Le nombril du monde

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Le nombril du monde
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arménie
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FRANCE-ARMÉNIECOMMUNICATION
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Directrice de la publication :
Maral Assadourian
Pages en langue française
Rédacteur en chef
Varoujan Sarkissian
Collaborateurs de ce numéro
Arminé Adjamian,
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Ara Babanian,Alexandre Djindian,
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Jules Mardirossian, Sarah Obozian,
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Pages en langue arménienne
Rédacteur en chef adjoint
Vartan Kapriélian
Rédacteurs de ce numéro
Arminé Adjamian,
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Mariné Mangassarian,
Sirvart Saboundjian,Angela Sahakian,
Lara Vartanian.
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Responsables régionaux
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Le nombril du monde
Jacques Chirac n’a plus qu’à bien se tenir : le voilà
désormais concurrencé, sinon détrôné, dans le rôle
du président sympa, proche du peuple. De
Dromoland (en Irlande) à Istanbul, George W. Bush a
essaimé ses poignées de main, tapes sur l’épaule et
autres sourires en direction du petit personnel comme
des plus grands chefs d’Etat, bref, avec une générosité
à faire pâlir la star des salons de l’agriculture. D’autant
que ce dernier n’aura jamais le privilège de passer en
revue les troupes de l’Otan à 15 000 km de son ranch
comme s’il s’agissait de sa collection privée de GI-Joe.
En dépit d’une contestation grandissante, le leader du
monde “libre” aura toujours cet avantage sur les
autres chefs d’Etat de pouvoir se draper de la
grandeur de l’Empire – tant que la hiérarchie de
l’ordre mondial s’étalonnera à l’aune des parades
militaires.
Ce 27 juin au matin, les eaux du Bosphore n’ont
plus rien de paisible. Trois navires de guerre, peutêtre davantage, croisent au large tandis que dans le ciel
d’Istanbul bourdonnent de manière incessante les
engins de surveillance. En ville, presque 30 000
policiers quadrillent le moindre bloc d’immeubles et
ce ne sont ni les F16, ni les hélicoptères ni les avionsradars Awaks qui les empêchent d’être sur les dents.
C’est que, la veille, trois attentats ont rappelé la vive
tension que suscite ce sommet exceptionnel de
l’OTAN dans le monde musulman. Pourtant, les 100
000 manifestants qui ont brûlé le portrait du président
américain ont peu changé la physionomie de ce
sommet : Istanbul, perdu dans un vacarme digne
d’une superproduction hollywoodienne, aurait de
toute façon donné l’impression d’une ville en état de
siège. Car Bush n’incarne pas seulement le président
sympa dans lequel peut se reconnaître le plus
médiocre de ses concitoyens – de l’aveu du Président
lui-même ; il remue à chacun de ses pas les fantasmes
virils de puissance et de fascination, de peurs et de
haine, d’envie et d’admiration.Volontaires ou non, ces
démonstrations narcissiques et martiales n’ont d’autre
effet que de cristalliser les antagonismes et focaliser les
caméras de toute la planète.
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Envahi par les journalistes venus du monde entier,
Istanbul à son tour joue les fiers à bras sous les
flashs et les projecteurs. Mais ne nous trompons pas.
Lorsque les caméras déserteront l’antique capitale, la
Turquie restera le nouveau nombril du monde. Le
monde selon Bush, Lewis et Wolfowitz. Quelques
journalistes français, estomaqués par l’aisance avec
laquelle le président américain parle au nom des
Européens, sont passés à côté de l’essentiel. Que
l’administration américaine tente d’imposer la Turquie
dans l’UE, en effet, n’est une découverte pour
personne. En revanche, ce qui aurait dû être noté avec
davantage d’insistance est le sacre de la maison
Erdogan par l’Empire. En saluant avec emphase
“l’exemple turc” lors du sommet d’Istanbul, Bush n’a
fait rien de moins que de remettre les clefs du “Grand
Moyen Orient” à la Turquie, et d’imposer durablement
la doctrine américaine. Unique dans l’histoire du
monde, cette extension de la puissance américaine ne
saurait être bradée, pas même par le démocrate John
Kerry s’il était élu en novembre prochain.
Plus que jamais, sa position de carrefour fait donc
de la Turquie une alliée de choix pour les maîtres du
monde. Un pied dans la famille européenne et un
autre dans la famille islamiste dont elle s’est emparée
du leadership tout récemment à la faveur d’une
élection arrangée, à égale distance des continents
africain et asiatique, à la porte des mondes russe et
arabo-persique, la Turquie n’est plus une puissance
régionale ni même une excroissance de l’Empire. Elle
vient d’en être intronisée la représentante ici-bas.
Incapable de velléité paneuropéenne ou panarabe de
par son origine touranienne, la Turquie se profile
comme l’instrument d’un contrôle grandissant tant sur
l’UE naissante que sur le bouillonnant monde
islamique. Une synthèse jamais opérée jusqu’ici à
mettre au crédit de l’habile Erdogan.
Que George W. Bush déclare “apprécier beaucoup
l’exemple que donne la Turquie” en tant que pays à
la fois “musulman et moderne” peut prêter à
sourire. Surtout de la part d’un homme qui n’est
jamais sorti des frontières des Etats-Unis avant d’être
élu Président. Mais sourire serait malvenu, tant cette
déclaration, qui est tout sauf naïve, a valeur de
reconnaissance.Voici donc la Turquie, intronisée
comme modèle de “tolérance”, de “liberté” et de
respect de “l’Etat de droit”. On notera que le choix
chirurgical des mots est utilisé comme autant d’antimissiles en direction des observateurs indépendants
des droits de l’Homme. “Jamais, dans l’histoire
récente, écrit Sophie Bessis, historienne, dans
L’occident et les Autres à propos de la suprématie des
nations modernes, les principes sur lesquels reposent
les droits universels n’ont été autant instrumentalisés
pour servir la puissance”. Depuis l’invasion de l’Irak,
le détournement des grands principes a atteint les
summums. Comment, dans ces conditions, s’étonner
que les représentants des minorités religieuses – dont
Mesrop II –, du fond de leur réserve indienne, servent
une fois de plus de faire-valoir en posant aux côtés des
représentants turcs et américains ?
Reste qu’en organisant cette immense mise en scène,
les manipulateurs prennent le risque du contre-pied.
Aux Arméniens de se faire entendre chaque fois que
l’agenda politique leur en donnera l’occasion. D’ici
décembre, les opportunités ne manqueront pas de
s’inviter sous le feu des projecteurs. Faire entendre sa
voix est possible.A condition d’être réactif.A
condition, enfin, que leurs guest stars consentent à les
rejoindre sur le pavé.
Varoujan Sarkissian
FranceArménie / juillet/août 2004
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