui pose un problème parce que l’immeuble est squatté… , et
bien là, tout de suite, lui est sanctionné, et très lourdement, je dirais même. Il est sanctionné d’ailleurs
immédiatement au porte-monnaie, c’est-à-dire que les principes de sanction sont des sanctions financières. On
lui met des amendes considérables du jour au lendemain, y compris, s’il y a des squats, ce que l’on ne peut pas
faire en France finalement. La puissance publique peut prendre l’immeuble, et l’accaparer ; c’est-à-dire que
même le droit de propriété n’est plus respecté. Mais ce n’est que dans une perspective de traiter l’ordre public et
les nuisances. C’est pareil pour la prostitution, ils ont une démarche extrêmement rationnelle, et ils expliquent
cela très bien. Il y a un commissaire de police qui nous a expliqué cela très, très bien. « Lui, il est dans un
phénomène de régulation. De toute façon, la prostitution, c’est le plus vieux métier du monde, il est illusoire de
penser… Chacun fait ce qu’il veut. C’est la sphère privée, donc on n’a pas à s’en occuper. La seule chose, il faut
que cela soit bien organisé, bien régulé. Il ne faut pas que cela embête d’autres personnes. » Voilà. Mais derrière
tout cela, il y a des phénomènes de trafics, de blanchissement d’argent considérables. On sait que les Pays-Bas
sont une des plate-formes du blanchiment d’argent en Europe. Donc il y a une tolérance. Et c’est très difficile
pour nous sur le plan culturel de se mettre à leur place et de comprendre leur logique.
Par exemple, c’est pareil pour les prisons. Encore que ce sont des problèmes qui ont un peu changé. Ils
ont 20 000 places de prison, mais avec un principe qui est que chaque prisonnier doit avoir sa place en prison,
seul. Du moment que les 20 000 places étaient occupées, et bien, on ne mettait plus les gens en prisons, ou alors
on faisait sortir des prisonniers. On n’imaginait pas comme on le fait en France de mettre des gens et d’en
empiler. En France, un juge ne peut pas dire, même si dans les faits cela se fait, qu’il y a trop de prisonniers,
donc qu’il ne met plus en prison. Ce n’est pas possible.
De même, que pareillement, aux Pays-Bas, la police intervient en fonction de l’intérêt financier de
l’opération, et non pas, en fonction de la gravité. Ce qui les intéresse, c’est de savoir si la sanction qu’ils vont
pouvoir établir rapporte de l’argent à l’Etat. Ils sont là aussi sur une politique uniquement utilitariste. Il y avait
des policiers français dans le cadre de coopération qui étaient là, qui avaient connaissance de trafics monstrueux
et qui disaient à leurs collègues hollandais qu’il fallait quand même faire quelque chose, et les Hollandais
répondaient que non parce que cela allait coûter cher, parce qu’il fallait faire des filatures, mettre en œuvre un
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certain nombre de moyens… Donc on considère que les moyens que l’on va engager ne compensent pas ce que
l’on va en tirer. On est dans une logique protestante, très différente de la nôtre, et il faut bien comprendre que
derrière tout cela, il s’agit de phénomènes qui seraient absolument impossibles d’expliquer en France. Il y aurait
un soulèvement de la population française.
Il faut comprendre que cette logique réglementariste est quand même très liée à cette culture. Par ailleurs,
ils en reviennent aussi parce qu’ils se rendent bien compte que dans le cadre, notamment, de l’harmonisation
européenne, ces questions vont devenir des problèmes européens. C’est-à-dire que la question des
harmonisations des législations sur la prostitution notamment va se poser un jour ou l’autre. Pourquoi ? Parce
que les pays européens se « refilent » les prostitué(e)s, comme ils se refilent les demandeurs d’asile ou les
immigrés en situation clandestine. On l’a vu avec Sangatte. La question à un moment ou à un autre va se poser la
question de savoir comment les pays européens vont arriver à régler ce problème. Alors Sarkozy a fermé le jeu,
les Suédois également. Ils vont bien quelque part. Les Allemands et les Hollandais commencent à comprendre
qu’avec leur système, ils sont submergés par le phénomène puisque là-bas, la reconnaissance fait que les réseaux
s’installent facilement.
Donc la question est de savoir quelle va être la position de l’Europe sur ces questions ? Et de plus en plus,
on est en train de communautariser ce que l’on appelle les affaires intérieures dans le jargon communautaire, tout
ce qui est question de police, de justice, d’immigration parce que ces phénomènes ne peuvent plus être abordés
qu’au niveau européen vu leur ampleur. Ce sont des problématiques où clairement on repousse le phénomène
chez le voisin.
Question
Et en ce qui concerne la prostitution chez les jeunes mineurs ?
Christophe Caresche
Il y a une progression très importante du nombre de mineurs qui sont acceptés dans les foyers. À Paris,
nous sommes passés de 200 à plus de 800 de sollicitations. Il y a un autre problème qui se greffe là-dessus, c’est
que ces mineurs ne restent pas dans les foyers. En réalité, ce qui se passe, c’est que ces mineurs passent devant le
juge, le juge les place et il y a deux phénomènes qui se passent, soit le mineur part de lui-même, soit il y a des
pressions de son entourage pour le faire partir. Ce sont des foyers qui sont ouverts, évidemment. Ce ne sont pas
des foyers fermés avec des miradors, bien naturellement. Donc, en réalité ces populations sont très instables.
Pour les Roumains, il y a eu un déplacement. C’est-à-dire qu’au départ, ils vivaient essentiellement du
pillage des horodateurs, et il y a eu un report sur la prostitution parce que l’on a sécurisé les horodateurs, pour
vous dire très clairement les choses. Et cette source de revenus étant coupée, ils se sont en partie retournés vers
la prostitution. Les mineurs qui arrivent seuls à la Gare du Nord, envoyés par leur famille, parfois dans des
conditions d’inconscience de ce qui va se passer, sont tout de suite pris là-dedans. Les familles ne savent pas
forcément ce qui se passe. C’est pour cela que le retour dans les familles est parfois difficile. Cela se fait. Par
exemple, « Jeunes errants », ils prennent contact avec les familles. Ils ne savent pas nécessairement ce que faisait
le mineur, mais enfin en expliquant que l’enfant est en danger…, Les familles peuvent le reprendre.
Évidemment, ce n’est pas toujours aussi caricatural.
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Donc ils arrivent à la gare du Nord, ils tombent sur un jeune Roumain, et ils sont tout de suite embarqués.
Il y a la solidarité. Ils vivent dans des squats soit à Paris, soit dans la proche banlieue dans des conditions de
précarité totale.
Question
Moi, je voudrais savoir si à Aides, vous faîtes quelque chose pour inciter ceux qui viennent vous voir à
s’en sortir, même s’ils sont satisfaits de la vie qu’ils mènent.
Alexandre Myszkowski
Je pensais que vous pourriez le comprendre assez facilement : c’est totalement impossible. Et puis je me
demande jusqu’à quel point on a vocation ici à intervenir, notamment par rapport à cette prostitution dont on
parlait tout à l’heure, qui est, j’ai envie de dire, peinarde, mais ce n’est pas cela. La personne qui se prostitue, qui
est très bien comme cela, qui ne souhaite pas forcément que cela se sache, qui le vit bien et sur laquelle les
pouvoirs publics ou même les associations ne peuvent avoir emprise, si elle nous dit que ce que l’on peut faire,
nous, c’est de fournir des préservatifs. Et il y en a des prostituées qui viennent, qui sont en très bonne santé. Pour
ceux que l’on suit, ils viennent, ils prennent un peu de gel, des préservatifs et ils s’en vont.
Question
Concernant les propos de Monsieur Caresche, je tiens à dire que je trouve que sa référence à l’offre et à la
demande n’est pas valable en ce qui concerne la prostitution. Que ce n’est pas la demande qui incuit l’offre, mais
l’offre qui crée la demande dans un système économique.
Christophe Caresche
Je prends acte du fait de votre meilleure connaissance en matière économique, bien volontiers. J’ai pris
cette image de l’offre et de la demande parce, ce qui me préoccupait, c’est effectivement qu’il y avait quand
même dans l’acte de prostitution une responsabilité que je ne pose pas en termes de culpabilité ou de sanctions,
mais du client qui me paraît assez évident. J’ai dit tout à l’heure, et l’on a tous dit, que les angles sont complexes,
sont divers. On ne peut pas réduire ce phénomène à une réalité. Et d’ailleurs, depuis que j’ai déposé cette
proposition de loi, j’ai travaillé sur ces questions. Je reconnais bien volontiers que j’ai été sensible à un certain
nombre d’arguments par celles qui développent une critique, que je crois par certains points juste, d’une certaine
forme de féminisme. Je trouve aussi que c’est une erreur de réduire la question de la prostitution à une question
de victimisation de prostituées, parce que manifestement cela ne correspond pas à la réalité. C’est une approche
qui peut effectivement induire l’immixtion de la puissance publique dans l’affaire privée. En même temps, il y a
des interrogations sur la façon dont un ou une prostituée vit sa propre sphère privée et sa propre liberté.
Alors, c’est vrai, encore une fois, que l’on est face à des phénomènes extrêmement divers, et moi, je ne
prétends pas clore sur cette question, dire qu’il faut prendre telle ou telle orientation mais il y a aussi des réalités
qui sont très difficiles. La prostitution, c’est aussi un moyen d’asservissement. Je ne dis pas que cela l’est
toujours, mais cela l’est.
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D’ailleurs, c’est très intéressant, parce que si ce débat est aussi vif et aussi passionnel, c’est qu’il dépasse
le phénomène de la prostitution. On touche à des choses profondément inscrites dans notre société, et la façon
dont les uns et les autres, nous vivons les choses ensemble.
Je n’ai pas de réponses. J’entends ce que vous me dites comme j’entends aussi celles qui considèrent que
la prostitution est aussi une violence particulière faite aux femmes, etc. Je n’ai pas de réponses. C’est pour cela
qu’il y a ce débat ce soir.
Christiane Grosse
Si vous êtes intéressés par ce sujet, vous pouvez prendre contact avec des associations de terrains. C’est
vrai que l’on n’a pas de réponses vraiment, et que l’on apprend tous les jours.
Alexandre Myszkowski
Et puis, on a besoin de bras
Christiane Grosse
On a besoin de bras. Vous pouvez prendre contact avec Aides, le Bus des Femmes, ou d’autres, et à ce
moment-là vous vous formerez une opinion
Christophe Caresche
Sur la question de la connaissance, il y a quand même un élément important. Il faut absolument que l’on
ait de moyens de connaissance beaucoup plus développés, sur les personnes prostituées, sur les réseaux. Il y a un
certain nombre d’études qui sont en cours. Il y a à la Ville de Paris deux sociologues qui mènent une étude sur
ces questions, dont l’une qui s’appelle Janine Moususlavo qui a écrit récemment un livre sur le comportement
sexuel des Français. Oui, la question des connaissances est très importante.
Christiane Grosse
Vous pouvez venir à la Fondation Scelles. Nous avons un important centre de documentation sur la
question où vous pourrez vous informer sur la question. J’ai apporté par ailleurs de la documentation que vous
trouverez à l’entrée, dont un questionnaire sur le phénomène de la prostitution qui est à retourner.
Le Modérateur, Jean-Marie Pierra
Le mot de la fin sera peut-être pour Aides ?
Alexandre Myszkowski
En fait, je me demande, en nous écoutant ce soir, si l’on n’est pas peut-être un peu trop ambitieux. La
dernière intervention m’intrigue parce que je me dis qu’il y a quelque chose que l’association Aides n’arrive pas
à faire passer, nous n’avons pas l’intention de soulever la question public-privé, la question des pathologies, la
question de l’acceptation de son corps. Dans ce que j’ai dit, c’est d’abord l’idée de dire que le texte de Sarkozy
n’était pas nécessaire. Il existait des textes déjà, il faudrait d’abord les appliquer.
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Ensuite, peut-être que je suis un libéral, mais j’ai envie de dire de laisser les prostitué(e)s. Je ne voudrais
pas que cela soit mal interprété… Assurons-nous déjà que celles ou ceux qui le souhaitent puissent exercer un
métier, après effectivement en faire un métier, lui conférer un statut. Assurons qu’elles puissent le faire dans des
conditions décentes. De ce point de vue-là, je trouve que les moyens ne sont pas du tout à la hauteur. Cela est
une chose, je trouve, que le texte de Sarkozy aurait pu renforcer, les moyens de lutte contre le proxénétisme et
tout ce qui l’entoure, le rapport de domination. Pour le reste, à ma modeste échelle, j’ai le sentiment que l’on fait
un travail qui est lourd, et vous dites que nous ne le faisons que deux fois par semaine, et bien vous avez
parfaitement raison, et les prostitué(e)s ne sont pas là que le mardi et le vendredi, elles ou ils sont là toute la
semaine. J’ai envie de vous dire que l’on manque de bras. Il n’y a que 25 volontaires. Je vous disais qu’il y avait
100 lieux de « drague », mais ce sont des lieux où vous pouvez trouver des rapports de prostitution. Quant à
savoir s’ils sont contraints ou pas, je n’en sais absolument rien. C’est vous dire l’immensité de la tâche. Je ne sais
pas ce que l’on va faire de ce point de vue-là, mais je répète que, moi, ce qui m’importe vraiment, et j’espère que
l’on arrive à faire à travers nos interventions, c’est de faire en sorte que la forme prostitutionnelle, celle de la
Porte Dauphine notamment, elle soit exempte de rapports de violences. C’est cela qui m’importe. Quand je dis
violence, c’est une violence très large ; ce n’est pas qu’une violence physique. C’est se faire aussi violence à soi
que d’être dans un état de santé déplorable, que de ne pas s’entretenir ou de ne pas pouvoir s’entretenir. Il y a des
prostituées qui ne s’entretiennent pas non plus parce qu’elles sont dans un état de déni d’elles-mêmes, ou d’euxmêmes parce que j’ai envie aussi de parler de garçons. C’est terrible à chaque fois de devoir féminiser, dans la
mesure où on rencontre peu des femmes à Porte Dauphine. Je peux vous assurer qu’il y a des garçons qui se
prostituent parce qu’ils ne s’acceptent pas en tant qu’homosexuels, parce qu’ils ne se définissent même pas
comme homosexuels, quant à savoir de quelle sexualité ils sortent, on est très loin de savoir si le public ou le
privé doivent s’accaparer le sujet. C’est énorme, énorme, énorme…
On ne l’a pas évoqué tout à l’heure, mais c’est important qu’on le cite, c’est tout le travail qui doit être
fait autour de notre vie, à l’école, du travail qui doit être fait à l’école vis-à-vis de celui qui pourrait être plus tard
un client. Savoir qu’effectivement un rapport sexuel n’est pas forcément tarifé.
Maintenant, il n’y a pas non plus de jugement chez moi. J’ai pu entendre à la Porte Dauphine, « J’ai un
rapport qui est tarifé, oui, cela m’excite. Cela participe de mon excitation ». Donc, si la prostituée en face n’est
pas l’objet d’une contrainte, j’aurais du mal, moi, intervenir et à dire « Attendez, il faut que l’on commence à
réfléchir si Monsieur n’est pas victime d’une pathologie ».
Maintenant, il y a aussi un travail pour que le gamin qui, à 18 ans, se ressent homosexuel, il ne s’arrête
pas sur un trottoir. Finalement, c’est le seul moyen qu’il entrevoit de vivre une sexualité qui est, vous vous en
doutez, déplorable. Je veux dire que ce n’est pas une façon de vivre sa sexualité que de la vivre contrainte, sous
argent. Cela ne ressemble à rien.
C’est une queue-de-poisson cette conclusion, mais c’est pour vous dire que, chaque fois que j’y vais, j’ai
conscience que la tâche est énorme.
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