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APRèS OUtReAU : JUStICe et VALeURS RéPUbLICAIneS
Après Outreau:
Justice et valeurs
républicaines
André VALLINI
Président de la Commission parlementaire d'Outreau
(transcription non relue par le conférencier)
Mesdames et messieurs, je suis très heureux de découvrir Balma, cette très
jolie ville de Haute Garonne, et son Maire Alain Fillola qui m'a expliqué tout à
l'heure à quel point la fonction de Maire est passionnante. Cela a ravivé quelques
souvenirs et un peu de nostalgie chez moi.
Je remercie aussi le GREP de m'avoir invité, d'avoir organisé cette réunion, et
je félicite ses animateurs de ce travail civique d'éducation citoyenne qu'ils mènent
depuis des années dans la région de Toulouse avec des réunions intéressantes et
des intervenants de grande qualité. Je ne parle pas pour moi, je parle pour ceux
qui m'ont précédé et notamment de Monsieur Leroy-Ladurie. Je me suis senti
confus et peu digne de cette succession …
Je vais essayer de vous parler un peu de justice et puis, il est évident que la
partie la plus intéressante sera sans nul doute le débat que nous pourrons avoir
ensemble à partir de mon intervention et de ce que vous aurez à dire sur les questions judiciaires.
Je vais vous dire deux ou trois mots de la commission Outreau pour commencer, parce que finalement, c'est à ce titre surtout que le GREP a pensé à m'inviter.
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Je vais revenir un instant sur ce qui s'est passé à l'époque de cette commission,
et notamment sur l'impact qu'elle a eu sur l'opinion publique. C'est à partir de là
qu'une réflexion sur la justice a eu lieu dans le pays, et que les Français ont commencé à s'interroger vraiment sur son fonctionnement, même si on savait bien, et
depuis longtemps, qu'elle ne fonctionnait pas toujours aussi bien qu'on le souhaiterait.
D'abord, sur l'impact de cette commission, je veux parler de l'affaire de l'huisclos. Je ne sais pas si vous vous souvenez de la polémique qui a entouré le début
de la commission Outreau. La question était de savoir si nous devions travailler à
huis-clos (comme le font toujours les commissions d'enquête parlementaires), ou
si nous devions ouvrir nos travaux aux médias et donc aux Français. Dès le
départ, (j'étais seul, bien seul, bien isolé), j'ai souhaité qu'on lève la règle de l'huisclos et que nous puissions travailler au grand jour, en quelque sorte. Nous sommes
trente dans une commission d'enquête parlementaire, trente députés composant la
commission selon la proportionnelle des groupes. Il y avait donc une majorité de
députés de droite UMP et une minorité de députés de gauche, mais quasiment tous
étaient favorables au huis-clos, et pour des raisons très respectables que je comprenais. Ils me disaient que, si nous allions travailler sous l'œil des médias et des
caméras, on risquerait de verser dans le voyeurisme, dans le sensationnalisme, et
ainsi nuire à la sérénité de nos travaux. C'est vrai que le risque existait, j'en étais
bien conscient.
Et en même temps je leur disais : « si nous réussissons à faire un travail
sérieux, si nous évitons les dérapages, les débordements, nous pouvons « profiter » de l'intérêt qu'a suscité l'affaire d'Outreau pour prolonger cet intérêt des
Français en direction de nos travaux et donc du fonctionnement de la justice.
Parce que l'affaire d'Outreau avait bouleversé la France, l'émotion était considérable. A l'époque, les acquittés d'Outreau ont été reçus à Matignon par le Premier
Ministre de l'époque Dominique de Villepin, reçus également au Ministère de la
Justice par le Ministre Pascal Clément qui leur a présenté les excuses de l'institution judiciaire. Chacun d'entre eux a reçu une lettre manuscrite du Président de la
République Jacques Chirac …L'émotion était considérable.
Et donc je disais à mes collègues, d'essayer de capter l'intérêt suscité par cette
affaire dans l'opinion, pour faire en sorte que les Français s'intéressent à nos travaux et que l'on arrive à leur expliquer que la Justice, c'est très compliqué, qu'un
disfonctionnement judiciaire peut être très grave. Nous aurons alors fait œuvre
utile, non seulement dans l'affaire d'Outreau, mais d'une façon plus générale pour
la Justice. Et peu à peu, mes collègues ont commencé à évoluer, jusqu'au jour, le
18 janvier, où a eu lieu l'audition des acquittés, en deux vagues : six ou sept le
matin et les autres l'après-midi.
Et les chaînes d'information continue, (LCI, I-Télévision, BFM …), ont
changé leurs programmes au fil de la journée. D'heure en heure les choses bougeaient, les médias s'intéressaient à ce que nous faisions, et cela a été le début de
l'aventure de cette commission d'enquête parlementaire sur l'affaire d'Outreau.
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Parce que cette audition des acquittés avait lieu en public. Les acquittés en effet
avaient fait savoir qu'ils me soutenaient dans ma bataille contre l'huis-clos. Et
pour ce qui concernait celle qu'on appelait « la boulangère », Madame Godard,
(qui n'a jamais été boulangère de sa vie mais qui était marchande ambulante de
produits alimentaires dans le quartier de la Tour du Renard), elle avait fait savoir
que si l'audition devait avoir lieu à huis-clos, elle ne viendrait pas. Bref, la polémique avait enflé pendant des semaines jusqu'au 18 janvier, et là, mes collègues
ont été obligés de me suivre. Je les avais convaincus que l'on ne pouvait pas auditionner les acquittés sans que ce soit en public. Donc, cette audition a eu lieu sous
l'œil des caméras. Des millions de Français ont suivi cela au fur et à mesure que la
journée s'écoulait et puis le soir, à 20 heures, on a vu des images, que l'on revoit
régulièrement d'ailleurs, de ces témoignages d'acquittés qui venaient, avec leurs
mots à eux, avec leurs maladresses d'expression parfois, dire à la représentation
nationale : « voilà ce que l'on a fait au peuple, à nous qui sommes issus et représentatifs du peuple, voilà ce que nous avons subi de la part de la justice, nous qui
étions innocents ».
Le choc a eu lieu le 18 janvier et à partir de là il était évidemment impossible
pour mes collègues de continuer à souhaiter le huis-clos. Nous avons donc tenu
toutes nos auditions de façon ouverte, sauf quelques unes, parce que nous avions
adopté finalement comme règle que seules les personnes auditionnées devaient
choisir entre l'huis-clos et l'ouverture au public. Quelques magistrats ont refusé
l'ouverture au public et nous avons dans certains cas, auditionné à hui-clos.
Les Français ont donc découvert cette affaire, le détail juridique, les mécanismes judiciaires qui s'étaient mis en œuvre et qui avaient broyé les acquittés et
ce, pendant des semaines. A cette occasion, les Français ont découvert ou redécouvert l'importance de grandes notions fondamentales comme la présomption
d'innocence.
Et c'est le premier grand mérite de cette commission d'enquête que d'avoir permis (même si les choses ont un peu évolué depuis, hélas) de montrer aux Français
que la justice pénale peut tous nous concerner un jour. Vous qui êtes dans cette
salle de Balma ce soir, qui avez sûrement des vies totalement banales, (et ça n'est
pas péjoratif), qui n'avez jamais rien fait de mal dans votre vie au-delà peut être
d'un excès de vitesse, qui n'avez jamais commis de délit, encore moins de crime et
encore moins de crime pédophile, et bien cela peut vous arriver un jour qu'un voisin ou voisine psychopathe, elle-même perverse, elle-même ayant commis des
atrocités sur des enfants (je pense à Madame Badaoui), vous dénonce. C'est ainsi
qu'un mécanisme totalement fou se met en œuvre pour vous conduire d'abord en
garde à vue pendant quelques heures et on ne sait pas ce qui arrive, on pense à un
cauchemar dont on va se réveiller, on pense que la police va se réveiller, qu'elle va
s'apercevoir de l'erreur monstrueuse qui est en train de se commettre. Et puis, non,
on passe une journée en garde à vue, puis une nuit en garde à vue, dans des locaux
qui sont ce que l'on sait en France, avec des couvertures usagées, des excréments,
et je parle exprès de ces choses là pour que l'on ait conscience de ce qui se passe
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encore aujourd'hui dans notre pays, Patrie des Droits de l'Homme. Et puis l'interrogatoire pendant des heures et encore des heures et à la fin de la garde à vue, on
pense avoir convaincu les policiers, pour retrouver le droit à la liberté. Et puis
non, on vous met dans un fourgon cellulaire et on vous emmène en prison, où là,
on passe une première journée, abasourdi, puis une deuxième journée avec une
nuit qui sépare les journées, et puis trois jours, et puis une semaine, un mois, trois
mois, un an et puis les fêtes de Noël … Jusqu'à trois ans pour certains, trois ans de
prison pour certains acquittés d'Outreau qui étaient innocents.
Les Français pensaient que finalement la justice pénale, les tribunaux correctionnels, les Cours d'Assise, les avocats, la garde à vue, la détention provisoire, la
présomption d'innocence étaient des choses qui paraissaient lointaines qui n'intéressaient que les gangsters, les proxénètes, les voyous, les assassins, les pédophiles … bref tout ce en quoi ils ne se reconnaissaient pas. Voilà ce que se disait et
ce que se dit le Français ordinaire.
Et bien non ! Tout ça peut aussi concerner des Français ordinaires parce que les
acquittés d'Outreau étaient des Français ordinaires, et encore une fois ce n'est pas
péjoratif dans ma bouche. La « grande chance » que nous avons eue dans cette
affaire c'est que les acquittés d'Outreau représentaient les Français. Chaque
Français pouvait s'identifier, qui à l'huissier de justice Alain Marécault ou à son
épouse, qui à la boulangère dont j'ai parlé, qui aux Legrand père et fils, (ouvrier
pour le père, au chômage pour le fils), qui à l'abbé Vielle, qui à d'autres acquittés
que nous avons en mémoire … Ils étaient représentatifs, personne ne l'a fait exprès,
c'est un véritable échantillon (comme on le dit dans les instituts de sondages) de la
population française. Donc, cela a passionné les Français, pas seulement pour de
mauvaises raisons, même s il y a toujours un petit peu de voyeurisme (c'est le mot
que j'ai employé tout à l'heure), même s'il y a toujours un intérêt pas toujours très
sain, et quelquefois un peu malsain pour ce genre d'affaire. Là vraiment les
Français pensaient : ces pauvres gens qui me ressemblent et à qui je ressemble, et
bien voilà ce qui leur est arrivé. Tout cela peut m'arriver, donc il faut que je prête
attention à ce qui va se dire dans cette commission d'enquête.
Et le deuxième grand mérite, me semble-t-il, de ce travail que nous avons fait
avec mes collègues, c'est que, pour une fois, cela a donné une bonne image du
Parlement et donc de la Politique. On aime bien le maire… le maire de Balma en
particulier, qui fait du très bon travail dans sa ville, mais le maire en général est
assez aimé par la population. Un maire sortant qui fait du bon boulot, qui est présent, qui équipe sa ville, qui s'occupe des écoles, de la propreté, qui fait du social,
du culturel, est généralement aimé de ses administrés. Maire est la fonction
publique qui réconcilie toujours les Français avec la politique. Il en est de même
pour le Conseiller Général, surtout dans un canton comme le vôtre qui associe une
composante rurale à une partie de la ville de Toulouse. Conseiller Général c'est
concret, c'est l'APA pour les personnes âgées, le RMI, les Collèges, les routes. La
Région, c'est déjà plus lointain parce que le scrutin est à la proportionnelle, c'est
une entité plus vaste…
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Mais le Député, par contre, le Député, c'est à Paris, le Parlement… « La place
doit être bonne, ils la veulent tous ». Moi j'entends cela chaque fois que je suis en
campagne électorale, on doit dire la même chose dans la région de Toulouse … Et
donc il y a ce vieux fonds d'anti parlementarisme qui est toujours latent dans notre
pays et qui remonte au poujadisme des années 50, au boulangisme du xIxe siècle
et au bonapartisme, et qui draine l'idée de l'homme providentiel qui va nettoyer
les écuries d'Augias, qui va balayer la politique politicienne.
Tout cela existe, on le sait bien, et là pour une fois, des Français ont pensé que
les Députés étaient des gens sérieux, qui travaillent, que l'on peut voir à la télé de
9 heures du matin jusqu'à 22 heures ou 23 heures, et qui écoutent ce qui se passe
vraiment dans le pays.
D'abord c'était la première fois qu'une commission d'enquête était filmée.
Jamais auparavant on n'avait pu assister à des travaux parlementaires d'une commission d'enquête. Les seules images que l'on voit du Parlement sont les questions
d'actualité du mardi et du mercredi, et ce n'est pas ce qu'il y a de plus valorisant
pour le Parlement, à gauche comme à droite, les députés sont indisciplinés… Pour
ceux qui ont eu l'occasion d'assister à la séance des questions, c'est pire qu'une
cour d'école. Je ne parle pas de salles de classes qui sont mieux tenues, même
aujourd'hui où on dit que c'est difficile.
Enfin bref, l'image des questions d'actualité n'est pas bonne. En revanche là,
on a vu des députés sérieux, pénétrés de l'importance de la mission qui leur était
confiée, et qui faisaient un travail non pas théorique, un peu abstrait, sur la procédure pénale, la justice pénale, le juge d'instruction, la chambre d'accusation …
non, ils travaillaient sur un problème qui partait d'un fait réel, d'un fait divers
certes, mais qui exprimait la souffrance vécue par de vrais Français. Et à partir de
cette réalité vécue par de vrais Français, ces députés essayaient d'en tirer des
leçons, puis des réformes, pour que cela ne se reproduise pas. Donc, cette commission a donné une très bonne image de parlementaires, donc de représentants
du peuple qui étaient sollicités, interpellés par le peuple, représenté par les acquittés d'Outreau, et qui venaient dire à leurs représentants : « Il faut que ça change !
Plus jamais ça ! Vous qui faites la loi, faites en sorte que l'on ne puisse jamais
plus revivre le calvaire que nous avons vécu ».
Donc ce travail a été important puisque, lorsqu'on est républicain comme vous
et moi, comme on l'est au GREP, profondément républicain, on souffre toujours
un peu de voir la mauvaise image que peut donner le Parlement. De plus, ce travail est un sujet d'actualité puisque, vous le savez, actuellement à l'Assemblée,
nous discutons de la réforme des institutions, et si vous le souhaitez tout à l'heure,
nous pourrons en parler dans le débat.
Troisième élément sur la Commission Outreau, la place de la Justice dans la
société, le rôle des magistrats. Et là encore je reviens à l'image des représentants du
peuple, sollicités, interpellés par le peuple lui-même. Moi qui suis né en Isère, j'ai
fait mes études à Grenoble, là où a commencé la Révolution Française en 1788
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avec la Journée des Tuiles : le Parlement du Dauphiné s'était révolté contre le pouvoir royal, et s'était réfugié dans le château de Vizille (que je vous invite à visiter,
parce qu'il est très beau et parce que nous y avons installé le Musée de la
Révolution Française). Donc il y avait dans cette affaire d'Outreau comme des
réminiscences de la Révolution Française, avec les Etats Généraux, les cahiers de
doléances. Et nous étions interpellés un peu comme l'étaient les représentants du
Tiers Etat lorsqu'ils sont partis pour Versailles, avec, face à nous, le pouvoir judiciaire. Comme sous la Révolution Française. Vous savez qu'à la Révolution
Française, parmi mille et une raisons qui ont abouti à 1789, à la prise de la Bastille
et à tout ce qui a suivi, il y avait bien sûr les famines à répétition, l'état du royaume,
mais il y avait aussi un problème avec les magistrats, la magistrature et le pouvoir
judiciaire. Et lorsque les acquittés d'Outreau, et au-delà des acquittés, tous les
Français nous ont demandé d'aller mettre notre nez de parlementaires dans le fonctionnement de la justice, là, les choses sont devenues beaucoup plus sérieuses.
Je ne sais pas s'il y a des magistrats dans la salle, ce que je vais dire ne les choquera pas, je l'espère : nous avons eu affaire, dans la magistrature, à une polémique, à une fronde, à un mouvement profond d'hostilité envers la commission
d'enquête. Et j'en témoigne car, en tant que Président, j'étais sur le devant de la
scène et j'étais chargé de recevoir tout ce qui pouvait être adressé à la commission
d'enquête. Il y avait bien sûr tous les jours des centaines de courriers, (je continue
à recevoir des courriers de toute la France qui concernent le fonctionnement de la
justice) et il y avait beaucoup de motions qui arrivaient tous les matins à mon
bureau à l'Assemblée Nationale, de magistrats qui se réunissaient en Assemblées
Générales dans tous les tribunaux de France et de Navarre, pour dire que la
Commission d'Enquête Parlementaire outrepassait les droits du Parlement, que la
Commission d'Enquête Parlementaire empiétait sur le domaine judiciaire, que la
Commission d'Enquête Parlementaire se rendait coupable d'atteinte à la séparation
des pouvoirs, la sacro sainte séparation des pouvoirs théorisée par Montesquieu,
sur l'exécutif, le législatif et le judiciaire. Théorie dont le Général De Gaulle se
méfiait d'ailleurs, puisque, dans la Constitution de 1958, l'on ne parle pas de pouvoir judiciaire mais d' « autorité judiciaire ». En tout cas, pendant plusieurs
semaines j'ai eu à affronter non seulement les courriers, les motions que je recevais de toute la France, mais aussi des délégations de magistrats en colère qui
venaient se plaindre auprès de moi du travail de la Commission d'Enquête.
Il faut que vous sachiez que le Conseil Supérieur de la Magistrature, l'organe
collégial qui dirige, chapeaute la magistrature en France, présidé par le Président
de la République, a adressé justement à son Président es qualité, le Président
Chirac, une motion de défiance à l'égard de la Commission d'Enquête
Parlementaire. Et plus fort encore si j'ose dire, les deux plus hauts magistrats du
pays, le Premier Président de la Cour de Cassation, et le Procureur Général près la
Cour de Cassation, sont allés tous les deux à l'Elysée en audience, reçus par le
Président de la République, pour se plaindre du travail de la Commission
Parlementaire. Je dois dire que Jacques Chirac, dans cette affaire, a été exemPARCOURS 2007-2008
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plaire. Il a tenu le rôle qui était le sien, et il a dit à ses interlocuteurs, comme au
Conseil Supérieur de la Magistrature, que nous faisions notre travail, que jusque
là nous n'avions pas dérapé.
Et je disais la même chose quand j'affirmais aux magistrats que nous n'empiétions pas sur leur domaine, puisque l'affaire d'Outreau était jugée et définitivement
jugée, que la Cour d'Assises avait tranché, et que la deuxième Cour d'Assises, la
Cour d'Appel, avait acquitté ceux qui ne l'avaient pas été en première instance.
Donc l'affaire était close et nous avions tout à fait le droit, la Constitution le prévoit, et nous en fait même le devoir en tant que représentants du Peuple, de savoir
comment la Justice avait été rendue dans cette affaire.
Parce que la Justice est rendue au nom du Peuple français. Tous les jugements
commencent par : « Au nom du Peuple français. » Et à ce titre, il est donc légitime
que les représentants du Peuple s'intéressent à la façon dont est rendue la Justice.
Voilà ce que nous avons eu à affronter comme difficulté, ça n'était pas mince,
parce que la « corporation » des magistrats, au même titre que toutes les corporations qui existent depuis le Moyen Age (et même celle des avocats dont je fais
partie), aiment ce qu'elles font et défendent leur travail lorsqu'elles estiment qu'il
est attaqué. Donc la puissante corporation des magistrats vivait très mal le travail
de cette Commission d'Enquête Parlementaire. Nous avons fait notre travail quand
même et cela a duré quelques mois.
Je vais maintenant vous parler des leçons que nous avons retirées de ce travail
et des réformes qui ont eu lieu, qui ont été votées, mais qui sont très insuffisantes,
très partielles, et donc des réformes qu'il faudrait pouvoir obtenir du gouvernement.
Auparavant je vais vous citer l'exemple d'un Monsieur qui habite dans ma circonscription, pour vous dire comment les notions dont je vais vous parler maintenant sont devenues familières à des citoyens qui étaient totalement dans
l'ignorance de ces notions et de ces vocables. Vous êtes, vous, militants du GREP,
citoyens informés, avertis, en alerte et vous cherchez toujours à acquérir des
connaissances supplémentaires pour augmenter votre culture citoyenne. Mais tout
le monde n'est pas dans votre cas et je me souviens toujours d'un Monsieur que je
cite dans mon livre, qui est Président du Club bouliste de Voiron et membre de la
F.N.A.C.A, des anciens d'Algérie. Et le jour du 19 mars 2006, en pleine
Commission d'Enquête, nous étions depuis quelques jours en train de plancher sur
le Juge des Libertés et de la Détention, le fameux JLD (qui est devenu fameux
depuis, mais qui à l'époque, n'était que très peu connu, sauf des avocats). Peu de
gens savaient et savent encore aujourd'hui que le JLD est celui qui met en détention provisoire. Ce n'est plus le juge d'instruction qui décide de la mise en détention provisoire. Et ce monsieur faisait sans doute partie des millions de Français
qui ignoraient parfaitement ce que pouvait être le JLD. Mais il s'était tellement
passionné pour cette commission d'enquête, que ce jour anniversaire du 19 mars
1962, dans un village près de Voiron, il est venu me dire « Monsieur Vallini, je
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vous regarde tous les jours à la télé en ce moment, je suis passionné par Outreau,
c'est formidable le boulot que vous faites, et puis je me couche à point d'heure
parce que vos auditions sont retransmises la nuit, à trois heures du matin, je suis
devant ma télé… ». Bref il me raconte tout ça et il ajoute : « Alors Monsieur
Vallini, ce JLD, qu'est-ce qu'on en fait, on le supprime, on le maintient, on le
réforme ? » Il s'était tellement approprié les travaux de la commission d'enquête
qu'il savait par cœur ce qu'était un JLD mais il se demandait ce qu'on pourrait en
faire. C'est vous dire à quel point, pendant quelques mois en tout cas, beaucoup de
Français se sont passionnés pour le fonctionnement de la Justice. Alors, puisque je
parle du JLD j'en viens maintenant aux grandes propositions de réformes que
nous avons formulées dans notre rapport.
Ces propositions étaient au nombre de 80. Le rapport a été adopté à l'unanimité et cela n'a pas été facile, j'ai eu un peu de mal y compris dans mon propre
parti politique, avec certains qui pensaient que l'on ne pouvait pas voter avec la
droite. Je leur ai expliqué que j'étais loin d'être partisan d'un consensus mou, et
même d'un consensus qui aurait pu être trompeur. En République, il y a toujours
des gens qui ne sont pas d'accord, et heureusement, autrement ce ne serait plus la
République. Mais là j'ai pensé et expliqué qu'après avoir travaillé pendant 6 mois
sous le regard des Français avec l'état d'esprit qui avait été le nôtre, après avoir
fait abstraction pendant 6 mois de nos appartenances politiques pour essayer de
faire sortir un bien d'un mal, si nous nous déchirions au moment de voter le rapport, nous allions ruiner tout l'impact politique qu'il y avait dans ce rapport. Après
4 heures de débat et de suspensions de séances, nous avons enfin voté le rapport à
l'unanimité, et ce rapport était d'autant plus fort pour l'opinion publique mais plus
encore face au gouvernement, qu'il a été voté par 30 députés des diverses représentations du parlement.
Ce rapport va donc préconiser 80 mesures. Pour le résumer j'ai l'habitude de
choisir trois fois la lettre C. C comme collégialité, C comme contradictoire et C
comme citoyenneté. Et avec ces trois fois la lettre C on peut comprendre la philosophie que nous avons voulu imprimer dans le rapport de la Commission Outreau.
D'abord, la collégialité. Nous nous sommes rendus compte comme vous que
« juge unique, juge inique » comme dit l'adage bien connu des juristes. Et que s'il
y a vraiment un domaine où il faut à tout prix éviter le juge unique, c'est bien en
matière pénale, surtout quand il s'agit de présumés innocents et de mettre éventuellement en détention des gens qui restent présumés innocents. Il n'y a pas de
magistrat plus puissant en France que le juge d'instruction. Clémenceau (ou
Napoléon, je ne sais jamais lequel des deux), a dit : « Le juge d'instruction est
l'homme le plus puissant de France dans son ressort. » Parce qu'à l'époque, c'était
avant le JLD, c'est le juge d'instruction qui menait l'enquête et qui mettait en
détention provisoire. Ce juge d'instruction a beaucoup, beaucoup de moyens. C'est
la raison pour laquelle nous avons pensé à la Collégialité de l'instruction. Parce
que nous nous sommes rendu compte que, pour le fameux juge Burgaud, (trop
fameux sans doute, il est évident que sa vie personnelle a été très abîmée. Je le dis
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pour l'avoir eu plusieurs fois au téléphone et c'est un être humain, qui mérite évidemment le respect), même s'il a mal travaillé (et il a mal travaillé, il l'a reconnu
lui-même), il a cru faire son travail comme il devait le faire.
Le juge Burgaud, 27 ans, sortant de l'école de la magistrature, seul face à une
affaire aussi considérable, était totalement démuni pour mener convenablement
son instruction, même s'il a refusé d'admettre que son âge ou son inexpérience ou
sa solitude étaient en cause. Il a eu, je dois le dire, le courage, lorsque je lui ai
tendu la perche pendant l'audition en lui demandant s'il avait été mal conseillé,
mal guidé, s'il avait eu suffisamment d'appuis, d'écoute auprès de ses collègues du
tribunal, il a eu le courage de dire qu'il n'avait pas eu à se plaindre et il a ajouté
que ce qu'il avait fait, il l'avait fait en conscience. Il aurait pu se décharger un peu
sur ses collègues. Il aurait pu dire qu'il n'était pas seul dans cette affaire. Ce qui
était vrai : 64 magistrats ont eu à connaître de l'affaire d'Outreau. Et bien non, il a
voulu assumer les choses, tout en admettant quand même, et là selon moi il a eu
tort, qu'il n'avait pas commis de faute. C'est vrai que sur le plan procédural, il n'y a
pas eu de faute de commise. Il a fait des erreurs d'appréciation ce qui est parfois
plus grave que des erreurs de procédure.
En tout cas ce juge, trop seul, trop jeune, a marqué la France entière. Je me
souviens qu'il avait l'air d'un enfant à la télé. Comment peut-on confier de si
lourdes affaires à des gens aussi jeunes, surtout quand ils sont seuls.
C'est pour toutes ces raisons que nous avons préconisé la Collégialité de l'instruction, c'est-à-dire trois juges. Lorsque l'affaire est en instruction c'est qu'elle est
sérieuse. Seulement 5 % des affaires pénales vont en instruction. Donc ce sont
évidemment les affaires les plus graves. Donc pour ces affaires graves (qui mettent en cause parfois la vie, lorsqu'il s'agit de crimes, d'assassinats, de viols, de
pédophilie), face à des affaires aussi graves, il faut être plusieurs. Il faut un juge
jeune, sortant de l'école, apprenti juge (comme il y a des apprentis menuisiers :
c'est un métier que l'on doit apprendre aussi sur le tas), mais aussi un juge sénior
et puis un juge dans la force de l'âge de sa carrière pour être avec les deux autres.
Avec un directeur de l'enquête parmi les trois.
Il y a des opposants à cette collégialité, qui me disent que l'on sait comment ça
se passe : dans tous les métiers c'est pareil, il y en a un qui travaille et les deux
autres qui le regardent faire et qui signent à la fin. Bien sûr on peut toujours voir
les choses de façon très négative, mais le pire n'est pas toujours sûr. Les magistrats sont le plus souvent, dans la très grande majorité des cas, des gens consciencieux et je suis sûr que, s'il y a un directeur d'enquête, il réfèrera de l'avancement
de son instruction auprès de ses collègues et ils travailleront collégialement une
fois par semaine sur chaque dossier.
Je pense qu'il faut faire confiance aux hommes et aux femmes qui sont dans la
magistrature et en tout cas ils seront par définition moins seuls et donc le risque
d'erreur sera diminué. L'erreur judiciaire existera toujours, elle ne peut être totalement éradiquée. En France comme ailleurs.
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Il n'y a que Madame Dati et le Président de la République actuel pour dire que
le risque zéro et la récidive zéro peuvent exister … Ce ne sont là que des paroles
verbales, presque de la démagogie judiciaire, presque du populisme pénal. Moi et
d'autres nous avons le courage de dire qu'hélas, le risque zéro n'existera jamais,
pas plus que la récidive zéro, sauf à rétablir la peine de mort, ce que personne ne
propose aujourd'hui, heureusement.
Donc, la Collégialité réduit le risque d'erreur, c'est le premier C.
Le deuxième C, c'est le C de « Contradictoire », et là encore il s'agit de réduire
les risques d'erreur. Le principe du contradictoire, les juristes le connaissent très
bien, il est très clair, le mot se suffit à lui-même. Il faut mettre de la contradiction
à tous les étages de la procédure : dès le début de la garde à vue avec l'avocat,
jusqu'à la Cour d'Assises bien entendu avec l'avocat de la défense et des parties
civiles. Il faut mettre du contradictoire. On n'a jamais rien fait de mieux depuis
l'origine des civilisations, depuis l'antiquité, depuis l'Egypte … il y a toujours eu
quelqu'un qu'on appelait avocat ou autrement, qui était là pour dire non au juge,
pour lui demander de prêter attention aux circonstances atténuantes et même à la
vérification de toutes les preuves.
Bref le Contradictoire, c'est simple, c'est fort, mais si ça n'existe qu'à moitié : si
la défense n'a pas les moyens de se faire entendre, le contradictoire reste virtuel et
donc l'erreur judiciaire est évidemment un grand risque. Cela fait partie du principe contradictoire, nous l'avons décliné par plusieurs mesures concernant des
préconisations de réformes, telles que les expertises : que toutes les parties puissent et doivent en obtenir l'application, que les parties puissent avoir un droit de
regard sur la nomination des experts. Souvenez-vous des experts que nous avons
auditionnés dans l'affaire d'Outreau, et notamment de celui qui a eu le culot de
dire que lorsqu'on est payé comme une femme de ménage, on a des expertises de
femme de ménage, alors qu'il s'agissait de mettre en prison des innocents. Et ce
monsieur considérait, à juste titre, qu'il était si mal payé qu'il ne pouvait pas passer beaucoup de temps sur cette affaire et donc il a bâclé son expertise et cela a
conduit des gens à faire deux à trois ans de détention provisoire. Donc, le C de
« Contradictoire » est évidemment aussi important que le C de « Collégialité ».
Puis le troisième C est le C de « Citoyenneté ».
Moi, je suis partisan (et je sais que le sujet fait controverse), d'associer le plus
possible les citoyens à l'œuvre de justice. Cela existe déjà, et au plus haut niveau,
en Cour d'Assises, puisqu'en Cour d'Assises, vous le savez, il y a trois magistrats
professionnels et des jurés tirés au sort : vous, moi, pouvons être, demain peut
être, des jurés en Cour d'Assises. On associe des citoyens à ce qu'il y a de plus
grave dans le système judiciaire : la Cour d'Assises, qui juge de crimes et prononce parfois condamnation à la réclusion criminelle.
On associe aussi les citoyens en matière de Droit du travail, ce sont les
Prud'hommes, et en matière commerciale, les tribunaux de commerce. Pourquoi
ne pourrait-on pas les associer tout au long de la procédure pénale, notamment
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lorsqu'il s'agit de mettre en détention. Pourquoi ne pas envisager de mettre deux
ou trois assesseurs-citoyens tirés au sort, qui feraient une semaine ou deux pour
participer de la prise de décision de la mise en détention, avec des magistrats professionnels pour apporter l'expertise du bons sens à la science des magistrats ?
Alors je sais que le bon sens est une chose dangereuse parfois, mais je vous
assure qu'il est pourtant nécessaire, en prenant l'exemple d'un collègue député du
Pas de Calais qui a voulu faire partie de la Commission Outreau et dont j'atteste
d'une qualité de présence qui a permis d'éviter qu'il n'y ait dans la Commission
que des avocats et des magistrats. Ce député très attachant, un type formidable, au
début ne disait rien, ne posait jamais de questions … Puis un soir, au restaurant de
l'Assemblée, il m'a confié son embarras, sa peur d'être « à côté de la plaque ». Il
était gêné face à tous ces avocats et magistrats en présence de la télévision, et a
exprimé son presque regret d'être membre de cette commission d'enquête. Je l'ai
rassuré et encouragé à poser des questions par écrit pour que je puisse lui dire ce
que j'en pensais. Ses questions qu'il m'a transmises à deux ou trois reprises étaient
excellentes, tout à fait complémentaires de celles que je pouvais poser comme
avocat, ou de celles que pouvaient poser les avocats ou autres magistrats qui intervenaient dans les discussions. Il y avait donc des questions de professionnels et
puis il y avait des questions de députés représentants du peuple. Des questions
frappées au coin du bon sens, des questions évidentes, mais que nous, nous ne
pensions pas à poser parce que nous étions tellement dans le dossier… Il y avait
aussi un autre député U.M.P, doyen de la Commission, en pleine forme intellectuelle, qui posait lui aussi des questions très pertinentes.
Je reviens donc au citoyen-assesseur et je pense qu'on devrait en mettre le plus
possible dans les instances juridictionnelles y compris en correctionnelle, en la
présence d'un magistrat professionnel bien sûr, de façon à ce que les magistrats
professionnels soient entourés de citoyens.
Voilà pour les trois C qui résument un peu la philosophie des mesures que
nous avons préconisées. Nous avons aussi bien sûr voulu parler des magistrats.
Aujourd'hui le problème est posé puisque nous allons réformer la constitution.
La Commission d'enquête Parlementaire a permis aux magistrats de reconnaître
qu'il y avait un problème dans le fonctionnement de la justice, un problème de
moyens, un problème de procédures, de textes qui s'accumulent, qui s'enchevêtrent, qui s'empilent les uns sur les autres… Donc les magistrats ont toutes les
raisons du monde de dire qu'on ne leur facilite pas la tâche, et que nous, les politiques, nous devons aussi nous poser des questions, et notamment celle de savoir
si on ne fait pas trop de lois et particulièrement des lois pénales. Loi Perben I,
Loi Perben II, Loi Guigou avant les Lois Perben, Loi Clément, Loi Dati maintenant, bref, tous les ans, tous les deux ans, une nouvelle loi arrive en matière
pénale, en matière procédurale. Les avocats ne s'y retrouvent plus, c'est vous dire
si vous êtes bien défendus, les magistrats ne s'y retrouvent plus non plus. Ils ont
du mal à se mettre à jour, parce que les majorités se succèdent, les ministres
aussi, et chacun fait sa loi.
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Donc, les magistrats, avec beaucoup de raisons, peuvent venir se plaindre
devant nous, et ils l'ont fait. Ils se plaignent aussi du manque de moyens financiers, du manque de greffiers … Mais les magistrats ont dû reconnaître aussi que
certains d'entre eux ne travaillaient pas suffisamment ou pas suffisamment bien.
Et dans cette affaire d'Outreau, puisque eux-mêmes l'avaient reconnu, les magistrats avaient mal travaillé. Un mot d'ailleurs pour dire que tout le monde a
reconnu avoir mal travaillé et que cette commission d'enquête a permis un peu de
séances d'auto critique collectives. Tout le monde est venu nous dire avoir mal travaillé : nous les policiers parce que l'enquête a mal démarré et que l'on s'est « fait
avoir », nous les magistrats qui ont admis leurs erreurs, nous les médias… La
Voix du nord, a reconnu par ses journalistes devant la Commission d'Enquête
avoir mal travaillé. Les médias n'ont pas respecté assez la présomption d'innocence. La presse nationale est venue le dire : Le Monde, Le Figaro, Paris Match,
le Point, l'express… tout le monde est passé devant nous. De même la télévision
et particulièrement France 3 qui a eu l'honnêteté de venir devant nous, dire avoir
mal travaillé et le soir même, sur l'antenne, l'avoir déclaré dans leur journal télévisé.
Et puis les experts ont reconnu avoir mal travaillé, ainsi que les services
sociaux du Conseil Général, qui ont compétence avant la Police, et n'ont pas
signalé suffisamment tôt les sévices subis par les enfants dans la famille Badaoui,
n'ont pas tenu compte suffisamment des hospitalisations de ces mêmes enfants
pour réparation d'agressions d'ordre sexuel.
Et donc, concernant les magistrats, s'est posée la double question de leur formation et de leur responsabilité. La formation c'est ENM, l'Ecole Nationale de la
Magistrature, et là nous avons préconisé des réformes qui commencent à être
mises en œuvre en nous inspirant du rapport d'Outreau.
Rachida Dati mène une réforme qui est controversée, évidemment, mais je dis
qu'il y a certains aspects positifs dans cette réforme, d'autres qui le sont moins,
d'autres qui sont plus discutables. Entre autres réformes que nous avions préconisées, celle des tests psychologiques, pour savoir si un magistrat est apte psychologiquement à exercer telle ou telle fonction dans la magistrature. Il y a aussi dans
cette volonté de réforme de l'ENM. celle de l'ouvrir davantage sur la société, sur
la vraie vie.
Fabrice Burgaud, 27 ans, ne connaissait rien de la vraie vie. Il avait fait
Sciences Po à Bordeaux, ainsi que sa femme qui est magistrate, issu d'une bourgeoisie provinciale, il ne connaissait rien à la vie des gens du Pas de Calais, des
affaires sexuelles, versant horrible de l'affaire…, Il était loin d'imaginer que tout
ça pouvait exister et il s'est laissé emporter par le sentiment qu'il était tombé sur
une « affaire Dutroux » à la française.
Donc, la formation des magistrats, (les stages aussi qu'il faut augmenter), et
j'ajoute personnellement (et ceci n'est pas dans le rapport), que, comme en
Angleterre et comme autrefois en France, on devrait être avocat pendant au moins
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un an, avant d'être magistrat. En France, pour être magistrat, il fallait, autrefois
avoir été avocat, et c'était beaucoup mieux pour savoir ce qui se passait de l'autre
côté de la barrière ; du côté de la vraie vie, de la vie des gens, des parties civiles,
mais aussi des accusés quand ils ne sont pas innocents. Savoir être parfois à côté
des accusés qui ne sont pas innocents mais qui peuvent avoir des circonstances
atténuantes et au moins une dignité à respecter et à faire valoir.
Donc, sur la formation des magistrats, les choses sont en cours.
Et puis en aval de l'erreur judiciaire, en aval du disfonctionnement, se pose le
problème de savoir comment on engage la responsabilité des magistrats. Et c'est
là aussi l'utilité de la réforme du CSM. Il faut que le CSM soit davantage accessible au justiciable, qu'il puisse être saisi par tout justiciable qui s'estime avoir été
lésé par le fonctionnement défectueux de la Justice.
Mais là attention parce que la voie est très étroite. Il ne faut pas faire du CSM
une instance supplémentaire d'appel après la Cassation, parce qu'à ce moment là
on n'en finit plus. On peut aller devant le CSM qui est l'organe collégial chargé de
« juger » les magistrats qui ont mal travaillé, pour lui demander réparation d'un
fonctionnement défectueux du service public de la justice.
Donc, la Réforme en cours de discussion à l'Assemblée Nationale, traite bien
sûr du CSM qui est un organe constitutionnel, (article 8 de la Constitution), il faut
évidemment l'ouvrir sur l'extérieur, il faut que les magistrats y soient représentés,
en se posant la question de savoir s'ils doivent y rester majoritaires, ou bien,
comme je le préconise, être représentés à parité avec des non-magistrats. Cela éviterait les reproches de corporatisme qui tendrait à protéger les magistrats mis en
cause. Ce qui, à la vérité, n'est pas exact. Chaque année le CSM prononce des
condamnations, des sanctions disciplinaires, des radiations de magistrats, peu
nombreuses sans doute, (et heureusement que chaque année le CSM ne radie pas
des centaines de magistrats parce que cela voudrait dire que la Justice fonctionne
très mal !)
Et puis enfin le troisième grand chapitre des préconisations que nous avons
formulées, c'est tout ce qui concerne les moyens de la Justice. L'accès à la justice
qui doit être plus rapide, plus égalitaire financièrement, il faut que l'aide juridictionnelle fonctionne mieux même si elle fonctionne assez bien, notamment pour
les justiciables aux revenus modestes (ce que touchent les avocats en revanche,
est devenu vraiment dérisoire par rapport au travail qu'ils sont censés accomplir.)
Donc, l'aide juridictionnelle, pour que chacun ait le droit d'être bien défendu.
Et aussi les moyens financiers qu'il faut accorder à la justice en général, car
nous avons, pour la Justice, un budget qui nous situe au 23e rang en Europe sur 27
pays. Nous avons, en euro par habitant, le budget pour la Justice équivalent à
celui de la Croatie. Ce qui pour la France, nation défenseur du respect des Droits
de l'Homme, témoigne d'un retard manifeste. Les Anglais, les Italiens, les
Espagnols, consacrent plus d'argent que les Français à leur Justice : il faut être
conscient de la justice que l'on veut avoir. Cela passe par des moyens financiers,
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même si, depuis Lionel Jospin en 97, puis Raffarin, Villepin et maintenant Fillon,
les choses s'améliorent. Le budget de la justice a beaucoup augmenté depuis 97,
mais nous partions de tellement bas que le retard à rattraper est encore important.
Et puis, il y a bien sûr la carte judiciaire qui a été chamboulée, il n'y a pas
d'autres mots, par Rachida Dati, ici notamment dans la Haute Garonne avec SaintGaudens, avec les Tribunaux de Grande Instance qui ferment, les Prud'hommes
qui ferment, les Tribunaux de commerce… C'est exactement le contraire qu'il
aurait fallu faire. J'ai dit à Rachida Dati, à l'époque où nous avions des relations à
peu près correctes et courtoises (elle dit que je l'ai insultée, ce qui est faux, ce n'est
pas insulter quelqu'un de dire qu'il entre en visite dans une prison comme on
monte les escaliers du festival de Cannes. Au contraire, je l'ai comparée à une
actrice de cinéma, elle qui aime tellement ça), donc j'ai dit à Rachida Dati, à
l'époque où nous communiquions encore autrement que par l'invective, qu'elle faisait le contraire de ce qu'il fallait faire. Il faut d'abord redéfinir le périmètre des
contentieux, peut être créer un nouveau tribunal, le T.P.I, Tribunal de Première
Instance, qui pourrait absorber les compétences des Prud'hommes, du Commerce,
et, jusqu'à une certaine hauteur, certaines compétences des Tribunaux de Grande
Instance notamment en matière familiale.
Ensuite des tribunaux plus spécialisés pour des litiges plus lourds financièrement, plus compliqués, et enfin la Cour d'appel. Et quand on aurait défini la nouvelle architecture de la justice, on aurait vu où implanter la « Maison Justice »
avec ses succursales si j'ose dire.
Rachida Dati a fait exactement le contraire. Elle a commencé par fermer des
centaines de tribunaux, et maintenant on va redéfinir les périmètres des contentieux. Il y a donc une commission qui siège actuellement pour redéfinir le périmètre des contentieux des différentes juridictions, c'est exactement le contraire qu'il
fallait faire. J'ajoute qu'elle l'a fait sans aucune concertation, ni avec les magistrats, ni avec les avocats. Les barreaux étaient vent debout et le sont toujours, les
magistrats ne sont pas très contents, et les élus locaux, n'en parlons pas : les
Maires et les Conseillers Généraux l'ont fait savoir, mais sans grand succès car
elle n'écoute pas beaucoup ce qu'on lui dit.
Et pour ne pas être plus long, je voulais vous parler de la justice et du pouvoir
actuel. Pour caricaturer un petit peu, chacun connaît la fable de La Fontaine, qui
dit : « Selon que vous serez puissant ou misérable, les Jugements de Cour vous
feront blanc ou noir ». Aujourd'hui, on assiste à un double mouvement, on pénalise de plus en plus fortement, on aggrave les sanctions, on durcit la législation qui
concerne, on le sait, les plus faibles de la société, et c'est la rétention de sûreté
pour les criminels sexuels, qui sont évidemment des criminels qui ont commis des
choses horribles, mais qui sont aussi des malades qu'il faut soigner autant qu'enfermer.
On durcit la législation sur les mineurs, on a créé les peines plancher pour les
multirécidivistes, donc on alourdit les peines de prison, en ne traitant ainsi que la
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moitié du problème, qu'il faudrait évidemment traiter en amont puis en aval.
« Profiter » du temps passé en prison pour former, éduquer, Donc on durcit la
législation qui concerne les plus faibles et on essaye d'alourdir la législation relative au Droit des Affaires.
Et par ailleurs, on dé-judiciarise ; et quand on dé-judiciarise les contentieux, si
on veut confier la justice à des médiateurs, à des sociétés civiles, à des technocrates, à des organismes administratifs, on fait reculer la démocratie parce qu'on
fait reculer le droit de la défense. Quand ça ne se passe plus devant un tribunal et
que tout se passe devant une instance administrative, il n'y a plus d'avocat, il n'y a
plus de contradictoire, on fait reculer la démocratie.
Voilà le mouvement auquel on assiste et qui permet de faire des économies.
Est-ce qu'on est au Ministère de la Justice pour faire des économies, pour plaire à
l'opinion publique ? Ceci pour multiplier les lois d'affichage qui sont en plus des
lois dangereuses qui bafouent certains grands principes, parce que les deux lois
que je viens de citer : multirécidivistes, peine plancher et peine de rétention de
sûreté, sont des lois qui bousculent, le mot est faible, les grands principes de toute
procédure pénale de tout pays démocratique qui se respecte, dont fait partie le
principe de l'individualisation des peines : la peine doit être individualisée et non
pas être automatique (ou alors on prend un ordinateur, on y entre une cinquantaine
de données et il y a une fiche qui sort.) Non, lorsqu'on prononce la Justice,
humaine, elle doit individualiser la peine, prendre en compte toutes les circonstances de l'affaire et la personnalité du prévenu, tout le contraire de la peine plancher qui instaure une espèce d'automaticité
Quant à la rétention de sûreté, c'est encore plus grave, on passe d'une justice
de responsabilité (on est jugé pour ce qu'on a fait) à une justice de sûreté : on est
enfermé pour ce qu'on pourrait faire. C'est-à-dire que c'est la négation du principe
dont je parlais au début, du principe de présomption d'innocence.
Vous êtes condamné parce que vous avez commis quelque chose de grave,
vous allez purger la peine que la justice vous a infligée, et vous devez ressortir,
sous surveillance, sous traitement médical, avec un bracelet électronique, avec un
contrôle judiciaire, mais vous ne devez pas être maintenu en prison. Parce que, si
on vous maintient en prison, la justice sort de sa mission, elle vous condamne,
non pas pour ce que vous avez fait, mais pour ce que vous pourriez éventuellement faire, alors que tous les experts le disent (psychiatres, psychologues), la prédictivité est totalement impossible dans le domaine sexuel. On sait plus ou moins
que beaucoup d'entre eux seront amenés à recommencer. Mais est-ce que pour
autant on doit les maintenir indéfiniment en prison ? Il faut les suivre, les soigner,
les contrôler, ne pas perdre leur trace, mettre en œuvre les lois qui ont été votées y
compris par la gauche, depuis 98 alors qu'Elisabeth Guigou était Garde des
Sceaux, mettre en œuvre le fichier (qui lui aussi ne fonctionne toujours pas). Vous
avez vu, à propos du dernier criminel en date, qu'on avait perdu sa trace. Il n'était
même pas dans le fichier des délinquants sexuels parce qu'il n'y a pas les moyens
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de faire fonctionner les forces existantes. Voilà ce que je reproche à ce gouvernement qui propose des lois d'affichage qui plaisent à l'opinion publique, c'est vrai.
Ce que je fais ce soir n'est pas facile et, comme d'autres j'ai bien conscience
d'aller parfois contre le vent, contre l'opinion publique. Mais ce que je dis à
Madame Dati parfois, (comme au cours d'une réunion politique à Grenoble alors
qu'elle était auréolée de son parcours magnifique), c'est que l'on regrette qu'en
qualité de Ministre de la Justice elle ait fait des lois aussi régressives. Et j'ai
ajouté : « Madame vous avez beaucoup de chance. D'abord parce que vous êtes
Ministre de la Justice (et cela en fait rêver quelques uns, notamment au P.S),
ensuite et plus sérieusement, parce que c'est le plus beau des Ministères C'est le
seul Ministère dont le nom soit suivi de celui d'une vertu : la Justice. Et la place
Vendôme pour moi n'est pas la Place des joailliers et des bijoutiers, c'est la Place
du Ministère le plus régalien qui soit. Et vous avez une chance inouïe, Madame,
c'est que vous êtes très populaire, et que vous avez l'oreille du Président de la
République. Vous êtes très proche de lui, on sait que vous obtiendrez beaucoup de
choses dans le cadre budgétaire. Ne gâchez pas cette chance et n'oubliez pas que
la noblesse de la Politique, ce n'est pas de suivre l'opinion publique, (parce que
c'est alors de la démagogie), c'est autrement plus complexe, c'est de faire de la
pédagogie. C'est d'expliquer aux citoyens les difficultés pour trouver les solutions
aux problèmes. Et donc la noblesse de la Politique est d'éclairer les Citoyens, et
non pas les suivre aveuglément. »
J'espère ce soir, grâce au GREP, vous avoir éclairé sur la Justice.
débat
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Un participant - Je voudrais faire un constat : pour le citoyen français, et
encore plus pour le justiciable, la justice est quelque chose qui semble très lointain
et qui fait peur. Dès qu'on envisage d'avoir un rapport avec la justice, les choses
paraissent difficiles. Le GREP, très régulièrement, essaie d'évoquer des problèmes
de Droit, de Justice, de Magistrats, d'Avocats. Sur le plan international, le Droit
peut aider à régler un certain nombre de problèmes, comme vous ce soir, qui
expliquez comment l'application du Droit, peut aussi servir à défendre les plus faibles. Or il se trouve que lorsqu'on cherche à évoquer justement ces problèmes de
Droit, de Justice, ces problèmes liés à la magistrature, on s'aperçoit que l'on est
sur des sujets difficiles, et des sujets qui, en conférence, n'attirent pas un public
important.
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On aurait pu penser, vu la qualité de ce qu'on préparait ce soir, qu'il y aurait
beaucoup plus de monde. On s'aperçoit que ces sujets, qui sont pourtant si importants, n'attirent que relativement peu de public. Alors, vous qui parlez de ces trois
C, et particulièrement de l'intéressement du Citoyen, que faudrait-il faire pour
accentuer l'intérêt du public et permettre par une meilleure conscience collective
de faire évoluer tous les problèmes ?
André Vallini - Vous avez dit : « la justice fait peur ». C'est vrai que ça fait
peur. C'est comme l'hôpital. Ce sont des endroits où on n'a pas envie d'aller spontanément. Ca me rappelle ce qu'aurait dit Pierre Méhaignerie, ancien Garde des
Sceaux, qui ne connaissait rien à la Justice (et ce n'est pas plus mal de temps en
temps de confier ces affaires à quelqu'un qui a une vision totalement extérieure à
la chose judiciaire). Méhaignerie est quelqu'un de très respectable, il a été
Ministre de l'Agriculture, et au bout de deux ans de fonction de Garde des Sceaux,
lorsqu'il a quitté son Ministère, il a déclaré à un journaliste qui lui demandait ce
qu'il retirait de son passage au Ministère : « Tout ce que je retire, c'est qu'il vaut
mieux ne pas avoir affaire à la Justice ». Vous vous rendez compte, le Ministre
lui-même, avait été effaré de voir ce qui pouvait se passer dans la monde de la
Justice. Perben, autre Ministre de la Justice a lui aussi déclaré son grand étonnement en découvrant les erreurs commises au sein des tribunaux…
Donc c'est vrai qu'il faut intéresser les Citoyens aux problèmes de la Justice,
faire comme ce que vous faites ce soir au sein du GREP. J'ai fait un petit tour de
France après Outreau et j'avais du monde un peu partout : Perpignan, déjà une
grande ville, Nogent le Rotrou, Laon dans l'Aisne … Partout, j'avais du monde.
C'est vrai que c'était plus frais. L'affaire Dutroux était dans les mémoires.
Cependant, les gens s'intéressent plus qu'on ne croit aux affaires de la Justice.
Ce qui marche bien, ce sont les affaires de la Justice évoquées dans les documentaires et les séries télévisées. Les deux choses qui passionnent les Français sont les
blouses blanches et les robes noires. Et lorsque vous avez une série télévisée avec
des avocats et des magistrats, vous faites de l'audience au même titre qu'avec les
médecins et les infirmières. Cela marche bien, et je crois qu'il faut aussi se servir
de ça (il y a même une chaîne thématique qui s'appelle « Planète Justice » qui
marche pas mal). Donc, je crois beaucoup aux médias qui font parfois du beau travail, mais il faut cultiver les réunions comme celle de ce soir.
Et il faut peut être, et je reviens à ma proposition initiale, mettre des Citoyens
dans la Justice. J'aimerais recueillir vos réactions là-dessus, justement. Parce que
mon idée est souvent controversée. On me dit qu'il n'y a pas plus réactionnaire
que les Français, que les peines vont être alourdies, que les jurés sont souvent
sévères notamment pour les voleurs alors qu'ils seraient plus indulgents pour les
maris volages. Donc le juré français est « galant et propriétaire » comme on nous
l'enseignait en cours de Droit à la Faculté.
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Plus sérieusement, le risque avec le citoyen juré c'est de ne pas rendre une justice plus clémente, et j'aimerais savoir vos réactions sur l'idée d'associer les
citoyens aux décisions des tribunaux.
Un participant - Un des mérites de la Commission d'Outreau, c'est d'avoir
donné une image différente des représentants du peuple et de la démocratie. C'est
vrai qu'à ce moment là on a découvert des députés qui travaillaient, qui posaient
des questions, qui s'intéressaient, c'était passionnant. Dans votre intervention,
vous avez aussi parlé des séances du mardi et mercredi qui témoignent exactement du contraire, et en fin de votre intervention vous avez dit que la réforme qui
était en marche prenait en compte des points de votre rapport. Je crois que l'important de l'affaire d'Outreau et de la Commission que vous avez présidée, c'est
précisément de ramener les Citoyens vers le Parlement. Je ne vois d'ailleurs pas
pourquoi, cette démarche ne pourrait pas être faite sur autre chose : les O.G.M., la
police et ses responsabilités, les conditions pénitentiaires, et bon nombre de
choses qu'il serait intéressant de ramener dans les médias.
André Vallini - On peut dire qu'il y a un avant et un après Outreau, dans le
domaine des commissions d'enquêtes parlementaires : aujourd'hui, je pense qu'une
commission parlementaire aurait du mal à travailler à huis-clos. Depuis les commissions d'enquêtes sur les sectes, sur d'autres sujets, et qui n'ont pas eu le même
« succès » médiatique que celle d'Outreau, on peut dire qu'il est utile de travailler
de façon ouverte. De la même façon qu'on le fait aux Etats-Unis. Même si les
Etats-Unis ne sont pas un modèle en tout, dans le domaine de la vie parlementaire,
on a beaucoup à apprendre de leurs pratiques. Je suis allé personnellement souvent aux Etats-Unis pour avoir été pendant cinq ans à la présidence du Groupe
d'Amitié Parlementaire « France Etats-Unis ». Donc chaque fois que j'allais aux
Etats-Unis, j'allais au Congrès, au Capitole, à la Chambre des Représentants, au
Sénat, et j'y ai vu les moyens considérables qu'ont les parlementaires américains
en terme de collaborateurs, d'assistants, de « staff », de conseillers, de vrais
conseillers, 3 ou 4 bureaux, un secrétariat, un vrai standard téléphonique… Bref,
ils ont de vrais moyens pour travailler. Vous savez qu'aux Etats-Unis, un Sénateur
est plus important dans l'ordre protocolaire qu'un secrétaire ayant rang de ministre. D'ailleurs le Président, le Secrétaire d'Etat aux Affaires Etrangères, le
Secrétaire d'Etat à l'agriculture, viennent protocolairement après les Sénateurs
dans les réunions diplomatiques. Donc, là-bas, le Parlement est puissant, et les
commissions d'enquête américaines, j'y reviens, sont célèbres. Se souvenir de la
commission Warren sur l'assassinat de Kennedy, la commission anti-mafia présidée par le Sénateur Kennedy … Tout ça est filmé, tout ça est suivi à la télévision
américaine.
C'est sur ce modèle, que nous avons essayé de travailler avec la Commission
Outreau. Et je pense qu'aujourd'hui les commissions d'enquête doivent travailler
sous l'œil des caméras. Et pas seulement les commissions d'enquête. Je suis partisan que les commissions permanentes travaillent aussi de façon ouverte, avec du
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public, avec les caméras de la chaîne parlementaire. Ce qui permettrait d'ailleurs
d'éviter le cinéma auquel on a droit dans l'hémicycle.
Car si le débat a eu lieu en commission, cela ira plus vite dans l'hémicycle. On
me répond que le cinéma se fera en commission parce qu'il y aura les caméras.
Pour ma part, je ne le pense pas. Pendant l'enquête parlementaire d'Outreau, mes
collègues qui étaient pour l'huis-clos étaient très contents ensuite que l'on soit
filmé, parce qu'ils avaient des retours très favorables lorsqu'ils revenaient en
week-end dans leur circonscription. Quant à la tentation de se mettre en scène,
chacun des parlementaires d'Outreau a vite oublié les caméras, très discrètes par
ailleurs, pour ne se consacrer qu'au travail de la commission.
Donc, vous avez raison, et je suis partisan de la retransmission la plus large
possible des travaux du Parlement, ce qui montrerait d'ailleurs que les séances du
mardi et du mercredi sont totalement marginales par rapport à la masse de travail
réalisé hors les séances télévisées, et que ce travail est le vrai travail parlementaire
dont les citoyens n'on pas toujours vraiment conscience.
Un participant - Vous avez évoqué plusieurs points sur lesquels j'aimerais
que vous alliez un petit peu plus loin sur les conséquences qui ont à voir avec
notre démocratie : les peines plancher, les rétentions prorogées au-delà de la peine
échue. Peut-être pourrait-on aussi parler des formes de rétention administrative
qui se généralisent un petit peu avant même tout jugement dans les prémisses
d'une expulsion, de la délocalisation des tribunaux dans les aéroports… Mais j'aimerais vous écouter aussi sur la fin de votre intervention, où vous avez paru plus
optimiste. Vous nous dites avoir pu parler à Madame Dati en lui faisant une
espèce d'appel à sa personnalité, parce qu'elle avait l'oreille du Président, avezvous dit, parce qu'elle était populaire, pour espérer qu'elle ne gâche pas cette
chance et pour faire autre chose que ce qui a l'air de se dessiner. Mais est-ce qu'on
peut vraiment y croire ? Parce qu'il ne faut pas oublier quand même que le
Président lui-même est avocat de formation. Et le Président lui-même dans ses
discours de campagne avait une espèce de credo qu'il a répété à de multiples
reprises dans des tas de débats, où il a dit : « quand on commence à vouloir expliquer, c'est que l'on s'apprête à excuser » C'est une de ses phrases clé ; il la replace
à tout propos. Alors, est-ce que quelqu'un qui est dans le milieu judiciaire peut
entériner cette phrase précédemment citée, et exercer une haute fonction dans la
magistrature ? Si on appliquait une de vos préconisations (qui consiste à faire passer des tests psychologiques à quelqu'un qui voudrait devenir magistrat), je pense
qu'à un postulant magistrat qui tiendrait ces propos, vous diriez qu'il s'agit là d'une
position trop rigide. Il serait alors considéré comme un candidat pas tout à fait
souhaitable. On est là sous l'influence du postulat : « expliquer c'est déjà excuser ».
Ce qui est étonnant, c'est que la plupart des mesures législatives qui nous sont
annoncées, sont d'abord des initiatives présidentielles, très souvent inspirées par
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un fait divers sur lequel on rebondit pour préconiser, (c'est même le Président qui
annonce quelquefois en direct que des lois vont être votées, comme il l'a encore
fait aujourd'hui sur le droit de grève qui devra être soumis à une déclaration préalable… Cette intention va passer à l'Assemblée comme une lettre à la poste,
comme tout le reste). Est-ce que vous avez le sentiment que Madame Dati, qui a
encore un certain pouvoir de séduction dans l'opinion, pourrait avoir une relative
et minime autonomie par rapport à une autorité dominatrice et (le moins qu'on
puisse dire), qui n'est pas très souple ?
André Vallini - Hélas, non ; Je n'ai plus aucun espoir. Je n'ai plus aucun espoir
dans la politique menée par ce Président et la Garde des Sceaux. Lorsque je lui ai
dit de profiter de sa popularité et de la faveur que lui accorde le Président, je voulais être courtois. Elle venait d'être nommée, on était au mois de septembre, le
Président était encore très haut dans les sondages, elle aussi : après tout, ils avaient
la légitimité (qu'ils ont toujours) de l'élection présidentielle et des législatives que
la droite avait gagnées. Donc je lui ai dit ça avec courtoisie, mais aussi perplexité.
Je lui ai tendu la perche en lui rappelant que le rapport Outreau avait été voté à
l'unanimité, qu'elle pouvait s'appuyer sur cet outil reconnu de tous. Et puis très
vite, j'ai dû, non pas déchanter parce que je n'y croyais pas vraiment, mais me rendre à la réalité. Elle a multiplié les Lois, à l'opposé des grands principes qui nous
animent lorsqu'on défend les valeurs républicaines dans le domaine de la Justice.
Et on s'est aperçu qu'elle n'avait aucune autonomie (qu'elle ne souhaite pas avoir
d'ailleurs). Elle doit tout au Président de la République, elle, au moins, lui reste
totalement fidèle, dévouée, en reconnaissance de l'ascension fulgurante au plus
sommet de la hiérarchie gouvernementale ou presque, sans avoir à l'époque
aucune légitimité populaire. Elle avait certes une compétence professionnelle de
magistrate, mais elle avait peu exercé dans la magistrature, donc elle est totalement aux ordres de l'Elysée, où siège quelqu'un qui a été avocat d'affaires (j'aimerais savoir le nombre de missions d'office qu'il a eues à accomplir et le nombre de
clients qu'il a défendus au pénal. A mon avis, pas beaucoup), ce qui est très respectable, mais qui n'est pas le même métier que celui d'avocat au pénal.
Aussi Nicolas Sarkozy a-t-il un rapport particulier avec la Justice, avec les
magistrats, les grands principes dont j'ai parlé ce soir sont pour lui très théoriques,
et c'est vrai qu'il a comme cela des phrases toutes faites qui plaisent à l'opinion
parfois, souvent même, et particulièrement dans ce domaine là, du genre :
« Quand on commence à expliquer c'est qu'on s'apprête à excuser ».
C'est évidemment totalement faux. Moi, je n'ai jamais excusé quelque délinquant que ce soit, et encore moins un criminel, et encore moins un violeur d'enfant… Et tout cela me fait horreur, comme à Nicolas Sarkozy, comme à Madame
Dati.
Et c'est parfois difficile. J'ai participé l'autre soir, à l'émission « Mots Croisés »
sur l'affaire Fourniret. Après une heure passée à montrer des photos où défilaient
toutes les victimes et toutes les monstruosités qu'elles ont subies de la part de
Fourniret, il m'était dévolu de défendre les grands principes, même quand il y a
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des monstres comme Fourniret à l'écran. Et en face, quelqu'un a dit qu'au gouvernement et dans la majorité, les victimes et les enfants sont défendus. Quelle démagogie ! Comme si nous ne défendions pas les victimes et comme si nous n'étions
pas horrifiés par ce que peuvent subir parfois les enfants.
Donc, c'est très difficile, mais pour revenir à votre question : non, Madame
Dati a complètement déçu tous ceux qui avaient un peu d'espoir en elle, elle a
fait des lois d'affichage après chaque fait divers ou presque, le Président en arrive
à annoncer lui-même les lois sur le perron de l'Elysée. Un petit enfant a été violé
par un récidiviste : on annonce une loi ; les infirmières de Pau assassinées dans
des conditions horribles par un psychopathe, schizophrène dangereux reconnu
totalement irresponsable : on fait une loi… Bref chaque fait divers donne lieu à
une loi qui est annoncée comme celle qui va tout régler, notamment la récidive.
Mais comme j'ai dit l'autre jour à Madame Dati : « le jour où votre loi en rétention de sûreté entrera en application et où donc des commissions se réuniront
pour, au bout de la peine de 15 ou 20 ans de réclusion, décider que untel ou untel
est encore dangereux et doit être maintenu en rétention encore pendant un an, et
qu'au bout d'un an la même commission jugera qu'il est encore dangereux et qu'il
sera maintenu en détention sur les conclusions d'experts… Et puis un jour la
commission sur la Loi Dati se réunira, les experts déclareront que l'individu
paraît moins dangereux, et les trois magistrats décideront de le libérer et de le
laisser sortir. Et s'il recommence ? Que direz-vous à ce moment là ? Quelle sera la
gradation supérieure ? Quelle loi nouvelle sera mise en application : l'enfermement à vie ? »
Voilà, on sait que l'on a raison, mais l'opinion publique a du mal à l'entendre,
parce qu'on se bat sur des principes, et Madame Dati nous oppose des faits divers.
Quand on vous oppose la photo d'un enfant violé, d'une jeune fille martyrisée,
vous ne pouvez rien répondre. On nous oppose la douleur des familles. Moimême si dans ma propre famille quelque chose comme cela arrivait, je ne sais pas
si je serais ce soir en train de défendre des principes. J'espère que oui, une fois la
douleur surmontée.
Il m'est arrivé de recevoir les parents d'une victime, le père d'une jeune fille
violée, et ce Monsieur qui a souffert, et qui souffre encore, est accessible au genre
de raisonnement que nous tenons ce soir. Et j'ai ici dans mon dossier les déclarations du Président National des victimes qui refuse d'être utilisé par Madame Dati,
qui refuse l'idéologie victimaire dans laquelle on est en train de nous entraîner. Et
quand j'entends dire que le premier des Droits de l'Homme c'est le Droit des victimes, j'oppose que les Droits de l'Homme sont les Droits de tout le monde, les
Droits des Citoyens : victimes, coupables, accusés, présumés innocents. Il n'y a
pas de droit supérieur pour les uns par rapport aux autres. Le Droit des victimes
doit prendre en compte leur souffrance, les aider à la surmonter, mais la Justice n'a
pas vocation à être une thérapie pour les victimes, D'ailleurs Monsieur Durbec,
grand psychiatre, réfute totalement l'idée que la justice, le procès pénal, servirait à
faire son deuil à la famille de la victime.
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Voilà, je sais qu'avec vous je me fais entendre, mais ça n'est pas toujours le
cas.
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Un participant - Je voudrais d'abord réagir à votre implication du Citoyen
dans la Justice. Je me pose la question de savoir ce qu'on apprend de l'institution
judiciaire, est-ce que nos enfants apprennent et savent quelque chose ? Parce que
si à l'école on n'apprend rien, tout sera plus difficile après.
Par ailleurs, ce qui m'inquiète, c'est le fameux jargon judiciaire. Pour vous qui
êtes de la partie, c'est quand même un vocabulaire très particulier. Alors, je vois
mal un citoyen non préparé, plongé dans des dossiers codés par un langage particulier. C'est très compliqué, une affaire judiciaire.
Et puis on dit que la justice n'a pas de moyens. Alors, si on intègre les citoyens
dans le processus, dans la réflexion, il y faudra des moyens supplémentaires en
bureaux, en matériel informatique etc. Il y a quand même une réflexion qui
englobe un certain nombre de questions à régler. Donc au total, dans ce que je
vous livre, je vois d'abord un certain nombre de difficultés.
Enfin je voudrais vous poser une autre question. Ce qui m'a frappé en ce qui
concerne le procès d'Outreau, c'est la convergence des erreurs des experts judiciaires. Alors, quel est le poids d'un expert judiciaire, quel est son rôle exact, comment le choisit-on, et puis quelle est sa responsabilité quand il se trompe ? Que
risque-t-il quand il permet de mettre des gens en prison ? Est-ce que dans vos
réflexions sur les réformes judiciaires vous avez inclus ce problème des experts ?
Ce sont eux qui en grande partie ont convaincu que la parole des enfants était
sacro sainte.
André Vallini - D'abord sur la première partie de votre intervention : à l'école,
je ne sais pas exactement ce qu'on apprend aux enfants dans le domaine de l'instruction civique relativement à la justice. Je ne sais pas grand-chose… Peut être
au Collège, au Lycée ?
Sur le vocabulaire, les choses se sont un peu arrangées, on fait des lois moins
compliquées avec des termes plus simples. C'est vrai que le vocabulaire est encore
un peu difficile parfois. Mais cela n'empêche pas au bout de quelques jours, un
citoyen de comprendre ce qui se passe. Même s'il ne maîtrise pas le vocabulaire
de telle ou telle procédure, et s'il y a quelques mots techniques qui lui échappent,
l'essentiel ne lui échappe pas en général.
Je reviens à mon collègue député du Pas de Calais, il ne parlait pas les mêmes
mots que nous, mais il comprenait très bien ce qui se passait et posait les bonnes
questions.
Et puis, les moyens. C'est vrai que la justice a trop longtemps été la parente
pauvre du budget de l'Etat, les choses s'améliorent un peu, pas suffisamment
encore et de loin… Il y a une grande misère dans les tribunaux français, même
s'ils s'améliorent, même s'il y a une numérisation en cours. Enfin les choses sont
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encore loin d'être à la hauteur de ce qu'elles devraient être Il faut aller en
Allemagne, en Angleterre, pour voir à quel point la justice est beaucoup mieux
dotée qu'en France.
Enfin sur les experts. Dans les préconisations du rapport d'Outreau, nous
avons bien sûr traité le problème des experts, parce que les choses ne fonctionnent
pas correctement. Les listes d'aptitude ne sont pas établies dans la plus grande
clarté, mais souvent dans une grande opacité. Donc il faut évidemment clarifier la
façon dont sont établies les listes d'experts judiciaires, il faut que ces listes soient
mises en cause régulièrement, que les parties au procès puissent avoir un regard
sur la nominations des experts, et tout cela a été consigné sous les mesures 41 à
46 que l'on peut retrouver dans mon ouvrage :
Mesure 41 : organiser la tenue d'une conférence de consensus permettant de
définir les méthodes des experts psychologues et d'élaborer un code de bonnes
pratiques.
Mesure 42 : préconiser l'élaboration de critères de distinction entre les missions d'expertise relevant de la psychologie, de la psychiatrie, de la criminologie.
Mesure 43 : élaborer des missions-types pour les expertises psychologiques et
psychiatriques.
Mesure 44 : renforcer le contrôle des experts en nommant des avocats dans la
commission en charge de donner son avis sur l'inscription des listes d'agrément.
Mesure 45 : obliger l'expert à déclarer son appartenance à une association
habilitée à se porter partie civile pour des faits sur lesquels il est commis.
Mesure 46 : réviser les critères de rémunération des experts en tenant compte
de la complexité du dossier et du temps consacré à l'expertise.
Il y a là bien des choses. Tout n'a pas été retenu par Monsieur Clément à
l'époque et rien par Madame Dati. Lorsque les réformes sont venues, j'ai dit au
gouvernement, par l'intermédiaire d'un article dans « Le Monde », qu'il serait bien
inspiré de surseoir à sa réforme bâclée. Je n'ai évidemment pas été entendu, et
Monsieur Clément, qui voulait exister dans les dernières semaines du Ministère
Villepin, a eu la malchance d'être nommé au moment où l'affaire d'Outreau a
éclaté. Puis les élections sont arrivées, et on connaît la suite. Il aurait donc fallu
attendre les Présidentielles dont l'issue devait donner une grande réforme de la
justice.
C'était un risque à prendre. Mais on me disait qu'en obtenant quelque chose au
moment des conclusions de la Commission d'Enquête Parlementaire, on se mettait
à l'abri d'un refus complet après l'élection Présidentielle. Donc Clément a fait sa
réforme partielle et insuffisante, mais qui allait dans le bon sens, et je l'ai dit à
l'époque. Et pendant la campagne présidentielle Nicolas Sarkozy a beaucoup parlé
de la Commission Outreau mais s'est longuement étendu sur la responsabilité des
magistrats, parce qu'il a un compte à régler avec les magistrats. En revanche il a
négligé l'aspect de la présomption d'innocence.
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Ségolène Royal en a parlé aussi, (pas suffisamment, elle comme tous les candidats, n'ont pas assez parlé de la Justice)… Les choses étaient déjà un peu passées. On a rendu notre rapport 6 mois trop tôt. En tout cas, depuis la
Présidentielle, on attend la grande réforme de la justice qu'on nous avait promise
et qui, selon Patrick Devedjian, devait compléter la réforme de Clément qui était
insuffisante. Devedjian était d'accord avec moi quand il s'exprimait en qualité
d'avocat, mais ne l'était plus en qualité de militant U.M.P. Il aurait été certainement plus près des réformes à accomplir s'il avait été Garde des Sceaux.
Madame Dati ? C'est autre chose.
Un participant - De l'affaire d'Outreau, j'ai gardé en mémoire l'émotion des
déclarations faites par les acquittés accusés d'atrocités, mais j'ai aussi en mémoire
la solitude du juge Burgaud qui s'est trouvé seul devant 60 millions de spectateurs.
Ma question sera brève : j'ai à ma gauche, ma fille qui, a 18 ans et qui souhaite
faire la fac de Droit, l'an prochain. Et comme elle est ambitieuse, elle rêve de faire
l'E.N.M ce qui est très bien pour moi. Comment peut-on à 20 ans avoir pour
ambition d'être magistrat ?
André Vallini - D'abord elle va faire la Fac de Droit et peut être qu'elle va se
découvrir une vocation d'avocate. François Mitterrand, qui était avocat, disait,
paraît-il, lorsqu'il rencontrait un juge : « Mais comment peut-on être Juge ? »
Vouloir devenir juge, c'est d'abord parce qu'on aime la Loi et qu'on veut la
faire respecter. Pour être juge, il faut bien sûr aimer le Droit, mais il faut aussi
aimer les gens et essayer de trouver dans chaque prévenu, dans chaque coupable
en puissance, présumé coupable qui doit rester présumé innocent, essayer de trouver la part d'humanité qui est en lui. Et puis vraiment si on n'y arrive pas, malgré
tout, essayer toujours de garder une petite lumière qui s'allume en permanence
pour dire : attention, erreur judiciaire possible ; attention, cultiver le doute. Il faut
que le magistrat cultive le doute avant que de juger, condamner, acquitter.
Notamment le Juge d'instruction.
Donc, je dirai à votre fille qu'elle fasse déjà du Droit, qu'elle réfléchisse bien,
(avocat est un très beau métier), et puis qu'elle se convainque de l'idée qu'elle
n'aura pas forcément toujours raison, même si elle est juge d'instruction, même si
elle est investie d'une mission, qu'elle est bardée d'un diplôme, qu'elle a fait de
brillantes études, il faudra toujours qu'elle se dise qu'elle peut se tromper. Et moi,
je lui souhaite d'être juge d'instruction en collégialité, (c'est en train de se mettre
en place). Et quoi qu'il en soit, quelle que soit sa position dans la fonction de juge,
il faut qu'elle se dise qu'elle a entre ses mains la vie des personnes qui sont devant
elle. Que ces vies peuvent être broyées. Qu'elle se souvienne que certains accusés
ont passé quinze ans de leur vie en prison alors qu'ils étaient innocents. L'erreur
judiciaire ne s'est pas commise dans le prétoire, c'est souvent trop tard. Encore
que, dans l'affaire d'Outreau, c'est devant la Cour d'Assises que tout a éclaté.
Comme l'a dit le procureur de l'affaire (qui à mon avis est au moins aussi responsable que le juge Burgaud), qui a eu l'habileté de reconnaître qu'il avait mal traPARCOURS 2007-2008
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vaillé, qui a fait son mea culpa, et qui a parlé de la « magie de l'audience » qui
aurait permis que la vérité éclate.
Oui, mais il arrive qu'elle n'éclate pas. L'erreur judiciaire se fabrique bien en
amont. Elle se fabrique même avant le juge d'instruction, dans les locaux de la
police. Voilà ce que votre fille doit se dire en permanence, en sachant aussi que les
coupables doivent être châtiés, punis, et puis qu'ils doivent être ensuite réinsérés
dans la société, parce qu'un jour ils sortent de prison et reviennent dans la société
des hommes et des femmes libres : il faut donc les préparer à la sortie, en n'oubliant jamais que tout homme peut se racheter, par la culture, la religion pour certains, la littérature, la philosophie, un travail, des relations avec les visiteurs
médicaux, avec une famille qui ne vous laisse pas tomber. Autant de raisons qui
font que des hommes et des femmes qui ont commis des choses atroces et qui purgent leur peine, parce qu'ils l'ont méritée, peuvent sortir différents après que leur
peine ait été purgée.
Et surtout ne pas oublier, selon moi, qu'il vaut mieux un coupable en liberté
qu'un innocent en prison.
Une participante - Merci Monsieur Vallini d'avoir permis aux Français de
s'intéresser à la Justice. Parce que lorsqu'on s'intéresse à la Justice en France, on
se rend compte qu'elle est bien pire que celle qu'on a vue à l'affaire d'Outreau, et
elle est bien pire au quotidien. C'est la nuit des comparutions immédiates, tous les
jours dans les tribunaux, et le travail des juges à ce moment là, effectivement, par
rapport à la question posée précédemment, amène à se demander comment on
peut se motiver pour travailler dans ces conditions là. Comment des avocats peuvent se contenter de 3 minutes pour défendre un accusé, et comment, connaissant
les risques encourus avec la multi récidive on peut se contenter de la comparution
immédiate pour prononcer des condamnations lourdes, sans débat contradictoire,
sans instruction. Et ça c'est la justice de tous les jours, partout, à notre porte
Et donc je pense que le travail que vous faîtes est important, mais qu'il est
nécessaire d'aller plus loin : alors, comment aller plus loin pour informer la population de l'état actuel de la justice ?
André Vallini - J'ai déjà eu la question tout à l'heure, je suis en peine pour
vous répondre : moi, je fais mon boulot de façon militante en quelque sorte,
comme ce soir, je suis descendu de Paris, je fais cette réunion avec vous, (mais j'ai
l'impression de prêcher à des gens déjà convaincus).
Mais que faire de plus que des réunions publiques, que de l'information, que
des débats, que défendre des principes à la télévision, dans les journaux, que de
ferrailler contre le gouvernement, que de demander un budget toujours plus
important, que de dénoncer les comparutions immédiates, de lutter contre la justice d'abattage… D'ailleurs, quand Madame Dati me répond que les peines plancher, le juge pourra toujours y déroger au vu de circonstances exceptionnelles
(en gros, si on arrive à apporter la certitude que le détenu pourra se réinsérer, le
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juge pourra déroger à la peine plancher automatique), comment veut-on, en
comparution immédiate, que le juge ait le temps de connaître la personnalité de
l'accusé, son parcours, les circonstances de l'infraction, pourquoi il en avait
commis une première, pourquoi il en commet une deuxième … C'est se moquer
du monde.
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Un participant - A la fin de cette soirée, je suis un peu atterré et plus pessimiste que lorsque je suis entré dans la salle. Est-ce que vous pourriez nous donner
un peu d'espoir ? Comment se fait-il que nous soyons dans cette impasse ? Quel
type de volonté politique ferait que nous pourrions nous en tirer ?
André Vallini - J'espère ne pas vous avoir complètement démoralisés. Ce
n'était pas mon intention quand je suis descendu à Toulouse, et aussi à Balma. Il y
a parfois des affaires qui se passent bien, et des prévenus qui sont innocentés dès
le départ de la procédure. Il y a aussi des garde à vue qui se déroulent normalement et ne vont pas plus loin. On parle plus des trains qui déraillent que de ceux
qui arrivent à l'heure. Alors, je ne veux pas vous laisser penser que c'est
« Midnight-Express » tous les jours.
Mais il y a des erreurs judiciaires, il y a des procès qui se passent mal. Il faut
savoir qu'à l'heure où nous parlons, il y a 63 000 détenus dans les prisons françaises, dont 28 % sont en détention provisoire et donc présumés innocents. Et sur
ce tiers de 63 000, soit plus de 20 000 personnes qui sont en détention provisoire,
on peut considérer que 2000 d'entre elles sont totalement innocentes, seront disculpées, bénéficieront d'un non lieu dans le meilleur des cas, d'une relaxe si le
procès va jusqu'au bout, ou d'un acquittement s'il s'agit de la Cour d'Assises.
Nous allons tranquillement sortir de cette salle pendant que ces innocents vont
passer une nuit en prison dans les cellules que nous connaissons, dans les conditions de détention carcérale qui sont l'enfer sur la terre. J'en parle en connaissance de cause, pour y aller souvent, en qualité de visiteur (et non pas en tant que
Président du Conseil Général de l'Isère, comme un de mes prédécesseurs a eu à
connaître la difficulté d'y faire un séjour. Je n'étais pas d'accord pour une peine
aussi lourde, et il aurait fallu à mon sens lui faire payer une lourde amende et le
rendre inéligible). Mais il est aussi regrettable qu'on emprisonne un petit délinquant pour un vol mineur.
Donc, la prison devrait constituer la peine sommitale, le dernier recours, alors
qu'elle est devenue la peine centrale. Il y a donc de plus en plus de gens en prison,
et de moins en moins de libérations conditionnelles. Lorsqu'un détenu bénéficie
d'une libération conditionnelle avant qu'il ait purgé la totalité de sa peine, il faut
qu'il se soit bien comporté, qu'il ait des garanties de logement, de travail, d'accueil
familial à la sortie, alors on peut le libérer. Le taux de récidive est alors divisé par
deux. Et plus la libération conditionnelle intervient tôt, plus le taux de récidive
diminue.
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Ce n'est pas de l'angélisme, ce n'est pas de la naïveté, c'est de l'efficacité qui
permet, sous la condition d'un suivi, d'éviter la prison, pas seulement par gentillesse, par angélisme, mais aussi pour avoir une justice efficace qui évite la récidive. Et cela, il n'y a pas moyen de le faire entendre à Madame Dati parce que
l'opinion publique, dit-elle, attend des mesures sévères. L'opinion devient la reine.
Donc, je reviens à votre question, comment espérer une justice meilleure,
D'abord il faut faire confiance aux magistrats qui sont très consciencieux, qui
essaient de faire leur travail du mieux possible. L'affaire d'Outreau a d'abord fait
beaucoup de mal à la magistrature, mais a incité les magistrats à se remettre en
cause.
On s'est aperçu, pendant les mois qui ont suivi les travaux de la Commission
d'Enquête Parlementaire, que le nombre de mises en détention provisoire avait
diminué. Donc les magistrats s'étaient remis en cause eux-mêmes. Mais maintenant c'est reparti dans l'autre sens.
Et vous savez, les magistrats sont aussi des hommes et des femmes qui ont
une famille, des enfants, et qui subissent la pression de leurs voisins qui les
encouragent à plus de sévérité. Ils ne sont ni imperméables ni hermétiques,
consciemment ou inconsciemment ils subissent l'influence de la société qui les
entoure. Il faut à ce sujet qu'on se remette tous en cause, et savoir que les gens qui
hurlaient contre les magistrats le jour de l'acquittement des innocents d'Outreau,
étaient les mêmes que ceux qui hurlaient « A mort les pédophiles » quand ils ont
été arrêtés et amenés au Palais de Justice la première fois.
Donc il y a parfois (souvent) des motifs d'espérer dans la qualité du travail des
magistrats, en confrontation avec les avocats qui assurent la défense des justiciables.
Et je vais terminer en citant Michel Audiard (qui n'était pas de gauche et qui
était très anticlérical). Il disait : « La justice, c'est comme la Sainte Vierge, il faut
qu'on la voie de temps en temps, sinon le doute s'installe ! »
balma, le jeudi 15 mai 2008
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