L`opinion défend à la fois la liberté individuelle et la
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L`opinion défend à la fois la liberté individuelle et la
ISSN 0295-9976 N° 231 – juillet 2010 L’opinion défend à la fois la liberté individuelle et la cohésion sociale Régis Bigot Individualistes, conservateurs, éternels insatisfaits, voire râleurs : les qualificatifs peu flatteurs ne manquent pas pour caractériser l’état d’esprit des Français. Certains de ces clichés mériteraient d’être relativisés. Une récente recherche du CRÉDOC, portant sur l’évolution des modes de vie et des opinions de nos concitoyens, révèle des facettes de la société beaucoup plus équilibrées. L’enquête «Conditions de vie et aspirations», réalisée chaque année depuis la fin des années 1970, offre un point d’observation privilégié des changements récents. Elle met en lumière des attitudes en matière de mœurs beaucoup moins conservatrices qu’on pouvait le penser et une forte envie de concilier liberté individuelle et cohésion sociale. Sur ces thèmes, les différences entre les villes et le monde rural ont tendance à disparaître. Par exemple, l’idée de l’homoparentalité, qui a longtemps divisé le corps social, a fait son chemin dans les esprits: 61% de la population considèrent aujourd’hui que deux personnes de même sexe devraient pouvoir s’unir civilement à la mairie et près de la moitié estime qu’elles devraient pouvoir adopter un enfant. L’étude révèle aussi un réel attachement de nos concitoyens aux valeurs de solidarité, à l’État Providence et à l’aide en faveur des plus démunis. Autant de résultats qui traduisent la volonté de mieux vivre ensemble dans le respect des libertés de choix de vie de chacun. C e n t r e d e R e c h e r c h e L’opinion est sur le point de basculer en faveur de l’homoparentalité On dit parfois des périodes de récession économique qu’elles sont caractérisées par un retour vers des valeurs traditionalistes et des attitudes conservatrices. Dans un environnement tourmenté, l’opinion serait à la recherche de repères et tentée par un retour en arrière. Plusieurs indicateurs de l’enquête « Conditions de vie et aspirations » du CRÉDOC montrent qu’il n’en est rien. Exemple significatif : le regard que portent nos concitoyens sur l’homoparentalité ou le mariage homosexuel évolue rapidement ces dernières années. La majorité de l’opinion est sur le point de basculer : en 2010, près d’un Français sur deux estime que deux personnes de même sexe devraient pouvoir adopter un enfant ; il y a quatre ans, le pourcentage n’était que de 40 %. Corrélativement, 61 % de la population considèrent que deux personnes de même sexe devraient pouvoir s’unir civilement à la mairie, contre 55 % en 2007. Près d’une personne sur deux est favorable à l’homoparentalité Proportion d’individus partageant les opinions suivantes (en %) 70 60 60 57 55 50 44 40 41 2007 2008 61 Deux personnes de même sexe devraient pouvoir s'unir civilement à la mairie 48 Deux personnes de même sexe devraient pouvoir adopter un enfant 40 30 p o u r 2009 2010 Source : CRÉDOC, enquêtes sur les « Conditions de vie et Aspirations ». l ’ É t u d e e t l ’ O b s e r v a t i o n d e s C o n d i t i o n s d e V i e C e n t r e d e R e c h e r c h e p o u r Ceux qui ont changé de point de vue en quatre ans sont d’une part les sexagénaires : en 2007, 63 % d’entre eux étaient opposés à l’union civile à la mairie des couples homosexuels ; aujourd’hui, dans cette même tranche d’âge, on compte presque autant de partisans que d’opposants (respectivement 48 % et 52 %). Sur l’homoparentalité, ce sont surtout les 40-60 ans qui ont évolué : 40 % « seulement » y étaient favorables il y a quatre ans, contre 51 % aujourd’hui. Conséquence de ces évolutions : l’écart selon le lieu de résidence est peu important : 44 % des habitants des communes rurales sont favorables à la possibilité que deux personnes de même sexe puissent adopter un enfant, la proportion est de 54 % dans l’agglomération de Paris. l ’ É t u d e e t l ’ O b s e r v a t i o n 80 75 75 71 70 2007 73 60 55 50 48 40 37 30 27 21 20 Source : CRÉDOC, enquêtes sur les « Conditions de vie et Aspirations ». 10 0 18-24 ans 25-39 ans 40-59 ans 60-69 ans Proportion d’individus partageant l’idée que les femmes devraient pouvoir travailler dans tous les cas où elles le désirent (par opposition à « ne devraient pas travailler lorsqu’elles ont des enfants en bas âge », « ne devraient jamais travailler », « ne devraient travailler que lorsque les revenus du conjoint sont insuffisants ») (en %) 70 70 62 60 55 50 40 30 39 33 32 28 Agglomération de Paris Plus de 100 000 hab. 20 000 - 100 000 hab. 2 000 - 20 000 hab. Moins de 2 000 hab. 20 10 0 1980-1984 1985-1989 1990-1994 1995-1999 vue et l’écart avec les habitants des agglomérations de plus de 100 000 43 40 33 70 ans et plus 21 20 16 Ensemble de la population 13 10 0 1980 1990 15 10 18-24 ans 2000 2010 Guide de lecture : En 1980, 28 % de la population considéraient que le mariage est une union indissoluble. En 2010, la proportion n’est que de 16 %. Les écarts d’opinion entre les plus jeunes et les plus âgés sur cette question ont diminué en trente ans (passant de +37 points à +23 points). Source : CRÉDOC, enquêtes sur les « Conditions de vie et Aspirations ». C e n t r e d e R e c h e r c h e 2000-2004 2005-1200 Guide de lecture: au début des années 80, l’écart d’opinions favorables au travail des femmes entre les habitants de l’agglomération de Paris et ceux des communes de moins de 2000 habitants était de 27 points; à la fin des années 2000, il n’est plus que de 6 points Source : CRÉDOC, enquêtes sur les « Conditions de vie Aspirations ». 47 13 70 ans et plus Le long chemin parcouru par l’opinion au sujet du travail des femmes 60 23 2010 67 Convergence des opinions autour du mariage 28 V i e Proportion d’individus partageant l’opinion selon laquelle deux personnes de même sexe devraient pouvoir s’unir civilement à la mairie (en %) Proportion d’individus (en %) considérant que le mariage est une union indissoluble 30 d e 80 Ces changements s’inscrivent dans un mouvement d’abandon de certaines attitudes traditionalistes : l’idée que le mariage est une union indissoluble perd régulièrement du terrain depuis trente ans, de même que la défense du principe selon lequel les femmes ne devraient pas travailler lorsqu’elles ont des enfants en bas âge, ou qu’elles le pourraient uniquement pour équilibrer le budget du ménage. Au début des années 1980, seuls 28 % des ruraux défendaient l’idée que les femmes devaient pouvoir travailler dans tous les cas où elles le désirent ; trente ans plus tard, 62 % partagent ce point de 50 C o n d i t i o n s Un début de convergence au sujet du mariage homosexuel Le traditionalisme en matière de mœurs recule 50 d e s p o u r l ’ É t u d e e t l ’ O b s e r v a t i o n habitants a quasiment disparu (70 %). La valeur « famille », qui reste fondamentale, est moins hégémonique. Par exemple, à la fin des années 1970, 68 % des personnes interrogées considéraient que « la famille est le seul endroit où l’on se sent bien et détendu » ; en 2010, ce point de vue reste majoritaire, mais il s’estompe progressivement (59 %). De nombreux travaux de recherche montrent que les liens familiaux sont de plus en plus choisis et de moins en moins subis. Non seulement nous sommes loin de l’époque où trois générations cohabitaient sous le même toit, mais, aujourd’hui, au sein des familles, les liens se nourrissent d’échanges réciproques, plus électifs. Dans le même temps, la sociabilité de chacun tend à s’élargir : moins centrée sur le foyer, elle se diversifie et s’élar- d e s C o n d i t i o n s d e V i e C e n t r e d e R e c h e r c h e p o u r l ’ É t u d e git aux réseaux de voisinage, amicaux, professionnels, associatifs, et virtuels aujourd’hui avec la diffusion d’Internet. Signe d’une tendance de fond, l’évolution de ces pratiques de sociabilité est relativement homogène sur l’ensemble du territoire e t l ’ O b s e r v a t i o n 70 70 On évoque souvent la montée de l’individualisme dans les sociétés contemporaines. De fait, la progression de la sociabilité et la meilleure acceptation des différences témoignent d’une plus grande ouverture à autrui. L’inclination à mieux vivre ensemble se manifeste à travers les nombreuses formes de solidarités, familiales, associatives ou nationales. Des solidarités qui tendent d’ailleurs à se renforcer quand le chômage se développe. Plusieurs résultats de l’enquête « Conditions de vie et aspirations » en attestent : interrogés sur ce qui, selon eux, explique le mieux que certaines personnes vivent dans la pauvreté, deux Français sur trois considèrent que c’est parce qu’elles n’ont pas eu de chance ; seul un sur trois considère au contraire qu’elles n’ont pas fait assez d’effort pour s’en sortir. Cette attitude compréhensive, voire compatissante, est perceptible sur l’ensemble du territoire et a eu tendance à se renforcer ces dernières années. 40 67 60 57 C'est parce qu'elles n'ont pas eu de chance 37 35 33 36 0 2002 2003 2004 2005 2006 Cette évolution se traduit aussi par le souhait largement partagé (60%) que la collectivité prenne en charge les familles aux ressources insuffisantes pour leur permettre de vivre. Seule une minorité estime plutôt que cela risquerait de leur enlever le sens des responsabilités (36 %). Les opinions sont comparables quelle que soit la taille de l’agglomération dans laquelle on vit. L’attente de l’opinion vis-à-vis du système de protection sociale est forte, et pas seulement dans les périodes où la conjoncture se dégrade: les observations régulières du CRÉDOC sur ce sujet depuis plus de 30 ans montrent qu’il s’agit d’une attitude 58 Guide de lecture : en 2009, 54 % des habitants des communes de moins de 2 000 habitants estimaient que le RMI donne un coup de pouce aux bénéficiaires pour s’en sortir, plutôt qu’il ne les incite à s’en contenter et à ne pas chercher du travail. En 2010, 60 % estiment qu’il en est de même pour le RSA. 54 49 40 30 20 10 0 Moins de 2 000 hab. 2 000 20 000 hab. 20 000 100 000 hab. Plus de Agglomération 100 000 hab. de Paris d e R e c h e r c h e 2008 2009 2010 p o u r largement ancrée dans le système de valeurs de nos concitoyens. Un fort soutien aux politiques sociales En 2010, 60 % de nos concitoyens estiment que les pouvoirs publics ne font pas assez pour les plus démunis (seuls 5 % estiment que l’État fait trop et 33 % disent qu’il fait ce qu’il doit). Un résultat à nuancer puisqu’entre 2009 et 2010, la critique s’est atténuée : l’an dernier, 68 % de la population pensaient que l’aide publique était insuffisante, soit 8 points de moins en douze mois seulement. Il est probable que la mise en place du Revenu de Solidarité Active en juin 2009 a pu infléchir l’opinion. En 2009, 44 % de la population considéraient que le RMI comportait des risques d’inciter les bénéficiaires à s’en contenter et à ne pas chercher de travail. Aujourd’hui, seuls 36 % font le même reproche au RSA (une proportion qui tombe à 29 % en Ile-deFrance). Cette réforme, qui vise à encourager le retour à l’activité des personnes en difficultés tout en leur apportant un soutien financier, a pu donner le sentiment aux Français que l’État est plus présent et plus efficace. La crainte des inégalités dans l’accès aux soins Le désir de préserver la cohésion sociale se manifeste également par l’augmentation des craintes rela- Source : CRÉDOC, enquêtes sur les « Conditions de vie et Aspirations ». C e n t r e 2007 Source : CRÉDOC, enquêtes sur les « Conditions de vie et Aspirations ». 63 47 29 10 71 57 25 C'est parce qu'elles n'ont pas fait assez d'efforts pour s'en sortir 20 2010 58 31 30 28 30 70 54 66 50 Un jugement plutôt positif au sujet du RSA 50 65 64 59 Proportion d’individus considérant que le RSA (en 2010) ou le RMI (en 2009) donne un coup de pouce aux bénéficiaires pour s’en sortir, plutôt qu’il ne les incite à s’en contenter et à ne pas chercher du travail (en %) 60 V i e 80 L’attachement aux valeurs de solidarité 60 d e Entre les deux raisons suivantes, quelle est celle qui, selon vous, explique le mieux que certaines personnes vivent dans la pauvreté ? (en %) 62 2009 C o n d i t i o n s La compréhension à l’égard des plus démunis tend à progresser 60 80 d e s l ’ É t u d e e t l ’ O b s e r v a t i o n d e s C o n d i t i o n s d e V i e C e n t r e d e R e c h e r c h e p o u r tives au système de soins : le sentiment que l’on est mieux soigné lorsqu’on a des relations et de l’argent s’est diffusé, année après année. L’impression de vivre dans un système de soins à deux vitesses, qui était auparavant surtout perceptible chez les Parisiens, s’est progressivement répandue sur l’ensemble du territoire : entre 1980 et 2010, la pro- l ’ É t u d e e t l ’ O b s e r v a t i o n portion d’individus pensant que l’on est mieux soigné lorsqu’on est aisé est passée en milieu rural de 52 % à 66 % ; chez les Franciliens, la proportion atteint 73 %. De fait, on constate une augmentation de la part d’individus déclarant devoir s’imposer des restrictions budgétaires en matière de soins médicaux. Au début des années 1980, seuls 3 % de La population s’impose davantage de restrictions budgétaires en matière de soins médicaux Proportion d’individus déclarant devoir s’imposer régulièrement des restrictions budgétaires en matière de soins médicaux (en %) 14 1980-84 1990-94 2000-04 12 2005-2010 12 13 11 10 10 7 7 7 6 6 6 9 9 8 8 6 6 7 7 d e s C o n d i t i o n s d e V i e la population se trouvaient dans cette situation ; trente années plus tard, le taux a grimpé à 13 %. Or, les catégories les plus modestes se restreignent trois fois plus souvent que les catégories aisées : en 2010, 18 % des ménages disposant de moins de 900 € par mois sont touchés, contre 5 % de ceux qui disposent de plus de 3 100 € par mois. ■ Pour en savoir plus ● Les résultats sont tirés de l’enquête « Conditions de vie et Aspirations », réalisée chaque année auprès de 2000 personnes interrogées en face-à-face selon la méthode des quotas. L’échantillon, renouvelé tous les ans, est représentatif de la population adulte résidant en France. 5 4 4 4 4 CRÉDOC Consommation et Modes de Vie 2 0 Moins de 2 000 hab. 20 000 100 000 hab. 2 000 20 000 hab. Plus de 100 000 hab. ● Agglomération de Paris Publication du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie Source : CRÉDOC, enquêtes sur les « Conditions de vie et Aspirations ». ● Un système de soins à deux vitesses : les craintes s’accroissent Directeur de la publication : Yvon Merlière Proportion d’individus qui pensent que l’on est mieux soigné lorsqu’on a de l’argent et des relations (en %) ● Rédacteur en chef : Yvon Rendu 80 1980-84 1990-94 2000-04 76 2005-2010 71 70 59 60 52 71 68 66 65 57 58 61 63 58 60 64 73 ● 67 65 Relations publiques 61 Tél. : 01 40 77 85 01 54 [email protected] 50 30 Diffusion par abonnement uniquement 31 euros par an Environ 10 numéros 20 ● 142, rue du Chevaleret, 75013 Paris 10 ● 0 Moins de 2 000 hab. 2 000 20 000 hab. 20 000 100 000 hab. Agglomération de Paris Plus de 100 000 hab. Commission paritaire n° 2193 AD/PC/DC Guide de lecture : 52 % des habitants des communes de moins de 2 000 habitants considéraient au début des années 80 que l’on est mieux soigné lorsque l’on a de l’argent et des relations. À la fin des années 2000, ils étaient 66 %. Source : CRÉDOC, enquêtes sur les « Conditions de vie et Aspirations ». C e n t r e d e R e c h e r c h e p o u r l ’ É t u d e e t l ’ O b s e r v a t i o n ● www.credoc.fr d e s C o n d i t i o n s d e V i e Réalisation La Souris : 01 45 21 09 61 www.lasouris.org ● 40