le scenario de film

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le scenario de film
ETUDES LITTERAIRES
LE SCENARIO DE FILM
VOLUME 26, N° 2
AUTOMNE 1993
FOCALISATION
ET STRUCT URE DU
TEXTE SCENARIQUE
jean Chateauvert
• Lorsqu'on lit des articles et des livres qui
abordent le texte scenarique et qui problematisent la question de la narration et de la
focalisation dans le scenario, on s'etonne de
voir a quel point Jes analyses sont empreintes
des modeles d'analyse litteraire. En fait, elles
empruntent des modeles theoriques et des
grilles d'analyse a la narratologie litteraire et
abordent le texte scenarique com me s'il s'agissait
d'un texte romanesque, c'est-a-dire qu'on repere des modalites de focalisation liees a la
perception et a la cognition dans les indications de regie OU didascalies du scenario comme
on le fait dans le roman. Le chercheur convoque alors des instruments developpes pour
rendre compte du recit scriptural et Jes utilise
pour analyser la structure narrative et enonciative explicitee dans le scenario.
]'a1,ialyse ici le texte scenarique, c'est-a-dire
ce texte sur lequel on se fondera pour realiser
un film - je laisse de cote Jes definitions plus
strictes, je ne m'interesse qu'au statut du texte
- ; or lorsqu'on lit des analyses de textes
scenariques, on trouve souvent des references
a des textes dont le statut est parfois ambigu
voire explicitement problematique. Ainsi, Jes
auteurs analysent parfois Jes textes publics
dans la revue l'Avant-scene, textes qui sont
pour la plupart ecrits apres le montage final du
film. II ne s'agit alors pas d'un texte scenarique
mais bien d'un texte qui decrit le film deja
existant - avec parfois au passage des elements figurant dans le scenario et disparus
dans le film, OU a I' oppose des Clements apparus au tournage. Pareillement, quantite de textes publies sous forme de livres et que certains
citent comme des scenarios sont en realite des
textes qui decrivent des films et qui empruntent une rhetorique de type scenarique : « Interieur jour, l'homme s'approche de la femme »,
mais qui sont neanmoins explicitement situes
comme des textes posterieurs au film 1 •
1 Ainsi Jes textes de Paris Texas, Chinatown, Full Metal jacket, Notorious, Hiroshima mon amour, l'Avventura, Sous /es
toits de Paris, etc., que !'on voit souvent analyses comme des scenarios, sont en fait des textes etablis apres coup, ou reamenages
d'apres le film.
:f:tudes Utteraires Volume 26 N° 2 Automne 1993
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ETu DE S LITTERAIRES VO
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Suivant Ge net te, la foc alis atio
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dan s le sce nar io (je rev ien dra
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2 On con sult era sur ce cha
e !es distinctions que prop ose
20
Isabelle Raynauld.
TEXTE SCENARIQUE
FOCALISATION ET STRUCTURE DU
acce s a
so it un suje t qui« justi fie » que l' on ait
e.
telle info rma tion et non a telle autr
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Il en resu lte, com me le soul igne Edw
segr un
Branigan, une limi te epis tem ique pou
.
men t du scen ario
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Le point de vue ne corre spon d
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specifique mais a une limite episterniqu
un autre ensemsse
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laquelle un ensemble d'eno nces
t episternique
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(p. 172 ; traduit par
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Dan s un text e ecri t et dans un film
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Au sein d'un scen ario , la rhet
l'ana lyse :
ture du text e com pliq uent cepe nda nt
ent, pou r
le text e dida scal ique com pren d souv
verb es
ne pas dire de fac;on quas i obli gee, des
», « we
de perc epti on, « on voit », « we see
ains i de
hear », « il app arai t dev ant elle » et
tien t au
ici
pose
se
qui
suite . Or la que stio n
dans un
:
on
epti
perc
statu t de ces verb es de
film du
un
dans
text e rom anes que, com me
la perde
e
rest e, con voq uer la mise en scen
le
dans
cept ion indu it d'em blee une tang ente
es
verb
reci t. Dan s un scen ario , con voq uer des
ifie
sign
ne
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X
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«
dire
de perc epti on et
tion
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bien
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pas que lque rest ricti on
et gene re
d'un univ ers qui sera a la fois perc;u
ent dit,
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Aut
par une cam era (et un mic ro).
didasles
le verb e de perc epti on figu rant dans
orepr
calie s et qui, dans d'au tres con text es,
con text e
duit un acte de perc epti on a, dans le
tion de
fonc
r
pou
,
ario
prag mat ique du scen
endr a un
cree r l'un iver s dieg etiq ue qui devi
t analypeu
ne
ori
ant,
eno nce audi ovis uel. Part
sein
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on
epti
perc
ser la mise en scen e de la
n
fac;o
e
mem
la
du disc ours dida scal ique de
de
e
verb
le
:
que
que dans un eno nce rom anes
erso nperc epti on qui conv oqu e le « on » imp
du rest e,
nel de l'en onc iatio n - un «on » qui,
bina ison
peu t etre inte rpre te com me une com
fond e le
du spec tate ur et de l'ins tanc e qui
gen erer
de
tion
fonc
r
pou
disc ours film ique - a
le mon de de la fiction.
ion
Au rega rd de la defi nitio n de la foca lisat
conle
que
rapp elee plus haut , on rem arqu e
part icutext e scen ariq ue indu it une lect ure
de perliere des verb es relat ifs aux activ ites
scalies
ception : leve rbe de perc eptio n dans les dida
revi ena - sauf exce ptio ns sur lesq uell es on
uire
trod
d'in
t
poin
non
dra - pou r fonc tion
une
,
ique
tem
epis
te
limi
une rest ricti on, une
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bien
mais
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n
« sele ctio n de !'inf orm atio
le
r
cree
de
ese,
gen erer le mon de de la dieg
.
film
le
par
mon de qui sera visualise, real ise
de ces
On ne saur ait cepe nda nt con clur e
ion dans
rem arqu es qu'i l n'y a pas de foca lisat
au cons
croi
je
:
ario
scen
les dida scal ies d'un
e des
port
com
ue
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trair e que le reci t scen
e
etud
leur
que
proc edes de foca lisat ion mais
.
iers
icul
nece ssite des outi ls con cept uels part
trales
Ace chap itre, on ne peu t qu'e voq uer
a rele ve
vaux de Jacq ueli ne Visw anat han qui
s l'int rodans des analyses tres conv ainc ante
epti fs
perc
ion
lisat
foca
de
duc tion de proc edes
ario .
scen
du
ies
scal
et cogn itifs dans les dida
sdida
ours
disc
Elle a ains i dem ontr e que le
ra. Entre film et roma n,
;ois Jost et plus particulierement l'<Eil-came
3 On verra ace sujet les travaux de Franc
.
sation
omen e plus general de la focali
l'ocularisation et l'auricularisation du phen
21
oil il distingue
ETUDES LITTERAIRES
I
I
I
I
I
VOLUME 26 N° 2
calique pouvait parfois mettre en scene le
point de vue d'un personnage 4 • Je soulignerai
simplement que la focalisation implique l' existence d'un ou de plusieurs sujets tenant lieu
de filtre et modulant notre savoir. Dans le
contexte scenarique, la focalisation est une
combinaison de restriction et d'ajout d'information qui fait en sorte que le spectateur
eventuel saura ou nonce que pense ou pef(;oit
le personnage. Partant, on ne saurait en aucune
fac;on considerer le spectateur comme le sujet
de la focalisation : celle-ci correspond a la
mise en scene de points de vue perceptifs et/
ou cognitifs dans le texte, soit aufait d'adopter
des limites epistemique s corresponda nt a un
personnage OU, a !'oppose, au fait de demeurer exterieur aux personnages qui paraissent
alors opaques.
Ace premier niveau d'analyse, lafocalisatio n
implique que le« sujet-narrate ur • du scenario
marque Un acces OU non a l'interiorite des
personnages et reproduise ou non leur pensee
et leur perception. Cet acces, OU a !'oppose
cette position exterieure, se traduira eventuellement pour le spectateur comme un mode
de focalisation du recit qui lui fera adopter OU
non la position cognitive d'un personnage. On
ne saurait done parler du spectateur eventuel
comme d'un pole de focalisation : son role se
limite a etre le destinataire du futur recit filmique. Un premier niveau d'interventi on de la
focalisation, qui se traduit dans la facture du
texte scenarique comme la mise en scene de
points de vue epistemique s OU perceptifs, Vient
ainsi d'etre dessine.
AUTOMNE 1993
En travaillant sur l'apport du narrateur en
voix over dans le film, j'ai ete conduit a reexaminer la structure narrative du film non plus
comme une donnee consubstanti elle ala structure
enonciative - ce qui est le cas dans le roman
- , mais comme une organisation qui repose.
sue un concept d'attribution qui fait en sorte
qu'un segment d'histoire, quel que soit son
mode de realisation, est attribue aun personnage. Ce dernier assume alors ce qu'on appelle !'attitude propositionn elle. En voici un
exemple filmique concret : un personnage raconte
verbalemen t une histoire a un autre personnage ; son re cit verbal s' eclipse et nous glissons subtilement de la situation de recit verbal
a un segment audiovisuali se qui illustre ce
recit. En termes de structure enonciative, on
ne peut legitimemen t attribuer au personnage
le materiel enonciatif audiovisuel qui illustre
son recit, bien qu'il soit l'instigateur de cette
scene. II assume done une responsabili te a
l'egard de ce segment qu'on appelle I' attitude
propositionn elle ; ainsi, quoique le materiel
audiovisuel qui illustre son recit depasse sa
responsabili te enonciative, ii n'en demeure
pas moins que c'est le narrateur verbal qui
determine !'existence du monde enchasse et
qui fait que l' on percevra ce monde comme un
souvenir, comme un reve, comme un fantasme, etc.
En travaillant sur les procedes de focalisation
au cinema et plus exactement en cherchant a
proposer une typologie des differents procedes, ii m'est apparu que cette relation d'attribution, qui se traduit par une attitude propo-
4 Jacqueline Viswanathan, 1982 et 1987 ; voir aussi]acqueline Van Nypelseer et Esther Pelletier.
22
FOCALISATION ET STRUCTURE DU TEXTE SCENARIQUE
sitionn elle, laquel le determ ine le niveau et
I' existe nce d'un monde , induit une focalis ation
au sein meme de la struct ure du recit : ainsi un
segme nt relatan t un episod e passe appara it
non pas comm e une versio n object ive des
evene ments passes mais bien comm e « la version de X ou de Y ». Concr eteme nt, lorsqu 'il y
a un flash-a rriere tel celui qu'am orce le personna ge qu'inc arneJo an Fontai ne et qui constitue quasi tout le scenar io du film Rebec ca
(Hitch cock, 1940), le specta teur a le sentiment d'assis ter a une versio n subjec tive des
faits, au recit que l'hero ine en donne . Des
films tels Rasho mon (Kuros awa, 1950) ou
Citize n Kane (Welle s, 1941), qui livren t differentes versio ns des meme s evenem ents, jouent
sur cet effet de focalis ation en creant des
contra stes entre les differe nts recits : la subjectivi te inhere nte a chacu n d'eux appara it
alors dans les ecarts qui demar quent les differentes versio ns.
Reven ons au scenar io. On Vient de voir que
la struct ure narrati ve, soit le fait de produ ire
un recit dans le recit, se demar que de la structure enonc iative qui repose sur les materi aux
enonc iatifs. ]'ai aussi soulig ne que l'attrib ution
d 'un segme nt aun person nage induisait d' entree
de jeu une focalis ation du recit. Lorsq u'on
essaie de reflec hir ala struct ure du recit scenarique, comm e celle que metten t en scene Citizen
Kane ou Rebec ca, on est immed iateme nt confronte a ce qu'on pourra it appele r }'abse nce
d'une struct ure discur sive sembl able a celle
d'un roman ou d'un film. Dans un roman , les
indica teurs linguis tiques, l' enchas semen t enonciatif, les guillem ets, etc., marqu ent la relatio n
entre les differe nts eleme nts et dererm inent
au Sein meme de la structu re lingui stique le
statut d'un discou rs, narrat if ou non. Dans un
film, les repere s sont d'entr ee de jeu plus
evanes cents, souve nt lies aI' interv ention d'un
narrat eur en voix over ou aun fondu qui cree
un effet de joncti on entre un person nage et un
sous-s egmen t repres entant son recit, son reve,
son fantas me, etc. Dans un scenar io, les Clements sont encore plus evanes cents. En fait,
on ne retrou ve aucun indica teur explic ite qui
marqu e la relatio n entre deux segme nts de la
sorte, aucun signe qui perme ttrait de situer un
segme nt par rappo rt a un autre.
Ainsi dans Rebec ca peut-o n lire une simple
indica tion techni que qui separe la seque nce
d'ouve rture du recit compo sant l'essen tiel du
film : « Simult aneous ly with the final words
the pictur e. LAP DISSOLVES TO: Exteri or Cliff top - Close up - DAY »(Rob ert Sherw ood
et Joan Harris on, p. 1). Qu'est -ce qui articul e
le segme nt qui s'amo rce ici avec la seque nce
de reve au debut du film ? On le voit, OU plus
exacte ment on le lit bien, ce ne peuve nt etre
les didasc alies qui n'ont d'autr e foncti on que
de demar quer les segme nts l'un de l'autre .
Lorsqu 'on exami ne le scenar io, il appara it que
les indica tions qui perme ttent de situer tout le
passag e qui s'amor ce a ce mome nt, lequel
relate la rencon tre des person nages et la vie a
Manderley, ne se situen t pas dans les didascalies mais bien dans la repliq ue du person nage : « I - But somet imes in my dream s I do
go back to the strang e days of my life which
began, for me, on the top of a cliff, in the South
of France » (ibid.) . On voit sans peine que
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ETUDES LITTERAIRES
VOLUM E 26 N° 2
AUTOM NE 1993
l'articu lation entre les segme nts vient de ce
que l'on lit une contin uite entre le discou rs
verbal et le segme nt audiov isuel. L'on attribu e
ainsi l'attitu de propo sitionn elle de l'episo de
relatan t l'enfan ce de Kane au recit ecrit de
Thatch er que lit le journa liste ; du coup, le
monde visuali se appara it non pas comm e un
fait « object if » mais bien comm e la versio n
que Thatc her donne de la rencon tre et de
l'ascen sion de Kane.
On voit dans ces exemp les que, si !es indications de regie appor tent des inform ations qui
perme ttent de situer a un premi er niveau des
segme nts dans une contin uite, ii s'agit alors
d'un segme nt passe, contem porain , dans un
futur proch e, dans un futur lointai n, dans un
temps indisc ernabl e, etc., dans le meme lieu,
dans un autre lieu, etc. L'artic ulation qui permet de les defini r et de les situer les uns par
rappo rt aux autres se fonde, elle, sur la structure narrati ve, laquel le repose sur le locus de
l'attitu de propos itionne lle : un segme nt appara it
passe, hypoth etique , futur, fictif, etc., parce
qu'il est interp rete a la lumier e de l'attitu de
qu'eng endre un person nage. II en decou le du
coup ce qu'on a appele la focalis ation par
effet-s ujet qui repose sur la structu re narrati ve
du recit : le recit se situe, l'espac e d'un flasharriere , d'un flash-a vant, dans un registr e subjectif, parce qu'il reprod uit une versio n des
evene ments passes , celle que livre le sujetembra yeur. Et, comm e on le voit sans mal ici,
c'est en se refera nt ace sujet-e mbray eur que
l'on peut, comm e lecteu r, etablir I' articul ation
entre les segme nts du scenar io.
c'est precis ement la narrat ion verbal e qui determin e le statut du passag e et qui perme t de
dire que le nouve au segme nt qui s'amo rce est
en fait un souve nir ; aucun eleme nt dans le
texte didasc alique , aucun e autre indica tion
dans le scenar io, sinon precis ement le dialogue, ne marqu e l'articu lation entre les deux
segme nts. L'exem ple n'a rien d'exce ptionn el
et repres ente en fait la situati on standa rd du
texte scenar ique : le scenar io precis era le temps,
le lieu, le caract ere interie ur ou exteri eur de la
scene, parfoi s l'atmo sphere , mais ii ne marquera pour ainsi dire jamais le lien narrat if qui
unit deux segme nts ; ii revien t au lecteu rspecta teur de convo quer le dialog ue et/ou le
contex te dieget ique pour determ iner l' attitud e
propo sitionn elle dans un segme nt qui lui permettra d' etablir un lien, une joncti on entre les
passag es.
Preno ns un autre exemp le connu : lorsqu e
le jouma liste Thomp son lit le journal de Thatch er
dans Citize n Kane, le scenar io precis e :
«MANUSCRIPT, neatly and precis ely writte n» ;
on lit ace mome nt le conten u du journa l qui se
termin e par: « The facts are simple . in the
winte r of 1870 [... ] »(le texte est chang e dans
le film:« Ifirste ncoun teredM rKane in 1871 »).
Le scenar io precis e alors : « Exterior, Mrs Kane's
Board ing House - day - 1870 »; suit une
descri ption de la scene exteri eure (Herm an
Manki ewicz, p. 137). Comm e ci-hau t, le seul
texte scenar ique ne marqu e pas l'artic ulation
entre l'episo de ou le journa liste lit le journa l
de Thatc her et celui relatan t l 'enfan ce de Kane,
sinon que, par la date, ii situe l'episo de comm e
un fait passe ; l'elem ent qui perme t de pense r
24
FOCALISATION ET STRUCTURE DU TEXTE SCEN
ARIQUE
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n
Au terme de cette reflex ion sur le texte
scena rique, nous voyon s que le perso nnage
qui assum e une fonct ion de sujet- embra yeur
joue un role direct dans Ia struct ure du recit en
ce qu'il dema rque des segme nts, des «sous recits • au sein du scena rio et ce, quand bien
meme on ne peut lui en attrib uer Ia respo nsabilite mater ielle : son role de sujet- embra yeur
vient de ce qu'il assum e I' attitu de propo sition nelle qui perm et de situer un mond e. Nous
voyon s egale ment que, ce faisant, Ia relatio n
d'attr ibutio n indui t un mode de focali sation
qui fait qu'on a le sentim ent d'assi ster, non pas
a un simpl e sous-r ecit, mais bien a Ia versio n
perso nnelle que livre un perso nnage . Enfin, et
comm e je l'ai soulig ne tees rapide ment en
evoqu ant les travau x de quelq ues colleg ues, Ia
focali sation peut aussi etre analys ee au nivea u
des didasc alies dans Ia mesur e ou, de fas:on
plus ou mo ins explic ite, le discou rs scena rique
25
peut convo quer des point s de vue corres pondant a des perso nnage s.
II appar ait ainsi que Ia doubl e quest ion de Ia
narrat ion et de Ia focali sation dans un scena rio
neces site Ia mise au point d'outi ls theori ques
qui depas sent Ia contin gence de Ia respo nsabilite mater ielle, propo see par le mode le litteraire, et qui perme ttent de depas ser Ia rhetor ique du discou rs scena rique pour repen ser la
quest ion de la focali sation . En ce sens, le
mode le fonde sur Ia theori e des mond es et sur
!'attit ude propo sition nelle est une soluti on
theor ique possib le qui autori se une nouve lle
conce ption de Ia struct ure narrat ive du scena rio et une nouve lle probl emati sation de Ia
quest ion de Ia focali sation . ]' esper e que ces
nouve aux outils contr ibuer ont a clarif ier !'analyse du scena rio, mais peut-e tre aussi les
relatio ns qui peuve nt s'etab lir entre les theori ciens du cinem a et ceux de Ia littera ture.
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ETUDES LITTERAIRES
VOLUM E 26 N° 2
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