Resorption cervicale invasive

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Resorption cervicale invasive
Formation l Endodontie
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Résorption
cervicale invasive
Grégory Caron
CPEA Rubrique dirigée par Pierre Machtou et Dominique Martin
Les résorptions cervicales invasives font
partie de la famille des résorptions
inflammatoires externes. La terminologie
employée pour décrire ces lésions est
multiple et souvent source de confusion.
En 1999, Heithersay [1] a proposé
le terme de résorption cervicale invasive
pour caractériser le positionnement
et l’agressivité de cette lésion, qui décrit
parfaitement cette entité clinique.
2
A
l’image de l’ensemble des résorptions, un
processus d’activation des cellules ostéoclastiques [2] est initié dans la région cervicale, entraînant une perte de substance dentaire (cément, dentine). Le facteur déclenchant reste la perte
d’intégrité du cément qui ne permet plus une protection de la dentine contiguë. Cette brèche cémentaire
occasionne une réparation où la balance ostéoblasteostéoclaste se voit déporter vers l’activité clastique.
Cette balance est sous l’influence de plusieurs facteurs chimiques (hormones, cytokines, facteurs de
croissance). La nature même de cette résorption n’est
pas encore tranchée selon les auteurs qui la décrivent
comme inflammatoire seule, inflammatoire initialement puis infectieuse voire infectieuse initialement
puis inflammatoire [3].
Dans les cas de résorption cervicale invasive, il est
difficile de mettre en évidence une étiologie, ce qui
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résorption cervicale invasive
2. Situation clinique
et radiographique initiale.
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les classe dans les résorptions dites idiopathiques.
Parmi 222 patients présentant 257 résorptions cervicales invasives, Heithersay [1] a cependant mis en évidence des facteurs prédisposants : l’orthodontie (avec
force lourde), les traumatismes dentaires, le blanchiment interne (avec peroxyde d’hydrogène), les dommages directs à la jonction amélo-cémentaire lors de
chirurgie.
À noter que les thérapeutiques parodontales type surfaçage ne sont pas ressorties de cette étude princeps
comme un facteur étiologique notoire. Le processus
inflammatoire serait rapidement annihilé par un turnover des cellules épithéliales.
Les caractéristiques principales de la résorption cervicale invasive sont :
- des parois dures au sondage à la base de la résorption. Cela permet un diagnostic différentiel avec
les caries radiculaires qui apparaissent molles voire
collantes au sondage. Un sondage appuyé entraînera
un saignement par la stimulation du tissu inflammatoire de la résorption ;
- la présence fréquente d’un « pink spot » correspondant à la visualisation du tissu inflammatoire au travers de la couronne dentaire ;
- la préservation de la pulpe par la présence de prédentine protectrice : la progression de la résorption tend donc à entourer la circonférence pulpaire
avant une progression plus apicale. Dans les stades
avancés, une perte de l’intégrité de la prédentine est
obtenue avec une communication pulpaire (fig. 1) ;
- la préservation de la vitalité pulpaire jusqu’à la perte
d’intégrité de la prédentine. Aucune étiologie pulpaire ne participe au développement de la résorption cervicale invasive ;
- une difficulté diagnostique par un positionnement
cervical sous-gingival et l’absence de symptôme
douloureux tant que la pulpe n’est pas atteinte ou
que le parodonte ne présente pas de signes cliniques
inflammatoires localisés.
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Diagnostic
et plan de traitement
Un patient de 60 ans vient en consultation pour un avis
concernant une gêne ressentie au niveau de 43 depuis
la réalisation récente d’un détartrage de maintenance.
Il n’a jamais suivi de traitement orthodontique et ne se
rappelle pas avoir subi un quelconque traumatisme.
L’examen clinique permet de mettre en évidence (fig. 2):
- l’absence de dyschromie dentaire sur 43 ;
- un test de sensibilité thermique positif sur 43,
confirmé par la réalisation d’un test électrique ;
- un sondage parodontal physiologique (2 mm) sur
toute la périphérie sulculaire avec une légère suppuration en distal de 43 ;
- l’absence de douleur à la percussion axiale et latérale ;
- l’absence de mobilité parodontale ;
- une occlusion non traumatique sur 43.
Le cliché rétro-alvéolaire indique la présence d’une
image radioclaire lacunaire au niveau cervical avec une
lumière canalaire bien délimitée.
L’ensemble de ces données oriente vers un diagnostic
de résorption cervicale invasive de type 2 selon la classification de Heithersay [4].
Dans un second temps, un cone beam est réalisé pour
évaluer précisément la localisation et le volume de
perte de substance. La lésion se révèle importante dans
le sens vestibulo-lingual avec une atteinte de la paroi
canalaire (fig. 3). Toute gestion de la résorption passe
donc aussi par une gestion de l’espace canalaire.
La compilation des données permet de proposer au
patient plusieurs solutions thérapeutiques :
- l’abstention : le processus est évolutif et cette solution
ne peut conduire qu’à l’avulsion de 43 à moyen terme ;
- le traitement endodontique associé à une chirurgie mini-invasive parodontale pour la gestion de la
résorption ;
- l’avulsion de 43 et son non-remplacement ;
- l’avulsion de 43 et son remplacement implantaire.
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Formation l Endodontie
3a. Coupe transversale :
flèche verte indiquant
la résorption ; flèche
rouge indiquant
l’espace canalaire.
À noter la présence
importante d’artefacts
dus aux implants.
b. Coupe frontale :
visualisation de la
position corono-apicale
de la résorption.
3a
3b
4
4. Visualisation intra-canalaire
de la lacune de résorption.
5
5. Radiographie
postopératoire de la première
phase thérapeutique.
Librement informé de ces choix, le patient préfère la
conservation de l’organe dentaire par l’association d’un
traitement endodontique et d’une chirurgie parodontale.
Traitement
La première phase thérapeutique consiste en la
réalisation d’un traitement endodontique conventionnel
malgré la persistance de la vitalité pulpaire, la communication entre l’espace canalaire et la lacune de résorption
infectée ayant été objectivée par le cone beam.
Le traitement est conduit sans attacher d’importance à
la zone de communication avec la résorption. En fin de
parage canalaire, une inspection visuelle sous microscope opératoire permet de mettre en évidence un tissu
inflammatoire non hémorragique en regard de la zone
de résorption. L’activité protéolytique de l’hypochlorite
de sodium a permis de stopper tout exsudat hémorragique à ce niveau (fig. 4).
L’obturation canalaire en gutta chaude est réalisée en
prenant soin de positionner le bouchon coronaire
4
6
6. Mise en évidence du tissu inflammatoire
de la résorption lors de la levée du lambeau.
apicalement à la zone de résorption. L’objectif est de
conserver la zone de résorption propre de dépôt de
ciment endodontique et de gutta percha. La remontée
est réalisée à l’aide d’un pistolet de gutta chaude qui permet précisément de placer la gutta à un niveau plus apical
que la résorption.
À ce stade, le tiers coronaire est exempt de gutta percha
et est obturé à l’aide de Biodentine® (fig. 5). Ce biomatériau est ici choisi pour ses propriétés biologiques, mais
surtout pour ses propriétés mécaniques de dureté [5].
Lors du curetage de la lacune de résorption, l’obturation
en Biodentine® servira alors de repère visuel et tactile.
La deuxième phase thérapeutique est chirurgicale, visant à l’élimination du tissu inflammatoire de la
lacune de résorption et au comblement de cette lacune
pour rétablir un environnement parodontal physiologique.
La topographie de la lésion permet d’envisager une
chirurgie dite mini-invasive [6] présentant les avantages
d’un abord chirurgical réduit et d’une cicatrisation
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résorption cervicale invasive
8
9a
7. Lacune de résorption après élimination
du tissu inflammatoire.
7
8. Mise en place de l’acide
orthophosphorique à 35 %.
gingivale rapide. Le tracé d’incision est intra-sulculaire au niveau de 43-44 avec une incision de décharge
très réduite en distal de 44. Ce mini-lambeau permet
de décoller la papille 43-44 très précautionneusement et d’accéder à la résorption (fig. 6). Le curetage de la lésion est à la fois rotatif et manuel. Toute
persistance hémorragique signe la présence de tissu
inflammatoire résiduel qui apparaît sous la forme
d’un réseau de capillaire vascularisé s’invaginant
dans les tissus dentinaires. Une inspection visuelle
sous microscope est effectuée avant la décontamination chimique de la surface dentinaire (fig. 7). Ici,
un mordançage à l’aide d’acide orthophosphorique à
35 % pendant 15 secondes a été réalisé afin d’obtenir
une surface propice au collage et non dénaturée en
fibre collagénique (fig. 8).
Un ciment verre ionomère de restauration est placé
pour combler la lacune. À la fin de sa prise, une attention toute particulière est portée au polissage pour
favoriser une réattache épithéliale rapide (fig. 9).
Trois points de suture discontinus permettent le
maintien du lambeau (fig. 10). L’ordonnance postopératoire consiste en la prescription d’un antalgique
de type ibuprofène et d’un antiseptique local à base
de chlorhexidine. Les fils de suture sont retirés à
trois jours postopératoires.
La troisième phase thérapeutique a consisté
en la réalisation d’une obturation coronaire étanche
de la cavité d’accès endodontique à l’aide d’un composite microhybride. Dans ce cas clinique, celle-ci
aurait pu être effectuée de manière concomitante à
la première phase thérapeutique.
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9b
9. Mise en place du verre ionomère
de restauration et polissage.
10
10. Lambeau suturé à l’aide de 3 points discontinus.
Discussion
Le protocole thérapeutique employé ici ne peut
être considéré comme un gold standard, car chaque
résorption cervicale invasive présente une topographie variable. De plus, sa découverte souvent tardive conduit généralement à une avulsion plutôt
qu’à une conservation de l’organe dentaire [7]. Selon
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11. Situation
clinique
et radiographique
à 6 mois
postopératoires.
11a
11b
Heithersay, seules les formes 1 à 3 peuvent être
traitées. La forme 4 présente une trop forte invagination de la résorption au sein des tissus dentinaires pour assurer la pérennité de la dent. Il est à
noter que cette classification repose sur une étude
radiographique rétro-alvéolaire. L’imagerie tridimensionnelle est fortement indiquée pour compléter la rétro-alvéolaire. La résorption s’étend
dans le sens vestibulo-lingual, ce qui est souvent
sous-évalué sur une imagerie à deux dimensions.
Comme beaucoup de classifications basées sur
les rétro-alvéolaires, celle de Heithersay semble
insuffisante pour décrire les résorptions à l’aune
de l’imagerie tridimensionnelle.
L’entité histologique des résorptions semble
aussi variable. Gunst et col. [8] ont montré que
les résorptions cervicales invasives présentent, au
sein de la lacune, des feuillets minéralisés de type
tissu ostéoïde. Cette ostéodentine est parcourue
d’un réseau de capillaire qui assure un pont vasculaire entre le tissu inflammatoire et le ligament
parodontal. Afin d’éliminer ce réseau vasculaire,
Heithersay préconise l’utilisation d’acide trichloroacétique à 90 % [9]. Dans le cas clinique
décrit, le tissu inflammatoire n’a pas présenté ces
feuillets et le curetage a facilement permis d’éliminer toute persistance hémorragique.
À six mois postopératoires, la cicatrisation gingivale est bonne avec un maintien de la papille
43-44. Le processus de résorption n’a pas repris
et l’environnement osseux est physiologique
(fig. 11). Cependant, cette période postopératoire reste faible et une surveillance radiologique
et clinique à plus long terme est nécessaire pour
valider la thérapeutique entreprise.
Conclusion
La prise en charge des résorptions cervicale invasives reste rare,
car cette lésion n’est que faiblement diagnostiquée. Le plus souvent,
son évolution insidieuse et non symptomatique entraîne une volumineuse perte de substance dentaire ne permettant pas la conservation de la dent. Si le diagnostic est effectué à temps, le traitement
visera à éliminer le tissu inflammatoire, siège de la résorption, et
à restaurer la perte de substance. Une thérapeutique endodontique
complémentaire est seulement indiquée s’il existe une zone de
communication entre la résorption et le tissu pulpaire.
Le cas clinique présenté permet de décrire une procédure spécifique à la situation clinique rencontrée. Toute variation de forme de
résorption cervicale invasive entraînera a fortiori une approche clinique différente, mais dont la trame est toujours similaire et basée
sur une étude de la littérature scientifique appropriée.
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Correspondance
[email protected]
6
results using topical application of trichloroacetic acid, curettage and
restoration. Quintessence Int 1999 ; 30 : 96-110.
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