Les fonds de formation dans l`industrie de la construction : État des

Transcription

Les fonds de formation dans l`industrie de la construction : État des
Les fonds de formation dans
l’industrie de la construction :
état des lieux et enjeux
Rapport remis à la ministre du Travail, Mme Lise Thériault
Par Jean Charest, Ph. D., professeur titulaire
et directeur de l’École de relations industrielles
Université de Montréal
Montréal
Mai 2011
2
1.
Introduction
L’objectif de ce document est de retracer les grandes lignes du développement et des
activités des fonds de formation de l’industrie de la construction afin d’en dégager les
principaux enjeux pour l’avenir. Ce document s’inscrit dans le cadre de la mise à jour,
annoncée en avril 2011 par la ministre du Travail, de la réglementation de l’industrie de
la construction. Il vise essentiellement à cerner ce qui apparaît, selon l’expertise de
l’auteur de ce rapport, comme étant les principaux enjeux qui devraient attirer l’attention
des partenaires de l’industrie à court terme et dans les prochaines années. À cet égard,
le document ne comporte pas de solutions en lui-même ni de recommandations mais se
veut surtout un instrument de consultation pour amener les différentes parties prenantes
de l’industrie (la Commission de la construction, les responsables patronaux et
syndicaux, les gestionnaires des deux fonds de formation, etc.) à réfléchir sur l’avenir du
perfectionnement de la main-d’œuvre et à identifier les pistes de solutions appropriées.
L’auteur fait remarquer que ces mêmes parties prenantes ont mené un exercice de
réflexion en profondeur au cours des deux dernières années sur les enjeux du
perfectionnement (nommé Horizon 2020), exercice auquel il a lui-même été étroitement
associé. Il est donc certain que son analyse ne peut ignorer les résultats de cet exercice
de réflexion qui ont cerné à plusieurs égards d’importants enjeux. Néanmoins, il exprime
ici sa propre perception des enjeux en matière de perfectionnement, à la demande de la
ministre du Travail, Mme Lise Thériault.
Le document débute par un bref rappel historique, présente ensuite des données et
résultats en matière de perfectionnement, puis identifie des enjeux et des questions
jugées d’importance afin de répondre aux défis du perfectionnement pour la maind’œuvre et l’industrie.
3
2.
Rappel historique sur les fonds de formation de l’industrie
La création des fonds de formation dans l’industrie de la construction 1 remonte à l’année
1992 alors que les parties négociantes introduisent dans les conventions collectives en
août de cette année une cotisation de 20 cents par heure travaillée à être versée à
compter d’avril 1993. Cette cotisation visait l’ensemble des employeurs assujettis dans
tous les secteurs de l’industrie et cela pour l’ensemble des heures travaillées. Une telle
obligation visait à répondre au développement des compétences jugées nécessaires
dans l’industrie, ce qui concourrait tant à mieux répondre aux besoins des employeurs,
qu’à assurer une meilleure employabilité et en conséquence de meilleurs revenus, à la
main-d’œuvre. À cette époque, peu de travailleurs participaient annuellement aux
activités de perfectionnement organisées dans l’industrie, soit environ 1 % de la maind’œuvre au début des années 1990. Par ailleurs, la création des fonds de formation
s’inscrivait dans une logique de prise en charge par l’industrie de la formation et de la
qualification de la main-d’œuvre, telle que conférée dès 1987 par le gouvernement du
Québec.
Cette idée de mutualiser le financement de la formation dans l’industrie s’avérait une
réponse intuitive que l’on peut juger appropriée en regard de plusieurs caractéristiques
de cette industrie qui correspondent à autant de blocages identifiés dans la littérature
scientifique en matière de formation continue. En effet, la petite taille des employeurs,
l’absence de lien d’emploi formel, la forte mobilité des travailleurs, une structure salariale
à taux unique pour les compagnons, un niveau de scolarité relativement bas, un âge
moyen relativement élevé, sont autant de facteurs défavorables en général à une culture
de formation dans les milieux de travail. La mutualisation apparaît alors comme une
sorte de prise en charge collective permettant de contourner certaines limites de ce que
l’on attendrait autrement des seules démarches individuelles des employeurs ou des
travailleurs. À certains égards, c’est cette réflexion qui fut également à la base de
1. Nous utilisons dans ce texte l’appellation « fonds de formation » qui correspond à
l’appellation connue dans l’industrie et qui réfère à la mission de ces derniers soit d’assurer la
formation continue (ou perfectionnement) des compétences de la main-d’œuvre. On utilise
aussi dans l’industrie l’appellation « fonds de perfectionnement », ce qui décrit la nature des
activités soutenues par les fonds. L’appellation « fonds de formation » vise ici par ailleurs
indistinctement (sauf si indiqué dans le texte) les deux fonds de l’industrie, soit le Fonds de
formation de l’industrie de la construction et le Plan de formation des travailleurs du secteur
résidentiel.
4
l’adoption de la loi dite du 1 % au Québec en 1995, bien qu’elle ne reposait pas dans ce
cas sur la mutualisation des fonds mais plutôt sur la création d’une obligation commune
d’investir un minimum annuel dans la formation de la main-d’œuvre. On notera donc que
l’industrie de la construction a devancé de quelques années l’adoption de cette loi de
portée plus universelle au Québec et s’est en fait imposée une obligation plus forte
puisque tous ses employeurs y sont assujettis. Sous le seul couvert de la loi du 1 %, très
peu d’employeurs de la construction seraient tenus d’investir dans la formation compte
tenu du seuil minimal de la masse salariale des employeurs assujettis par cette loi, soit
1 000 000 $ depuis 2004 2.
Une des parties en cause au moment de la signature des conventions collectives (soit
l’Association provinciale des constructeurs d’habitation du Québec – APCHQ) a toutefois
déposé en 1993 une requête en injonction contestant cette obligation de cotiser dans un
fonds de formation, ce qui eut pour effet de geler les dépenses du fonds alors que la
cotisation continuait d’être versée. Comme le dénouement n’a eu lieu qu’en 1997
notamment avec la création d’un deuxième fonds (celui du secteur résidentiel), il en a
résulté une accumulation importante des avoirs dans le fonds de formation, ceux-ci
passant d’environ 7 000 000 $ en 1993 à 63 000 000 $ en 1997, puis 115 000 000 $ en
2000. Ce n’est en fait qu’en 1999 que les dépenses commenceront à être autorisées par
les comités de gestion des deux fonds, ce qui explique encore aujourd’hui l’état des
avoirs importants dont dispose l’industrie en matière de perfectionnement, soit quelque
180 000 000 $ en 2009-2010. Il s’agit du produit d’une épargne quasi forcée entre 1993
et 1999 ainsi que d’un plus lent démarrage des activités de perfectionnement durant
cette décennie devant l’incertitude qui planait sur le dénouement de cette impasse
juridique.
Depuis la mise en opération réelle des fonds à la fin des années 1990, les parties ont
créé deux comités de gestion paritaires externes à la CCQ composés de représentants
des diverses associations patronales et syndicales des secteurs respectifs (un fonds
regroupant les secteurs industriel, institutionnel et commercial, ainsi que génie civil et
voirie; l’autre fonds couvrant le secteur résidentiel seulement) qui se sont donné des
2. Même lorsque le seuil était de 250 000 $ de masse salariale entre 1998 et 2003, très peu
d’employeurs de la construction y auraient été assujettis, la taille moyenne des entreprises
dans cette industrie étant d’environ 4,5 travailleurs, seulement 18 % des employeurs en
comptant plus de cinq.
5
règles communes en matière de soutien au perfectionnement des travailleurs
(communément appelées mesures incitatives). Celles-ci permettent le remboursement
aux travailleurs en perfectionnement de certains frais (déplacement, repas et
hébergement pour l’essentiel) suivant généralement les barèmes établis dans les
conventions collectives, l’idée étant que les travailleurs n’aient pas à supporter de
dépenses pour se perfectionner puisqu’ils y investissent leur propre temps personnel
pour lequel ils ne sont pas rémunérés (la plupart des cours ont ainsi lieu le soir et les
fins de semaine). Ces comités de gestion collaborent avec les structures de la CCQ
reliées au perfectionnement (le Comité sur la formation professionnelle de l’industrie de
la construction – CFPIC et ses sous-comités professionnels et régionaux) qui ont la
responsabilité d’estimer annuellement les besoins en perfectionnement et de planifier
l’offre de cours pour y répondre, laquelle est dispensée principalement dans les centres
de formation professionnelle sur l’ensemble du territoire québécois.
3.
Quelques résultats en matière de perfectionnement dans l’industrie
Au fil des années, et particulièrement depuis le début des années 2000 alors que les
opérations ont réellement pris forme dans les deux fonds, on peut constater d’importants
progrès dans l’industrie en matière de perfectionnement. Les quelques données qui
suivent en témoignent.

De 1997-1998 à 2009-2010, le nombre de travailleurs ayant participé à une
activité de perfectionnement a évolué de 1 797 à 20 843, ce qui représente
environ 14 % de tous les travailleurs de l’industrie ou un travailleur sur sept qui a
participé au perfectionnement par rapport à seulement 2 % en 1997-1998, ou un
travailleur sur 50. En fait, le décollage si on peut dire de la pratique s’est réalisé
depuis à peine une dizaine d’années puisqu’en 2000-2001, le taux de
participation n’était encore qu’à 3,5 % puis a augmenté à pratiquement 7 % en
2001-2002. Depuis 2007-2008, le nombre demeure toutefois plutôt constant
autour de 20 000 travailleurs.

Le coût annuel de réalisation des activités de perfectionnement est passé de
3 000 000 $ en 2000 à un peu plus de 15 000 000 $ en 2010, auquel se sont
ajoutés 13 000 000 $ versés en incitatifs aux travailleurs, soit 45 % du total des
6
argents consentis en 2010. Depuis le début des fonds jusqu’en 2009-2010, c’est
pratiquement 180 000 000 $ qui ont été investis dans les activités de
perfectionnement, mis à part d’autres dépenses inhérentes au fonctionnement.

Depuis 2006-2007, c’est environ 25 000 000 $ à 28 000 000 $ par année qui
sont investis dans le perfectionnement, ce qui correspond sensiblement aux
cotisations annuelles recueillies pour ces années. Considérant les autres
dépenses inhérentes au fonctionnement des fonds, les dépenses globales
excèdent les revenus annuels provenant des cotisations et ce sont les revenus
de placements sur les réserves accumulées qui compensent ce déséquilibre.
Ainsi, globalement depuis l’année 2005, les avoirs des deux fonds se
maintiennent sensiblement autour de 175 000 000 $ (moyenne entre 2005 et
2009) étant à 170 000 000 $ en 2005 puis à 176 000 000 $ en 2009. Autrement
dit, lorsque les activités annuelles de perfectionnement atteignent 20 000
travailleurs, les cotisations annuelles ne suffisent plus à absorber l’ensemble
des dépenses reliées au perfectionnement. Ce sont alors les revenus indirects
(placements) qui assurent l’équilibre et l’avoir accumulé, surtout dans la
première décennie des fonds, qui demeure maintenant à peu près constant.

Les
données
semblent
indiquer
l’atteinte
d’une
certaine
culture
de
perfectionnement dans l’industrie si l’on considère que depuis 2004, environ six
travailleurs sur dix en perfectionnement s’y retrouvent pour une première
participation (effet d’attraction vers le perfectionnement) alors que quatre sur dix
comptent
au
moins
deux
participations
(effet
de
rétention
vers
le
perfectionnement). Soulignons aussi que seulement 3 % des travailleurs
abandonnent leur activité de perfectionnement, 4 % connaissent un échec et
93 % réussissent. Par contre, il faut atténuer quelque peu cette culture de
perfectionnement du fait que si six travailleurs sur dix en perfectionnement le
font sur une base strictement volontaire, quatre sur dix participent au
perfectionnement dans le cadre de l’obligation imposée aux travailleurs entrés
dans l’industrie sans les qualifications de base (connu comme les « articles 7 »
dans l’industrie). Cela ne signifie pas toutefois que ces travailleurs ne soient pas
du même coup volontaires pour aller vers le perfectionnement.
7

La moitié des travailleurs en perfectionnement sont des apprentis (alors qu’ils
constituent 33 % de la main-d’œuvre), l’autre moitié étant composée à parts
égales de compagnons (qui sont 50 % de la main-d’œuvre) et d’occupations
(17 % de la main-d’œuvre). Les travailleurs les plus qualifiés sont donc sousreprésentés dans la participation au perfectionnement, ce qui est également
corrélé avec un âge plus élevé (44 ans pour les compagnons versus 30 pour les
apprentis) et un nombre d’heures travaillées nettement plus élevé (33 % plus
d’heures travaillées chez les compagnons que chez les apprentis). On note
aussi des taux de participation au perfectionnement plutôt proches de la
représentativité des métiers dans l’industrie (l’exception des électriciens qui
participent plus s’expliquant souvent par les changements réglementaires) et
selon les régions, avec une légère surreprésentation pour le grand Montréal et
une sous-représentation pour quelques régions éloignées, ce qui peut traduire
un accès différencié aux activités de perfectionnement.

Soulignons enfin que si le perfectionnement a surtout suivi un modèle plus
scolaire avec des activités en classe depuis ses débuts, dont la durée moyenne
est d’une cinquantaine d’heures, on voit émerger une nouvelle approche de type
formation en entreprise depuis quelques années, généralement de plus courte
durée, alors que quelque 3 000 travailleurs ont participé annuellement depuis
2007 à des formations données par environ 400 employeurs par année. Si le
nombre peut paraître encore limité, soulignons qu’il était à peine de
500 travailleurs en 2002 dans une soixantaine d’entreprises participantes. Ces
activités de perfectionnement sont également reconnues et soutenues
financièrement par les fonds de formation.
4.
Enjeux pour une réflexion sur l’avenir du perfectionnement dans l’industrie
On doit manifestement saluer les progrès réalisés dans l’industrie de la construction en
matière de perfectionnement de sa main-d’œuvre depuis la création des fonds en
particulier. Cette industrie a su se donner des moyens d’envergure et de manière
autonome (via des cotisations basées sur la masse salariale) pour relever un défi
d’importance et cela, à l’aube d’une période d’activités historiquement très élevées en
termes d’heures travaillées et de besoins en main-d’œuvre, ce que personne ne
8
prévoyait au tournant des années 2000. Cette idée des fonds était d’autant plus avisée
si l’on pense aux milliers de travailleurs qui y sont entrés annuellement depuis plus
d’une décennie sans détenir de qualifications, ce qui a été rendu nécessaire par la
conjoncture favorable à l’industrie. À moins de penser que l’on puisse travailler dans
cette industrie sans avoir les qualifications et cela, sans qu’il n’y ait de conséquences
sur la productivité, la qualité du travail ou encore la sécurité des travailleurs eux-mêmes,
on conviendra qu’il fut heureux, y compris pour les fonds publics, que cette industrie ait
assumé elle-même le développement des compétences de sa main-d’œuvre. Dans
beaucoup de cas des compétences de base qui reposeraient autrement sur une
contribution nécessaire du réseau public d’éducation. À tous égards, on pourrait
souhaiter que tous les secteurs d’activité économique au Québec soient aussi bien
nantis et organisés pour assurer leur développement, en premier lieu, celui de leur maind’œuvre.
Néanmoins, il nous apparaît que cette réussite ne doit pas passer sous silence des
questions importantes ni faire fi d’une réflexion prospective pour faire face aux enjeux de
l’avenir. En ce sens, l’exercice annoncé en avril par la ministre du Travail est sans doute
une bonne occasion de solliciter les parties prenantes sur un certain nombre de points.
Sans prétendre à l’exhaustivité, il nous semble que les éléments suivants méritent qu’on
s’y arrête, soit la gouvernance des fonds, l’accès au perfectionnement et le contrôle de
la qualité du perfectionnement. Chacun de ces thèmes renvoient à des questionnements
plus précis, ce que nous abordons dans les prochaines sections.
4.1
La gouvernance des fonds de formation
La problématique de la gouvernance des fonds prend certainement sa pertinence autour
de deux dimensions particulières à notre avis : celle de la gestion des fonds à
proprement parler et celle des relations entre les parties prenantes, en particulier entre
les comités de gestion et la CCQ. Nous débutons ici par ce dernier élément pour ensuite
revenir sur le premier.
Les relations entre les parties prenantes
Sans remettre en cause la structure organisationnelle ou de gestion dont se sont dotées
les parties prenantes dès la constitution des fonds dans les années 1990, on peut se
9
demander comment coexistent et collaborent d’un côté les comités de gestion des deux
fonds qui sont externes à la CCQ, bien qu’ils soient constitués globalement des mêmes
parties représentées dans les structures de celle-ci, et d’un autre côté la CCQ qui est au
cœur de la planification des besoins en formation et de la réponse à ces besoins. Il ne
s’agit pas ici de chercher anguille sous roche et peut-être que les parties ont établi au fil
des ans un modus vivendi des plus efficaces. Mais d’un strict point de vue de la
gouvernance, il importe d’entendre les parties sur cette relation de gestion, pourrait-on
dire. En quoi est-elle particulièrement efficace? Donne-t-elle lieu à des tensions qui
nuisent à la prise de décision? Les rôles respectifs sont-ils établis clairement? Y a-t-il
une sorte d’étanchéité nécessaire et, le cas échéant, respectée entre les décisions qui
se prennent d’un côté pour établir les besoins et de l’autre pour établir l’utilisation des
fonds? Les parties elles-mêmes débattent-elles de ces sujets pour réfléchir de la sorte
sur son à-propos en termes de structure de gestion? Y a-t-il des changements à
apporter afin de mieux répondre au mandat central des fonds, soit d’assurer la
promotion et le financement des activités de perfectionnement dans l’industrie?
La gestion des fonds
Cette question de la gestion des fonds ne présume pas non plus d’une problématique
particulière mais elle se soulève d’emblée considérant le principe même qui est à la
base des fonds soit la mutualisation. Des milliers d’employeurs versent des cotisations
qui
représentent
globalement
d’importantes
sommes
annuelles,
soit
quelque
27 000 000 $ en 2009. On connaît les utilisations de ces sommes et les résultats
atteints. Néanmoins, cela n’invalide pas l’importance d’assurer la gestion la plus
efficiente de ces ressources précisément pourrait-on dire parce que des milliers
d’employeurs confient ces cotisations aux gestionnaires pour le meilleur bénéfice des
compétences des travailleurs et de l’industrie, sans justement que chacun puisse avoir
un contrôle particulier sur les fonds et leur gestion. Cette logique de mutualisation
impose une responsabilisation qui doit être à toute épreuve de la part des mandataires.
À cet égard, il est légitime de demander d’abord aux gestionnaires des fonds et à
l’ensemble des parties impliquées dans l’utilisation de ces fonds si le processus, qui est
le plus déterminant dans la dépense annuelle réalisée et qui se situe en amont de celleci, est des plus rigoureux. Plus précisément, le processus de détermination des besoins
de formation et de l’offre conséquente de formation est-il rigoureux et le plus près
10
possible de la réalité dont on conviendra qu’elle est très complexe (des milliers de
travailleurs, dans diverses régions, dans plusieurs métiers et statuts, etc.)? Comment les
parties s’en assurent-elles? Quelles sont les mesures de « contre vérification » des
décisions prises dans ce processus annuel de planification des besoins? Y a-t-il des
changements qui pourraient être apportés pour améliorer l’efficience?
En deuxième lieu, il faut assurer la plus stricte gestion des sommes reçues notamment
lorsque vient le temps d’effectuer les dépenses principales à proprement parler. À ce
sujet, trois rubriques méritent une attention. Les remboursements de dépenses aux
travailleurs qui sont allés en perfectionnement sont-ils établis sur des bases solides et
justifiables et assure-t-on un contrôle rigoureux des sommes réclamées? Ensuite, le
coût des activités de perfectionnement (la plupart transitant par les centres de formation
professionnelle) est-il rigoureusement établi et contrôlé? À elles seules, ces deux
rubriques financières totalisent 28 000 000 $ en 2010, soit plus que les sommes reçues
en cotisations. S’il y a des aménagements à y apporter, on comprendra qu’ils pourraient
se traduire par des sommes significatives. Si tout est bien assuré par ailleurs, cela est
de bon augure en regard des sommes en jeu. Enfin, les coûts de gestion qui sont
associés à la gouvernance des fonds sont de quelle nature et s’établissent à quel
niveau? Comment cela se compare-t-il avec des fonds d’une telle importance? La
réponse à cette question est importante car elle traduit également la rigueur
administrative des mandataires devant les employeurs et la main-d’œuvre.
En dernier lieu, il faut aborder la question des fonds accumulés au fil des années. Bien
que l’on puisse associer la constitution des avoirs imposants des deux fonds à une sorte
d’accident de parcours qui n’était pas prévu à l’origine de la création des fonds, et bien
que ces surplus accumulés semblent se stabiliser depuis quelques années, il est
légitime de demander aux gestionnaires quelle est leur perspective sur l’utilité,
l’utilisation éventuelle et l’évolution probable des avoirs dans les prochaines années?
Des scénarios ont-ils été faits à ce sujet? A-t-on envisagé des mesures particulières
pour contenir ou utiliser ces réserves? Ne constituent-elles pas un risque pour la
crédibilité des fonds eux-mêmes devant ses contributeurs et l’industrie en général?
11
4.2
L’accès au perfectionnement
Une deuxième problématique reliée au cœur du mandat des fonds nécessite une
réflexion pour l’avenir du perfectionnement, soit celle de l’accès lui-même au
perfectionnement. Nous avons indiqué des résultats probants quant au chemin parcouru
depuis l’adoption des fonds. Nul doute que les fonds ont agi comme un levier permettant
de contourner plusieurs blocages structurels liés aux caractéristiques propres de cette
industrie comme nous l’avons indiqué dans la section 2. Les résultats des consultations
multiples menées durant les deux dernières années dans le cadre de l’exercice Horizon
2020 auprès des employeurs, des travailleurs, des organisations patronales et
syndicales, des responsables de la gestion et de la planification, des fournisseurs de
formation, sont sans équivoque : les fonds de formation ont fait toute la différence
depuis leur existence et ils expliquent les résultats atteints. Néanmoins, le
développement des compétences est lui-même un processus continu, la main-d’œuvre
change, les technologies aussi, les besoins des employeurs en matière de maind’œuvre évoluent et on sait que le marché du travail québécois est globalement dans
une phase de transition démographique sans précédent (vieillissement et recours à
l’immigration) qui va accentuer la concurrence entre les secteurs dans un avenir
prévisible de rareté relative de la main-d’œuvre (au moins une décennie, voire plus). La
question inévitable qui se pose alors est comment l’industrie va-t-elle s’assurer qu’elle
réponde aux besoins de la main-d’œuvre et des employeurs sur le plan des
compétences? À cet égard, l’aspect central à notre avis est celui de l’accès au
perfectionnement pour le plus grand nombre.
Nous avons vu dans les données précédentes que le nombre de travailleurs en
perfectionnement semble connaître une sorte de plateau depuis les trois dernières
années, bien que le pourcentage d’accès soit d’importance à 14 % par année. À notre
avis, une première question se pose à ce sujet : comment explique-t-on ce
plafonnement apparent de la participation au perfectionnement et comment les
gestionnaires entrevoient-ils l’avenir quant au nombre de travailleurs pouvant accéder
au perfectionnement? Par ailleurs, s’il est sans doute illusoire de penser que 100 % des
travailleurs se perfectionneront annuellement, quel est le seuil qui apparaît optimal pour
l’industrie et gérable avec les moyens disponibles? Comment l’industrie entend-elle
atteindre de nouveaux sommets en matière de perfectionnement le cas échéant?
12
Sans faire ici le bilan détaillé de la participation par régions, groupe d’âge, métiers, etc.,
il peut être utile également de demander aux responsables quelle lecture font-ils des
inégalités d’accès au perfectionnement et comment entendent-ils y remédier dans les
prochaines années?
Enfin, nous avons noté que le modèle de perfectionnement semble davantage avoir été
porté par la forme « scolaire » bien que l’on ait vu l’émergence de la formation en
entreprise depuis peu. En outre, les nouvelles technologies de communication
permettent aussi probablement de nouvelles voies à explorer sur le plan des modalités
du perfectionnement. Quelles sont les perspectives de l’industrie quant à ces formes de
diversification des modes d’accès au perfectionnement? Y a-t-il lieu de les considérer
pour se rapprocher davantage du travailleur lui-même, de l’entreprise, de la réalité du
travail? Y a-t-il des innovations possibles ou déjà expérimentées qui s’avèrent porteuses
en matière d’accès au perfectionnement?
4.3 Le contrôle de la qualité du perfectionnement
L’objectif du perfectionnement ne peut pas être que quantitatif et viser les grands
nombres. Il doit être également, et surtout pourrait-on dire, qualitatif c’est-à-dire assurer
une réel développement des compétences; ce qui est le but recherché. Certains
résultats mentionnés peuvent susciter un questionnement à cet égard, notamment le fait
que 93 % des travailleurs en perfectionnement réussissent leur activité. Est-ce si bon
signe? Si oui, tant mieux et l’industrie saura l’expliquer. Mais dans la documentation ellemême de Horizon 2020, on fait état à de multiples reprises de l’enjeu de la qualité du
perfectionnement dans l’industrie. Il semble que cette question soit revenue avec force
tout au long des consultations menées et que la réflexion sur cet enjeu complexe ait été
sollicitée fortement.
Il y a donc lieu à notre avis de demander aux responsables du perfectionnement quelle
évaluation font-ils de la qualité actuelle du perfectionnement dans l’industrie? Quelles
sont les problématiques particulières de ce côté? Quelles sont les défaillances
observées qui les ont amenés à se questionner lors de cet exercice de bilan et de
prospection récent? Y a-t-il eu un manque de contrôle de la qualité qui pourrait être
13
redevable, par exemple, au fait que l’industrie a dû faire face à une demande croissante
et rapide des travailleurs pour le perfectionnement?
Conséquemment à cette lecture que fait l’industrie, il faut aborder la question des
moyens envisagés pour l’avenir. Quels sont les principaux changements auxquels
pensent les responsables du perfectionnement pour améliorer la qualité des activités
dispensées? Il ne s’agit peut-être pas ici de renforcer un modèle scolaire qui pourrait luimême connaître des limites, mais précisément dans un contexte de rapprochement
éventuel de l’acte de perfectionnement vers le travailleur, tel qu’évoqué précédemment,
comment la qualité sera-t-elle assurée? Est-il possible de conjuguer la flexibilité dans les
modes de perfectionnement avec l’assurance de sa qualité?
En d’autres termes, on peut comprendre que l’industrie a dû apprendre rapidement ellemême à développer ses propres compétences comme gestionnaire de la formation dans
un contexte de construction rapide de l’offre de formation, d’apprentissage du
partenariat aux fins de la gestion, de nouvelles relations d’affaires d’envergure avec les
centres de formation professionnelle sur l’ensemble du territoire et globalement d’une
nouvelle gouvernance en matière de gestion du perfectionnement. Une telle culture n’est
sans doute pas simple à acquérir. Néanmoins, l’enjeu de la qualité est sans aucun doute
crucial pour justement assurer la pérennité de cette expérience et des succès atteints. Si
des changements sont à apporter à ce niveau, ils devraient donc être prioritaires pour
les responsables du perfectionnement.
14
5.
Conclusion
L’industrie de la construction s’est dotée, il y a près de vingt ans maintenant, d’un
modèle particulier pour assurer le développement des compétences de sa maind’oeuvre. En tant que spécialiste de la formation, nous avons non seulement œuvré de
près avec cette industrie, mais aussi avec plusieurs autres, par le biais des comités
sectoriels de main-d’œuvre au Québec ou des conseils sectoriels canadiens, ou encore
par le biais de la Commission des partenaires du marché du travail et l’étude de la loi du
1 %, voire par des travaux et comparaisons au niveau international. Dans tous les cas,
l’enjeu du perfectionnement de la main-d’œuvre n’est jamais simple et il n’existe pas de
solution unique, encore moins magique. L’industrie de la construction au Québec a
innové en créant littéralement une sorte de droit individuel à la formation, ce que
plusieurs modèles sectoriels ou nationaux recherchent : faire en sorte que le travailleur
ait le moins d’obstacles et le plus de soutien pour qu’il décide par lui-même d’améliorer
ses compétences. Cette décision ne peut être forcée, elle ne devrait pas non plus être
prise par une tierce partie, qu’elle soit syndicale ou patronale, sans comporter du même
coup d’importants biais de sélection. Elle ne doit pas reposer non plus sur une fausse
motivation, qu’elle soit monétaire ou autre. Au Québec, les travailleurs assujettis dans
l’industrie de la construction peuvent exercer ce choix librement d’aller suivre du
perfectionnement sans entrave externe et cela à coût nul, si ce n’est qu’ils y investissent
leur temps, ce qui est le signe d’un engagement personnel. Le modèle apparaît
fructueux mais sans doute perfectible. Si ce document préparatoire à la consultation des
parties contribue à l’améliorer, nous aurons fait œuvre utile.

Documents pareils