Prescription des recours : soyez vigilants
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Prescription des recours : soyez vigilants
Chronique juridique Prescription des recours : soyez vigilants ! par Julie Sauriol Avocate, De Grandpré Chait, s.e.n.c.r.l. L a prescription est un mécanisme juridique qui par l'écoulement du temps, a pour effet de permettre à une personne ou une entreprise d’acquérir ou de se libérer d'un bien ou d'une obligation. Le premier type de prescription se nomme prescription acquisitive, alors que le deuxième est la prescription extinctive. Aux fins des présentes, nous nous concentrerons sur la prescription extinctive. La prescription extinctive est définie à l'article 2921 du Code civil du Québec (C.c.Q.), qui prévoit : « La prescription extinctive est un moyen d'éteindre un droit par non-usage ou d'opposer une fin de non-recevoir à une action. » Ce type de prescription a donc pour effet concret d'empêcher un recours en justice si l'on ne s'est pas prévalu de son droit dans le délai prévu par la loi. L’objectif poursuivi par le législateur en prévoyant la prescription extinctive est de sanctionner une conduite négligente. En principe, sauf si une loi particulière prévoit autrement, un recours en justice qui tend à faire valoir un droit personnel se prescrit par 3 ans 1. Par exemple, pour un entrepreneur en construction, la réclamation d’une créance impayée d’un solde contractuel ou de coûts supplémentaires associés à des retards ou des extras se prescrit habituellement après 3 ans. C’est uniquement l’introduction d’un recours en justice avant l’expiration du délai de prescription – et non l’envoi d’une mise en demeure – qui formera une interruption du délai de prescription 2. Le calcul des délais est donc d'une extrême importance, car un mauvais calcul peut mener à la perte de droits. Mais avant tout, il importe de déterminer à partir de quel moment débute la computation du délai de prescription de 3 ans. Il s’agit d’une question de fait qui pose souvent des casse-têtes aux juristes et aux magistrats. Quand débute la prescription ? REGIME GENERAL - Le Code civil du Québec prévoit un régime général en vertu duquel le jour où le droit d’action prend naissance fixe le point de départ de la prescription extinctive 3. Le délai de 3 ans se compute donc à compter du moment où les conditions juridiques du droit de poursuite sont rencontrées, soit la faute, le dommage et le lien de causalité entre la faute et le dommage. Lorsqu’un préjudice matériel se manifeste graduellement ou tardivement, le délai court à compter du jour où il se manifeste pour la première fois 4. Si un dommage graduel est décelé (p. ex. des infiltrations d’eau) le délai de prescription commence à courir à partir du moment où une personne raisonnablement prudente et avertie peut soupçonner le lien entre le préjudice (c.-à-d. les dommages causés par les infiltrations d’eau) et la faute (c.-à-d. le défaut de construction ou de conception). REGIME PARTICULIER – En matière de contrat d’entreprise ou de services, un régime particulier prévoit que la prescription commence à courir à la fin des travaux. L'article 2116 C.c.Q. prévoit que « la prescription des recours entre les parties ne commence à courir qu'à compter de la fin des travaux, même à l'égard de ceux qui ont fait l'objet de réserves lors de la réception de l'ouvrage ». Ainsi, dans le contexte d'un contrat d'entreprise ou de service, le point de départ des réclamations respectives des parties se situe généralement à la fin de la prestation qui fait l'objet du contrat 5. Illustration jurisprudentielle En août 2012, en appliquant le régime général de la prescription, la Cour supérieure dans l’affaire P. Talbot inc. c. Entreprises Michaudville inc. 6 a rejeté la réclamation d’une entreprise spécialisée en développement immobilier à l’encontre de l’entrepreneur en excavation et des ingénieurs, à la suite de travaux exécutés en 2007. Dans cette affaire, la juge retient que la preuve, et notamment une mise en demeure transmise par Talbot en 2007 à Michaudville, démontrait que dès 2007, Talbot avait une connaissance certaine des retards dans l’exécution des travaux et des dommages causés par ces retards. La juge précise que si Talbot ne pouvait peut-être pas en 2007 mesurer l’étendue exacte de ses dommages, la loi lui offrait néanmoins la possibilité de modifier son recours ultérieurement afin de bonifier le montant de sa réclamation. Le recours de Talbot introduit en 2011 était donc prescrit et rejeté par le Tribunal. Quoiqu’inscrite en appel en septembre 2012, cette décision illustre néanmoins pour le moment la difficulté d’identifier le moment où débute le délai de prescription, ainsi que la sanction de non-recevoir opposable à un recours prescrit. Par voie de conséquence, nous recommandons de faire preuve de prudence et de diligence et de ne pas tarder à consulter un avocat lorsque vous avez des droits à faire valoir. 1 Art. 2925 C.c.Q. 2 Art. 2892 C.c.Q. 3 Art. 2880 C.c.Q. 4 Art. 2926 C.c.Q. 5 BAUDOUIN, J.-L. et JOBIN, P.-G., Les obligations, 6eéd., Cowansville, Yvon Blais, 2005, p. 1100. 6 P. Talbot inc. c. Entreprises Michaudville inc. 2012 QCCS 4093 (CanLII) • Hiver 2012 15