Le nombril du monde
Transcription
Le nombril du monde
france arménie BP 3365 69405 Lyon Cedex 03 Tél : 04 72 33 24 77 Fax : 04 72 34 59 05 e-mail : [email protected] site web : www.france-armenie.fr Edition FRANCE-ARMÉNIECOMMUNICATION Fondateurs : Mihran Amtablian, Kévork Képénékian, Jules Mardirossian, Vahé Muradian Directrice de la publication : Maral Assadourian Pages en langue française Rédacteur en chef Varoujan Sarkissian Collaborateurs de ce numéro Arminé Adjamian, Amandine Arzoumanian, Annick Asso,Zmrouthe Aubozian, Ara Babanian,Alexandre Djindian, Florence Gopikian-Yérémian, Guiliguia, Emilie Hakimian,Hoviv, Dikran Karaoglanian, Hélène Kosséian-Bairamian Edouard Mardirossian, Jules Mardirossian, Sarah Obozian, Léontine Ozkirizyan, Roupen Papazian, Lina Sankari, Robin Sarian, Natacha Stépanian, Jean Yérémian. Pages en langue arménienne Rédacteur en chef adjoint Vartan Kapriélian Rédacteurs de ce numéro Arminé Adjamian, Gariné Mangassarian, Mariné Mangassarian, Sirvart Saboundjian,Angela Sahakian, Lara Vartanian. Secrétaire de rédaction et conception graphique Véronique Sanchez-Chakérian Responsables régionaux Paris Varoujan Sarkissian Lyon Zmrouthe Aubozian Marseille Alice Derderian Régie publicitaire : France entière: Odette Eutudjian Le nombril du monde Jacques Chirac n’a plus qu’à bien se tenir : le voilà désormais concurrencé, sinon détrôné, dans le rôle du président sympa, proche du peuple. De Dromoland (en Irlande) à Istanbul, George W. Bush a essaimé ses poignées de main, tapes sur l’épaule et autres sourires en direction du petit personnel comme des plus grands chefs d’Etat, bref, avec une générosité à faire pâlir la star des salons de l’agriculture. D’autant que ce dernier n’aura jamais le privilège de passer en revue les troupes de l’Otan à 15 000 km de son ranch comme s’il s’agissait de sa collection privée de GI-Joe. En dépit d’une contestation grandissante, le leader du monde “libre” aura toujours cet avantage sur les autres chefs d’Etat de pouvoir se draper de la grandeur de l’Empire – tant que la hiérarchie de l’ordre mondial s’étalonnera à l’aune des parades militaires. Ce 27 juin au matin, les eaux du Bosphore n’ont plus rien de paisible. Trois navires de guerre, peutêtre davantage, croisent au large tandis que dans le ciel d’Istanbul bourdonnent de manière incessante les engins de surveillance. En ville, presque 30 000 policiers quadrillent le moindre bloc d’immeubles et ce ne sont ni les F16, ni les hélicoptères ni les avionsradars Awaks qui les empêchent d’être sur les dents. C’est que, la veille, trois attentats ont rappelé la vive tension que suscite ce sommet exceptionnel de l’OTAN dans le monde musulman. Pourtant, les 100 000 manifestants qui ont brûlé le portrait du président américain ont peu changé la physionomie de ce sommet : Istanbul, perdu dans un vacarme digne d’une superproduction hollywoodienne, aurait de toute façon donné l’impression d’une ville en état de siège. Car Bush n’incarne pas seulement le président sympa dans lequel peut se reconnaître le plus médiocre de ses concitoyens – de l’aveu du Président lui-même ; il remue à chacun de ses pas les fantasmes virils de puissance et de fascination, de peurs et de haine, d’envie et d’admiration.Volontaires ou non, ces démonstrations narcissiques et martiales n’ont d’autre effet que de cristalliser les antagonismes et focaliser les caméras de toute la planète. 04 74 43 92 18 Imprimerie IMAV - Feyzin Commission Paritaire des journaux et publication n° 64545 Reproduction interdite de tout article, photo ou document sans l’accord de l’administration du journal. La rédaction n’est pas responsable des documents qui lui sont adressés spontanément. Envahi par les journalistes venus du monde entier, Istanbul à son tour joue les fiers à bras sous les flashs et les projecteurs. Mais ne nous trompons pas. Lorsque les caméras déserteront l’antique capitale, la Turquie restera le nouveau nombril du monde. Le monde selon Bush, Lewis et Wolfowitz. Quelques journalistes français, estomaqués par l’aisance avec laquelle le président américain parle au nom des Européens, sont passés à côté de l’essentiel. Que l’administration américaine tente d’imposer la Turquie dans l’UE, en effet, n’est une découverte pour personne. En revanche, ce qui aurait dû être noté avec davantage d’insistance est le sacre de la maison Erdogan par l’Empire. En saluant avec emphase “l’exemple turc” lors du sommet d’Istanbul, Bush n’a fait rien de moins que de remettre les clefs du “Grand Moyen Orient” à la Turquie, et d’imposer durablement la doctrine américaine. Unique dans l’histoire du monde, cette extension de la puissance américaine ne saurait être bradée, pas même par le démocrate John Kerry s’il était élu en novembre prochain. Plus que jamais, sa position de carrefour fait donc de la Turquie une alliée de choix pour les maîtres du monde. Un pied dans la famille européenne et un autre dans la famille islamiste dont elle s’est emparée du leadership tout récemment à la faveur d’une élection arrangée, à égale distance des continents africain et asiatique, à la porte des mondes russe et arabo-persique, la Turquie n’est plus une puissance régionale ni même une excroissance de l’Empire. Elle vient d’en être intronisée la représentante ici-bas. Incapable de velléité paneuropéenne ou panarabe de par son origine touranienne, la Turquie se profile comme l’instrument d’un contrôle grandissant tant sur l’UE naissante que sur le bouillonnant monde islamique. Une synthèse jamais opérée jusqu’ici à mettre au crédit de l’habile Erdogan. Que George W. Bush déclare “apprécier beaucoup l’exemple que donne la Turquie” en tant que pays à la fois “musulman et moderne” peut prêter à sourire. Surtout de la part d’un homme qui n’est jamais sorti des frontières des Etats-Unis avant d’être élu Président. Mais sourire serait malvenu, tant cette déclaration, qui est tout sauf naïve, a valeur de reconnaissance.Voici donc la Turquie, intronisée comme modèle de “tolérance”, de “liberté” et de respect de “l’Etat de droit”. On notera que le choix chirurgical des mots est utilisé comme autant d’antimissiles en direction des observateurs indépendants des droits de l’Homme. “Jamais, dans l’histoire récente, écrit Sophie Bessis, historienne, dans L’occident et les Autres à propos de la suprématie des nations modernes, les principes sur lesquels reposent les droits universels n’ont été autant instrumentalisés pour servir la puissance”. Depuis l’invasion de l’Irak, le détournement des grands principes a atteint les summums. Comment, dans ces conditions, s’étonner que les représentants des minorités religieuses – dont Mesrop II –, du fond de leur réserve indienne, servent une fois de plus de faire-valoir en posant aux côtés des représentants turcs et américains ? Reste qu’en organisant cette immense mise en scène, les manipulateurs prennent le risque du contre-pied. Aux Arméniens de se faire entendre chaque fois que l’agenda politique leur en donnera l’occasion. D’ici décembre, les opportunités ne manqueront pas de s’inviter sous le feu des projecteurs. Faire entendre sa voix est possible.A condition d’être réactif.A condition, enfin, que leurs guest stars consentent à les rejoindre sur le pavé. Varoujan Sarkissian FranceArménie / juillet/août 2004 7