Elisabeth Lévy : «Le multiculturalisme bisounours est mort

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Elisabeth Lévy : «Le multiculturalisme bisounours est mort
Elisabeth Lévy : «Le
multiculturalisme bisounours est
mort»
A l’occasion de la sortie du dernier numéro de Causeur qui revient sur les
agressions sexuelles de Cologne, Elisabeth Lévy a accordé un entretien
fleuve à FigaroVox. Selon elle, cette affaire révèle un choc des cultures.
LE DERNIER NUMÉRO DE CAUSEUR
S’INTITULE «DES MIGRANTS ET DES
FEMMES, LE SYNDROME DE COLOGNE.»
SELON VOUS, LA NUIT DE COLOGNE
N’AURAIT PAS CETTE CHARGE SYMBOLIQUE
EXPLOSIVE SI LA DIMENSION SEXUELLE
NE SE DOUBLAIT D’UNE DIMENSION
CULTURELLE …
Oui, ce à quoi nous avons assisté, ou plutôt à quoi nous n’avons pas assisté,
ce n’était pas, comme certains et plus encore certaines l’ont répété,
l’énième avatar de la «domination masculine» exercée sans relâche par le
vieux mâle blanc, c’était, projetée sous un flash glaçant, l’image même du
choc des cultures. Il est là, il se déroule dans nos villes, sous nos yeux et
les apprentis-sorciers du multiculturalisme s’obstinent, non seulement à ne
pas voir, mais à invectiver et disqualifier tous ceux qui voient, rassemblés
dans de ridicules listes noires qui ne font même plus vendre de papier….
ET QU’Y A-T-IL À VOIR QU’ON NE VOIT PAS?
Si nous sommes embarrassés, gênés, s’il nous est si difficile de nommer les
choses, c’est parce qu’il nous faut faire appel à des catégories que notre
universalisme et nos lois récusent. Des hommes de culture arabo-musulmane ont
agressé des femmes occidentales, et en l’espèce, l’origine des coupables et
des victimes a joué un rôle dans le crime. De plus, à cette occasion, un coin
du voile s’est levé et on apprend que, dans toute l’Europe, des faits
similaires ont lieu à bas bruit, de façon moins spectaculaire, plus isolée
qu’à Cologne. Cela nous rappelle que les gens qui arrivent en Europe ne sont
pas seulement des icônes du dénuement, ils viennent avec leurs valeurs, leurs
représentations, et celles-ci peuvent entrer en confrontation avec les
nôtres, en particulier sur la question du statut et de la liberté des femmes.
Pour nous, un monde inégalitaire est tout simplement inimaginable. Pour une
partie des immigrés, c’est un monde égalitaire qui est insupportable.
On essaie de nous vendre un multiculturalisme heureux dans lequel toutes
les cultures se donnent la main et où un Autre gentillet nous dit « à toi
la mini-jupe, à moi la burqa, vivons avec nos différences inch’Allah ».
POUR VOUS, ON DIRAIT QUE C’EST UN MONDE MULTICULTUREL QUI EST INSUPPORTABLE.
MAIS QUE VOUS LE VOULIEZ OU NON, C’EST UNE RÉALITÉ!
Merci de me donner l’occasion d’éclaircir un malentendu sémantique. Le
multiculturalisme n’est pas un état de fait, c’est l’une des modalités
possibles d’organisation de la coexistence entre les différences, une option
qui consiste à placer toutes les pratiques culturelles à égalité. Le fait que
nul ne remet en cause, pas moi en tout cas, c’est que nous vivons dans des
sociétés multiethniques et multiconfessionnelles. Mais on peut faire le choix
de l’assimilation, ou de l’intégration républicaine, qui suppose que les
derniers arrivés et leurs descendants s’adaptent aux mœurs locales. Or, on
essaie de nous vendre un multiculturalisme heureux dans lequel toutes les
cultures se donnent la main et où un Autre gentillet nous dit «à toi la minijupe, à moi la burqa, vivons avec nos différences inch’Allah». Mais dans la
vraie vie, il arrive que nous soyons confrontés à un Autre prédateur et
hostile pour lequel ma mini-jupe signifie «à prendre». Pour résumer, le
multiculturalisme est une politique et c’est une politique qui ne marche pas.
QUE RÉPONDEZ-VOUS À DANIEL COHN-BENDIT QUI A RÉAGI À CES AGRESSIONS EN
RAPPELANT QU’ «IL Y A 250 PLAINTES À LA FÊTE DE LA BIÈRE CHAQUE ANNÉE»?
Je lui dis que, refuser de voir, c’est encourager tous les fantasmes et
toutes les généralisations. Qu’il y ait d’autres formes d’agressions, toutes
aussi condamnables, qu’il y ait des «violeurs de souche» n’enlève rien à la
singularité des agressions de Cologne, Stockholm et ailleurs, ni à ce
qu’elles nous disent de nos sociétés. Évidemment, tous les immigrés ne sont
pas des violeurs, mais à Cologne, tous les violeurs étaient des immigrés.
Cela ne signifie pas qu’il faut fermer nos frontières hermétiquement, mais,
d’une part, qu’il faut revoir à la baisse nos objectifs en termes d’accueil,
et d’autre part, que nous devrions choisir, parmi les candidats à
l’immigration chez nous, ceux qui sont susceptibles d’adopter notre mode de
vie de préférence à ceux qui vont renforcer des minorités séparatistes.
Puisque nous ne pouvons accueillir tout le monde, donnons la priorité à ceux
qui risquent le moins d’aggraver les fractures françaises et européennes.
Pas d’amalgame ! Il y a dans les élites des gens très lucides et il y a
des professionnels de l’aveuglement et de la repentance.
PLUS ENCORE QU’UN CHOC DES CULTURES, CETTE AFFAIRE RÉVÈLE-T-ELLE UNE FORME DE
HAINE DE SOI DE LA PART DES «ÉLITES EUROPÉENNES» …
Pas d’amalgame! Il y a dans les élites des gens très lucides et il y a des
professionnels de l’aveuglement et de la repentance. Autrement dit, il existe
bel et bien un parti de la soumission, parfaitement représenté par la maire
de Cologne qui a suggéré aux Allemandes de ne pas tenter le diable, et, en
France, par tous ceux qui suggèrent de ne pas s’énerver sur ces histoires de
statut des femmes parce que ça pourrait en froisser certains. Ainsi, quelques
jours après sa nomination, Jean-Louis Bianco, patron de l’Observatoire de la
laïcité, expliquait-il au Monde qu’il n’y avait aucun problème de laïcité en
France – c’est «l’observateur qui ne voit rien», pour piquer une formule à
Alain Finkielkraut. Mais au sein des élites aussi, la lucidité progresse. Et
le courage aussi: il en a fallu à Manuel Valls pour prendre la défense
d’Elisabeth Badinter et du camp laïque contre Nicolas Cadène, le numéro deux
de Bianco. Et pour assister à la réception de notre Finkielkraut national à
l’Académie. C’est la preuve que les lignes bougent. Nos confrères du Point
annoncent l’avènement d’une «gauche Finkielkraut». J’espère que leur
excellente trouvaille est en passe de devenir une réalité durable.
LES FÉMINISTES SE SONT ÉGALEMENT MONTRÉES DISCRÈTES…
Pas toutes! Des féministes historiques comme Anne Zelensky, dont nous
publions un article dans ce numéro, mais aussi toute une joyeuse jeune garde
regroupée autour de Yaël Mellul et Céline Pina, mise à l’honneur par mon
camarade Marc Cohen, se sont déchaînées contre le camp relativiste emmené par
l’inénarrable Caroline de Haas et Clémentine Autain.
Quand on lit Daniel Lindenberg, on dirait qu’il y a eu des attentats
identitaires et islamophobes en France… le problème de la France n’est pas
que les néoréacs aient pris le pouvoir, c’est le vide sidéral de la pensée
qui leur fait face.
LE DÉNI N’EST-CE PAS ÉGALEMENT LA RÉACTION DE NAJAT VALLAUD-BELKACEM FACE À
UN ISLAMISTE SUR LE PLATEAU DE CANAL+?
Je vous trouve très sévère. Elle a manqué de réflexe et alors? Qui peut
jurer, après coup, qu’il aurait eu la bonne réaction? Pas moi en tout cas!
J’ai mille critiques à faire à Najat Vallaud-Belkacem mais là on lui fait un
mauvais procès. En effet, je ne peux croire que son silence soit dû à une
forme quelconque de connivence avec les idées que défendait cet islamohumanitaire. Que celui qui, sur un plateau de télévision, n’a jamais eu
l’esprit de l’escalier, lui jette la première pierre. J’irais plus loin: ça
ne me dérange pas qu’on invite ce genre de personnage s’il est représentatif
d’une opinion répandue mais alors, il faut tirer les conséquences de ce qu’on
voit et de ce qu’on entend. Or, à l’évidence, l’équipe du «Grand journal» ne
savait pas à qui elle avait affaire. C’est fâcheux, mais des ratés de ce
genre, ça arrive tout le temps, il ne faut pas les surinterpréter.
L’invitation d’une professionnelle de l’insulte et du ressentiment dans une
émission du Service public face à Finkielkraut me paraît bien plus grave.
J’ai du mal à croire que personne, à France 2, n’ait intrigué pour faire
inviter en contrebande cette péronnelle haineuse qui s’est permis de dire à
Alain Finkielkraut qu’il était incompétent…
VOUS N’AVEZ PAS L’IMPRESSION DE LABOURER LA MER? QUATORZE ANS APRÈS, DANIEL
LINDENBERG, AUTEUR DU RAPPEL À L’ORDRE, CONTINUE DE FUSTIGER LES NÉO-RÉACS ET
DE FAIRE LA UNE DES JOURNAUX …
Oui, en lisant la «une» du Monde datée du 19 janvier sur «l’éternel retour»
des néo-réacs («Les néoréacs ont-ils gagné?»), j’ai eu l’impression de me
retrouver dans Un jour sans fin. À quatorze ans d’intervalle, Daniel
Lindenberg aura bénéficié de deux lancements en grande pompe… pour le même
livre. Trop fort! Entretemps, le «péril néoréac» est devenu un marronnier, la
liste noire, un genre journalistique et Causeur a été promu (par Daniel
Lindenberg) quartier général du camp du mal, c’est-à-dire de la révolution
conservatrice dont il nous annonce l’avènement. Sauf que ça ne prend plus.
Même au Monde, le cœur n’est plus à la chasse aux sorcières rouges-brunes.
Jean Birnbaum, qui était ardemment pro-Lindenberg il y a quinze ans, dénonce
aujourd’hui l’aveuglement de la gauche face à l’islam. Le réel est passé par
là, et le réel, ce sont les attentats islamistes, les Territoires perdus…et
Cologne. Or, quand on lit Daniel Lindenberg, on dirait qu’il y a eu des
attentats identitaires et islamophobes en France. Ce serait hilarant si ce
n’était pas inquiétant. En tout cas, ce genre de sornettes ne passe plus dans
l’opinion et c’est tant mieux. Parce que, désolée, le problème de la France
n’est pas que les néoréacs aient pris le pouvoir, c’est le vide sidéral de la
pensée qui leur fait face.
Elisabeth Lévy est journaliste et directrice de la rédaction de Causeur. Dans
son numéro de février, intitulé, «Des Migrants et des femmes, le syndrome de
Cologne», le magazine s’interroge sur les limites du modèle multiculturel.
PROPOS RECUEILLIS PAR ALEXANDRE DEVECCHIO
Source : Le Figaro Premium – Elisabeth Lévy : «Le multiculturalisme
bisounours est mort»