de jurisprudence administrative

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de jurisprudence administrative
chronique de jurisprudence administrative
Jean-Luc PISSALOUX
Professeur à l’Université de Bourgogne
ACTES ADMINISTRATIFS
Actes administratifs - Validité des
actes administratifs - Forme et
procédure - Motivation - Substitution de motifs devant le juge
administratif - Conditions de la
substitution de motifs - Décision
administrative dont la légalité est
subordonnée à la satisfaction de
plusieurs conditions par le bénéficiaire de cette décision - Administration ayant omis de vérifier le
respect d’une des conditions à la
date de sa décision - Possibilité
de faire valoir devant le juge que
la condition était remplie
CE, 27 septembre 2006, Pillods
req. nº 278563
(décision mentionnée aux Tables
du Recueil Lebon)
[extraits]
Considérant, d’une part, qu’aux termes de
l’article L. 5125-3 du Code de la santé publique :
« Les créations, les transferts et les regroupements
d’officines de pharmacie doivent permettre de
répondre de façon optimale aux besoins en
médicaments de la population résidant dans les
quartiers d’accueil de ces officines. / Les créations, les transferts et les regroupements d’officines de pharmacie ne peuvent être effectués
que dans un lieu qui garantit un accès permanent du public à la pharmacie et permet à
celle-ci d’assurer un service de garde satisfaisant » ; qu’aux termes de l’article L. 5125-14 du
même code, dans sa rédaction en vigueur à la
date de la décision attaquée : « A l’exception
des cas de force majeure constatés par le représentant de l’Etat dans le département, ou si ces
officines sont dans l’impossibilité de se conformer
aux conditions minimales d’installation telles
qu’elles figurent dans le décret prévu à l’article
L. 5125-32, peuvent obtenir un transfert : (...)
– les officines situées dans une commune d’au
moins 2 500 habitants et de moins de 30 000 habitants où le nombre d’habitants par pharmacie
est égal ou inférieur à 2 500 ; (...) / Ce transfert
peut être effectué :
– au sein de la même commune (...) » ;
Considérant qu’il résulte de la combinaison de
ces dispositions que le transfert d’une officine
pharmaceutique au sein d’une commune de
plus de 2 500 et de moins de 30 000 habitants est
subordonné à la condition que, d’une part, le
nombre d’habitants par pharmacie dans la commune soit égal ou inférieur à 2 500 et que, d’autre
part, ce transfert permette de répondre de
façon optimale aux besoins en médicaments de
la population résidant dans le quartier d’accueil ;
Considérant, d’autre part, que l’Administration
peut, en première instance comme en appel,
faire valoir devant le juge de l’excès de pouvoir
que la décision dont l’annulation est demandée
est légalement justifiée par un motif, de droit ou
de fait, autre que celui initialement indiqué, mais
également fondé sur la situation existant à la
date de cette décision ; qu’ainsi, lorsque la légalité d’une décision administrative est subordonnée à la satisfaction de plusieurs conditions
et que l’Administration a omis d’examiner l’une
de ces conditions au cours de la procédure
administrative, elle peut faire valoir pour la première fois devant le juge de l’excès de pouvoir
le motif tiré de ce que cette condition était, en
réalité, remplie à la date de la décision attaquée ; qu’il appartient alors au juge, après avoir
mis l’auteur du recours à même de présenter ses
observations sur ce nouveau motif, de rechercher si celui-ci, combiné à celui qui avait été
retenu initialement, est de nature à fonder légalement la décision ; que dans l’affirmative, le
juge peut écarter le moyen tiré de l’erreur de
droit qu’aurait commise l’Administration en
s’abstenant d’examiner l’une des conditions
légales de la décision, sous réserve que le défaut
d’examen de cette condition n’ait pas privé
l’intéressé d’une garantie procédurale ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède
qu’après avoir énoncé que la légalité de la décision de transfert d’officine pharmaceutique attaquée était subordonnée au respect des conditions posées respectivement par les articles
L. 5125-3 et L. 5125-14 du Code de la santé
publique, et après avoir constaté que l’Administration avait pris cette décision sur le seul fondement du second de ces articles sans vérifier si les
conditions posées par le premier étaient remplies, la Cour a entaché son arrêt d’une erreur
de droit en jugeant que le ministre ne pouvait
utilement soutenir devant le juge que ces conditions étaient satisfaites ; que, par suite, et sans
qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du
pourvoi, Mme Pillods est fondée à demander
l’annulation de l’arrêt attaqué ;
Considérant qu’il y a lieu, pour le Conseil d’Etat,
de régler l’affaire au fond en application des dispositions de l’article L. 821-2 du Code de justice
administrative ;
Considérant qu’il est constant que le préfet du
Doubs s’est fondé, pour prendre la décision attaquée, sur la seule circonstance que, dans la
commune de Montbéliard, le nombre d’habitants par officine était, à la date de cette décision, inférieur à 2 500 ; que, toutefois, devant le
juge de l’excès de pouvoir, l’Administration soutient en outre que le transfert autorisé permettait,
à la date de la décision attaquée, de satisfaire
de façon optimale aux besoins en médicaments
de la population résidant dans le quartier
d’accueil ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier
qu’à la date de la décision attaquée, l’officine
transférée dans le centre commercial situé dans
la zone d’aménagement concerté du Pied-desGouttes à Montbéliard pouvait utilement approvisionner, en premier lieu, la population résidente
et saisonnière de ce quartier, en deuxième lieu,
les habitants de zones résidentielles comme
celles des Grands-Cantons, de Pezolle et du
Grand-Chenois, proches de la zone d’aménagement concerté du Pied-des-Gouttes et dépourvues de pharmacie, et, en troisième lieu, une
partie des quartiers de la Grande et de la PetiteHollande et des Portes-du-Jura, auxquels la zone
d’aménagement concerté du Pied-des-Gouttes
était reliée par un nombre croissant de voies de
communication ; qu’ainsi, la décision attaquée
répondait à la condition de satisfaction optimale
des besoins en médicaments de la population
du quartier d’accueil posée par l’article L. 5125-3
du Code de la santé publique ; que cette décision satisfaisait donc aux deux conditions de
légalité posées respectivement par les articles
L. 5125-3 et L. 5125-14 du même code ; que, dans
ces conditions, Mme Pillods est fondée à soutenir
que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le
tribunal administratif de Besançon a annulé
l’arrêté du 26 juillet 2000 du préfet du Doubs
l’autorisant à transférer son officine pharmaceutique ; (...).
Note
Désormais, depuis le revirement jurisprudentiel
opéré par l’arrêt de section Mme Hallal (CE,
sect., 6 février 2004, Rec. p. 48, RFDA 2004,
concl. I. de Silva ; cet arrêt a fait l’objet de
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chronique de jurisprudence administrative
nombreux commentaires, voir notamment :
chron. Donnat et Casas, AJDA 2004, p. 436 ;
note Chabanol, DA 2004, nº 51 ; V. Tchen, JCP
A 2004, 1154 ; D. Linotte et J.-L. Pissaloux, La
Gazette du Palais, nos 12 et 13, 12-13 janvier
2005), l’Administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le
juge de l’excès de pouvoir que la décision
dont l’annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait,
autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date
de cette décision.
Ce revirement, qui était prévisible depuis
l’entrée en vigueur de la loi du 8 février 1995
et très largement attendu, n’en est pas moins
très encadré par le Conseil d’Etat. En premier
lieu, à la différence de la substitution de base
légale (cf. CE, sect., 3 décembre 2003, Préfet
de la Seine-Maritime, AJDA 2004, p. 202), la
substitution de motifs ne peut avoir lieu
d’office. Elle suppose, en deuxième lieu, un
débat contradictoire : comme l’a souligné
l’arrêt Mme Hallal, le juge doit « avoir mis à
même l’auteur du recours de présenter ses
observations sur la substitution ainsi sollicitée »,
en d’autres termes sur le nouveau motif
allégué ; l’arrêt Mme Hallal a encore précisé
que le juge « peut procéder à la substitution
demandée, sous réserve toutefois qu’elle ne
prive pas le requérant d’une garantie procédurale liée au motif substitué ». Enfin, en troisième lieu, à supposer même que le motif substitué – c’est-à-dire le nouveau motif allégué –
soit « de nature à fonder légalement la décision », le juge de l’excès de pouvoir doit
« apprécier s’il résulte de l’instruction que
l’Administration aurait pris la même décision si
elle s’était fondée initialement sur ce motif ».
La Haute Juridiction a donc su poser des
garde-fous pour écarter les motifs invoqués a
posteriori afin d’essayer de « sauver » au niveau
contentieux une décision mal motivée.
L’arrêt Pillods du 27 septembre s’inscrit parfaitement dans le prolongement de la jurisprudence Mme Hallal : il peut en effet être présenté comme une variation de la substitution
de motifs. Dans le considérant qui reprend les
conditions posées par l’arrêt Mme Hallal pour
procéder à une substitution de motifs, le
Conseil d’Etat insère en effet ce qui constitue
l’innovation de l’arrêt : « lorsque la légalité
d’une décision administrative est subordonnée
à la satisfaction de plusieurs conditions et que
l’Administration a omis d’examiner l’une de
ces conditions au cours de la procédure administrative, elle peut faire valoir pour la première
fois devant le juge de l’excès de pouvoir le
motif tiré de ce que cette condition était, en
réalité, remplie à la date de la décision attaquée ». En d’autres termes, la réalisation d’une
condition légale que l’Administration avait à
tort omis d’examiner est assimilée à un nouveau motif susceptible d’être invoqué pour la
première fois devant le juge administratif.
Cette substitution est donc possible lorsqu’une
décision administrative est subordonnée à la
réalisation de plusieurs conditions légales. Ce
qui était effectivement le cas en l’espèce. Le
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Code de la santé publique subordonne en
effet le transfert d’une officine pharmaceutique au sein des communes de moins de
30 000 habitants à la double condition que le
nombre d’habitants par pharmacie dans la
commune soit égal ou inférieur à 2 500 et que
le transfert « permette de répondre de façon
optimale aux besoins en médicaments de la
population résidant dans le quartier
d’accueil » ; par conséquent, lorsque le préfet
autorise le transfert en n’examinant que l’une
des deux conditions, il commet une erreur de
droit dans la mesure où il ne vérifie pas la réalisation de l’autre condition (CE, 28 avril 2006,
Min. Solidarités c/ Hickel, req. nº 279893). Aussi,
avant l’arrêt Pillods, cette erreur de droit entraînait l’annulation de la décision, et l’autorité
administrative était une nouvelle fois saisie du
dossier et devait apprécier si la condition initialement non vérifiée était ou non remplie.
Désormais, avec l’arrêt Pillods, l’Administration
peut faire valoir devant le juge administratif
qu’à la date à laquelle elle a pris la décision
contestée, la condition qu’elle avait omis
d’examiner était bien satisfaite, ce qui a pour
effet de régulariser sa décision et d’éviter
l’annulation de celle-ci. Les conditions de mise
en œuvre de la substitution de motifs dans
l’hypothèse de l’exigence de plusieurs conditions légales sont identiques à celles posées
par l’arrêt Mme Hallal (cf. supra) : en particulier, cette substitution ne saurait priver l’intéressé d’une garantie procédurale, notamment
lorsque la condition légale implique une procédure contradictoire ou la saisine d’un
organe représentatif des intérêts de la personne concernée. Les effets de la substitution
sont également les mêmes identiques : la décision administrative est a posteriori régularisée,
et le recours contentieux est rejeté.
Actes administratifs - Disparition
de l’acte - Retrait - Retrait des
actes créateurs de droits Conditions du retrait - Retrait
d’une
décision
implicite
d’acceptation possible en présence d’un recours pour excès
de pouvoir contre cette décision
- Circonstances sans incidence Absence de mesure d’information des tiers - Expiration du délai
de deux mois mentionné au 2º
de l’article 23 de la loi du 12 avril
2000
CE, avis, 12 octobre 2006,
Mme Cavallo, épouse Cronier
req. nº 292263
(avis publié au Recueil Lebon)
Vu, enregistré le 11 avril 2006 au secrétariat du
contentieux du Conseil d’Etat, le jugement du
7 avril 2006 par lequel le tribunal administratif de
Nice, avant de statuer sur la demande présentée
par Mme Josiane Cavallo, épouse Cronier tendant à l’annulation de la décision du 3 mai 2002
par laquelle le maire de la commune de
Pégomas a retiré le permis de construire tacite
qu’elle avait obtenu le 6 novembre 2001, a
décidé, par application des dispositions de
l’article L. 113-1 du Code de justice administrative, de transmettre le dossier de cette demande
au Conseil d’Etat en soumettant à son examen
la question suivante : un recours contentieux
formé par un tiers, à l’encontre d’une décision
implicite d’acceptation, après l’expiration du
délai de deux mois mentionné au 2º de
l’article 23 de la loi nº 2000-321 du 12 avril 2000,
est-il susceptible de permettre à l’auteur de
l’acte de procéder à son retrait pendant la
durée de l’instance, conformément au 3º dudit
article ?
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi nº 2000-321 du 12 avril 2000 modifiée ;
Vu le Code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Pierre-Antoine Molina, maître
des requêtes,
– les conclusions de M. Yves Struillou, commissaire
du Gouvernement ;
Rend l’avis suivant :
Aux termes de l’article 23 de la loi du 12 avril 2000
relative aux droits des citoyens dans leurs rapports avec les administrations : « Une décision
implicite d’acceptation peut être retirée, pour
illégalité, par l’autorité administrative : 1º Pendant le délai de recours contentieux, lorsque des
mesures d’information des tiers ont été mises en
œuvre ; / 2º Pendant le délai de deux mois à
compter de la date à laquelle est intervenue la
décision, lorsqu’aucune mesure d’information
des tiers n’a été mise en œuvre ; / 3º Pendant la
durée de l’instance au cas où un recours contentieux a été formé » ;
Il résulte de l’économie générale de cet article
que son 3º permet à l’Administration de retirer,
pour illégalité, une décision implicite d’acceptation, que des mesures d’information des tiers
aient été ou non mises en œuvre à la suite de
l’intervention de cette décision, dès lors que
l’annulation de cette décision a été demandée
au juge, et tant que celui-ci n’a pas statué.
Par suite, alors même qu’aucune mesure d’information des tiers n’aurait été mise en œuvre, le
retrait de la décision attaquée est possible après
l’expiration du délai de deux mois mentionné
au 2º de l’article 23, dès lors qu’un recours
contentieux a été formé ;
Le présent avis sera notifié à Mme Josiane Cronier, au président du tribunal administratif de
Nice, à la commune de Pégomas et au ministre
des Transports, de l’Equipement, du Tourisme et
de la Mer et publié au Journal officiel de la République française. Copie en sera adressée pour
information au chef de la mission permanente
d’inspection des juridictions administratives.
Note
Par un jugement du 7 avril 2006, le tribunal
administratif de Nice, avant de statuer sur la
requête de Mme Josiane Cavallo, épouse Cronier, et tendant à l’annulation de la décision
du 3 mai 2002 par laquelle le maire de la commune de Pégomas a retiré le permis de
chronique de jurisprudence administrative
construire tacite qu’elle avait obtenu le
6 novembre 2001, a soumis, par application
des dispositions de l’article L. 113-1 du Code
de justice administrative, la question suivante
au Conseil d’Etat : « un recours contentieux
formé par un tiers, à l’encontre d’une décision
implicite d’acceptation, après l’expiration du
délai de deux mois mentionné au 2º de
l’article 23 de la loi nº 2000-321 du 12 avril 2000,
est-il susceptible de permettre à l’auteur de
l’acte de procéder à son retrait pendant la
durée de l’instance, conformément au 3º dudit
article ? ».
Le retrait des décisions implicites d’acceptation est régi par l’article 23 de la loi du 12 avril
2000 relative aux droits des citoyens dans leurs
rapports avec les administrations (dite « loi
DCRA »), aux termes duquel : « Une décision
implicite d’acceptation peut être retirée, pour
illégalité, par l’autorité administrative : 1º pendant le délai de recours contentieux, lorsque
des mesures d’information des tiers ont été
mises en œuvre ; 2º pendant le délai de deux
mois à compter de la date à laquelle est intervenue la décision, lorsque aucune mesure
d’information des tiers n’a été mise en œuvre ;
3º pendant la durée de l’instance au cas où
un recours contentieux a été formé ».
La question soumise par le tribunal administratif
de Nice revenait donc à s’interroger sur le
caractère compatible ou au contraire exclusif
des alinéas 2 et 3 de l’article 23 de la loi du
12 avril 2000 : le 3º de cet article 23 s’appliquet-il aux décisions implicites d’acceptation
visées par le 2º, c’est-à-dire aux décisions pour
lesquelles aucune mesure d’information des
tiers n’a été mise en œuvre, ou bien au
contraire, le 2º de l’article 23 doit-il être
appliqué indépendamment du 3º ?
Comme l’a fait observer dans ses conclusions
le commissaire du Gouvernement, M. Yves
Struillou, l’article 23 peut faire l’objet de plusieurs lectures :
« – selon une première lecture, le 3º ne s’appliquerait pas aux décisions visées au 2º ;
– selon une deuxième lecture, le 3º ne s’appliquerait pas aux décisions visées au 1º ;
– selon une troisième lecture, le 3º s’appliquerait à la fois aux décisions visées par les 1º et
2º, c’est-à-dire à l’ensemble des décisions
implicites d’acceptation ;
– selon une quatrième et dernière lecture, le
3º devrait être combiné avec le 1º et le 2º. »
C’est la troisième lecture proposée par
M. Struillou qui a été retenue par l’avis du
12 octobre 2006.
Cette solution apparaît légitime à un double
point de vue : en premier lieu, elle est
conforme au texte de l’article 23 ; en second
lieu, elle est aussi conforme à l’objectif du législateur de 2000.
L’article 23 distingue en vérité trois hypothèses :
la première vise les cas où des mesures d’information des tiers ont été mises en œuvre, et la
période de retrait est alors définie par rapport
au délai de recours contentieux, qui court à
compter de l’accomplissement des mesures
d’information des tiers ; la deuxième renvoie
aux cas où aucune mesure d’information des
tiers n’a été mise en œuvre, la période de
retrait est dès lors de deux mois à compter de
la date à laquelle est intervenue la décision ;
la troisième, enfin, vise le cas où un recours
contentieux a été engagé contre la décision,
et il est alors possible de retirer la décision pendant la durée de la durée de l’instance.
Comme le souligne le commissaire du Gouvernement, les deux premières hypothèses sont
exclusives l’une de l’autre : « soit l’autorité
administrative est placée dans la situation
définie au 1º (des mesures d’information des
tiers ont été mises en œuvre), soit elle est
placée dans celle définie au 2º (aucune
mesure d’information des tiers n’a été mise en
œuvre) ». En revanche, le 3º de l’article 23
concerne une autre catégorie de cas, celle où
la décision implicite d’acceptation fait l’objet
d’un recours contentieux : cette troisième
hypothèse est donc indépendante des deux
premières ; rien ne s’oppose à ce qu’elle
s’applique dans tous les cas, que des mesures
d’information des tiers aient été ou non mises
en œuvre, dès lors que l’annulation de la décision implicite d’acceptation a été demandée
au juge, et tant que celui-ci n’a pas statué. Par
conséquent, alors même qu’aucune mesure
d’information des tiers n’aurait été mise en
œuvre, le retrait de la décision attaquée est
possible après l’expiration du délai de deux
mois mentionné au 2º de l’article 23, dès lors
qu’un recours contentieux a été formé, et cela
pendant la durée de l’instance.
L’interprétation de l’article 23 résultant de l’avis
du 12 octobre 2006 répond aussi au vœu du
législateur de 2000, lequel a souhaité, à l’évidence, revenir sur la jurisprudence Eve (CE,
sect., 14 novembre 1969, Rec. p. 498), aux
termes de laquelle l’intervention d’une décision implicite d’acceptation a pour effet de
dessaisir définitivement l’Administration.
L’article 23 de la loi DCRA du 12 avril 2000 a en
effet voulu donner la faculté à l’Administration
de retirer sous certaines conditions une décision implicite d’acceptation (illégale), et cela
en conciliant à la fois le respect du principe de
légalité et l’exigence de sécurité juridique :
dans l’intérêt de celle-ci, des décisions créatrices de droit ne doivent plus, à partir d’un
certain moment, être susceptibles de contestation (même si elles sont illégales), alors qu’au
nom de celui-là, une décision administrative
illégale doit pouvoir être retirée de l’ordonnancement juridique. C’est pourquoi les conditions
de retrait d’une décision illégale sont en partie
copiées sur le recours contentieux. C’est particulièrement clair dans les hypothèses des alinéas 1 et du 3 de l’article 23, puisque alors le
retrait de la décision illégale peut intervenir
tant que l’annulation contentieuse est possible
(pendant le délai de recours contentieux pour
le 1º ; pendant la durée de l’instance pour
le 3º). En revanche, l’hypothèse visée par
l’alinéa 2 de l’article 23 se présente différemment : en effet, lorsque aucune mesure d’information des tiers n’a été mise en œuvre, le délai
de recours contentieux ne commence point à
courir à leur égard, et un recours contentieux
peut donc toujours intervenir ; mais en vertu de
cet alinéa 2, l’Administration ne peut retirer sa
décision au-delà d’un délai de deux mois à
compter de la date à laquelle cette décision
a été prise, car le législateur n’a point voulu
donner à l’Administration, en cas d’absence
de mise en œuvre de mesures d’information
des tiers, une possibilité temporelle infinie pour
retirer sa décision. Cependant, ce souci du
législateur n’a plus lieu d’être lorsqu’un recours
contentieux a été formé (troisième hypothèse
visée par l’alinéa 3 de l’article 23) : une limitation du pouvoir de retrait de l’Administration
n’est en effet plus justifiée à partir du moment
où une instance contentieuse a été engagée.
Il est même opportun, à plusieurs points de vue,
que l’Administration puisse faire proprio motu
ce qui est demandé au juge (pour celui-ci,
annuler la décision illégale ; pour celle-là, la
retirer ; ce qui revient dans les deux cas à faire
sortir la décision illégale de l’ordonnancement
juridique) : non seulement, cette possibilité de
retrait va dans le sens du respect de la légalité ;
mais elle contribue aussi à réduire le contentieux inutile, puisque le retrait de la décision
illégale pendant la durée de l’instance se soldera par un non-lieu à statuer, même si la décision a reçu un commencement d’exécution
(CE, 19 avril 2000, Borusz, req. nº 207469). C’est
pourquoi la lecture des dispositions de
l’article 23 faite par l’avis Mme Cavallo du
12 octobre 2006, lequel a largement repris les
conclusions du commissaire du Gouvernement, ne peut qu’être approuvée.
AUTORITÉS ADMINISTRATIVES
INDÉPENDANTES
Autorités administratives indépendantes - Médiateur de la
République - Réponses adressées aux parlementaires qui le
saisissent de réclamations ou
aux auteurs des réclamations
eux-mêmes - Actes n’ayant pas
la qualité de décisions susceptibles de faire l’objet de recours
contentieux - Autorités administratives indépendantes - Autorité
des marchés financiers (AMF) Mission de conciliation ou de
médiation - Décision refusant de
donner suite à une demande
d’exercice de cette mission Acte non susceptible de faire
l’objet d’un recours pour excès
de pouvoir
CE, 18 octobre 2006, Consorts Miller
req. nº 277597
(décision publiée au Recueil Lebon)
[extraits]
Sur les conclusions dirigées contre la lettre du
7 décembre 2004 du médiateur de la République :
Considérant qu’il ressort de l’ensemble des dispositions de la loi du 3 janvier 1973 que les
réponses adressées par le médiateur aux
171
chronique de jurisprudence administrative
parlementaires qui le saisissent de réclamations
en vertu de l’article 6 de cette loi, ainsi, le cas
échéant, qu’aux auteurs des réclamations euxmêmes, n’ont pas le caractère de décisions susceptibles de faire l’objet de recours contentieux ;
Considérant que, par lettre du 7 décembre 2004,
le médiateur de la République s’est borné à rappeler à M. et Mme Miller qu’il avait procédé à la
clôture de leur dossier au motif que le litige portait sur des rapports de droit privé n’entrant pas
dans le champ de sa compétence ; qu’il résulte
de ce qui précède que cette lettre n’a pas le
caractère d’une décision susceptible de recours
pour excès de pouvoir ;
Considérant que l’irrecevabilité dont sont entachées ces conclusions est manifeste et n’est pas
susceptible d’être couverte en cours d’instance ;
qu’il y a lieu dès lors pour le Conseil d’Etat d’en
prononcer le rejet, en application de l’article
R. 351-4 du Code de justice administrative ;
Sur les conclusions dirigées contre la lettre du
17 janvier 2005 du médiateur de l’Autorité des
marchés financiers :
Considérant qu’aux termes du premier alinéa de
l’article L. 621-19 du Code monétaire et financier : « L’Autorité des marchés financiers est habilitée à recevoir de tout intéressé les réclamations
qui entrent par leur objet dans sa compétence
et à leur donner les suites qu’elles appellent. Elle
propose, en tant que de besoin, la résolution
amiable des différends portés à sa connaissance
par voie de conciliation ou de médiation » ;
Considérant qu’eu égard à la nature même de
cette mission, laquelle suppose l’accord des parties, et dont l’exercice ne constitue d’ailleurs pour
l’Autorité des marchés financiers qu’une simple
faculté, la décision par laquelle celle-ci refuse de
donner suite à une demande de conciliation ou
de médiation n’est pas susceptible de recours
pour excès de pouvoir ;
Considérant, dès lors, que les conclusions dirigées
contre la lettre en date du 17 janvier 2005 par
laquelle le médiateur de l’Autorité des marchés
financiers a informé M. et Mme Miller de ce que
le Crédit commercial de France, avec lequel ils
étaient en litige, ne souhaitait pas participer à
une procédure de médiation et de ce que, par
suite, il ne lui était pas possible de poursuivre son
intervention qui était subordonnée à l’accord de
l’ensemble des parties, ne sont pas recevables ;
Considérant, enfin, que si les conclusions présentées par les époux Miller tendent, dans leur dernier
état, à ce qu’il soit enjoint à l’Autorité des marchés financiers de répondre aux questions qu’ils
lui ont précédemment adressées, il n’appartient
pas au juge administratif, sauf dans les cas prévus
par les articles L. 911-1 et L. 911-2 du Code de
justice administrative, d’adresser des injonctions à
une autorité administrative ; que ces conclusions
ne peuvent donc qu’être rejetées ;
Considérant que l’irrecevabilité dont sont entachées ces différentes conclusions est manifeste
et n’est pas susceptible d’être couverte en cours
d’instance ; qu’il y a lieu dès lors pour le Conseil
d’Etat d’en prononcer le rejet, en application
de l’article R. 351-4 du Code de justice administrative ; (...).
172
Observations
Avec cet arrêt Consorts Miller (CE, 18 octobre
2006, req. nº 277597) qui sera publié au Recueil
Lebon, le Conseil d’Etat confirme une nouvelle
fois sa jurisprudence Retail (CE, ass., 10 juillet
1981, Rec. p. 303 ; -, 20 janvier 1982, Moore, DA
1982, commentaire nº 63 ; -, 11 janvier 1985,
Deleuse, DA 1985, commentaire nº 84 ; -, 23 juin
1989, Adès, DA nº 989, commentaire nº 407),
aux termes de laquelle les réponses adressées
par le médiateur de la République aux parlementaires qui le saisissent de réclamations en
vertu de l’article 6 de la loi du 3 janvier 1973,
ainsi, le cas échéant, qu’aux auteurs des réclamations eux-mêmes, n’ont pas le caractère de
décisions susceptibles de faire l’objet de
recours contentieux. En l’espèce, était en
cause une lettre du médiateur se bornant à
rappeler aux intéressés, les consorts Miller, qu’il
avait procédé à la clôture de leur dossier, au
motif que le litige portait sur des rapports de
droit privé n’entrant pas dans le champ de sa
compétence : cette lettre n’a donc pas le
caractère d’une décision susceptible de
recours pour excès de pouvoir.
Cet arrêt Consorts Miller apporte par ailleurs
d’utiles informations sur la mission de conciliation ou de médiation de l’Autorité des marchés
financiers (AMF). Aux termes du premier alinéa
de l’article L. 621-19 du Code monétaire et
financier, « l’Autorité des marchés financiers est
habilitée à recevoir de tout intéressé les réclamations qui entrent par leur objet dans sa compétence et à leur donner les suites qu’elles
appellent. Elle propose, en tant que de besoin,
la résolution amiable des différends portés à sa
connaissance par voie de conciliation ou de
médiation ». Eu égard à la nature même de
cette mission, laquelle suppose l’accord des
parties, et dont l’exercice ne constitue d’ailleurs pour l’Autorité des marchés financiers
qu’une simple faculté, la décision par laquelle
celle-ci refuse de donner suite à une demande
de conciliation ou de médiation n’est également pas susceptible de recours pour excès de
pouvoir : tel est l’enseignement de cet arrêt
Consorts Miller.
COMPTABILITÉ PUBLIQUE
Comptabilité publique - Dettes
des collectivités publiques - Prescription quadriennale - Régime
de la loi du 31 décembre 1968 Interruption du cours du délai Plainte contre X - Absence
d’interruption du délai
CE, 10 octobre 2006, M. et Mme Haudry
req. nº 264588
(décision mentionnée
aux Tables du Recueil Lebon)
[extraits]
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier
soumis aux juges du fond que l’enfant Jessica
Haudry, âgée de quatre ans, a subi le 3 avril 1989
au centre hospitalier de Saumur une ablation des
amygdales et des végétations ; que de graves
complications survenues lorsque la jeune
patiente se trouvait en salle de réveil ont conduit
à son transfert au service de réanimation du
centre hospitalier de Clocheville à Tours où elle
est décédée le 5 avril 1989 ; que M. et
Mme Haudry, parents de Jessica, ont formé le
26 février 1990 une plainte contre X avec constitution de partie civile pour homicide involontaire
tendant à l’identification des causes du décès,
à l’établissement des responsabilités pénalement
encourues à raison de ce décès et à l’indemnisation de leur préjudice ; que, par un jugement
du tribunal correctionnel de Saumur du 23 février
1995 confirmé par la cour d’appel d’Angers le
9 mai 1996, la juridiction pénale a sanctionné
le médecin chargé de la surveillance postopératoire de Jessica Haudry mais rejeté les
conclusions indemnitaires formées par M. et
Mme Haudry comme relevant non pas de la
compétence du juge judiciaire mais de celle de
la juridiction administrative ; qu’après rejet de
leur demande préalable présentée au centre
hospitalier de Saumur le 25 octobre 1996, M. et
Mme Haudry ont saisi le juge administratif de
conclusions indemnitaires ;
Considérant que, sur appel formé par le centre
hospitalier contre un jugement du tribunal administratif de Nantes faisant droit à la demande des
requérants, la cour administrative d’appel de
Nantes, a par l’arrêt attaqué, annulé ce jugement et rejeté leur demande de première instance ;
Considérant que, contrairement à ce que soutiennent M. et Mme Haudry, l’arrêt de la cour
administrative d’appel de Nantes est suffisamment motivé ;
Considérant qu’aux termes de l’article premier
de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l’Etat, les départements, les communes et les établissements
publics alors applicable aux créances détenues
sur les établissements publics hospitaliers en
matière de responsabilité médicale : « Sont prescrites, au profit de l’Etat, des départements et
des communes, sans préjudice des déchéances
particulières édictées par la loi et sous réserve des
dispositions de la présente loi, toutes créances
qui n’ont pas été payées dans un délai de quatre
ans à partir du premier jour de l’année suivant
celle au cours de laquelle les droits ont été
acquis./ Sont prescrites, dans le même délai et
sous la même réserve, les créances sur les établissements publics dotés d’un comptable
public » ; qu’aux termes de l’article 2 de la même
loi : « La prescription est interrompue par (...) /
Tout recours formé devant une juridiction relatif
au fait générateur, à l’existence, au montant ou
au paiement de la créance, quel que soit
l’auteur du recours et même si la juridiction saisie
est incompétente pour en connaître et si l’Administration qui aura finalement la charge du règlement n’est pas partie à l’instance./ Un nouveau
délai de quatre ans court à compter du premier
jour de l’année suivant celle au cours de laquelle
a eu lieu l’interruption. Toutefois, si l’interruption
résulte d’un recours juridictionnel, le nouveau
chronique de jurisprudence administrative
délai court à partir du premier jour de l’année
suivant celle au cours de laquelle la décision est
passée en force de chose jugée » ; qu’aux
termes de l’article 3 de la même loi, la prescription ne court pas contre le créancier « qui peut
être légitimement regardé comme ignorant
l’existence de sa créance ou de la créance de
celui qu’il représente légalement » ;
Considérant que les dispositions précitées de
l’article 2 de la loi du 31 décembre 1968 subordonnent l’interruption du délai de prescription
qu’elles prévoient en cas de recours juridictionnel, à la mise en cause d’une collectivité
publique ; qu’une plainte contre X, qui n’est pas
expressément dirigée contre une collectivité
publique, ne peut interrompre jusqu’à l’intervention d’une décision passée en force de chose
jugée la prescription d’une créance sur un établissement public hospitalier ; que, toutefois, le
délai de prescription ne saurait courir lorsque le
titulaire de la créance ou ses ayants droit peuvent légitimement être regardés comme ignorant l’existence de celle-ci ;
Considérant que les juges du fond, sans dénaturer les faits de l’instance, ont souverainement
constaté que M. et Mme Haudry avaient été
informés de l’existence éventuelle de leur
créance sur le centre hospitalier de Saumur en
prenant connaissance courant 1991 des résultats
de l’expertise ordonnée le 10 avril 1990 par le
juge d’instruction chargé de l’affaire, ladite
expertise concluant à l’existence tant de fautes
propres au médecin chargé de la surveillance
des suites anesthésiques de l’opération subie par
l’enfant que de fautes imputables au fonctionnement du service hospitalier lui-même ; que la
Cour a pu légalement en déduire que le délai
de prescription attaché à cette créance avait
couru à compter du premier jour de l’année suivante, soit le 1er janvier 1992 et qu’ainsi la prescription quadriennale était opposable le
25 octobre 1996, date à laquelle M. et
Mme Haudry ont saisi le directeur de cet établissement public hospitalier d’une demande préalable d’indemnisation ;
Considérant que l’article L. 1142-28 du Code de
la santé publique, issu de la loi du 4 mars 2002
relative aux droits des malades et à la qualité du
système de santé, a substitué une prescription
décennale à la prescription quadriennale pour
l’exercice des créances sur l’Etat, les départements, les communes et les établissements
publics en matière de responsabilité médicale ;
que si l’article 101 de la même loi a prévu que la
prescription décennale serait immédiatement
applicable aux instances en cours, en tant
qu’elle est favorable aux victimes et à ses ayants
droit, cet article n’a cependant pas eu pour
effet, en l’absence de dispositions le prévoyant
expressément, de relever de la prescription celles
de ces créances qui étaient prescrites en application de la loi du 31 décembre 1968 à la date
d’entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002 ;
qu’en ne faisant pas application de l’article 101
de la loi du 4 mars 2002, dès lors qu’à la date
d’entrée en vigueur de celle-ci, la prescription
de la créance dont M. et Mme Haudry invoquaient le bénéfice, était acquise, la Cour n’a
pas entaché son arrêt d’une erreur de droit ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que
M. et Mme Haudry ne sont pas fondés à
demander l’annulation de l’arrêt attaqué ;
Sur l’application des dispositions de l’article
L. 761-1 du Code de justice administrative :
Considérant que ces dispositions font obstacle à
ce que soit mise à la charge du centre hospitalier
de Saumur, qui n’est pas la partie perdante dans
la présente instance, la somme que M. et
Mme Haudry demandent au titre des frais
exposés par eux et non compris dans les
dépens ; (...).
Comptabilité publique - Dettes
des collectivités publiques - Prescription quadriennale - Régime
de la loi du 31 décembre 1968 Interruption du cours du délai Plainte contre X avec constitution de partie civile portant sur le
fait générateur, l’existence, le
montant ou le paiement d’une
créance susceptible d’être mise
à la charge d’une collectivité
publique - Absence d’interruption du délai
CE, sect., 27 octobre 2006,
Département du Morbihan et autres
req. nº 246931
(décision publiée au Recueil Lebon)
[extraits]
Considérant que les requêtes susvisées présentées par le département du Morbihan, la Caisse
des dépôts et consignations, M. et Mme A et
M. et Mme B sont dirigées contre le même arrêt
de la cour administrative d’appel de Nantes ;
qu’il y a lieu de les joindre pour statuer par une
seule décision ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier
soumis aux juges du fond que Mme A, agent du
département du Morbihan, née le 25 mai 1960,
a été victime, lors de l’accouchement de son
deuxième enfant au centre hospitalier de
Quimper, le 28 mars 1989, de sévères complications hémorragiques ainsi que d’un collapsus
cardio-vasculaire avec anoxie cérébrale, à la
suite duquel elle s’est trouvée plongée dans le
coma jusqu’au 18 mai 1989 ; qu’elle a gardé de
graves séquelles, notamment neurologiques, de
cet accident ; que, le 16 octobre 1996, M. et
Mme A, ainsi que les parents de Mme A, M. et
Mme B, ont demandé au centre hospitalier de
Quimper de les indemniser des préjudices de
toute nature qu’ils avaient subis du fait de cet
accident puis, en l’absence de décision expresse
de l’hôpital, ont saisi le tribunal administratif de
Rennes le 4 décembre 1996 ; que, par un premier
jugement du 16 juin 1999, passé en force de
chose jugée sur ces points, le tribunal administratif a admis la responsabilité du centre hospitalier et ordonné une expertise afin de déterminer
la date de consolidation de l’état de santé de
Mme A et d’évaluer le préjudice à compter du
1er janvier 1992 ; qu’en revanche, par l’article 2
de ce jugement, frappé d’appel par les
consorts A, il a rejeté comme prescrites les
demandes de ces derniers afférentes aux préjudices antérieurs au 31 décembre 1991 ; que, par
un second jugement du 15 novembre 2000, le
tribunal administratif a condamné le centre hospitalier de Quimper à verser 1 214 590,80 F
(185 163,17 c) à Mme A, 849 383,36 F
(129 487,66 c) à la Caisse des dépôts et consignations, 173 368,84 F (26 429,91 c) au département du Morbihan, 168 509,21 F (25 689,06 c) à la
caisse primaire d’assurance maladie du SudFinistère, et a rejeté le surplus des conclusions
indemnitaires des consorts A ; que, sur appel de
ces derniers et du centre hospitalier de Quimper,
la cour administrative d’appel de Nantes a, par
l’arrêt attaqué, rejeté les conclusions indemnitaires des consorts A, de la caisse primaire d’assurance maladie du Sud-Finistère, de la Caisse des
dépôts et consignations, du département du
Morbihan et réformé en ce sens le jugement du
15 novembre 2000 ; que les consorts A, le département du Morbihan et la Caisse des dépôts et
consignations se pourvoient contre cet arrêt ;
Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres
moyens des pourvois :
Considérant qu’aux termes de l’article premier
de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l’Etat, les départements, les communes et les établissements
publics, alors applicable aux créances détenues
sur les établissements publics hospitaliers en
matière de responsabilité médicale : « Sont prescrites, au profit de l’Etat, des départements et
des communes, sans préjudice des déchéances
particulières édictées par la loi et sous réserve des
dispositions de la présente loi, toutes créances
qui n’ont pas été payées dans un délai de quatre
ans à partir du premier jour de l’année suivant
celle au cours de laquelle les droits ont été
acquis./ Sont prescrites, dans le même délai et
sous la même réserve, les créances sur les établissements publics dotés d’un comptable
public » ; qu’aux termes de l’article 2 de la même
loi : « La prescription est interrompue par (...) /
Tout recours formé devant une juridiction relatif
au fait générateur, à l’existence, au montant ou
au paiement de la créance, quel que soit
l’auteur du recours et même si la juridiction saisie
est incompétente pour en connaître et si l’Administration qui aura finalement la charge du règlement n’est pas partie à l’instance./ Un nouveau
délai de quatre ans court à compter du premier
jour de l’année suivant celle au cours de laquelle
a eu lieu l’interruption. Toutefois, si l’interruption
résulte d’un recours juridictionnel, le nouveau
délai court à partir du premier jour de l’année
suivant celle au cours de laquelle la décision est
passée en force de chose jugée » ; qu’en vertu
de ce dernier article, une plainte contre X avec
constitution de partie civile interrompt le cours de
la prescription quadriennale dès lors qu’elle
porte sur le fait générateur, l’existence, le montant ou le paiement d’une créance sur une collectivité publique ;
Considérant qu’il ressort des pièces soumises aux
juges du fond que, à la suite de l’accident survenu à Mme A le 28 mars 1989, les consorts A ont
déposé, le 3 juillet 1989, une plainte contre X avec
constitution de partie civile afin de rechercher les
auteurs des blessures infligées à Mme A lors de
173
chronique de jurisprudence administrative
son accouchement au centre hospitalier de
Quimper ; que cette plainte, alors même que le
juge judiciaire n’était pas compétent pour statuer
sur des conclusions indemnitaires dirigées contre
l’établissement public hospitalier, doit être
regardée comme relative à la créance de
Mme A sur cet établissement ; qu’elle a, de ce
fait, interrompu le cours de la prescription quadriennale en vertu des dispositions précitées de
l’article 2 de la loi du 31 décembre 1968 ; qu’ainsi,
la cour administrative d’appel de Nantes a
commis une erreur de droit en retenant que la
plainte déposée le 3 juillet 1989 n’avait pas eu
pour effet d’interrompre la prescription quadriennale à l’encontre du centre hospitalier de
Quimper ; que, dès lors, les requérants sont fondés
à demander l’annulation de l’arrêt attaqué ;
Considérant qu’il y a lieu, pour le Conseil d’Etat,
de régler l’affaire au fond en application des dispositions de l’article L. 821-2 du Code de justice
administrative ;
sera fait une juste appréciation du préjudice correspondant aux souffrances physiques et morales
de la victime ainsi que de son préjudice esthétique et d’agrément en le fixant à la somme globale de 15 000 c ;
Considérant que, pour évaluer le préjudice
global résultant de l’accident dont a été victime
Mme A, il y a lieu d’ajouter le montant des frais
médicaux et pharmaceutiques assumés par la
caisse primaire d’assurance maladie du SudFinistère, soit 76 623,26 c, celui des traitements
versés par le département du Morbihan entre le
28 mars 1989 et le 2 août 1995, date à partir de
laquelle Mme A a été admise de manière anticipée à la retraite, soit 56 009,30 c, et les arrérages échus ou à échoir au 1er août 2000 de la
pension de retraite anticipée servie à l’intéressée
par la Caisse des dépôts et consignations, agissant en sa qualité de gérante de la Caisse nationale des retraites des agents des collectivités
locales, entre le 3 août 1995 et le 25 mai 2025,
date à laquelle Mme A aurait atteint la limite
d’âge, soit 129 487,66 c ; qu’ainsi, le préjudice
global de Mme A s’élève à 427 111,22 c ;
forfaitaire à la charge du tiers responsable et au
profit de l’organisme national d’assurance
maladie. Le montant de cette indemnité est égal
au tiers des sommes dont le remboursement a
été obtenu, dans la limite d’un montant
maximum de 760 D » ;
Considérant que la caisse primaire d’assurance
maladie du Sud-Finistère justifie du versement
d’une somme de 76 623,26 c correspondant aux
frais pharmaceutiques et médicaux qu’elle a pris
en charge ; qu’elle a droit, en outre, ainsi qu’elle
le demande, à la somme de 760 c en application
du septième alinéa de l’article L. 376-1 du Code
de la Sécurité sociale ;
Sur les droits de la Caisse des dépôts et consignations :
Sur le préjudice subi par M. et Mme B :
Considérant qu’aux termes de l’article premier
de l’ordonnance du 7 janvier 1959 relative aux
actions en réparation civile de l’Etat et de certaines autres personnes publiques : « I. Lorsque le
décès, l’infirmité ou la maladie d’un agent de
l’Etat est imputable à un tiers, l’Etat dispose de
plein droit contre ce tiers (...) d’une action en
remboursement de toutes les prestations versées
ou maintenues à la victime ou à ses ayants droit
à la suite du décès, de l’infirmité ou de la
maladie. / II. Cette action concerne notamment : (...) Les arrérages des pensions et rentes
viagères d’invalidité (...) ; / Les arrérages des pensions de retraite et de réversion prématurées
jusqu’à la date à laquelle la victime aurait pu
normalement faire valoir ses droits à pension,
ainsi que les allocations et majorations accessoires » ; que l’article 7 de la même ordonnance
dispose que : « Les dispositions de la présente
ordonnance sont applicables aux recours
exercés par : / 3º La Caisse des dépôts et consignations agissant (...) comme gérante de la
Caisse nationale des retraites des agents des collectivités locales » ;
Considérant que M. et Mme B n’ont produit
aucun justificatif de nature à établir l’existence
d’un préjudice matériel ; qu’il sera fait une juste
appréciation des troubles dans les conditions
d’existence et du préjudice moral subis en les
évaluant à 3 000 c pour chacun d’eux ;
Considérant que la Caisse des dépôts et consignations justifie du versement d’une somme de
129 487,66 c correspondant aux arrérages échus
ou à échoir au 1er août 2000 de la pension de
retraite anticipée servie à Mme A ;
Sur l’évaluation du préjudice subi par Mme A :
Sur les droits de la caisse primaire d’assurance
maladie du Sud-Finistère :
Sur les droits du département du Morbihan :
Considérant que les pertes de traitement subies
par Mme A du fait de l’impossibilité dans laquelle
elle s’est trouvée d’exercer une activité professionnelle entre la date de l’accident et la date
à laquelle elle aurait atteint l’âge de la retraite,
peuvent être évaluées, compte tenu des émoluments qui lui ont été versés, à 50 000 c ; que
Mme A a été atteinte d’une incapacité temporaire totale du 28 mars 1989 au 30 juin 1990 puis
d’une incapacité permanente partielle dont le
taux, selon le rapport d’expertise précité, peut
être évalué à 40 % ; qu’il sera fait une juste appréciation du préjudice résultant des troubles dans
les conditions d’existence de Mme A en les évaluant à 60 000 c ; que les frais exposés par l’intéressée en sus des allocations auxquelles elle peut
prétendre pour disposer de l’aide d’une tierce
personne peuvent être évalués à 40 000 c ; qu’il
Considérant qu’aux termes du troisième alinéa
de l’article L. 376-1 du Code de la Sécurité
sociale : « Si la responsabilité du tiers est entière
ou si elle est partagée avec la victime, la caisse
est admise à poursuivre le remboursement des
prestations mises à sa charge à due concurrence
de la part d’indemnité mise à la charge du tiers
qui répare l’atteinte à l’intégrité physique de la
victime, à l’exclusion de la part d’indemnité, de
caractère personnel, correspondant aux souffrances physiques ou morales par elle endurées
et au préjudice esthétique et d’agrément (...) »
et qu’aux termes du septième alinéa du même
article : « En contrepartie des frais qu’elle engage
pour obtenir le remboursement mentionné au
troisième alinéa ci-dessus, la caisse d’assurance
maladie à laquelle est affilié l’assuré social victime de l’accident recouvre une indemnité
Sur l’exception de prescription quadriennale
opposée par le centre hospitalier de Quimper :
Considérant que, ainsi qu’il a été dit ci-dessus, la
plainte contre X avec constitution de partie civile
déposée par les consorts A, le 3 juillet 1989, a eu
pour effet d’interrompre le cours de la prescription quadriennale à l’encontre de l’hôpital
jusqu’à la date à laquelle le jugement du tribunal
correctionnel de Quimper du 7 novembre 1996
rejetant pour incompétence l’action civile des
consorts A est passé en force de chose jugée ;
qu’ainsi, les créances des consorts A n’étaient
pas prescrites le 16 octobre 1996, date de leur
demande d’indemnité au centre hospitalier de
Quimper, tant en ce qui concerne celles qui doivent être rattachées à l’année au cours de
laquelle est survenu l’accident qu’en ce qui
concerne celles qui doivent être rattachées à
l’année au cours de laquelle est intervenue la
consolidation de l’état de santé de Mme A, dont
la date, selon les conclusions de l’expert désigné
à cette fin par le tribunal administratif de Rennes,
établies de manière contradictoire et non sérieusement contredites par les autres éléments
d’expertise ou certificats médicaux figurant au
dossier, doit être fixée au 31 décembre 1991 ;
174
Sur le préjudice subi par M. A :
Considérant que M. A n’a produit aucun justificatif de nature à établir l’existence d’un préjudice matériel ; qu’il sera fait une juste appréciation des troubles dans les conditions d’existence
et du préjudice moral qu’il a subis en l’évaluant
à 10 000 c ;
Sur le préjudice subi par les enfants de M. et
Mme A :
Considérant qu’il sera fait une juste appréciation
des troubles dans les conditions d’existence et
du préjudice moral subis par les deux filles de
M. et Mme A en les évaluant à 5 000 c pour chacune d’entre elles ;
Considérant qu’aux termes du dernier alinéa
du 2º de l’article 57 de la loi du 26 janvier 1984
portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale : « La collectivité est
subrogée dans les droits éventuels du fonctionnaire victime d’un accident provoqué par un
tiers jusqu’à concurrence du montant des
charges qu’elle a supportées ou supporte du fait
de cet accident. Elle est admise à poursuivre
directement contre le responsable du dommage
ou son assureur le remboursement des charges
patronales afférentes aux rémunérations maintenues ou versées audit fonctionnaire pendant la
période d’indisponibilité de celui-ci (...) » ;
Considérant que le département du Morbihan
justifie du paiement d’une somme de 56 009,30 c
correspondant aux traitements versés à Mme A
entre le 28 mars 1989 et le 2 août 1995 ;
chronique de jurisprudence administrative
Sur les intérêts et les intérêts des intérêts :
Considérant que M. et Mme A et M. et Mme B
ont droit, ainsi qu’ils le demandent, aux intérêts
au taux légal sur les sommes qui leur sont dues à
compter du 4 décembre 1996, date de l’introduction de leur demande devant le tribunal
administratif de Rennes ; qu’ils ont demandé la
capitalisation des intérêts par un mémoire enregistré devant la cour administrative d’appel de
Nantes le 17 mai 2001 ; qu’à cette date, il était
dû au moins une année d’intérêts ; qu’il y a lieu,
dès lors, de faire droit à leur demande à cette
date ainsi qu’à chaque échéance annuelle à
compter de cette date ;
Considérant que le département du Morbihan a
droit aux intérêts au taux légal de la somme qui
lui est due à compter du 29 mai 2000, date de
sa première demande chiffrée devant le tribunal
administratif de Rennes ; qu’il a demandé la
capitalisation des intérêts par un mémoire enregistré le 15 mai 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat ; qu’à cette date, il était
dû au moins une année d’intérêts ; qu’il y a lieu,
dès lors, de faire droit à sa demande à cette
date ainsi qu’à chaque échéance annuelle à
compter de cette date ;
Considérant que la Caisse des dépôts et consignations a droit, ainsi qu’elle le demande, aux
intérêts au taux légal sur les arrérages échus de
la pension versée à Mme A à la date des 20 mai
1999, 30 mai 2000 et 11 octobre 2000, ainsi que
sur les sommes versées à Mme A à partir de cette
dernière date au fur et à mesure de leur versement dans la limite du paiement par le centre
hospitalier de la somme mise à sa charge par la
présente décision ; qu’elle a demandé la capitalisation des intérêts le 30 mai 2000 ; qu’à cette
date, il était dû au moins une année d’intérêts ;
qu’il y a lieu, dès lors, de faire droit à sa demande
à compter de cette date pour les arrérages
versés au 20 mai 1999 ainsi qu’à chaque
échéance annuelle à compter de cette date et,
pour chacun des versements mentionnés cidessus, à la date anniversaire de ce versement
ainsi qu’à chaque échéance annuelle à
compter de cette date ;
Sur la charge des frais d’expertise :
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances
de l’espèce, de laisser les frais entraînés par les
expertises ordonnées en référé et avant dire droit
par le tribunal administratif de Rennes, tels que
liquidés aux sommes respectives de 5 850 F
(891,83 c) et 8 826 F (1 345,52 c), à la charge du
centre hospitalier de Quimper, ainsi que l’a
décidé ce tribunal par l’article 9 de son jugement
du 15 novembre 2000 ;
Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède
que M. et Mme A sont fondés à soutenir que c’est
à tort que par les jugements des 16 juin 1999 et
15 novembre 2000, le tribunal administratif de
Rennes a rejeté leurs conclusions tendant à
l’indemnisation de certains de leurs préjudices et
limité l’évaluation de ces dernières à la somme
de 1 214 590,80 F (185 163,17 c) ;
Sur les conclusions présentées devant la juridiction d’appel par les consorts A tendant à la prise
de mesures d’exécution du jugement du tribunal
administratif :
Considérant qu’aux termes du II de l’article premier de la loi du 16 juillet 1980, reproduit à l’article
L. 911-9 du Code de justice administrative :
« Lorsqu’une décision juridictionnelle passée en
force de chose jugée a condamné une collectivité locale ou un établissement public au paiement d’une somme d’argent dont le montant est
fixé par la décision elle-même, cette somme doit
être mandatée ou ordonnancée dans un délai
de deux mois à compter de la notification de la
décision de justice. A défaut de mandatement
ou d’ordonnancement dans ce délai, le représentant de l’Etat dans le département ou l’autorité de tutelle procède au mandatement
d’office (...) » ; que, dès lors que la disposition
législative précitée permet aux consorts A, en
cas d’inexécution de la présente décision dans
le délai prescrit, d’obtenir le mandatement
d’office de la somme que le centre hospitalier
de Quimper est condamné à lui verser par cette
même décision, il n’y a pas lieu de faire droit aux
conclusions aux fins d’injonction présentées par
ces requérants devant la cour administrative
d’appel de Nantes ;
Sur les conclusions tendant à l’application de
l’article L. 761-1 du Code de justice administrative :
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances
de l’espèce, de faire application des dispositions
de l’article L. 761-1 du Code de justice administrative et de mettre à la charge du centre hospitalier de Quimper la somme de 5 000 c correspondant aux frais exposés par M. et Mme A ainsi
que par M. et Mme B et non compris dans les
dépens, la somme de 2 500 c correspondant aux
frais de même nature exposés par la Caisse des
dépôts et consignations et la somme de 2 300 c
correspondant aux frais de même nature
exposés par le département du Morbihan ;
Considérant, en revanche, que les dispositions
de l’article L. 761-1 font obstacle à ce que soient
mises à la charge du département du Morbihan,
de M. et Mme A et M. et Mme B et de la Caisse
des dépôts et consignations, qui ne sont pas les
parties perdantes dans la présente instance, les
sommes que le centre hospitalier de Quimper
demande au titre des frais exposés par lui et non
compris dans les dépens ; (...).
Note
Aux termes de l’article 2 de la loi nº 68-1250 du
31 décembre 1968 relative à la prescription des
créances sur l’Etat, les départements, les communes et les établissements publics (JO du
3 janvier 1969), la prescription est interrompue
par : « 1º toute demande de paiement ou
toute réclamation écrite adressée par un
créancier à l’autorité administrative, dès lors
que la demande ou la réclamation a trait au
fait générateur, à l’existence, au montant ou
au paiement de la créance, alors même que
l’Administration saisie n’est pas celle qui aura
finalement la charge du règlement ; 2º tout
recours formé devant une juridiction, relatif au
fait générateur, à l’existence, au montant ou
au paiement de la créance, quel que soit
l’auteur du recours et même si la juridiction
saisie est incompétente pour en connaître, et
si l’Administration qui aura finalement la
charge du règlement n’est pas partie à l’instance ; 3º toute communication écrite d’une
administration intéressée, même si cette communication n’a pas été faite directement au
créancier qui s’en prévaut, dès lors que cette
communication a trait au fait générateur, à
l’existence, au montant ou au paiement de la
créance ; 4º toute émission de moyen de
règlement, même si ce règlement ne couvre
qu’une partie de la créance ou si le créancier
n’a pas été exactement désigné. »
En dépit des termes a priori sans ambiguïté de
ces dispositions, et en particulier de celles de
l’alinéa 2, le Conseil d’Etat avait considéré, par
un arrêt de section du 24 juin 1977 (Commune
de Férel, Rec. p. 291), qu’en cas de recours
juridictionnel, l’interruption du délai de prescription était subordonnée à la mise en cause
d’une collectivité publique.
Ultérieurement, en application de cette jurisprudence, la Haute Juridiction devait en
déduire qu’une plainte contre X qui, par définition n’est expressément dirigée contre personne et donc en particulier contre une collectivité publique, ne pouvait interrompre la
prescription (cf. CE, 16 mars 1983, M. et
Mme Gilbin, req. nº 27993, décision inédite au
Recueil Lebon).
Cette jurisprudence M. et Mme Gilbin devait
être une nouvelle fois mise en œuvre dans
l’arrêt M. et Mme Haudry (CE, 10 octobre 2006,
req. nº 264588), dont des extraits sont ici rapportés (cf. supra). Dans cette dramatique
affaire, une enfant de quatre ans, opérée le
3 avril 1989 des amygdales et des végétations
au centre hospitalier de Saumur, est décédée
le 5 avril 1989, à la suite de graves complications survenues en salle de réveil malgré son
transfert au service de réanimation du centre
hospitalier de Clocheville à Tours ; ses parents
ont alors formé le 26 février 1990 une plainte
contre X avec constitution de partie civile pour
homicide involontaire tendant à l’identification des causes du décès, à l’établissement
des responsabilités pénalement encourues à
raison de ce décès et à l’indemnisation de leur
préjudice. Par un jugement du tribunal correctionnel de Saumur du 23 février 1995 confirmé
par la cour d’appel d’Angers le 9 mai 1996, la
juridiction pénale a certes sanctionné le
médecin chargé de la surveillance postopératoire de l’enfant mais rejeté les conclusions indemnitaires formées par les parents
comme relevant non pas de la compétence
du juge judiciaire mais de celle de la juridiction
administrative. Après rejet de leur demande
préalable présentée au centre hospitalier de
175
chronique de jurisprudence administrative
Saumur le 25 octobre 1996, les parents, M. et
Mme Haudry, ont alors saisi le juge administratif
de conclusions indemnitaires : le tribunal administratif de Nantes devait faire droit à leur
demande ; mais sur appel formé par le centre
hospitalier, la cour administrative d’appel de
Nantes a annulé le jugement intervenu et
rejeté leur demande de première instance. En
cassation, le Conseil d’Etat, par un arrêt du
10 octobre 2006, a fait application des jurisprudences Commune de Férel et M. et
Mme Gilbin : il a en effet, une nouvelle fois,
considéré que les dispositions de l’article 2 de
la loi du 31 décembre 1968 subordonnaient
l’interruption du délai de prescription prévue
en cas de recours juridictionnel à la mise en
cause d’une collectivité publique ; or, une
plainte contre X n’étant pas expressément
dirigée contre une collectivité publique ne
peut donc interrompre jusqu’à l’intervention
d’une décision passée en force de chose
jugée la prescription d’une créance sur un établissement public hospitalier. Dans cette
affaire, la Haute Juridiction a en outre considéré que les titulaires de la créance (les époux
Haudry) ne pouvaient légitimement être
regardés comme ignorant l’existence de
celle-ci et qu’ils ne pouvaient dès lors bénéficier des dispositions de l’article 3 de la loi du
31 décembre 1968, dans la mesure où ils
avaient en effet été informés de l’existence
éventuelle de leur créance sur le centre hospitalier en prenant connaissance, courant
1991, des résultats de l’expertise ordonnée le
10 avril 1990 par le juge d’instruction chargé
de l’affaire, et qui concluait à l’existence tant
de fautes propres au médecin chargé de la
surveillance des suites anesthésiques de l’opération subie par l’enfant que de fautes imputables au fonctionnement du service hospitalier lui-même ; de sorte que, comme l’a conclu
la cour administrative d’appel, le délai de prescription attaché à leur créance a bien couru
à compter du premier jour de l’année suivante, soit le 1er janvier 1992 et la prescription
quadriennale leur était donc bien opposable
le 25 octobre 1996, date à laquelle ils ont
saisi le directeur de l’établissement public
hospitalier d’une demande préalable d’indemnisation.
Moins d’un mois après l’arrêt M. et Mme
Haudry, le Conseil d’Etat a décidé, avec l’arrêt
de section Département du Morbihan (CE,
sect., 27 octobre 2006, req. nº 246931), qui sera
publié au Recueil Lebon, d’opérer un revirement de jurisprudence. Désormais en effet, en
vertu de la jurisprudence Département du
Morbihan, une plainte contre X avec constitution de partie civile interrompt le cours de la
prescription quadriennale dès lors qu’elle porte
sur le fait générateur, l’existence, le montant
ou le paiement d’une créance susceptible
d’être mise à la charge d’une collectivité
publique. En l’espèce, une jeune femme, victime le 28 mars 1989 d’un accident au cours
de son accouchement dans un centre hospitalier a déposé avec son époux, le 3 juillet 1989,
une plainte contre X avec constitution de
176
partie civile afin de rechercher les auteurs des
blessures qui lui avaient été infligées. Le Conseil
d’Etat a donc décidé que cette plainte devait
être regardée comme relative à la créance
de l’intéressée sur l’établissement hospitalier,
alors même que le juge judiciaire n’était pas
compétent pour statuer sur des conclusions
indemnitaires dirigées contre ledit établissement, et qu’elle a dès lors interrompu – en vertu
des dispositions de l’article 2 de la loi du
31 décembre 1968 – le cours de la prescription
quadriennale à l’encontre de l’hôpital jusqu’à
la date à laquelle le jugement du tribunal correctionnel du 7 novembre 1996 rejetant pour
incompétence l’action civile des consorts intéressés est passé en force de chose jugée ; les
créances des intéressés n’étaient donc pas
prescrites le 16 octobre 1996, date de leur
demande d’indemnité au centre hospitalier.
Dans cette affaire, le Conseil d’Etat a donc
suivi les conclusions du commissaire du
Gouvernement, Mme Emmanuelle PradaBordenave : celle-ci a remarquablement
démontré que le revirement de jurisprudence
préconisé par elle et en fin de compte
consacré par l’arrêt Département du Morbihan s’imposait pour des raisons d’équité et
qu’il était en outre conforme aux vœux du
législateur de 1968.
Ainsi que le rappelle Mme Prada-Bordenave,
qui a relu minutieusement l’exposé des motifs
du projet de loi fait par le garde des Sceaux
de l’époque, René Capitant, « l’objet de ces
dispositions (celles de l’alinéa 2 de l’article 2
de la loi du 31 décembre 1968) était de
résoudre des cas « dignes d’intérêt parmi lesquels celui des malades victimes de graves
accidents opératoires qui, après avoir assigné
des médecins en dommages et intérêts
étaient contraints de rediriger leur action vers
le centre hospitalier, seul responsable, et se
voyaient alors opposer la déchéance quadriennale ».
Mme Prada-Bordenave souligne en outre la
différence de situation des victimes dans le cas
de dommage causé par un préposé ou un
agent public dans l’exercice de leurs fonctions
respectives : « Lorsqu’une personne victime
d’un grave accident causé par un salarié
dépose plainte avec constitution de partie
civile, sa plainte est interruptive de prescription
à l’égard tant du salarié que de l’employeur
civilement responsable et, à l’issue du procès
pénal, le tribunal correctionnel, après avoir
statué sur l’action publique, se prononce sur
l’action civile, et peut, le cas échéant,
condamner l’employeur à des dommages et
intérêts. Tel est en particulier le cas lorsque
l’accident a été causé par un salarié d’un établissement privé de santé./ A l’inverse, si l’accident s’est produit au sein d’un service public
et que la victime dépose plainte avec constitution de partie civile, le tribunal correctionnel
après avoir statué sur l’action publique ne
pourra que se déclarer incompétent sur les
intérêts civils, la victime se retournera alors vers
la juridiction administrative où dans de
nombreux cas, en l’état actuel de votre
jurisprudence (Commune de Férel), l’Administration opposera avec succès la prescription à
sa demande. »
Près de trente ans après la décision Commune
de Férel, la section du contentieux du Conseil
d’Etat, suivant en cela son commissaire du
Gouvernement, a ainsi décidé de mettre fin à
cette différence injustifiée et inique de situation et de traitement et, au demeurant, de
répondre ainsi aux souhaits du législateur de
1968.
Observons en outre que ce revirement de jurisprudence aboutit à une solution qui présente
le mérite de la simplicité ; même s’il n’est pas
exclu que, par précaution, se multiplient les
plaintes pénales, cette solution n’est en outre
guère porteuse de risques pour les finances
comme l’a remarqué Mme Prada-Bordenave,
dans la mesure où, dans les faits, la personne
publique est informée de la procédure et peut
dès lors prendre toutes mesures utiles (notamment au niveau de sa comptabilité ou auprès
de son assureur si elle est assurée). Enfin, la solution consacrée par ce revirement de jurisprudence va dans le sens de l’évolution opérée
en matière d’indemnisation de victimes
d’accidents médicaux par les lois récentes, et
en particulier par la loi du 4 mars 2002 relative
aux droits des malades.
On ne peut dès lors que se réjouir du revirement
de jurisprudence opéré par l’arrêt de section
Département du Morbihan du 27 octobre
2006.
CONTRATS
ET MARCHÉS PUBLICS
Marchés et contrats administratifs - Notion de contrat administratif - Délégations de service
public - Critères du contrat de
délégation de service public Existence en l’espèce d’un
contrat de délégation de service
public - Procédure de passation
Procédure
allégée
(art.
L. 1411-12 du CGCT) - Champ
d’application et critères de la
procédure allégée - Règles de
procédure contentieuse spéciales - Procédures d’urgence Référé
précontractuel
(art.
L. 551-1 du CJA) - Pouvoirs du
juge du référé précontractuel Juge annulant une procédure
alors qu’il n’est saisi que de
conclusions à fin de suspension
CE, 20 octobre 2006, Commune d’Andeville
req. nº 289234
(décision publiée au Recueil Lebon)
[extraits]
Considérant qu’aux termes de l’article L. 551-1
du Code de justice administrative : « Le président
du tribunal administratif, ou le magistrat qu’il
délègue, peut être saisi en cas de manquement
chronique de jurisprudence administrative
aux obligations de publicité et de mise en
concurrence auxquelles est soumise la passation
des marchés publics (...) et des conventions de
délégation de service public./ Les personnes
habilitées à agir sont celles qui ont un intérêt à
conclure le contrat et qui sont susceptibles d’être
lésées par ce manquement, ainsi que le représentant de l’Etat dans le département dans le
cas où le contrat est conclu ou doit être conclu
par une collectivité territoriale ou un établissement public local./ Le président du tribunal administratif peut être saisi avant la conclusion du
contrat. Il peut ordonner à l’auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre la passation du contrat ou l’exécution de
toute décision qui s’y rapporte. Il peut également
annuler ces décisions et supprimer les clauses ou
prescriptions destinées à figurer dans le contrat
et qui méconnaissent lesdites obligations. Dès
qu’il est saisi, il peut enjoindre de différer la signature du contrat jusqu’au terme de la procédure
et pour une durée maximum de vingt jours » ;
Considérant que la commune d’Andeville se
pourvoit en cassation contre l’ordonnance du
2 janvier 2006 par laquelle le juge des référés précontractuels du tribunal administratif d’Amiens,
saisi par la Fédération des œuvres laïques de
l’Oise, a, par application des dispositions précitées, annulé la procédure de passation de la
convention ayant pour objet la gestion de la restauration scolaire, du centre de loisir et du pôle
jeunes de la commune et enjoint à celle-ci de
reprendre intégralement la procédure d’attribution de la convention ;
Considérant qu’aux termes du premier alinéa de
l’article L. 1411-1 du Code général des collectivités territoriales : « Une délégation de service
public est un contrat par lequel une personne
morale de droit public confie la gestion d’un service public dont elle a la responsabilité à un délégataire public ou privé, dont la rémunération est
substantiellement liée aux résultats de l’exploitation du service. Le délégataire peut être chargé
de construire des ouvrages ou d’acquérir des
biens nécessaires au service » ; qu’il résulte de ces
dispositions que pour qualifier un contrat de délégation de service public et en déduire les règles
qui s’appliquent à sa passation, il appartient au
juge, non seulement de déterminer l’objet du
contrat envisagé, mais aussi d’apprécier si les
modalités de rémunération du cocontractant
sont substantiellement liées aux résultats de
l’exploitation de l’activité ; qu’ainsi, en se bornant, pour analyser la convention passée par la
commune d’Andeville comme une délégation
de service public, à relever que celle-ci avait
pour objet l’organisation et la gestion, d’une
part, de la restauration scolaire destinée aux
enfants de l’école primaire et, d’autre part, d’un
centre de loisirs et d’un pôle jeunes pour les
enfants et les jeunes de 3 à 17 ans, sans se prononcer sur le point, qui était débattu devant lui,
de savoir si la rémunération du cocontractant
était substantiellement liée aux résultats de
l’exploitation de ces services ou assurée au
moyen d’un prix payé par la commune, le juge
des référés précontractuels n’a pas suffisamment
motivé sa décision et n’a pas mis le juge de cassation à même d’exercer son contrôle ; que, par
suite, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres
moyens de sa requête, la commune d’Andeville
est fondée à demander, pour ce motif, l’annulation de l’ordonnance attaquée ;
Considérant que, dans les circonstances de
l’espèce, il y a lieu, dans l’intérêt d’une bonne
administration de la justice, de régler l’affaire au
titre de la procédure de référé engagée par la
Fédération des œuvres laïques de l’Oise devant
le tribunal administratif d’Amiens ;
Sur la recevabilité de la demande de la Fédération des œuvres laïques de l’Oise devant le tribunal administratif d’Amiens :
Considérant que la Fédération des œuvres laïques de l’Oise, candidate à l’attribution de la
délégation de service public litigieuse, est susceptible d’être lésée par tout manquement aux
obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation de
cette délégation ; que, par suite, elle est au
nombre des personnes habilitées à agir devant
le juge des référés précontractuels en vertu des
dispositions précitées de l’article L. 551-1 du
Code de justice administrative ; que, dès lors, doit
être écartée la fin de non-recevoir tirée par la
commune d’Andeville du défaut d’intérêt donnant qualité pour agir à la Fédération des œuvres
laïques de l’Oise ;
Sur la qualification du contrat :
Considérant qu’il résulte de l’instruction d’une
part, que le contrat envisagé a pour objet de
confier au cocontractant la gestion du service
public de la restauration scolaire destinée à
l’école primaire, du centre de loisirs et du pôle
jeunes de la commune d’Andeville et, d’autre
part, que si le cocontractant de la commune
d’Andeville perçoit une rémunération fixe versée
par la commune, les trois quarts de ses recettes,
environ, sont constituées d’une redevance
versée par les familles et d’une participation du
département et de la caisse d’allocations familiales variant selon le nombre d’usagers ; que la
rémunération calculée selon ces modalités est,
dans ces conditions, substantiellement liée aux
résultats de l’exploitation du service ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que,
eu égard à son objet et aux modalités de rémunération du cocontractant, le contrat envisagé
doit être analysé comme une délégation de service public et non, comme le soutient la commune d’Andeville, comme un marché public ;
Sur la régularité de la procédure de passation du
contrat :
Considérant qu’aux termes du deuxième alinéa
de l’article L. 1411-1 du Code général des collectivités territoriales : « Les délégations de service
public des personnes morales de droit public
relevant du présent code sont soumises par
l’autorité délégante à une procédure de publicité permettant la présentation de plusieurs
offres concurrentes, dans des conditions prévues
par un décret en Conseil d’Etat » ; qu’aux termes
de l’article L. 1411-12 du même code : « Les dispositions des articles L. 1411-1 à L. 1411-11 ne
s’appliquent pas aux délégations de service
public : (...) c) Lorsque le montant des sommes
dues au délégataire pour toute la durée de la
convention n’excède pas 106 000 d ou que la
convention couvre une durée non supérieure à
trois ans et porte sur un montant n’excédant pas
68 000 d par an. Toutefois, dans ce cas, le projet
de délégation est soumis à une publicité préalable ainsi qu’aux dispositions de l’article
L. 1411-2. Les modalités de cette publicité sont
fixées par décret en Conseil d’Etat » ;
Considérant qu’une délégation de service
public entre dans le champ des dispositions précitées du c) de l’article L. 1411-12 du Code
général des collectivités territoriales lorsque, soit
le montant prévisionnel de l’ensemble des
sommes à percevoir par le délégataire, qu’elles
soient liées ou non au résultat de l’exploitation
du service, et quelle que soit leur origine,
n’excède pas 106 000 c pour toute la durée de
la convention, soit ce montant n’excède pas
68 000 c par an et la durée de la convention ne
dépasse pas trois ans ; qu’il résulte de l’instruction
que le montant prévisionnel des sommes à percevoir par l’attributaire de la délégation de service public envisagée par la commune d’Andeville – constituées, ainsi qu’il a été dit plus haut,
d’une redevance versée par les familles ainsi que
de participations de la commune, du département et de la caisse d’allocations familiales – est,
quelles que soient les hypothèses retenues quant
à la fréquentation attendue, supérieur à
106 000 c ; que, dès lors, la commune d’Andeville
n’est pas fondée à soutenir que la passation de
la délégation litigieuse n’était pas soumise aux
règles de publicité et de mise en concurrence
prévues par l’article L. 1411-1 du Code général
des collectivités territoriales ;
Considérant qu’aux termes de l’article R. 1411-1
du Code général des collectivités territoriales :
« L’autorité responsable de la personne publique
délégante doit satisfaire à l’exigence de publicité prévue à l’article L. 1411-1 par une insertion
dans une publication habilitée à recevoir des
annonces légales et dans une publication spécialisée correspondant au secteur économique
concerné./ Cette insertion précise la date limite
de présentation des offres de candidature, qui
doit être fixée un mois au moins après la date de
la dernière publication./ Elle précise également
les modalités de présentation de ces offres et
mentionne les caractéristiques essentielles de la
convention envisagée, notamment son objet et
sa nature » ; qu’il n’est pas contesté que la délégation de service public envisagée n’a pas été
soumise par l’autorité délégante à une procédure de publicité permettant la présentation de
plusieurs offres concurrentes, dans les conditions
prévues par ces dispositions ; que la Fédération
des œuvres laïques de l’Oise, laquelle, habilitée
à agir devant le juge des référés précontractuels,
peut invoquer devant ce juge tout manquement
aux obligations de publicité et de mise en
177
chronique de jurisprudence administrative
concurrence auxquelles est soumise la passation
de cette délégation de service public, même si
un tel manquement n’a pas été commis à son
détriment, est, par suite, fondée à soutenir que
la commune d’Andeville a méconnu les obligations de publicité qui lui incombaient ;
Sur la mise en œuvre des pouvoirs conférés au
juge des référés précontractuels par l’article
L. 551-1 du Code de justice administrative :
Considérant que le juge des référés précontractuels s’est vu conférer par les dispositions précitées de l’article L. 551-1 du Code de justice administrative le pouvoir d’adresser des injonctions à
l’Administration, de suspendre la passation du
contrat ou l’exécution de toute décision qui s’y
rapporte, d’annuler ces décisions et de supprimer des clauses ou prescriptions destinées à
figurer dans le contrat ; que, dès lors qu’il est
régulièrement saisi, il dispose – sans toutefois pouvoir faire obstacle à la faculté, pour l’auteur du
manquement, de renoncer à passer le contrat –
de l’intégralité des pouvoirs qui lui sont ainsi
conférés pour mettre fin, s’il en constate l’existence, aux manquements de l’Administration à
ses obligations de publicité et de mise en concurrence ; qu’ainsi, eu égard à la nature du vice
entachant la procédure de passation du contrat
litigieux, il y a lieu, dans les circonstances de
l’espèce, et sans qu’y fasse obstacle la circonstance que la Fédération des œuvres laïques de
l’Oise se borne à demander la suspension de la
procédure, de prononcer l’annulation de cette
dernière ; (...).
Note
En vertu des dispositions du premier alinéa de
l’article L. 1411-1 du Code général des
collectivités territoriales, il appartient au juge
administratif, pour qualifier un contrat de délégation de service public et en déduire les
règles qui s’appliquent à sa passation, non seulement de déterminer l’objet du contrat envisagé, mais aussi d’apprécier si les modalités de
rémunération du cocontractant sont substantiellement liées aux résultats de l’exploitation
de l’activité (cf. CE, 15 avril 1996, Préfet des
Bouches-du-Rhône, Rec. p. 137 ; -, 30 juin 1999,
Syndicat mixte du traitement des ordures
ménagères Centre-Ouest seine-et-marnais,
Rec. p. 229).
Dans l’espèce ayant donné lieu à l’arrêt Commune d’Andeville du 20 octobre 2006, il s’agissait d’un contrat ayant pour objet de confier
au cocontractant la gestion du service de la
restauration scolaire destinée à une école
primaire, d’un centre de loisirs et d’un pôle
jeunes d’une commune ; le cocontractant
percevait de la commune une rémunération
fixe, mais dont environ les trois quarts des
recettes étaient constitués d’une redevance
versée par les familles et d’une participation
du département et de la caisse d’allocations
familiales variant selon le nombre d’usagers. Le
Conseil d’Etat a considéré qu’une rémunération calculée selon ces modalités était substantiellement liée aux résultats de l’exploitation du
service, et que le contrat était dès lors une
délégation de service public.
En outre, cette délégation de service public ne
relevait pas des dispositions du c) de l’article
L. 1411-12 du Code général des collectivités
territoriales, lequel prévoit une procédure
allégée de passation pour les délégations de
faible montant. Une délégation entre en effet
dans le champ de ces dispositions lorsque, soit
le montant prévisionnel de l’ensemble des
sommes à percevoir par le délégataire,
qu’elles soient liées ou non au résultat de
l’exploitation du service, et quelle que soit leur
origine, n’excède pas 106 000 c pour toute la
durée de la convention, soit ce montant
n’excède pas 68 000 c par an et la durée de
la convention ne dépasse pas trois ans. Or, en
l’espèce, le montant prévisionnel des sommes
à percevoir par l’attributaire de la délégation
de service public envisagée par la commune
d’Andeville était, quelles que soient les hypothèses retenues quant à la fréquentation
attendue, supérieur à 106 000 c. La passation
de la délégation litigieuse était donc soumise
aux règles de publicité et de mise en concurrence prévues par l’article L. 1411-1 du Code
général des collectivités territoriales.
L’arrêt Commune d’Andeville montre par ailleurs l’étendue des pouvoirs du juge des référés
contractuels. Rappelons que celui-ci, en vertu
des dispositions de l’article L. 551-1 du Code
de justice administrative a le pouvoir
d’adresser des injonctions à l’Administration,
de suspendre la passation du contrat ou l’exécution de toute décision qui s’y rapporte,
d’annuler ces décisions et de supprimer des
clauses ou prescriptions destinées à figurer
dans le contrat. Dès lors qu’il est régulièrement
saisi, il dispose – sans toutefois pouvoir faire obstacle à la faculté, pour l’auteur du manquement, de renoncer à passer le contrat – de
l’intégralité des pouvoirs qui lui sont ainsi
conférés pour mettre fin, s’il en constate l’existence, aux manquements de l’Administration
à ses obligations de publicité et de mise en
concurrence. Ainsi, eu égard à la nature du
vice entachant la procédure de passation
d’un contrat, il peut prononcer l’annulation de
cette procédure alors que ne lui est
demandée que la suspension de celle-ci ; ce
qu’il a fait en l’espèce.
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