L`endettement est une «lame de fond

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L`endettement est une «lame de fond
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SUISSE
LA LIBERTÉ
MERCREDI 21 SEPTEMBRE 2011
L’endettement est une «lame de fond»
JEUNES • Le tiers des gens endettés en Suisse ont entre 18 et 25 ans. C’est le résultat inquiétant d’une étude
de la société de recouvrement Intrum Justitia. Une «lame de fond», considère l’historien Michel Oris.
ISABELLE EICHENBERGER
«Je suis à l’assurance-invalidité, raconte Carlos, 24 ans. Après le loyer et l’assurance-maladie, il me reste 1480 francs par mois. J’ai un
leasing pour la télé et deux cartes de crédit.
Sur la 2e, je dois 2500 francs mais j’ai obtenu
sans problème un nouveau leasing pour un
ordinateur.»
«J’ai fait des bêtises de jeunesse, des dépenses exagérées, des sorties, des voyages,
etc. et je me suis retrouvé avec deux ans
d’impôts de retard.» Arnaud, 39 ans, est
sous le coup d’une saisie de salaire depuis
sept ans. L’Office des poursuites lui laisse
1500 francs par mois sur son salaire d’infirmier. Il n’est plus en mesure de louer un appartement, de contracter un abonnement
de téléphone ou de s’acheter quoi que ce
soit en leasing. Et son salaire sera ponctionné encore des années.
Deux témoignages parmi d’autres. Histoire de rappeler qu’un tiers des Suisses de 18
à 25 ans sont endettés et que 44% des bénéficiaires de l’aide sociale appartiennent à cette
tranche d’âge, selon la Commission fédérale
de l’enfance et de la jeunesse. Mais aussi que
seuls 53% des 18-25 ans qui étaient endettés
en 2006 ont réglé leurs dettes en 2011. C’est
ce que révèle l’étude Radar 2011 que vient de
publier la société de recouvrement Intrum
Justitia, après avoir analysé 200 000 cas de recouvrement sur cinq ans.
L’étude se concentre sur les secteurs de la
santé, des télécommunications et du commerce en ligne (généralement à crédit).
«Chez les jeunes, la première place en matière de créances impayées est occupée par
les télécommunications, devant la santé et
l’e-commerce. En comparaison, la situation
est inverse chez les plus de 32 ans, pour lesquels c’est la santé qui arrive en tête pour les
factures impayées», indique l’étude. Logique,
les jeunes étant généralement en bonne
santé.
La culture du crédit
Le plus inquiétant est la difficulté de sortir de l’endettement, puisque 47% des jeunes
qui se sont endettés pour la première fois en
2006 ont encore au moins une dette en 2011.
Et il s’ajoute à cet autre chiffre de la commission fédérale citée plus haut: 70% des jeunes
adultes touchant l’aide sociale n’ont pas
achevé de formation professionnelle.
Une tendance qui s’accentue, selon Pierre
Maudet, président de ladite commission. «La
Suisse ne découvre en effet que depuis peu la
culture de la vie à crédit, que connaissent depuis longtemps les pays anglo-saxons. Avec
les ravages que l’on connaît: des jeunes qui
arrivent à l’âge adulte déjà criblés de dettes et
n’ayant d’autre solution que de prendre un
REPÈRES
Radar 2011
> Analyse de 200 000
cas de recouvrement
sur cinq ans par la société de recouvrement
Intrum Justitia, active
depuis 40 ans en
Suisse. Elle porte sur
trois secteurs: santé,
télécom et e-commerce. En tête de ce
trio, les communications électroniques (téléphonie mobile ou fixe
et internet) impayées
atteignent en moyenne
468 fr. pour les 18-25
ans, 412 chez les 26-32
ans et 366 fr. pour les
plus de 33 ans.
L’endettement des jeunes survient généralement au moment du passage à la vie active et du départ de la maison. KEYSTONE
abonnement à vie à l’aide sociale», ajoute le
libéral-radical genevois sur son blog.
Seuls 53% des jeunes
endettés en 2006
ont réglé leurs dettes
en 2011
L’engagement de Pierre Maudet (qui est
aussi maire de Genève) dans ces questions
n’est pas un hasard puisque, ainsi que le
confirme l’étude Radar 2011, «les jeunes de la
ville sont environ 10% plus souvent endettés
que ceux de la campagne (...) et ce sont les
francophones qui occupent la première place
en Suisse.
Des remèdes politiques
Un autre libéral-radical genevois, Hugues
Hiltpold, a déposé une initiative parlementaire à la Chambre du peuple en décembre
dernier. Soutenue par une quinzaine de
conseillers nationaux de tous bords, elle de-
EN BREF
CONSEIL NATIONAL
Plafonner les prix du «roaming»
Les prix pour les tarifs d’itinérance dans la téléphonie
mobile devraient être plafonnés. Quant aux travailleurs
bénévoles, ils devraient pouvoir bénéficier d’une déduction d’impôts. Le National a adopté hier deux motions en
ce sens, dans le cadre de sa session extraordinaire
consacrée au franc fort. Le Conseil fédéral était opposé à
ces propositions. ATS
SANTÉSUISSE
Le directeur annonce son départ
Santésuisse connaît un nouveau départ. Le directeur de
la faîtière des assurances-maladie, Stefan Kaufmann,
quittera son poste fin mars 2012 pour rejoindre la direction de la caisse EGK. Après 12 ans passés à santésuisse
à différents postes, M.Kaufmann a indiqué vouloir changer d’orientation professionnelle. ATS
GARES CFF
La publicité politique énerve
Les CFF ne veulent plus de concentration de publicité
politique dans les gares. Ils réagissent après avoir reçu
de nombreuses plaintes de voyageurs se sentant
«oppressés» par l’omniprésence d’affiches de l’UDC à
Zurich, la plus grande gare de Suisse. ATS
mande au gouvernement «de compléter la
Loi fédérale sur le crédit à la consommation
par un dispositif incitant les sociétés de crédit
à financer des programmes nationaux de prévention». En y affectant 1% de leur chiffre
d’affaires, comme l’avait déjà demandé, en
vain jusqu’ici, la commission fédérale en
2007.
De son côté, Intrum Justitia, principale
société d’encaissement en Suisse depuis quarante ans, s’engage depuis 2004 dans la prévention de l’endettement auprès des adolescents et a développé son enquête Radar sur
l’endettement des jeunes adultes sur le mode
périodique. Une façon de montrer patte
blanche qui n’est pas moins absurde que les
contributions à la prévention antitabac des
fabricants de cigarettes.
Mais si tous les acteurs de cette problématique se révoltent contre les procédés de
plus en plus agressifs des sociétés de crédit
à la consommation à l’égard des jeunes,
elles ne sont pas les seules responsables de
la situation. Selon les experts, la surconsommation n’est pas la cause première de
l’endettement des jeunes, qui survient gé-
néralement au moment du passage à la vie
active et du départ de la maison. De nombreux cantons urbains l’ont compris, qui se
sont dotés de services spécialisés dans l’assistance à l’endettement.
Nouveaux critères de vulnérabilité
Les historiens des populations ont défini
cinq critères de vulnérabilité: la maladie, le
chômage, la vieillesse, l’accident et la solitude. Depuis plus d’un siècle, les Etats occidentaux ont trouvé des parades avec les assurances-maladie,
accident,
vieillesse,
chômage. Mais, depuis une quarantaine
d’années, deux nouveaux critères sont apparus: l’endettement et les dépendances, les
deux étant parfois combinés.
«Nous devons enlever nos vieilles lunettes et sortir de la presbytie moralisante
pour comprendre ce qui se passe, lance Michel Oris, professeur de démographie historique et d’histoire sociale à l’Université de
Genève. Il faut constater que la transition des
jeunes vers l’âge adulte est devenue plus
lente et moins structurée. C’est une véritable
lame de fond.» © SWISSINFO.CH
> Dans les trois
tranches d'âge, les frais
de santé s'élèvent progressivement de 254 à
313 fr. en moyenne. Les
sommes liées au commerce en ligne augmentent aussi avec
l'âge, soit 106, 118 et
119 francs. 47% des
jeunes qui se sont endettés pour la première
fois en 2006 ont encore
au moins une dette en
2011.
> Le remboursement
est plus rapide parmi
les 18-25 ans par comparaison aux plus âgés.
Il leur faut de 9 à 18
mois pour y parvenir,
alors que les 26-32 ans
mettent 10 à 23 mois.
> L’analyse par sexe
montre que les jeunes
hommes s’endettent le
plus fortement dans l'ecommerce, alors que
les jeunes femmes se
heurtent, en majorité, à
des problèmes de factures médicales non
payées.
> Géographiquement,
les jeunes gens des
villes sont 10% plus
souvent endettés que
ceux de la campagne et
les francophones occupent la première place
en Suisse.
© SWISSINFO.CH
INITIATIVE
L’UDC veut «sauver» l’or de la BNS
L’UDC a lancé hier son initiative populaire
pour empêcher les ventes d’or de la Banque
nationale suisse. Le texte demande que le
métal jaune représente au moins 20% des actifs de la BNS et que ces réserves soient
stockées sur territoire helvétique.
L’initiative «Il faut sauver l’or suisse» veut
inscrire dans la Constitution que les réserves
en métal jaune de la BNS sont inaliénables.
Ces réserves représentent actuellement
quelque 17% des actifs, a indiqué le conseiller national zurichois Ulrich Schlüer à Berne
devant les médias. «Pour garder sa marge de
manœuvre, la BNS aurait besoin qu’elles
s’élèvent à un peu plus de 20%.» Atteindre ce
but coûterait plus de 10 milliards à la BNS. Au
30 juin, la banque possédait l’équivalent de
42 milliards de francs en or, soit 16% des actifs, selon son bilan intermédiaire. Interrogé
par l’ATS, son porte-parole Walter Meier a assuré que la banque n’avait «en aucun cas»
l’intention de se séparer de ces réserves.
Que la Banque nationale ait vendu plus de
la moitié de son or au cours des dix dernières
années prouve que ses dirigeants peuvent très
mal juger la situation, a critiqué le conseiller
national Luzi Stamm (AG). Selon lui, l’initiative de l’UDC «arrive au bon moment, car le
peuple suisse commence à se rendre compte
que ces ventes d’or étaient une erreur».
«La BNS a jugé ses réserves d’or «superflues» et a commencé à vendre à vil prix ce
patrimoine appartenant pour une grande
part aux collectivités suisses», a renchéri le
conseiller national valaisan Oskar Freysinger.
Cette fortune appartient au peuple et, pourtant, «on a l’impression qu’elle est devenue
une masse librement manipulable par les politiques», a affirmé de son côté M. Schlüer.
En 2000, il était pourtant question de «l’or
excédentaire de la BNS» même dans les rangs
de l’UDC. Le parti avait déposé une initiative
populaire pour que l’ensemble du profit soit
attribué à l’AVS, mais n’avait pas fait d’objection quant à la vente d’or. Depuis, la Banque
nationale suisse a vendu 1500 tonnes d’or.
Une part du revenu a été versée à la Confédération, pour l’AVS, l’autre aux cantons.
Au regard du surendettement de certains
pays, le comité d’initiative juge «irresponsable» que la BNS stocke une partie de ses réserves de métal jaune à l’étranger. Selon le bilan annuel 2010 de la banque, seule «une
petite partie» de ses réserves d’or sont investies à l’étranger. Son porte-parole n’a pas souhaité indiquer hier combien se trouve actuellement hors des frontières. ATS
L’UDC suggère une main protectrice sur l’or
de la BNS. KEYSTONE