Cognition, dépression et sujet âgé : cas clinique
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Cognition, dépression et sujet âgé : cas clinique
La dépression : des pratiques aux théories 10 Cognition, dépression et sujet âgé : cas clinique M. Benoit Service de Psychiatrie Hôpital Pasteur – CHU de Nice Mme B., 68 ans, femme au foyer, a été admise dans le service il y a 2 ans pour un épisode dépressif résistant et récurrent. Mariée et mère de 2 enfants, elle est restée mère au foyer après avoir interrompu sa scolarité au niveau brevet. Ses antécédents sont marqués par une hyperthyroïdie découverte à l’âge de 45 ans, traitée par antithyroïdiens de synthèse et iodothérapie, suivie d’une période d’hypothyroïdie secondaire. Elle gardera de ces épisodes une exophtalmie séquellaire. Son histoire dépressive est marquée par la survenue de plusieurs épisodes dépressifs majeurs de longue durée pendant 4 ans à partir de l’âge de 45 ans, dont il est fait état d’une résistance partielle aux traitements antidépresseurs, à en juger par la mauvaise qualité de rémission intercritique. Le diagnostic de trouble unipolaire dépressif sera porté. Une cure d’électroconvulsivothérapie (ECT) devra être entreprise à l’âge de 50 ans, renouvelée lors d’un nouvel épisode 2 ans plus tard (12 séances), en association avec une bithérapie par clomipramine et lithium. Une rémission satisfaisante sera observée entre les âges de 55 et 65 ans sous lithium, suivie d’une récidive sévère, sans bonne rémission malgré Conflit d’intérêt : aucun. © L’Encéphale, Paris, 2008. Tous droits réservés. plusieurs traitements successifs par moclobémide, escitalopram, mirtazapine. Un épisode de potomanie nécessitera une prise en charge en réanimation à l’âge de 65 ans. Dans les premiers temps de son séjour d’il y a 2 ans, le tableau clinique est celui d’un épisode dépressif majeur avec symptômes mélancoliques. Elle est très ralentie, aboulique. Elle est très angoissée à l’approche de chaque nuit, a une anorexie majeure, est amaigrie, est totalement anhédonique, et verbalise des idées suicidaires. Son insomnie est plutôt de fin de nuit. On suspecte un syndrome de Cotard digestif, la patiente disant « ne pas être allée à la selle depuis plusieurs mois » et un délire à thématique de saleté. Sa perplexité anxieuse est intense. Les entretiens sont pauvres et le discours est très négatif, pessimiste, exprimant des idées de ruine « je n’ai plus de vêtements ». « je n’ai plus envie de rien », « je reste dans mon coin » « j’ai des remords à propos des bêtises que j’avais faite… j’ai embêté ma famille » « avant j’aimais lire ». Elle se montre très apathique, ne voulant pas sortir dans le jardin, ne prenant l’initiative d’aucune conversation, restant assise toute la journée dans le couloir ou dans son lit. Un déficit mnésique et attentionnel est constaté, avec un Mini Mental State Examination (MMSE) à 20/30. Après 12 séances d’ECT, on note une amélioration du contact et de l’élan vital, et l’humeur s’est presque normalisée, avec une réduction des angoisses et une récupération partielle du déficit mnésique. Il est décidé de pratiquer des ECT d’entretien mensuelles. Son traitement de sortie associe sertraline 150 mg/j, olanzapine 10 mg/j. Deux mois après début de la rémission de cet épisode, réapparaissent des troubles du sommeil associés à une anxiété sévère, sans facteur déclenchant significatif, dans un tableau similaire à la récidive précédente. Il n’y a pas de symptômes délirants. Une rémission apparaîtra à la 11° séance d’ECT, au bout de deux mois, cette fois moins bien reconnue par la patiente. Une stabilité sous ECT d’entretien mensuels durera pendant environ 8 mois. Elle est réhospitalisée depuis 6 mois pour une récidive dépressive sévère. Une série de 16 séances d’ECT permettra une rémission partielle, avec un relais par IMAO (Marsilid) qui a dû être interrompu pour hypotension. Ce traitement sera remplacé par une La dépression : des pratiques aux théories 10 M. Benoit association moclobémide-lithium. La bonne rémission sur le plan thymique permet une reprise partielle d’activité. Par contre, les troubles cognitifs sont persistants, avec un MMSE mesuré à 18/30. Le rappel différé et le calcul mental sont en particulier très déficitaires, ce qui est confirmé à l’épreuve mnésique des 5 mots qui est à 6/10 avec présence d’une intrusion. Le test de l’horloge est à 3/10. Les manques du mot dans le discours sont corroborés par une fluence verbale catégorielle déficitaire à 12 noms en 1 minute. Les troubles attention- S 22 L’Encéphale (2008) Hors-série 3, S21-S22 nels sont majeurs au Trail Making Test (TMT-A au 30° percentile., TMT-B au 10° percentile). Cette histoire clinique nous paraît illustrer les liens qui peuvent exister entre dépression et détérioration cognitive. La survenue d’épisodes dépressifs tardifs récidivants, partiellement chimio-résistants, entrecoupés de périodes de rémission de mauvaise qualité seraient un facteur de vulnérabilité de déficit cognitif secondaire. On ne sait pas précisément déterminer dans quelle mesure la dépression prolongée pourrait être un co-facteur indépendant de démence, peut avoir un effet neurotoxique, ou pourrait être un prodrome précoce de démence. La présence de troubles cognitifs au cours des épisodes dépressifs du sujet âgé pourrait être un signe d’alerte du risque évolutif détérioratif, et doit inciter à une surveillance longitudinale des fonctions cognitives. Elle remet en question le concept de pseudo-démence dépressive, qui concevait que les troubles cognitifs observés au cours de la dépression peuvent être le plus souvent réversibles.