Des situations d`apprentissage ouvertes, larges et complexes

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Des situations d`apprentissage ouvertes, larges et complexes
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Les élèves sont tous différents et ils apprennent donc tous différemment. En
effet, les élèves diffèrent dans leur disposition à apprendre, leurs centres d’intérêt, leurs façons d’apprendre et leurs styles. Leurs expériences et leurs conditions de vie, leurs bagages culturels et leurs représentations du monde, les
stratégies qu’ils utilisent pour apprendre et la façon dont ils développent leurs
compétences ne sont pas les mêmes pour tous (Archambault et Richer, 2005).
En outre, les différences des élèves sont à ce point importantes qu’elles se manifestent clairement dans ce qu’ils doivent apprendre, dans ce qu’ils ont besoin
d’apprendre, dans le rythme auquel ils ont besoin d’apprendre et dans le soutien dont ils ont besoin de la part de l’enseignant et des autres intervenants
(Tomlinson, 2000).
Pourtant, même si on le sait, on s’attend à ce que tous les élèves apprennent
la même chose, le même contenu, au même moment. Même ceux que l’on
considère assez semblables apprennent différemment.
Des situations d’apprentissage ouvertes,
larges et complexes
Comment faire pour répondre à cette diversité ? Certainement pas en faisant
autant de situations d’apprentissage qu’il y a d’élèves dans une classe.
Purement irréaliste ! Par contre, une situation d’apprentissage ouverte, large
et complexe peut répondre aux besoins d’apprentissage de l’ensemble des
élèves. À l’inverse, plus une situation d’apprentissage est fermée, étroite et
simple, moins elle répond à l’ensemble des élèves. Voilà pourquoi les situations d’apprentissage doivent offrir un spectre large en possibilités.
Examinons maintenant de telles situations d’apprentissage.
Favoriser des situations d’apprentissage ouvertes
Combien de fois entendons-nous les élèves demander pourquoi faire telle
chose, pourquoi apprendre telle notion, à quoi cela leur sert-il ? Les réponses
sont souvent extérieures aux élèves ou éloignées de leur réalité. Par exemple,
les raisons telles que « Ça compte dans le bulletin », « Tu en auras besoin plus
tard », « C’est écrit dans le Programme », « Parce qu’il le faut », « Parce que
c’est important », etc., contribuent rarement à construire le sens d’une activité d’apprentissage chez les élèves, qu’ils soient enfants, adolescents ou
adultes. Une situation d’apprentissage ouverte peut contribuer à répondre à
ce type de questions.
En effet, une situation d’apprentissage ouverte est une situation où l’on
utilise les questions des élèves, leurs préoccupations, leurs champs d’intérêt
et leur savoir personnel comme levier à l’apprentissage, tout en sollicitant
leur capacité à exercer des choix. C’est une situation où les préoccupations
des élèves deviennent des prétextes pour se poser des questions, amorcer une
réflexion ou une recherche, initier une activité. C’est en tenant compte dans
son enseignement des préoccupations des élèves et en s’en servant pour les
faire apprendre que l’enseignant se donne plus de chances de répondre aux
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Une école pour apprendre est une école où les situations d’apprentissage tiennent compte de tous les élèves
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besoins d’apprentissage des élèves. À l’opposé, plus une situation est fermée,
moins elle correspond à l’ensemble des préoccupations des élèves et moins
elle est féconde pour l’apprentissage.
Les élèves de Marie amorcent l’étude du cycle de l’eau, en décrivant
ce qu’ils connaissent (ou croient connaître) de ce cycle. Marie veut
d’abord faire activer leurs connaissances sur le sujet, puis aborder
l’étude du fleuve Saint-Laurent à partir de photos qu’elle a prises lors
d’un voyage en Basse-Côte-Nord. L’activation des connaissances fait
ressortir plusieurs idées et nombre de connaissances. Néanmoins, une
élève pose une question qui en intrigue plusieurs. Pourquoi une goutte
d’eau qui pend au bout d’un robinet est-elle toujours ronde ? La discussion s’est rapidement enclenchée dans la classe, et Marie ne sait
quoi répondre.
Il n’y a pas si longtemps, elle aurait eu tendance à repousser la question, sous prétexte qu’elle n’était ni au programme, ni dans sa planification. Désormais, Marie est davantage prête à l’utiliser pour
favoriser l’apprentissage de ses élèves. Constatant que la question
suscite passablement d’intérêt, elle décide de reporter sa présentation de photos et attaque de front la question en disant à ses élèves
qu’elle ne connaît pas la réponse, mais que ce sera une occasion en
or de faire une recherche. Par la suite, elle fera préciser le problème
en élargissant l’observation du phénomène. L’a-t-on observé dans
d’autres situations ? Y a-t-il des situations où l’eau ne réagit pas ainsi,
etc. ? Puis elle suscitera l’émission d’hypothèses, à partir de réflexions
que les élèves auront effectuées en dyades. Plus tard, elle procédera
avec les élèves à la collecte d’informations, au test des hypothèses
et à la mise en commun intégratrice des trouvailles.
Tous ont du pain sur la planche !
Tenir compte des questions des élèves, de leurs préoccupations, de leurs centres
d’intérêt constitue un levier puissant pour que les élèves s’engagent dans l’apprentissage et par le fait même, cette voie par excellence les amène à construire
leur apprentissage. De plus, s’intéresser à leurs questions et à leurs préoccupations suscite le renouvellement du questionnement, fait émerger de nouveaux
champs d’intérêt et élargit ainsi les domaines de curiosité des élèves. C’est ce
que permet une situation d’apprentissage ouverte.
En outre, dans une situation d’apprentissage ouverte, il est important de
prévoir des endroits où les élèves choisissent les tâches qu’ils croient être les
plus pertinentes pour eux ou qu’ils choisissent les tâches qui correspondent
à leurs besoins d’apprentissage, et deviennent ainsi le propre pilote de leur
processus de différenciation. À l’ère où l’on parle de différenciation pédagogique en termes de démarches pédagogiques, de variété de matériels didactiques, d’un environnement éducatif varié, peu de personnes insistent sur le
fait que cette différenciation doit d’abord s’exercer sur l’apprentissage et
surtout être prise en charge par l’élève lui-même. Philippe Meirieu énonce
Chapitre 3
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clairement cette idée. Il insiste surtout sur le fait que ce sont les apprentissages qui sont nécessairement différenciés. Il parle d’une conception
[…] systémique, plus ouverte, qui partait de l’idée que l’élève doit
devenir acteur de ses apprentissages et donc, progressivement, le pilote
naturel du processus de différenciation. Dans la pratique, cette
approche consiste à introduire dans la classe, en offrant des possibilités
de choix, des espaces de négociation. (2004, p. 99).
Des situations d’apprentissage ouvertes engendrent un climat d’ouverture,
des attitudes ouvertes, une ouverture à la réflexion, un questionnement
ouvert, un véritable climat où les absolus laissent plus de place aux remises
en question bénéfiques au développement du raisonnement, au développement de la pensée.
L’exemple suivant illustre les bienfaits d’un changement de pratique pédagogique qui s’est assouplie pour le bénéfice de l’apprentissage des élèves.
Diane, enseignante au 3e cycle du primaire, se plaint qu’un bon nombre d’élèves
de son groupe semblent intéressés par peu de choses, elle les trouve démotivés.
Elle se rend compte que le matériel didactique utilisé ne correspond pas vraiment aux intérêts des élèves ni à leurs questions, puisqu’ils expriment des
commentaires négatifs à maintes reprises. Ce qui a pour effet de créer un climat propice à la contestation et au boycottage plutôt qu’à l’apprentissage.
Diane tente d’écouter ce qu’ils disent, mais leurs commentaires passent de la
vérité à l’exagération. Elle se décide à porter attention à leurs propos spontanés lorsqu’ils se parlent de leurs activités de fin de semaine. C’est ainsi
qu’elle découvre des préoccupations ignorées jusqu’à ce jour. Elle décide
d’intégrer leurs préoccupations aux situations d’apprentissage de la classe.
Elle constate dès lors, un changement d’attitude chez ses élèves et un engagement plus palpable dans certaines activités.
Au début de mon enseignement, je croyais que tenir compte des
champs d’intérêt des élèves empêcherait de voir le programme.
J’étais tellement centrée sur le programme que j’oubliais que j’étais
là pour que les élèves apprennent. C’est légitime, je commençais. Me
soucier de leurs préoccupations était une perte de temps pour moi et
je trouvais que les élèves devaient participer et apprécier ce que je
leur proposais. Quelle déception ! Non seulement certains ne participaient pas, mais d’autres s’occupaient à boycotter littéralement l’activité. Et là, j’ai organisé une série de règles, de conséquences, de
récompenses et de punitions dans un système bien structuré qui
exigeait de ma part un temps fou… Moi qui voulais gagner du temps,
j’en perdais deux fois plus. C’est alors que j’ai décidé de prendre en
compte les champs d’intérêt des élèves, les sujets qui piquaient leur
curiosité, les questions qu’ils se posaient, les craintes qu’ils vivaient et
exprimaient, leurs suggestions sur le fonctionnement de la classe…
Leurs préoccupations sont devenues un élément dont je tiens compte
dans la planification des situations d’apprentissage. Elles servent les
apprentissages à réaliser et les compétences à développer. Depuis
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Une école pour apprendre est une école où les situations d’apprentissage tiennent compte de tous les élèves