todo et readymade

Transcription

todo et readymade
TODO ET READYMADE
2007
Le readymade hante depuis un siècle le domaine artistique comme sa limite, son parage, sa
frange. Son esthétique « neutre » et « sèche », le déplacement de la notion d’auteur et d’objet,
l’accent porté sur la contextualisation institutionnelle de l’oeuvre, la question de la
standardisation industrielle, sont autant d’éléments qui ont nourris les débats esthétiques
jusqu’à devenir, à partir des années 80, un véritable lieu commun, passage obligé des esthètes
officiels pour qu’un objet acquiert le statut d’art contemporain. Le readymade, dénigré et tout
à la fois adulé, est devenu à son tour une norme, mais c’est le destin prévisible de toute
proposition venant troubler nos habitudes que d’être repris et instrumentalisé de la sorte. Le
readymade a coulé sur le socius. Le socius a fait son travail au fil des décennies.
Le readymade a été un élément de perturbation majeur dans le champ artistique, il devenu
avec le temps une norme et s’il questionnait la norme dès son origine, cette question est
devenue pour ainsi dire passive. Elle fait l’objet d’une complicité enre spécialistes. L’affaire est
entendue comme on dit. Faire aujourd’hui un readymade, et Duchamp avait critiqué d’avance
un readymade faisant école, faisant académie, c’est répéter un acte dans son écho, alors même
qu’il a déjà été entendu, reçu, perçu et pour ainsi accepté, peut-être pour d’autres raisons que
celles pour lesquelles il a été produit à l’origine.
Il y a à présent une inversion qui est aussi une radicalisation.
De nombreuses créations ne sont plus des readymades, la prise en main d’un objet
quelconque par la signature d’une personne et son déplacement dans le champ de
monstration artistique, mais des todo: des choses à faire.
Quelles sont ces choses à faire? Et que sont-elles avant d’être faites? Sont-elles dans cette
antériorité déjà des choses? Des choses à faire et non pas des choses toutes faites, c’est une
réversion dans le champ artistique, plus profonde et radicale que ce que nous entendons
encore par les formules utilisées, une réversion quant au pouvoir d’agir ou plus exactement au
possible (non au virtuel).
Tout se passe comme si le readymade avait nettoyé la production artistique depuis les années
60 (il est certes encore difficile de préciser quand le readymade a commencé à agir, il a été en
réserve pendant toute la première partie du XXème siècle) pour laisser une place vacante au
todo.
L’art programmé (cf « Card file » Robert Morris) fut peut-être une étape intermédiaire. Il est à
présent question, sous des formes différentes, de faire à partir de choses déjà faites, déjà sous
la main. Mais à la différence des readymades, ces choses intègrent d’avance l’utilisation, le
détournement, pour tout dire la coupure et le décodage puis le recodage, fut-ce dans un
contexte artistique. Il n’y a là aucune perturbation d’un ordre préexistant (la coupure du flux
comme révolution) simplement la continuation du flux, son devenir même par transduction.
On peut en trouver de nombreux exemples dans le domaine technologique, mais comprenons
bien que la problématique du todo ne s’y limite absolument pas. Les technologies sont tout au
plus paradigmatiques, de bons exemples, rien de plus qui témoignent de la transformation
radicale de la question du faire dans le champ esthétique contemporain.
L’esthétique par défaut proposée par Étienne Cliquet est une perspective du todo: dans les
systèmes informatiques, il y a déjà une esthétique implicite qui, de part son apparente
neutralité provoque notre oubli et donc la persistence passive de ses formes esthétiques. Ou
encore les API s’ouvrant à des Mashups n’appartiennent plus à une dynamique du
détournement utopique, mais plutôt d’éléments langagiers qui s’ouvrent d’avance à la
possibilité d’une réappropriation. Ceci veut dire que les normes qu’utilisaient les readymades
sont devenus des éléments d’un langage à venir, la norme ne doit donc plus s’entendre comme
normalisation identitaire, comme devenir-même, mais comme n’empêchant pas
l’individuation, c’est-à-dire la singularisation continuée des individus.
C’est pourquoi, à l’étonnement des esthètes classiques, de plus en plus de travaux
contemporains ressemblent visuellement à des choses éjà existantes: utilisation de Google, de
Flickr ou d’autres services encore. Donner une nouvelle forme à ces formes ressemblent de
plus en plus à un nettoyage cosmétique de type graphique dont nous savons qu’il nous éloigne
des problématiques esthétiques de notre époque. Le jeu artistique ne s’effectue plus dans une
articulation entre une forme et une matière. Les deux sont déjà donnés. Le jeu s’élabore à
présent par un troisième élément qui articule et rassemble les deux précédents, et qui est le
todo: ce qui reste à faire, la possibilité ouverte pour des éléments déjà donnés de se structurer
autrement. Le todo relève donc du relationnel, non entre le public et un objet, mais entre des
éléments langagiers.
Si de plus en plus de travaux artistiques ressemblent visuellement à des services déjà
existants, si les artistes prennent de moins en moins la peine de maquiller ce que l’on voit à
l’écran, c’est bien que la production esthétique ne s’attarde plus sur la production d’images
mais d’articulation entre le déjà-donné et le restant-à-faire, bref entre deux pouvoirs d’agir.
Grégory Chatonsky

Documents pareils