Mariage, prise deux

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Mariage,
prise deux
Un de vos clients
se remarie.
Cet événement auréolé
de bonheur entraîne aussi
maints changements
dans l’organisation
de ses finances…
Avait-il prévu le coup?
Pas nécessairement.
Mais heureusement,
il peut compter
sur l’aide bienveillante
de son conseiller.
CLAUDE COUILLARD
EN 2004,
près de 10 000 divorcés
québécois se sont remariés, révèlent les chiffres
les plus récents de l’Institut de la statistique du
Québec. Pour la plupart, il s’agissait d’un deuxième
mariage, mais de plus en plus de gens reçoivent la
bénédiction nuptiale pour une troisième fois dans
leur vie. Et avec l’allongement de l’espérance de vie,
le phénomène va sans doute s’accentuer.
Un remariage survient souvent à un âge où les
futurs époux ont cumulé passablement d’actifs. Où
ils ont aussi des enfants issus d’une première
alliance. Sans oublier ceux de leur nouveau
conjoint et celui susceptible de naître de leur
union. «Ils constituent les fondements de la société
de demain. Ça nous amène à penser autrement la
planification financière», observe Sonia-Annie
Bergeron, conseillère en développement et viceprésidence de la gestion des avoirs à la Fédération
des caisses Desjardins du Québec. «Souvent, ce
sont les conseillers en services financiers qui
apprennent l’événement et qui sont à même de
guider le client», note Julien Busque, directeur
principal des services aux particuliers de la région
de l’Est du Québec, au Trust Banque Nationale.
Mais le rôle du conseiller ne se limitera pas à
repenser la stratégie financière de ses clients en
fonction de leur ancienne et de leur nouvelle situations familiales. Il comprendra également la révision de documents stratégiques, comme le contrat
de mariage, le testament et le mandat en cas d’inaptitude. «Plus que jamais, ils ont besoin de nous»,
considère Mme Bergeron.
Contrat de mariage : définir son union
Nombre de Québécois sur le point de convoler en
deuxième noce commettent deux erreurs fréAVRIL 2006
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quentes. La première : ne pas avoir entièrement réglé
leur divorce. «Souvent, les REER ont été bien répartis, note Mme Bergeron. Mais on n’a pas résolu la question des copropriétés.» Des zones grises subsistent.
«L’individu a lâché prise sur certains éléments, ce qu’il
regrette ensuite.»
La seconde erreur : croire qu’un contrat de
mariage est inutile. «On entend souvent dire que ce
document n’est plus nécessaire avec le patrimoine
familial», relate la notaire montréalaise Suzanne
Hotte, spécialisée en médiation familiale et successorale. Depuis 1989, le Code civil prévoit en effet le
partage de certains biens qui constituent le patrimoine familial, en cas de rupture ou de décès. Tout
couple marié est assujetti à ces dispositions, qu’un
contrat les unisse ou non. Certains actifs bien définis
font partie de ce patrimoine familial : les résidences
(principale et secondaire), les meubles, les véhicules
automobiles, les REER, caisses de retraite et droits
accumulés dans le Régime des rentes du Québec
(RRQ) et le Régime de pensions du Canada. Mais
qu’en est-il des placements non enregistrés, des
actions de compagnies privées, d’une entreprise? Ces
biens courants sont exclus du patrimoine familial.
Un autre facteur milite en faveur de la rédaction
d’un contrat de mariage. Les couples qui s’en privent
se trouvent automatiquement unis sous le régime
matrimonial de la société d’acquêts. «Son grand principe veut que tous les actifs acquis après le mariage
soient partageables», indique Julien Busque. Y compris l’entreprise ou les placements détenus en dehors
d’un REER. En vertu de la société d’acquêts, ces
biens pourtant exclus du patrimoine familial pourraient également devenir sujets à partage en cas de
rupture ou de décès. «Quand ils se marient, nos clients
ont intérêt à rédiger un contrat de mariage qui adopte
le régime de la séparation de biens, si cela correspond
à leur volonté et à leur situation», suggère M. Busque.
Seuls les actifs compris dans le patrimoine familial
deviennent alors partageables.
Peu importe le régime matrimonial adopté, les
futurs conjoints auront intérêt à dresser une liste de
leurs avoirs respectifs en date du mariage. «Pour établir au départ la valeur que chacun détient», conseille
Jean Valiquette, notaire et planificateur financier de
Montréal. Ainsi, les 100 000 $ que possède déjà l’un
d’eux dans son REER échapperont au patrimoine
familial et lui resteront en propre si survenait une rup-
Le remariage,
POPULAIRE AU QUÉBEC
En 2003, le Québec a enregistré précisément
16 738 divorces, indiquent les chiffres
les plus récents de l’Institut de la statistique du
Québec (ISQ). En fait, un mariage sur deux se solde
par une rupture. Le taux reste stable depuis 1987
dans la Belle Province. Il est toutefois supérieur à
ceux observés ailleurs au Canada, en Angleterre,
en France et en Finlande. Près du quart des divorcés québécois se remarient, les hommes plus rapidement que les femmes. Cela fait beaucoup de
clients dont il faut revoir la planification! Un
nombre grandissant de Canadiens reconstituent
un couple (mariage ou union libre).
À titre d’exemple, le tiers des hommes et des
femmes âgés de 30 à 39 ans devraient changer de
partenaire au cours de leur vie.
Sources: ISQ et Statistique Canada
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ture. «Après le mariage, on suggère aux époux de
créer un nouveau compte REER afin que les nouvelles cotisations soient clairement identifiées», préconise-t-il.
Le testament : prévenir les conflits
Désigner des tuteurs pour les enfants mineurs issus
de sa première union, ainsi que de sa nouvelle. Prévoir la création d’une fiducie afin de protéger leur
patrimoine jusqu’à leur majorité. Préciser ses dispositions funéraires pour éviter toute mauvaise surprise
à ses proches. Les raisons pour revoir son testament
abondent. «Quand on se remarie, on a une vie antérieure, rappelle Me Hotte. On a des proches à protéger. Mais pas au détriment de notre nouvelle relation. Il ne faut pas les mettre en conflit. C’est ce qui
est difficile.»
Scénario classique : l’époux souscrit une assurance
vie pour sa nouvelle conjointe et garde inchangé son
testament. En clair, il laisse l’héritage aux enfants issus
de sa première union. Il croit ainsi ne pénaliser personne. «C’est le conflit garanti, prévient la notaire. Ce
sont mes cas de médiations successorales à 225 $
l’heure.» Explications : après le décès, les enfants
devront vendre la maison pour toucher leur héritage.
Ce geste aura souvent pour conséquence fâcheuse de
chasser leur belle-mère du foyer conjugal. «Des gens
nous disent : “Les enfants de mon conjoint ne feraient
jamais ça.” Mais je peux vous dire, par expérience,
qu’ils pourraient le faire», observe M. Busque. D’autant plus que la propriété représente souvent l’actif
principal d’un client. «Le décès provoque des émotions. Et quand il y a de l’argent en jeu, ça crée des
mélanges explosifs», poursuit-il.
Les conseillers devraient suggérer le scénario
inverse, dit Me Hotte. La conjointe devient l’héritière et seule liquidatrice. Les enfants se partagent
plutôt l’assurance vie. «Ils sont alors prioritaires, précise-t-elle. Le chèque leur parviendra de l’assureur,
suivant les instructions du défunt. Ils ne sauront
même pas combien leur belle-mère a reçu. En plus,
c’est non imposable. Pas de discussions. Pas de
conflits. C’est clair.» Ce choix sauvera temps, argent
et énergie.
Si l’assurance vie est jugée insuffisante, le parent
pourra aussi inclure dans son testament des legs particuliers. Mais il faut alors éviter de préciser les montants sous forme de pourcentages. Par exemple, chacun des trois enfants pourrait toucher 20 % de la
succession. Un choix potentiellement périlleux. «Avec
les pourcentages, ils deviennent cohéritiers, révèle
Me Hotte. Ils ont donc le droit de surveiller ce que
Champions de l’union libre
LES QUÉBÉCOIS SONT LES CHAMPIONS ne changeront rien à la situation. «Si je suis
canadiens des couples formés en dehors du
mariage. Selon le dernier recensement de
2001, on en comptait au total plus d’un
demi-million. Cette option de plus en plus
populaire séduit 43% des divorcés et 32%
des divorcées.«Il n’est pas rare que certaines
personnes disent: “Lorsqu’on est conjoints
de fait depuis trois à cinq ans,c’est comme si
on était mariés”, soulève Julien Busque de
Trust Banque Nationale. Ce qui crée cette
rumeur, c’est l’existence de lois à caractère
fiscal ou social qui reconnaissent l’union de
fait.» Par exemple, la rente de la RRQ d’un
défunt pourra, à certaines conditions, être
versée à son conjoint de fait.
en union libre, ma conjointe ne peut faire
aucune réclamation par rapport à ma succession, à moins que ce soit précisé par testament», enchaîne Jean Valiquette, notaire
et planificateur financier de Montréal. La
solution? Rédiger un contrat de vie commune. Et revoir ses testaments respectifs.
D’un strict point de vue légal,vaut-il mieux se
remarier ou fonder un couple en union libre?
On ne reforme pas une union en fonction de la
loi, mais en fonction de ses valeurs, insiste
Me Hotte. «Cela dit, que vous fassiez l’un ou
l’autre, vous serez piégé si vous ne consultez
pas des professionnels, précise la notaire
montréalaise spécialisée en médiation famiMais attention! «Dans le Code civil,ils ne sont liale et successorale. Vous imaginerez que la
pas mariés», informe la notaire Suzanne loi fait des choses pour vous. Si vous remplisHotte.Cinq,dix ou vingt ans de vie commune sez vos documents,ce sera réglé!»
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fait le liquidateur.» Ce dernier ne peut distribuer de
chèques tant que tous n’ont pas approuvé. Imaginez la
complexité si, de surcroît, le disparu en était à sa troisième union et qu’il avait des enfants issus des deux
précédentes... «Et s’il y a des mineurs, on devra, pour
les représenter et protéger leurs intérêts, réunir les
deux ex-épouses et la nouvelle», déplore-t-elle. Si le
processus avorte, la cour devra trancher. Bonjour les
délais et les frais!
La liquidation s’annonce beaucoup plus simple si le
testament privilégie des montants fixes. Par exemple,
100 000 $ versés à chacun des trois légataires. Conséquence : les premiers 300 000 $ de la succession leur
sont distribués en priorité. Cette responsabilité
incombe alors à la seule héritière. «La conjointe prendra cette somme où elle veut, explique Me Hotte. Elle
vendra la maison. Elle l’hypothéquera. La provenance
des 300 000 $ ne concerne pas les enfants.» Du coup,
ces derniers sont exclus de ce laborieux processus.
«L’épouse héritière n’a qu’à leur donner le testament
et leur chèque. On vient de mettre les priorités à la
bonne place.» Et on a préservé les relations...
Un testament s’avère aussi un excellent outil de
planification fiscale. «Un client peut transmettre à son
conjoint survivant des actifs par roulement fiscal, c’està-dire sans impôt», explique M. Busque. C’est le cas
des REER, des immeubles à revenus ou des actions
de compagnies privées.
Par contre, le REER légué aux mineurs sera, sauf
exception, sujet à imposition. «Quand je rencontre
un client qui a des enfants d’une union précédente
et un nouveau conjoint, il est important de le
conseiller sur la répartition des actifs qui ont un
impact fiscal», ajoute ce notaire de formation et
planificateur financier.
Le mandat en cas d’inaptitude :
éviter le Curateur
Même lors d’un premier mariage, de nombreux
conjoints oublient de se prémunir de ce document
stratégique. Le mandat en cas d’inaptitude désigne
une autre personne (mandataire) pour s’occuper de
son signataire et de ses biens, si une maladie ou un
accident le rendait inapte. Or, il est possible de nommer, au besoin, deux mandataires distincts. Option
que pourront notamment apprécier les gens d’affaires.
«Souvent, mon conjoint sera la personne idéale pour
prendre soin de ma personne, mais pas nécessairement pour prendre la relève de mon entreprise»,
explique M. Busque.
Le mandat peut aussi accorder au conjoint survivant le droit de continuer d’habiter la résidence,
même s’il n’en est pas le copropriétaire. Raison supplémentaire pour le réviser au moment du remariage.
Car cet événement ne confère pas automatiquement
au nouvel époux le droit d’administrer les avoirs de
son conjoint. L’existence du mandat évitera, en cas
d’incapacité, de complexes situations, dont la nécessité
«Souvent, mon conjoint
sera la personne idéale
pour prendre soin
de ma personne,
mais pas nécessairement
pour prendre la relève
de mon entreprise.»
de constituer un conseil de famille ou de s’adresser au
Curateur public.
Contrat de mariage, testament et mandat sont
constamment appelés à évoluer. Après cinq ans de
relation, un époux peut ainsi décider de léguer une
somme aux enfants de sa nouvelle conjointe. «On n’a
pas à revoir tout le testament, signale Julien Busque.
On peut faire une modification.»
En fait, tout changement important dans la situation financière ou familiale (divorce, remariage, naissance, etc.) exigera une révision des documents-clés.
Bien sûr, ces visites chez le notaire, l’avocat ou même
le fiscaliste entraînent des débours, parfois importants,
vous signaleront certains clients. Mais leur expertise
permettra souvent d’éviter des problèmes bien plus
OC
coûteux, pourrez-vous leur répliquer!
UN DE VOS CLIENTS SE REMARIE?
Guidez-le dans sa démarche grâce aux
conseils d’un expert.
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AVRIL 2006
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