1 Séquence IV / Dumas, La Femme au collier de velours (1850

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1 Séquence IV / Dumas, La Femme au collier de velours (1850
Séquence IV / Dumas, La Femme au collier de velours (1850)
Commentaire composé du texte 4 : « Non, Monsieur, je ne suis pas de Mannheim […] sa chère Antonia » (édition Librio, p. 128-129)
Introduction : [Situation du passage] : Le récit de La Femme au collier de velours s’achève en des pages où la place du dialogue est
particulièrement importante. Le narrateur semble s’effacer derrière les propos de deux personnages, l’un secondaire, « le changeur »,
l’autre principal, Hoffmann. Notre héros, après la traumatisante expérience de la perte de la vénéneuse femme qu’il a passionnément
désirée, Arsène, décide de mettre un terme à son séjour parisien est de retrouver la vie qu’il menait auparavant en Allemagne. Il évoque
ce projet dans une conversation avec le changeur, plus au fait de ce qui se passe à Mannheim et qui va apporter de mauvaises nouvelles
au jeune homme. [Problématique] : Il s’agira de montrer que cet explicit à coloration fantastique ferme le récit en soulignant que tout retour
en arrière est impossible dans l’existence et en mettant l’accent sur la culpabilité qui va désormais accompagner Hoffmann. [Annonce du
plan] : Pour cela nous étudierons d’abord la façon dont Hoffmann cherche à retrouver l’univers initial dans lequel il a évolué, puis nous
verrons que sa destinée tragique marquée du sceau du fantastique empêche ce retour au point de départ.
I.
Un explicit dans lequel Hoffmann cherche à renouer avec l’univers du début du récit
a. Echos au éléments narratifs du début du récit
Dans le premier chapitre, nous avions fait la connaissance du jeune Hoffmann dans sa chambre à Mannheim. Il guettait par la fenêtre la
sortie de l’église d’une jeune fille dont il était épris, Antonia. Dans cette dernière page, nous retrouvons les personnages allemands du
début du récit : Antonia Mürr, fille de Gottlieb Mürr, que Hoffmann présente de façon insistante comme sa « fiancée » (lignes 2, 12).
Dans ce début de l’échange, Hoffmann semble éprouver le désir d’effacer ce qu’il a vécu depuis son départ pour Paris, et de se
reconcentrer sur ce qu’était sa vie dans la situation initiale du récit. Il semble éprouver le désir de refermer la parenthèse dissolue de son
amour dévastateur pour Arsène et de retrouver une vie plus saine et plus sereine auprès de la douce Antonia. Le fait qu’il affirme « je ne
suis pas de Mannheim mais j’habite à Mannheim » (lignes 1-2) montre bien que pour lui le séjour parisien, si marquant qu’il ait été, n’était
que temporaire et qu’il a un vif désir de le voir s’achever pour retrouver le lieu dans lequel il estime devoir désormais construire sa vie
d’homme.
b. Le nom de la ville de départ : un point d’attache vital
De fait, le texte paraît saturé par la mention du nom de la ville de Mannheim : on en compte 7 occurrences dans l’extrait, dont 4 dans la
seule première réplique de Hofmann, lgn 1-3. Cette répétition du nom du lieu souligne l’importance qu’il revêt pour le personnage. C’est
pour lui, au début du passage la promesse d’un retour dans un havre de paix où il va pouvoir reprendre le fil interrompu de son existence.
Il y a bien pour lui achèvement d’une étape de son existence, mais aussi promesse d’un avenir heureux ou en tout cas meilleur.
Mannheim est également une sorte de point de repère auquel le personnage cherche à se raccrocher après les épreuves traumatisantes
qu’il vient de traverser. De fait, en cette fin de récit, Hoffmann s’apprête à « retourne[r] à Mannheim » (lgn 3). Trois lignes avant la fin (et
« deux heures après » le dialogue avec le changeur), il « montait dans la voiture de Mannheim ». Le trajet lui-même est passé sous silence
(c’est une ellipse narrative qui montre que là n’est pas l’essentiel) et l’ouvrage s’achève dans le cimetière de la ville allemande où se rend
Hoffmann, même si le changeur a jugé que ce « voyage » serait « inutile ». Certes, comme Hoffmann le souhaitait, la parenthèse
parisienne de son existence s’achève, mais pas exactement de la façon dont il l’avait imaginé.
c. Tentative de retour en arrière, auprès de la femme initialement aimée
En effet, Hoffmann a d’abord le projet de retrouver Antonia pour l’épouser. La façon dont il explique ses intentions au changeur
souligne la fermeté de cette résolution : dans sa première réplique, les propositions sont brèves, presque sèches, juxtaposées ou
coordonnées et laissent deviner un projet simple, direct et sans faille : « ma fiancée est à Mannheim ; elle m’attend, et je retourne à
Mannheim pour l’épouser ». Lorsque, découvrant par hasard que la fiancée en question n’est autre qu’Antonia Mürr le changeur exprime
sa surprise, par l’usage de l’exclamative « Antonia ! » (lgn 13) puis « Comment jeune homme ! » et enfin par l’interrogative « c’est pour
épouser Antonia que vous retourniez à Mannheim ? » (15-16) – montrant par l’usage de l’imparfait « retourniez » que le projet va trouver
des obstacles à sa réalisation –, Hoffmann persiste tout de même dans cette fermeté. Ses réponses sont brèves et sans faille « Oui,
Antonia » (14) et « Sans doute » (17) qui doit être compris ici dans le sens de « sans aucun doute ». L’enjeu est pour lui important. Il s’agit
certes d’un mariage mais plus encore d’une tentative de clore définitivement les malheurs de l’aventure parisienne qui lui ont brisé le cœur
mais aussi fait quasiment perdre l’esprit. S’il se montre si déterminé, c’est qu’il cherche un nouveau départ et qu’il croit pouvoir le trouver
en renouant le fil interrompu de son histoire allemande, comme s’il pouvait gommer tout ce qui s’était passé dans ce moment de son
existence.
è Bilan transition : Mais ce projet de retour en arrière va être anéanti par l’information tragique que le changeur va délivrer à
Hoffmann.
II.
Un fin tragique teintée de fantastique
a. Quand la mort se substitue aux noces prévues
Si Hoffmann avait planifié des noces, fin heureuse traditionnelle des contes ou des comédies, il va au bout du compte se trouver une
nouvelle fois confronté à la mort. La fonction du personnage secondaire du changeur est en effet de lui apporter une nouvelle qui va
constituer un véritable coup de théâtre réduisant à néant tous les beaux projets qu’il avait échafaudé dans son esprit. Le réel se rappelle à
lui par le biais d’une « lettre [du] père [de sa fiancée] qui […] annonce qu’[…] Antonia est morte » (lgn 20-21). Hoffmann se trouve alors
désarmé, « pâle, tremblant, anéanti » (24). Alors qu’il avait cru pouvoir échapper à la destinée tragique dans laquelle il se trouvait engagé
depuis sa rencontre fatale avec Arsène, elle aussi morte, il ne peut s’y soustraire. La mort le poursuit, jusque dans les dernières lignes de
l’ouvrage où Hoffmann « arriva juste pour accompagner au cimetière le corps de Gottlieb Murr, qui avait recommandé en mourant qu’on
l’enterrât côte à côte de sa chère Antonia ». Seul rescapé de cette tragique aventure, Hoffmann ne peut que constater qu’aucun retour en
arrière n’est possible. Il subit un destin implacable et fatal, qu’il ne peut déjouer. Mais si la mort d’êtres chers et réconfortants est à elle
seule une tragédie, la coloration fantastique du récit va apporter au personnage un sentiment supplémentaire de culpabilité.
b. Hasard de la mort ou malédiction surnaturelle ?
En effet, un série de hasard et faits étonnants accompagne l’annonce de la mort d’Antonia. On peut déjà être étonné qu’à Paris
Hoffmann ait trouvé un changeur de Mannheim, connaissant de façon suffisamment intime la famille Murr pour que le père lui ait
envoyé une lettre l’informant du décès de son enfant. Mais il peut y avoir à ce fait des explications rationnelles : Hoffmann avait choisi un
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compatriote pour engager son médaillon quand il avait besoin d’argent. En tant que compatriotes, il est possible qu’ils aient fréquenté les
mêmes cercles. Le plus surprenant réside dans le fait que le père, puis le changeur livrent une précision perturbante pour Hoffmann, celle
du moment précis du décès de la jeune fille « il y a huit jours, à trois heures de l’après-midi » (21). Le commentaire du narrateur qui suit
cette information fait un lien entre cet instant du décès, soudain et imprévisible puisque « Antonia est morte subitement en jouant de la
harpe » (21-22) et ce que faisait au même instant Hoffmann à Paris : « C’était juste le jour où Hoffmann était allé chez Arsène pour faire
son portrait ; c’était juste l’heure où il avait pressé de ses lèvres son épaule nue ». Certes le lien de causalité entre les deux événements n’est
pas explicitement établi, mais il est suggéré par l’anaphore de « c’était juste ». On peut certes penser à un hasard tragique dans cette
simultanéité de la mort de la jeune fille « à qui [Hoffmann] avait juré un amour éternel » (30-31) et de la trahison de cet amour par
Hoffmann. Mais il également possible d’envisager un lien de cause à effet : ce serait parce que Hoffmann a trahi son engagement amoureux
à l’égard d’Antonia que celle-ci serait morte. Ce lien de causalité suppose une intervention surnaturelle, comme si Hoffmann avait détenu
entre ses mains, et sans le savoir, un pouvoir de vie et de mort sur Antonia et que ses actes avaient eu pour immédiate conséquence de
tuer la jeune fille innocente, puis dans un second temps son père, emporté par le chagrin. Dans ce cas, il est non seulement impossible à
Hoffmann de procéder au retour en arrière souhaité, mais il lui faudra désormais vivre avec la culpabilité engendrée par l’idée qu’il est le
responsable de ces décès en série.
c. Perte d’Antonia mais aussi de son image
Cette coïncidence temporelle étonnante n’est pas le seul élément fantastique de l’explicit. Si Hoffmann se trouve dans le bureau du
changeur, c’est qu’il a engagé le médaillon dans lequel se trouvait le portrait d’Antonia. Sa trahison est double. Il a été « deux fois infidèle
à son serment » (30-31) à l’égard de la jeune fille, non seulement parce qu’il l’a trahie sur le plan amoureux en se laissant séduire par
Arsène, mais aussi parce qu’il a rompu son engagement de ne plus jouer, et d’une terrible façon, puisqu’il a utilisé le gage d’amour offert
par Antonia, ce médaillon représentant ses traits, pour trouver l’argent nécessaire au jeu, argent qu’il a ensuite offert à Arsène. Lorsque,
dans un geste symbolique d’adieu par procuration il « ouvrit le médaillon pour porter l’image d’Antonia à ses lèvres […] l’ivoire en était
redevenu aussi blanc et aussi pur que s’il était vierge encore du pinceau de l’artiste. Il ne restait rien d’Antonia » (26-30). Ce fait est encore
plus surprenant que celui de la simultanéité de la trahison d’Hoffmann et de la mort de sa fiancée. On peut certes imaginer, dans une
perspective rationnelle, que la peinture des traits d’Antonia s’est effacée ou délavée par usure. Mais cette disparition complète est
symboliquement forte et signifiante. Tout se passe comme si Hoffmann était puni pour ses fautes. Il a non seulement perdu la possibilité
de retrouver celle auprès de qui il aurait pu couler des jours heureux, mais aussi celle de jouir au moins de son image. Il voulait, au début
de cet extrait, effacer la douloureuse parenthèse parisienne de son existence. Or, d’une manière qui s’apparente à ce que l’on appelle
l’ironie tragique, c’est précisément ce qui se rattache à Antonia qui est durablement effacé, tandis que sa culpabilité à avoir cédé à la
séduction d’Arsène ne pourra plus disparaître. D’ailleurs le nom de la femme au collier de velours, qui avait été passé sous silence dans le
dialogue avant l’annonce du décès d’Antonia, ressurgit sitôt cette information connue, sous la plume du narrateur. Les conséquences des
actes liés à la rencontre d’Arsène empêche qu’Hoffmann puisse les oublier, comme il semblait en avoir pris la résolution. L’on peut
également être frappé de ce que deux portraits peints sont évoqués en l’espace de quelques lignes, (24-29). Celui d’Arsène subsiste, alors
que celui d’Antonia a disparu. Décidément, aucun retour en arrière n’est possible, dans le fil de l’existence, et les conséquences tragiques
de certains actes ne peuvent être oubliés.
Conclusion : Ainsi, les bonnes résolutions initiales de Hoffmann ne pourront être mises en œuvre. Le récit de cet épisode de jeunesse,
qui se place on l’a vu dans la tradition du roman historique mais aussi du conte fantastique, s’apparente également à celle du roman de
formation ou d’apprentissage, (Bildungsroman) initiée par l’Allemand Goethe et également pratiquée par le véritable Hoffmann : il s’agit,
dans ce type d’ouvrage, de raconter le parcours d’un jeune adulte et de présenter les événements qui vont durablement orienter le reste de
son existence et les traits de sa personnalité. Dans ce récit qui, comme un clin d’œil, raconte une étape traumatisante de la jeunesse d’un
personnage totalement fictif mais portant toutefois le nom d’un écrivain bien réel, Hoffmann, on peut trouver une explication – certes
fictive – aux choix artistiques du véritable Hoffmann. Celui-ci, bien sûr, n’a pas vécu ce qui est raconté dans La Femme au collier de velours.
Ce n’est pas sa biographie. Mais on sait que, compositeur et écrivain, le véritable Hoffmann a accordé une grande place à la musique
d’une part, au registre fantastique d’autre part. On sait également que le véritable Hoffmann a créé des personnages qui portent les noms
de Mürr (Le Chat Murr est lui aussi un roman d’apprentissage, dans lequel un chat poète – portant le nom qu’Hoffmann avait en fait
donné à son propre chat – fait son autobiographie en la mêlant au récit de la vie d’un musicien) ou encore d’Antonia (dans Le Conseiller
Crespel, Hoffmann met en scène un personnage qui porte son propre nom et qui est amoureux de la jeune Antonia, fille du conseiller
éponyme qui s’oppose à cet amour). Tout se passe donc comme si Dumas avait imaginé ici la biographie du vrai Hoffmann, et avait
donné une explication à ce qui, au début du XIXe siècle (dans les années 1820, c’est-à-dire – et c’est encore un clin d’œil de Dumas à ses
lecteurs – environ trente ans avant l’écriture de La Femme au collier de velours publié en 1850 et une trentaine d’années après le temps choisi
pour l’action du récit, qui se situe en 1793) avait conduit l’écrivain allemand à choisir ces personnages-là : le traumatisme de la perte
initiale, qui ne peut être réparé dans le cours d’une vie, aurait ainsi trouvé une échappatoire et un mode d’expression dans la création
littéraire. Le biographème (c’est-à-dire l’épisode renvoyant à un événement réellement attesté dans l’existence d’une personne) est
évidemment fictif, mais il doit être considéré comme symbolique : la leçon selon laquelle des choses impossibles dans la vie peuvent
prendre corps dans l’art et la littérature, n’en conserve pas moins sa pertinence et son intérêt.
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