RÊVES DE TECHNO La réduction des risques à l`usage des

Transcription

RÊVES DE TECHNO La réduction des risques à l`usage des
RÊVES DE TECHNO
La réduction des risques à l’usage des
drogues de synthèse : prévention ou
promotion de la santé ?
Alain VANTHOURNHOUT
Canal J – Belgique
Résumé — La musique techno rassemble chaque semaine des milliers de
jeunes. Cette expression musicale répond à un besoin d’adolescents et de
jeunes adultes qui y trouvent l’occasion de s’éclater, de se sentir et de se
rencontrer. En fréquentant des mégadancings nous avons pu constater que
ces rassemblements facilitent l’usage de ces produits psychostimulants que
sont l’Ecstasy ou le speed. Par leur nature, ils deviennent un marché où
peuvent se rencontrer les fournisseurs (dealers) et les consommateurs. La
musique techno, l’ambiance festive ainsi que la débauche d’efforts durant
ces nuits dansantes stimulent l’usage d’Ecstasy ou de speed. Dans ces
conditions, les actions d’information au sein de ces rassemblements
trouvent leur légitimité pour autant qu’elles s’inscrivent dans le contexte,
qu’elles le prennent en compte et qu’elles utilisent des outils adaptés. Nous
avons tenté de décrire le contexte des mégadancings, le concept de
réduction des risques qui a soutenu notre action, les outils utilisés dont les
documents d’information ainsi que les attitudes personnelles et de groupes
qu’elles exigent.
Abstract — Technical music collects every week of thousands of young
people. This musical expression answers a need of teenagers and young
adults who find there the occasion to burst to feel and to meet. By
frequenting very big dance halls we were able to notice that these assemblings
facilitate the usage of these psycho – stimulating products that are Ecstasy
Psychotropes – Vol. 7 n° 3-4
001/Psychotropes/3/2001
127
7/04/05, 14:22
127
La réduction des risques à l’usage des drogues de synthèse : prévention ou promotion de
la santé ?
or the speed. By their nature, they become a market where can meet the
suppliers (dealers) and the consumers. Technical music, festive atmosphere
as well as the debauchery of efforts during these dance nights stimulate
Ecstasy’s usage or of speed. In these conditions, the actions of information
within these assemblings find their legitimacy as far as they join the context,
that they take into account it and that they use adapted tools. We tried to
describe the context of very big dance halls, the concept of reducing of the
risks which supported our action, the used tools of which the documents of
information as well as the personal attitudes and of groups that they
require.
Mots clés — Outil de prévention – Musique – Drogues de synthèse – Rave
– Prévention de proximité.
La musique techno rassemble chaque semaine des milliers de jeunes. Cette
expression musicale répond à un besoin d’adolescents et de jeunes adultes qui
y trouvent l’occasion de s’éclater, de se sentir et de se rencontrer.
Que ce soit au cours de raves party, de festivals ou au sein de ces temples
de la techno que sont les mégadancings, ces rassemblements apparaissent aussi
comme des lieux de consommation de drogues comme l’Ecstasy ou le speed. Si
tous les amateurs de techno ne sont pas des usagers de drogues, la majorité des
adeptes de ces rassemblements y trouveront la possibilité de s’approvisionner
en produits psychoactifs.
Notre fréquentation intense des mégadancings du Hainaut occidental nous
a permis d’alimenter ce constat. Ces rassemblements facilitent l’usage de ces
produits. Par leur nature, ils deviennent un marché où peuvent se rencontrer les
fournisseurs (dealers) et les consommateurs. La musique techno, l’ambiance
festive ainsi que la débauche d’efforts durant ces nuits dansantes stimulent
l’usage d’Ecstasy ou de speed.
Dans ces conditions, les actions d’information au sein de ces rassemblements trouvent leur légitimité pour autant qu’elles s’inscrivent dans le contexte,
qu’elles le prennent en compte et qu’elles utilisent des outils adaptés.
Dans l’ouvrage que nous venons de publier aux éditions De Boeck1, nous
avons tenté de décrire le contexte des mégadancings, le concept de réduction des
risques qui a soutenu notre action, les outils utilisés dont les documents
d’information ainsi que les attitudes personnelles et de groupes qu’elles exigent.
Nous vous présentons ici quelques réflexions à partir du document publié.
1 Techno, rêves …et drogues?
128
001/Psychotropes/3/2001
Psychotropes – Vol. 7 n° 3-4
128
7/04/05, 14:22
Alain VANTHOURNHOUT
Canal J et les megadancings
En 1995, Canal J2, service d’aide aux jeunes en milieu ouvert, agréé par la
Communauté française de Belgique, a cinq ans et est implanté à Tournai. Les
travailleurs du service prennent conscience que l’usage de drogues progresse
dans la région. La prévention des assuétudes doit faire partie de son champ
d’interventions.
Des enseignants, mais aussi le Procureur du Roi, sont préoccupés par la
multiplication des arrestations de consommateurs de drogues illicites qui
fréquentaient les mégadancings du Tournaisis.
C’est ainsi que nous avons découvert une particularité de notre terrain de
travail : le Hainaut occidental, le long de la frontière française, était devenu le
terreau d’où avaient surgi ces lieux qui accueillent chaque semaine des milliers
de jeunes. Le lien entre cette vie nocturne et la consommation de drogues de
synthèse se confirmait progressivement. À Canal J, des jeunes venaient et
partageaient avec l’un d’entre nous leurs difficultés à gérer ces consommations.
À côté du cannabis, de l’héroïne et de la cocaïne, l’Ecstasy devenait un
psychotrope à la mode.
Ce malaise et l’ampleur du phénomène confirmaient qu’il fallait disposer
de moyens importants pour mettre en œuvre un programme de prévention.
Les chiffres transmis par la gendarmerie attestent que plus de 10 000 jeunes
s’éclatent chaque week-end dans les discothèques de notre région. Le nombre
d’accidents de circulation, ces nuits-là, relatés dans la presse locale le lundi
matin, confirme un chassé-croisé vers et au départ de ces discothèques.
L’analyse de la situation locale montre que trois établissements qui disposent d’infrastructures leur permettant d’accueillir plus de mille clients simultanément peuvent se targuer du titre de mégadancing : la Bush, le Cap’tain et
l’H2O.
Le mégadancing se présente comme un espace géographique repéré par les
jeunes comme offrant de nombreuses possibilités pour danser jusqu’à épuisement, pour venir s’éclater sur les pistes de danse.
Aussi, nous avons profité de la possibilité offerte par la Communauté
européenne pour déposer un projet transfrontalier dans le cadre de l’action
Interreg Hainaut-Nord-Picardie.
L’urgence nous a amenés à construire, avec notre partenaire français
l’AIDE3, centre de soins aux toxicomanes lillois, un projet théorique sans savoir
2 Canal J, 19, rue du château, 7500 Tournai. Tél. 069/8426 44.
3 AIDE, 9, rue du Cirque, 59000 Lille – France.
Psychotropes – Vol. 7 n° 3-4
001/Psychotropes/3/2001
129
7/04/05, 14:22
129
La réduction des risques à l’usage des drogues de synthèse : prévention ou promotion de
la santé ?
comment réellement le mettre en œuvre. Nous avions une représentation de la
nécessité de l’action, mais il était impossible à ce stade d’exprimer la méthode
à suivre ou d’imaginer les moyens à privilégier.
Nous avons profité du temps nécessaire à l’acceptation du dossier pour
construire un vrai projet basé sur nos observations et les expériences acquises
par d’autres dans le domaine.
Un lieu de consommations
Fréquenter un mégadancing, c’est consommer de la musique, des lasers, des
clips, des murs électroniques, des danseurs et danseuses, des boissons softs ou
alcoolisées sans compter ces nouveaux cocktails énergisants.
De tels phénomènes de consommation induisent une similitude entre les
mégadancings et les hypermarchés. Tout y est géant. Cette concentration de
jeunes participe sans doute à un phénomène de société comme le tourisme de
masse, les mégaspectacles ou les événements sportifs. Certains jeunes ou moins
jeunes recherchent ces rassemblements où l’on consomme ensemble tout ce qui
est à portée de main.
La tabagie collective, autre phénomène de consommation, constitue également une caractéristique de ce type de rassemblement où, à certains moments,
l’atmosphère est irrespirable.
Des clients de ces mégadancings nous ont dit qu’effectivement des jeunes
consommaient non seulement de l’alcool ou des boissons énergisantes mais
aussi de l’Ecstasy, du speed et du cannabis. Au fil du temps, certains abordaient
les consommations de cocaïne.
Les chiffres variaient selon les sources. Certains membres du personnel
affirment que 80 % des clients consomment. Pour des jeunes, 20 % semblent
mieux refléter la réalité.
Ce qui nous a alertés, ce sont les propos d’un jeune adulte habitué de la
discothèque.
Ce ne serait pas la prise d’un « petit remontant » qui poserait problème mais
plutôt la quantité et la qualité des produits consommés. Il exprimait son
inquiétude de voir de jeunes adolescents consommer en quantité des produits
dont ils ne connaissaient ni la composition ni les effets.
Certaines pilules seraient hyperconcentrées et d’autres constituées par des
mélanges dangereux.
130
001/Psychotropes/3/2001
Psychotropes – Vol. 7 n° 3-4
130
7/04/05, 14:22
Alain VANTHOURNHOUT
Cette recherche de sensations fortes peut donner sens à l’association
musique techno et drogues de synthèse. Ces drogues permettent sans doute de
mieux ressentir, sentir l’ambiance, sentir l’autre.
Ce que de nombreux jeunes ont en commun lorsqu’ils donnent du sens à ces
consommations, c’est la différence fondamentale entre une sortie en discothèque avec ou sans « l’aide » de la consommation de ces drogues. Sous leur
influence, le jeune consommateur dira vivre un moment intense, lumineux. La
musique lui paraîtra plus belle, plus profonde. Il emploiera tous les superlatifs
à sa disposition pour la décrire. Il en ira de même pour la musique, pour le décor
et pour les clients qui la fréquentent. Bref, la boîte sera géniale et la soirée
extraordinaire. Ce même jeune nous dira que lorsqu’il essaye de se passer de ces
drogues de synthèse, conscient des risques qu’il prend d’en consommer, la
soirée lui semblera terne, ennuyeuse, la musique nulle, les copains « chiants »,
etc. Il perdra ainsi les sensations que le mélange musique, lasers (effets
lumineux), décors et consommations de drogues de synthèse lui procure. Nous
pourrions traduire ce besoin de consommation comme une recherche d’esthétique, d’affectif. Mais ces drogues ont aussi une fonction utilitaire. La musique
techno se caractérise par la rapidité du rythme qu’elle imprime. Pour tenir la
route, pour danser des nuits entières, il est souvent nécessaire de disposer d’une
condition physique impeccable.
Le danseur, parfois en jogging, au look sportif mais qui ne dispose pas d’une
telle condition, sera tenté d’utiliser ce petit remontant (coca, boisson énergisante, alcool, amphétamine). En utilisant les amphétamines comme bon nombre
de sportifs parfois de haut niveau, le jeune pourra aller jusqu’au bout de sa nuit
dansante. Il pourra se déhancher des heures durant sans éprouver de fatigue et
même si la lassitude le prend, il pourra retrouver « toutes ses sensations » en
« sniffant » une nouvelle petite ligne de speed.
Des outils de prévention
Agir en mégadancings nécessite de disposer d’outils. Il nous a semblé important
de développer des procédures spécifiques de travail que nous avons conceptualisées au fil du temps. Les flyers4 et la rencontre jeune-adulte sont devenus les
supports essentiels pour diffuser une information qui se veut inductrice de
changement dans les comportements de consommation. Nous voulons rendre
compte ici de leur place tout en spécifiant bien qu’ils s’articulent les uns dans
les autres et que, pris isolément, ils perdraient de leur efficacité. Des accompa4 Document d’informations diffusé dans les discothèques, annonçant des évènements.
Psychotropes – Vol. 7 n° 3-4
001/Psychotropes/3/2001
131
7/04/05, 14:22
131
La réduction des risques à l’usage des drogues de synthèse : prévention ou promotion de
la santé ?
gnateurs de notre action doutent d’ailleurs de la portée de ces outils s’ils ne sont
pas utilisés ensemble.
Les flyers
En présentant la démarche d’élaboration des flyers, nous voulons expliciter la
place qu’ils occupent dans le travail. C’est pourquoi nous relatons ici le
cheminement qui nous a conduits à produire, coproduire mais aussi utiliser des
flyers existants.
Pour disposer de flyers performants, nous avions envisagé de nous inspirer
des documents ramenés de Manchester. Nous avons donc d’abord recherché les
documents existant en français dans la ligne de ceux construits par Lifeline.5 Ils
nous avaient séduits et étaient adaptés au travail en discothèque.
Nous n’en avons pas découvert, nous devions donc réaliser notre propre
flyer.
Construire un document d’information est délicat. Chaque mot doit être
pesé, analysé pour éviter trop d’ambiguïté.
À notre grand soulagement, nous avons eu vent qu’« Alpha6 », une association liégeoise d’aide aux toxicomanes avait traduit un document hollandais
traitant de l’Ecstasy. Elle avait entrepris ce travail en collaboration avec « La
Liaison antiprohibitionniste7 » qui milite pour une légalisation contrôlée de
l’usage de psychotropes.
L’origine hollandaise du document et la qualité des initiateurs de la
traduction nous laissaient espérer un travail qui réponde à nos attentes.
Nous avons rejoint un groupe qui, outre ces associations, était composé des
représentants de Modus Vivendi8, d’Infor drogues9 et de Citadelle10. Ces
associations étaient sensibilisées à la prévention par la réduction des risques que
nous évoquerons dans la suite du texte.
5 Service d’aide aux usagers de drogue implanté à Manchester et qui assure une
présence au sein des rassemblements de jeunes aux sons de la techno.
6 Centre de santé mentale, Rue Saint-Denis, 4, 4000 Liège. Tél. 04/22309 03.
7 Rue Marie-Thérèse, 61, Bruxelles. Tél. 02/23045 07.
8 Organisme de prévention subsidié par la Communauté française de Belgique pour
développer des actions de prévention s’appuyant sur la réduction des risques,
particulièrement ceux liés à l’usage de l’héroïne et à la propagation du sida.
9 Organisme de prévention des assuétudes qui propose un service d’écoute téléphonique accessible 24 heures sur 24.
10 Réseau d’aide en toxicomanie, 19, rue de la Citadelle, 7500 Tournai.
132
001/Psychotropes/3/2001
Psychotropes – Vol. 7 n° 3-4
132
7/04/05, 14:22
Alain VANTHOURNHOUT
Sur base de la première ébauche, nous avons travaillé ensemble à l’écriture
d’un document qui reprenne à la fois les effets recherchés, les risques de
l’utilisation, les dangers liés aux mélanges avec d’autres drogues ainsi que des
conseils pour réduire ces risques.
Ce fut un travail de longue haleine. Nous devions intégrer des sensibilités
différentes et tenir compte des objectifs et des besoins d’associations aux
approches et méthodes différentes. Mettre d’accord des services de soins, une
organisation comme Modus Vivendi, tournée particulièrement vers la prévention du sida chez les héroïnomanes et des services de prévention géographiquement dispersés aux quatre coins de la Communauté française nous a contraints
à des efforts intellectuels multiples. Cela nous obligeait à une réflexion nouvelle, à entrer dans des approches que nous ne maîtrisions pas.
Différentes moutures de ce texte ont jalonné nos travaux. Pour notre part,
nous les avons régulièrement présentées aux jeunes que nous rencontrions dans
les mégadancings durant notre travail d’observation. Nous rapportions leurs
remarques, leurs réactions tout au long de l’élaboration du flyer.
Avec Modus Vivendi, nous avons réuni des jeunes dits « jeunes experts ou
es-pairs ». Ils étaient défrayés pour analyser le texte et pour nous faire part de
leurs débats et réflexions au sujet du fond, c’est-à-dire une confrontation avec
les « savoirs » des experts scientifiques mais aussi sur la forme. Nous nous
demandions dans quel ordre situer les informations. Fallait-il démarrer par les
effets positifs ou négatifs? Fallait-il mettre en exergue les aspects illégaux et les
risques judiciaires ? Comment mettre en évidence les précautions d’usage ?
Fallait-il faire référence à l’héroïne ?
Si ce projet de flyer était porté par un pool d’associations, pour Canal J sa
réalisation était urgente. Sans un document de ce type, nous ne pouvions pas
réellement commencer notre travail à l’intérieur des discothèques. En effet,
notre concept de table d’informations était mûr mais nous ne disposions pas de
document à proposer aux jeunes. Or une table d’information, sans information… Pour accélérer le processus tout en poursuivant le travail sur le contenu,
nous avions pris la responsabilité de faire des projets de présentation11.
Nous avons, pour cela, pu bénéficier du sponsoring des éditions Casterman
à Tournai. Celles-ci ont mis à notre disposition une « jeune équipe » spécialisée
dans le lay-out (mise en forme) de documents. Nous précisons « jeune équipe »
car nous avons pu obtenir la collaboration de créateurs bien au fait du mouvement techno, du phénomène des mégadancings et des habitudes des usagers de
11 Il s’agissait de plancher sur la manière de proposer les informations, de réfléchir sur les
moyens à mettre en œuvre pour rendre le document attractif, adapté à la diffusion
d’informations dans ces discothèques.
Psychotropes – Vol. 7 n° 3-4
001/Psychotropes/3/2001
133
7/04/05, 14:22
133
La réduction des risques à l’usage des drogues de synthèse : prévention ou promotion de
la santé ?
ceux-ci. C’est grâce à eux que nous avons pu construire un document dans une
forme adaptée au public cible.
Les fanatiques des discothèques savent qu’on ne les fréquente pas avec un
veston ou des vêtements aux nombreuses poches. Les jeunes filles sont souvent
court vêtues : minijupe et mini tee-shirt ; les garçons également portent des
vêtements près du corps.
Le document d’informations devait être adapté à leur tenue.
C’est ainsi que nous avons opté pour un format spécial discothèque, plus
réduit que ceux créés à Manchester, en France et aux Pays-Bas.
Le document devait aussi être accessible, donner envie d’être lu. Il devait
s’inscrire dans la culture des amateurs de techno. Nous avons rassemblé les
flyers édités par les discothèques pour annoncer les soirées spéciales et examiné
les compacts discs technos. Tous ces supports ont été transmis aux concepteurs
du flyer « Ecstasy » pour qu’ils puissent s’en inspirer. Ils en ont tenu compte
pour illustrer notre flyer et le rendre attractif.
À nouveau, nous avons profité de notre présence dans les discothèques pour
consulter les jeunes en leur présentant nos différents projets pour retenir celui
qui présentait le plus d’intérêt.
Après de longs mois et de multiples réflexions, nous disposions enfin d’un
document présentable qui correspondait à nos aspirations, à nos besoins et que
nous allions pouvoir disposer sur nos tables en discothèque.
Il fallait encore convaincre les pouvoirs subsidiants de nous donner les
moyens financiers de le produire à grande échelle. Les négociations se prolongeaient et la situation devenait intenable pour nous. Nous risquions de perdre
notre crédibilité auprès des jeunes en repoussant sans cesse le moment où nous
pourrions mettre ces flyers à leur disposition.
C’est pourquoi nous avons utilisé nos moyens financiers pour passer
contrat avec une école d’imprimerie qui, d’une manière artisanale, en a édité
1 000. Le papier n’était pas glacé, l’assemblage était fait à la main, pas toujours
avec précision. L’encrage manquait de netteté
Mais, positivement, ce premier tirage a permis de tester « notre produit »
grandeur nature. Nous avons pu constater sur le terrain qu’il convenait. Les
lecteurs venaient spontanément nous dire leur satisfaction. Ce document permettait la rencontre, la discussion. Il a été plus facile alors, arguments des jeunes
en main, de convaincre les autorités d’ouvrir leur bourse. Casterman pouvait
lancer l’impression et les boîtes de 1 000 brochures sortaient de ses ateliers.
L’Ecstasy était la drogue de synthèse la plus consommée en discothèque au
départ de notre action. Il était normal que le premier flyer lui soit consacré.
134
001/Psychotropes/3/2001
Psychotropes – Vol. 7 n° 3-4
134
7/04/05, 14:22
Alain VANTHOURNHOUT
Rapidement, les jeunes nous ont fait l’écho de ce que l’on a appelé les
polyconsommations. Nombre d’entre eux réalisaient des cocktails, dosant les
produits au gré de leurs besoins. La demande se créait pour d’autres produits :
le speed, le LSD et, à moindre échelle, la cocaïne.
Les associations à l’origine de la première brochure se remettaient à la
tâche. Notre action se développait et nous étions avertis qu’il faudrait beaucoup
de temps pour pouvoir disposer de la brochure sur le speed que les jeunes
réclamaient. L’équipe de Canal J décida alors d’utiliser les fonds européens
pour éditer un premier document à propos de ces amphétamines. Nos moyens
limités ne nous permettaient pas de rivaliser avec le document complet
« Ecstasy ».
Nous avons réalisé un document modeste, toujours petit format, qui
reprenait les précautions à prendre pour réduire les risques liés aux amphétamines. Là aussi, c’est par une forme de confrontation à distance entre le savoir,
l’expertise des jeunes consommateurs de cette drogue et ceux des experts
scientifiques que nous avons pu asseoir la crédibilité du flyer.
Nous étions loin de la finition graphique du premier document mais nous
pouvions, avec cette brochure simplifiée, aborder cette consommation-là, qui
semblait se développer particulièrement dans le Hainaut occidental.
Les flyers sur une table
Lors d’un séjour à Manchester, en accompagnant les travailleurs de
Lifeline dans une rave, nous avions été impressionnés par l’attractivité de leur
table d’informations due à l’abondance de documents colorés. La curiosité
jouait et l’apprivoisement s’ensuivait. Nous avons tenté de créer un sentiment
identique lors de la présentation de nos brochures.
Nous disposions d’une surface d’un mètre et demi sur un mètre. Nous
avons « tapissé » cette table de documents en essayant de profiter du faisceau
d’un spot de la discothèque.
Au départ du travail, nous disposions uniquement de la brochure « Ecstasy ».
Cela signifie qu’une trentaine de flyers étaient déposés en lignes horizontales.
Avec l’accroissement de documents mis à la disposition des jeunes, Ecstasy,
speed, cannabis, LSD, brochures santé, nous avons pu colorer davantage notre
table pour retrouver le type de présentation vue à Manchester.
Les jeunes, d’abord poussés par la curiosité, s’approchaient. Certains se
détournaient rapidement mais d’autres se permettaient un mouvement : prendre
un document, le feuilleter et parfois en parler. La simplicité de la présentation
nous semblait importante. Elle évitait de créer un sentiment d’agression.
Psychotropes – Vol. 7 n° 3-4
001/Psychotropes/3/2001
135
7/04/05, 14:22
135
La réduction des risques à l’usage des drogues de synthèse : prévention ou promotion de
la santé ?
La table était un moyen de manifester notre présence, elle concrétisait et
situait l’action dans l’espace. Elle permettait de créer un lieu de rencontres.
Les rencontres
Au fil de nos réflexions, nous nous questionnions sur l’impact des flyers.
Permettaient-ils aux jeunes de s’interroger sur le sens de leur consommation de
psychotropes ? Permettaient-ils de mieux gérer ceux-ci ?
Nous doutions que l’information change les comportements. Nous avions
été surpris par la demande de rencontres de jeunes. Ils nous interpellaient, nous
interrogeaient tant sur le contenu des brochures que sur le sens de notre présence.
Certains nous confiaient leurs doutes, leurs angoisses ou leurs souffrances.
D’autres exprimaient le désir de maîtriser leurs consommations ou leur souhait
d’abstinence. Ce sont ces rencontres et ce qu’elles impliquent que nous
développerons dans ce qui suit.
Au-delà de l’information
Nos brochures et la table constituaient nos premiers instruments de travail.
S’agissait-il d’instruments efficaces ?
En tout cas, les brochures trouvaient preneurs. Même si nous devions nous
éloigner de la table, à notre retour, il fallait réapprovisionner notre espace en
flyers. Des jeunes venaient et se servaient. Il est même certain que des jeunes
attendaient notre départ pour se servir, par timidité parfois, pour ne pas devoir
nous « rencontrer » dans d’autres circonstances. À certains moments, nous
avons délibérément déserté cette table pour observer, à distance, ce qui s’y
passait. Ce départ facilitait l’accès à l’information pour certains jeunes. Ils se
saisissaient d’un ou plusieurs documents et les glissaient dans une poche. Sans
doute pouvaient-ils les consulter discrètement. D’autres les auront peut-être
« oubliés » afin que leurs parents puissent les lire.
Les documents d’informations ne sont pas, pour autant, inducteurs de
modification de comportement. Nous pensions que la rencontre avec un adulte
attentif serait bien plus adéquate.
La rencontre : un mouvement
Pour rencontrer quelqu’un, il est nécessaire de s’arrêter, de stopper un mouvement. Passer sa soirée en mégadancing, c’est bouger, danser, chercher un
copain, une copine, passer d’une salle à l’autre, rechercher une ambiance
136
001/Psychotropes/3/2001
Psychotropes – Vol. 7 n° 3-4
136
7/04/05, 14:22
Alain VANTHOURNHOUT
particulière et, au cœur de la nuit, exploser dans une transe endiablée. C’est aussi
arrêter son regard sur un visage connu, sur un visage qui émeut. C’est arrêter un
geste, sous forme de signe, prémices d’une rencontre.
Lors de notre passage dans une rave à Manchester, les organisateurs avaient
conçu un « chilling room ». Les jeunes venaient s’y arrêter, se reposer, se
rencontrer. Ils s’allongeaient sur des tapis, conversaient calmement, s’enlaçaient tendrement. D’autres en profitaient pour rencontrer les travailleurs de
Lifeline qui y avaient installé leur table.
À La Bush, cet espace de calme existait également, bien que se reposer
s’averât difficile, une seule banquette permettant de s’y asseoir. C’était le lieu
de rendez-vous pour retrouver des copains, et se parler mais également un
espace privilégié pour certains travailleurs sociaux. Il s’y créait naturellement
un lieu où aboutissait le dialogue, la rencontre.
Le besoin de rencontres
Les jeunes qui fréquentent ces dancings n’ont pas nécessairement des capacités
de rencontre et de dialogue. Fréquenter ces lieux peut rendre possibles des
contacts, sous toutes sortes de formes, comme si dans un autre cadre, leur
timidité, leurs peurs, leurs complexes, leurs doutes les empêchaient de s’exprimer. L’usage de drogues de synthèse comme l’Ecstasy doit aussi faciliter
l’échange, comme l’alcool a une fonction d’accroissement de la convivialité. La
table peut également produire cet effet-là. Notre présence constitue une offre de
dialogues avec des travailleurs sociaux spécialistes. Certains jeunes en ont
littéralement profité. Ils se collaient à notre table, comme à une bouée de
sauvetage, témoignant de ce besoin de rencontres.
C’était le cas de Jérémie, jeune Français de la banlieue lilloise, étudiant en
marketing. Il nous connaissait tous et conversait avec chacun d’entre nous,
parfois sérieusement, parfois sous l’emprise de la boisson. Nous ressentions son
malaise. Maladroitement, il nous proposait son aide et celle de ses copains,
étudiants en marketing, mais sans concrétiser sa proposition. Il exprimait de
temps en temps sa solitude, sa difficulté de rencontrer l’âme sœur. Il pouvait
nous dire tout cela avec le soutien de l’alcool. Il profitait de la table, des flyers,
de notre présence pour venir se dire.
Nous évoquions régulièrement sa situation lors de nos réunions. Quel était
le sens du dialogue qu’il sollicitait ? Nous nous interrogions sur l’efficacité
réelle de nos rencontres, vu qu’il était sous l’influence de l’alcool. Pouvait-il
garder des traces de nos dialogues une fois redevenu sobre ? C’était la question
des effets de cette rencontre qui constituait le centre de notre débat. Mais la
Psychotropes – Vol. 7 n° 3-4
001/Psychotropes/3/2001
137
7/04/05, 14:22
137
La réduction des risques à l’usage des drogues de synthèse : prévention ou promotion de
la santé ?
régularité de ses visites devait correspondre à une réponse, la réponse à un
besoin, celui de rencontrer des adultes.
Pour la majorité des jeunes que nous avons rencontrés, venir à la table,
c’était s’arrêter, physiquement d’abord, intellectuellement ensuite. Notre présence interpellait : « Que faites-vous, qui êtes vous ? » Cela leur semblait
insolite, incongru. Question précieuse car nous pouvions expliquer le sens de
notre présence, les objectifs de notre action.
Une rencontre, un message
L’approche de ces consommations de psychotropes dans l’optique de la
réduction des risques offre l’avantage de pouvoir annoncer directement la
couleur. « Notre présence n’a pas pour objectif d’empêcher la consommation
mais de vous présenter tous les aspects de celle-ci, les effets positifs, les risques
et les moyens de les limiter. » Nous apparaissions comme des adultes respectueux des jeunes.
Notre discours incitait certains à se saisir du document pour s’en aller
rapidement. S’ils nous en donnaient l’occasion, nous les invitions à la prudence.
« Cette brochure de réduction des risques ne doit pas être mise entre toutes les
mains. Attention aux plus jeunes pour lesquels cette brochure pourrait être un
incitant à la consommation. »
Sur le point de passer son chemin après avoir entendu cet avertissement,
Marie se ravisait et souhaitait en savoir plus. « Que risque mon petit frère s’il lit
cette brochure ? » C’était le point de départ d’une discussion de plus d’un quart
d’heure. Quelques heures plus tard, Marie nous ramenait sa copine, Thérèse.
« Toi qui bouffes des Ecstas, écoute un peu ce mec. » Au départ d’un dialogue
à deux, nous pouvions à trois aborder le sens de ces consommations.
Régulièrement, des groupes se constituaient. Des points de vue s’affrontaient.
Tout au long de ces trois ans, notre débat, aussi bien au sein de notre équipe
qu’à l’extérieur avec nos différents partenaires, a cherché à dégager ce qui
pouvait amener à un comportement plus responsable, moins risqué à l’égard des
consommations de produits psychotropes. La simple présentation de brochures,
la simple diffusion d’informations pouvaient-elles avoir un effet ?
La question pouvait aussi se poser dans le sens de la prévention. La
diffusion d’informations pouvait-elle « prévenir ou réduire » ces consommations ?
138
001/Psychotropes/3/2001
Psychotropes – Vol. 7 n° 3-4
138
7/04/05, 14:22
Alain VANTHOURNHOUT
Nous en doutions déjà étant donné l’échec des campagnes de simple
diffusion de flyers d’informations qui avaient été tentées par nos collègues de
Menin, petite ville flamande frontalière de la France. Ils avaient retrouvé ces
mêmes flyers jonchant le sol aux abords des discothèques.
Nous ne pouvions évaluer l’impact de la seule diffusion d’informations
étant donné qu’elle implique l’absence de dialogue et donc de retour sur l’effet
des documents.
La multitude de contacts que nous avons eus avec des jeunes à l’intérieur
même de ces discothèques nous a conduits à privilégier la conjonction d’informations et de relations pour induire un changement d’attitude à l’égard des
produits.
Le flyer, outil de rencontres
Tout au long de ces années, nous avons reçu des messages des jeunes à la suite
de leur lecture des brochures. Parfois ces messages étaient immédiats. Des
jeunes mettaient en évidence que le texte des flyers provoquait en eux une
réflexion à propos de leur comportement. La brochure agissait comme « un
déclic ».
Ils s’interrogeaient sur la composition de la pilule d’Ecstasy et sur les
opportunités de testing. Ils se posaient des questions : « Ces pilules ont-elles des
effets à long terme ? Quels sont les risques pour le cerveau ? Que se passe-t-il
si j’en consomme plusieurs sur la soirée ? Est-il vrai que certaines pilules
contiennent de l’atropine ? » Toutes ces questions pouvaient mener à des
échanges sur le sens des consommations.
D’autres jeunes réagissaient après un moment, comme s’ils avaient besoin
de s’imprégner progressivement du message.
Robert interpelle l’un de nous près d’une piste de danse : « C’est toi qui
distribues des “papiers sur la drogue ?”. J’ai lu et aujourd’hui, j’ai pas pris
(d’Ecstasy). Si je prends, c’est pour me sentir bien, pour réfléchir à ma vie, c’est
philosophique. Puis-je me sentir bien sans prendre ? »
Il repart s’éclater sur la piste mais reviendra quelques heures plus tard
poursuivre SA réflexion sur SA consommation. Nous ressentions sa démarche
comme un besoin de reconnaissance de sa consommation et de sa capacité à se
passer du produit. Comme si les mots l’aidaient aussi à mettre ces produits à
distance.
Psychotropes – Vol. 7 n° 3-4
001/Psychotropes/3/2001
139
7/04/05, 14:22
139
La réduction des risques à l’usage des drogues de synthèse : prévention ou promotion de
la santé ?
L’association entre la crédibilité du flyer et ceux qui les diffusent permet
de crédibiliser ses diffuseurs. D’experts en produits, ils peuvent devenir experts
en rencontres avec les jeunes consommateurs.
La rencontre, départ d’une modification d’attitudes
L’impact de la rencontre sur la modification des attitudes à l’égard des
psychotropes semblait significatif lorsque des jeunes exprimaient en profondeur ce qu’ils vivaient au sein des mégadancings. Ils venaient alors, avec toute
leur inquiétude, expliquer comment ils étaient « entrés » dans la consommation
et combien parfois celle-ci pouvait les gêner.
Gérard et Kamel ont 19 ans et habitent Charleroi. L’un est ouvrier dans le
bâtiment, l’autre travaille avec son père. Ensemble, ils se présentent à la table
et veulent nous « parler » d’Ecstasy car ils ont un copain qui en consomme
beaucoup. C’est souvent par ce biais que le dialogue s’amorce. Nous les
écoutons attentivement et, très rapidement, ils évoquent leur propre consommation. Ils nous décrivent dans les détails comment ils en sont arrivés là. Comment
le fait de venir s’éclater en discothèque les a conduits à consommer de l’Ecstasy
et du speed alors qu’auparavant, fumer un joint de cannabis leur suffisait.
Kamel : « Il y a un an que je viens en boîte et j’ai découvert qu’en prenant
un Ecsta, je m’amusais beaucoup mieux. La musique était meilleure, les
lumières plus brillantes, les copains plus sympas. Je suis revenu sans rien
prendre mais c’était triste, je m’ennuyais. J’ai “dû” reprendre. Après un mois,
une pilule ne suffisait plus. Maintenant j’en prends parfois 7 sur une nuit. Je ne
peux plus continuer. Le lundi, je ne peux pas aller travailler sans faire un
immense effort. Ma mère me dit que j’ai une vilaine tête. Y a pas moyen d’en
sortir. »
Gérard confirme ses propos. Manifestement, ils sont mal à l’aise, voire en
détresse. Nous leur donnons nos coordonnées et quelques semaines plus tard, ils
téléphoneront pour prendre rendez-vous à Canal J.
Cet échange, au sein du dancing de part et d’autre de la table, s’est prolongé
durant plus d’une demi-heure. Il ne semble pas être le fruit du hasard. Gérard
nous avait repérés les semaines précédentes. Il en a parlé avec Kamel. Ensemble,
ils sont venus nous voir.
Toutes les rencontres ne mettent pas aussi intensément en jeu les sentiments, les attentes. La plupart sont plus brèves. L’un ou l’autre des éléments
évoqués par Gérard et Kamel sera abordé : la santé, l’escalade dans la consommation, le travail, l’école, la famille, la vie amoureuse.
140
001/Psychotropes/3/2001
Psychotropes – Vol. 7 n° 3-4
140
7/04/05, 14:23
Alain VANTHOURNHOUT
Il n’est pas facile pour un jeune de « se dire » dans un tel contexte. La
confidentialité n’est pas assurée. Il doit tenir compte des réactions de son
entourage : copain, amoureux (se). Il peut être déjà sous l’influence d’une
drogue ou de l’alcool. Le bruit ambiant l’oblige à se répéter face à un
interlocuteur qui ne le comprend pas toujours.
Mais il veut parler, en parler, s’exprimer, mettre des mots sur cette
consommation, prendre une certaine distance avec ce besoin ou cette envie de
psychotropes.
Le même Robert qui nous exprimait sa satisfaction de n’avoir pas pris après
avoir lu la brochure nous rejoignit à la table : « J’aimerais parler à mon père
comme je parle avec vous mais il me tuerait s’il savait que je prends de la
drogue. »
Sans doute peut-on faire le lien entre besoin de parler et prise d’Ecstasy.
L’on sait que ce produit permet la convivialité, les échanges, la communication.
L’expérience d’échanges valorisants, « sérieux » constitue sans doute un moyen
de « voir » le produit autrement. La prudence s’impose quand même quand on
associe la rencontre avec la prise d’Ecstasy. A-t-on une qualité de contact
suffisante ? Celle-ci laissera-t-elle des traces ou se dissoudra-t-elle avec la fin
des effets de la drogue ?
L’expérience des psychothérapeutes américains qui, dans les années cinquante, ont, les premiers, utilisé l’Ecstasy pour faciliter la prise de parole de
leurs patients est un des indices de l’efficacité thérapeutique de la rencontre,
même sous l’influence de ce produit.
Elle permet aussi d’en découvrir le sens, de comprendre le chemin parcouru. Le jeune peut saisir ce que le produit lui apporte : faciliter les contacts,
rendre la discothèque plus attractive, etc. Il remarquera aussi ce que ce même
produit lui coûte : malaises physiques, difficultés familiales, ennuis scolaires ou
professionnels, dépenses d’argent, conflits sentimentaux, etc.
Mettre dans la balance le pour et le contre, c’est pouvoir choisir, décider
peut-être un peu plus consciemment quel chemin prendre.
Des différences stratégiques dans les rencontres
Au moment de jeter les bases de notre action, nous avons été interpellés par des
jeunes amateurs de techno. Nous avons lu les écrits de « Techno Plus », une
association parisienne. Nous avons surtout été en contact avec les promoteurs
de « Spiritek », une association qui concrétise le souci de jeunes de revendiquer
le travail de prévention en mégadancings.
Psychotropes – Vol. 7 n° 3-4
001/Psychotropes/3/2001
141
7/04/05, 14:23
141
La réduction des risques à l’usage des drogues de synthèse : prévention ou promotion de
la santé ?
Dans nos rencontres avec ces animateurs, ceux-ci voulaient discuter d’égal
à égal avec nous. Nous sentions même de leur part de la contestation. Comment
des personnes qui n’y connaissaient rien dans la culture techno pouvaient-elles
mener une action de prévention, se demandaient-ils.
Nous étions sensibles à leur démarche et nous les avons écoutés avec
beaucoup d’attention et de respect. Il était évident que nous ne connaissions pas
grand-chose à la techno, aux produits qui y sont associés et aux risques à les
consommer. Ils pouvaient nous apprendre beaucoup. Ils étaient introduits,
reconnus parmi les jeunes qui fréquentent les mégadancings ou les raves. Parmi
les animateurs de Spiritek, nous trouvions des animateurs de radio qui diffusaient cette musique, des DJ concepteurs de rythmes technos, des spécialistes
des différents courants musicaux qui la composent.
Mais nous étions également conscients de la différence d’approche par
rapport aux expériences anglaises ou hollandaises. Leur démarche relevait de la
campagne d’information. C’était d’ailleurs leur souhait : informer les jeunes
pour qu’ils puissent désirer se passer du produit. Les animateurs se réunissaient,
prévoyaient d’investir tel dancing ou telle rave. Ils donnaient rendez-vous aux
militants et ensemble investissaient cette discothèque. Ils y distribuaient un
nombre impressionnant de flyers imprimés à leur sigle. Ceux-ci énonçaient des
précautions à prendre pour réduire les risques à l’usage d’Ecstasy ou de LSD.
Les jeunes repérés sous influence étaient accostés et puis l’équipe de jeunes s’en
allait. Le travail s’inscrivait bien dans une logique d’information. Il s’agissait
d’un travail par des pairs, mené par des pairs qui voulaient témoigner de la
possibilité d’aimer cette musique, de s’en imprégner sans utiliser des drogues
de synthèse. Ils étaient des précurseurs comme diffuseurs d’informations au
sein du mouvement.
Pour notre part, nous nous sommes présentés comme des travailleurs
sociaux : moniteur, éducateur, assistant social, psychologue ou encore stagiaire
dans l’une de ces fonctions. Certains d’entre nous étalaient leur jeunesse,
d’autres leur maturité. Nos compétences se situaient dans nos capacités de
rencontres. Nous étions des « spécialistes » de la rencontre.
Dans certaines circonstances, la jeunesse était un atout : la proximité,
l’écoute dans un milieu bruyant. Dans d’autres, l’expérience, la figure de
l’adulte en facilitait l’approche. Ce qui nous unissait, c’était la formation à la
relation en général, à la relation d’aide en particulier. Nous pouvions nous
mettre à l’écoute des jeunes, relancer par un mot un dialogue qui s’embourbait,
faire preuve de délicatesse si nous sentions l’émotion se manifester. Nous avons
pu mettre à profit nos compétences, utiliser les concepts de l’analyse systémique
quand il s’agissait de prendre en compte le cadre de travail ou encore les
ressources des familles et de l’entourage.
142
001/Psychotropes/3/2001
Psychotropes – Vol. 7 n° 3-4
142
7/04/05, 14:23
Alain VANTHOURNHOUT
Nous avons évité de nous imposer, de brusquer, d’importuner des jeunes
qui étaient là avant tout pour s’amuser, se distraire, rencontrer un partenaire
sexuel potentiel. Nous nous sommes fondus dans le décor pour ne pas créer, chez
les clients mais aussi chez les patrons, le sentiment d’agression. C’était une
démarche soft pour laquelle nous avons passé davantage de temps dans la
réflexion, l’étude, l’analyse que dans l’action. Cela nous a distingués de celle de
Spiritek. Nos approches respectives ne sont pas incompatibles. Mais visentelles le même objectif ?
Spiritek cherchait à défendre l’image d’une culture techno où la drogue est
absente, car accoler drogues et techno, c’était en quelque sorte disqualifier cette
culture musicale aux yeux du grand public. Il suffit de relire les articles que
certains médias ont consacrés à ces rencontres nocturnes sous le sigle techno.
Cette diabolisation gênait les adeptes de la musique de synthèse « propre ». Par
leurs actions, ils espéraient sans doute une réhabilitation de leurs goûts musicaux.
Notre démarche consistait d’abord à aller à la rencontre des jeunes, là où ils
se rassemblent, en nous appuyant sur l’hypothèse qu’ils y sont en danger
potentiel. Nous cherchions à susciter des questions, à permettre aux jeunes de
« se » dire, de ressentir. Nous souhaitions créer les conditions de la rencontre
avec les jeunes pour mener éventuellement à la conscience des risques liés à ces
consommations.
Les concepts de la réduction des risques et de
la bonne distance
La réduction des risques
Ce concept nous a semblé incontournable pour mener une action à l’intention
des jeunes clients des mégadancings. Or la réduction des risques liés à l’usage
de drogue s’adressait a priori aux consommateurs avérés. Elle ne s’inscrivait pas
dans une logique de diminution des consommations mais plutôt d’évitement de
certaines conséquences dramatiques. On soulignait les risques liés à la propagation du sida, de l’hépatite, les risques d’overdose suite à la prise d’héroïne mal
coupée.
De quelle évolution des conceptions cette politique de réduction des risques
est-elle l’expression ? Les représentations se modifient. La consommation de
stupéfiants est un fait indéniable. Il faut le prendre en compte.
Psychotropes – Vol. 7 n° 3-4
001/Psychotropes/3/2001
143
7/04/05, 14:23
143
La réduction des risques à l’usage des drogues de synthèse : prévention ou promotion de
la santé ?
Les consommateurs sont en danger, non seulement suite aux effets directs
des produits, mais aussi étant donné les comportements qui les accompagnent.
Les risques existent non seulement pour ces toxicomanes mais aussi pour leur
entourage qui peut être contaminé par la voie sexuelle.
Les campagnes d’information ont pour objet de réduire les risques. On voit
fleurir des slogans du type « se shooter propre » qui signifient en clair : si vous
vous injectez de l’héroïne, ne le faites pas n’importe comment et n’échangez pas
votre seringue avec votre partenaire.
Des groupes d’usagers se constituent. Ils deviennent des interlocuteurs non
seulement pour diffuser l’information mais aussi pour la concevoir. Ils participent à la création des documents d’information. Ils testent ceux-ci près d’autres
usagers. Ils acquièrent un statut, une expertise. Les services de soins y voient la
confirmation que les usagers peuvent devenir des acteurs de prévention. Ce sont
des citoyens comme les autres qui réfléchissent et peuvent agir sur leur
environnement.
Sortir l’usage de drogues de la clandestinité va créer une tension avec les
institutions chargées du respect des lois. La détention et la consommation en
groupe de stupéfiants restent illégales en Belgique et la loi les sanctionne. Des
usagers sont interpellés, arrêtés, condamnés pour cet usage. L’héroïne est sans
doute le produit le plus décrié, véhiculant des images de dépendance immédiate,
de producteur de marginalisation, etc. Si tous les pays européens ont accepté ou
promu des programmes de réduction de risques, ils donnent une visibilité
nouvelle aux usagers de drogues.
N’y a-t-il pas pour nos gouvernants une contradiction entre une loi qui tend
à l’éradication des drogues et des pratiques plus pragmatiques qui en concèdent
l’usage ? Ce sont sans doute les considérations sanitaires liées à l’épidémie du
sida qui ont conduit à la reconnaissance des toxicomanes d’abord, des usagers
de drogues ensuite.
L’objectif de réduction des risques serait devenu prioritaire par rapport au
respect de la loi.
La santé prendrait-elle le pas sur ce respect ?
Ce concept de réduction des risques contient une notion de promotion de
la santé qui justifie que ces campagnes d’informations soient financées aussi par
la Communauté française de Belgique. Elle a institué par un décret cette idée de
promotion de la santé.12
12 Décret du 14 Juillet 1997 portant sur l’organisation de la promotion de la santé en
Communauté française de Belgique.
144
001/Psychotropes/3/2001
Psychotropes – Vol. 7 n° 3-4
144
7/04/05, 14:23
Alain VANTHOURNHOUT
On quitte alors la notion des soins pour celle de la prévention : éviter de
devenir malade du sida.
Réduction des risques et prévention
Nos analyses au sujet de la réduction des risques ne s’appuient pas sur des
documents bibliographiques mais sur des échanges que nous avons eus avec les
autres équipes de France et de Belgique. Nos collègues étaient d’abord des
soignants. Ils ont été parmi les instigateurs de ces campagnes basées sur la
réduction des risques. Leur rencontre nous a aidés à développer une prévention
et ensuite une promotion de la santé dans une telle optique.
Nos collègues de Lifeline sont également d’abord des soignants. Ils
s’adressaient prioritairement aux consommateurs de drogues dures. Comme
dans d’autres associations, ils ont été amenés à se préoccuper aussi de prévention. Aborder publiquement ces consommations dans l’objectif de freiner
l’épidémie de sida les a conduits naturellement à une approche semblable quand
il a fallu développer des campagnes de prévention.
Les consommations de psychotropes sont un phénomène de société. Elles
sont universelles et intemporelles. L’opium est fumé depuis des millénaires.
L’alcool a une fonction stimulante, euphorisante depuis des centaines d’années.
Des hommes ont besoin de psychotropes pour faire la fête, pour oublier, pour
se dépasser, pour vaincre toutes sortes de complexes.
Même si les lois tentent de limiter leurs consommations, ces produits
participent à la culture et à la vie sociale.
Les limites légales à la consommation sont légitimes dans la mesure où des
consommations peuvent mettre la vie d’autres en danger : conduire en état
d’ivresse, inciter des plus jeunes à prendre des produits dont ils ne connaissent
pas les effets…
Le concept de la réduction des risques s’est construit sur la base de
l’existence de ces produits et de leurs consommations. Il prend en compte les
effets recherchés par ceux qui les utilisent. Aborder la question des effets se situe
dans un autre champ que celui de l’interdit qui est l’essence même de la loi,
qu’elle soit officielle et publique ou établie entre des personnes privées
(règlement scolaire). Pour la loi, il n’y a qu’une alternative : ce qui est permis
et ce qui est défendu. Toutes les drogues illégales portent en elles le risque d’une
composition inconnue, d’un dosage hasardeux. Toutes ces drogues sont susceptibles d’entraîner des risques judiciaires. Toutes ces drogues ont des effets
particuliers dont la méconnaissance accroît les risques d’utilisation. Des stratégies de réduction de ces risques sont applicables à toutes ces drogues par la
Psychotropes – Vol. 7 n° 3-4
001/Psychotropes/3/2001
145
7/04/05, 14:23
145
La réduction des risques à l’usage des drogues de synthèse : prévention ou promotion de
la santé ?
diffusion d’informations sur le caractère aléatoire de leur composition, sur la
nécessité d’en connaître les effets, sur l’illégalité de leur usage.
Le concept de réduction des risques s’est d’abord adressé aux héroïnomanes qui s’exposaient en partageant des seringues. Ils prenaient également des
risques en ignorant le dosage de leur drogue. Les consommations de drogues de
synthèse ne sont pas sans dangers et elles supposent tout autant une prévention
que l’usage de l’héroïne. Il s’agit aussi de privilégier une consommation plus
sûre.
Les drogues de synthèse ont la particularité d’être facilement fabriquées. Il
ne faut pas être ingénieur chimiste pour assembler des molécules chimiques que
l’on trouve facilement sur le marché. Les producteurs sont loin d’être des
philanthropes et ils ne s’embarrassent pas nécessairement de scrupules si un des
éléments de base pour fabriquer une pilule fait défaut. Avec un peu de savoirfaire, ils utiliseront le composant qu’ils ont sous la main sans se préoccuper des
risques de l’assemblage. Là aussi, la composition du produit est aléatoire.
De tels procédés de fabrication mettent le consommateur en danger. La
connaissance de ces procédés lui permet de prendre certaines précautions qui
peuvent réduire ces risques.
S’il connaît son fournisseur, si des relations de confiance peuvent s’établir
entre eux, c’est un mode de garantie (limitée bien entendu). Le fournisseur qui
veut garder sa clientèle (comme dans tout commerce) a avantage à fournir un
produit de qualité, bien coupé, correctement assemblé. Un vendeur à la sauvette,
anonyme, aux portes d’une discothèque, ne vit pas la même situation. L’obscurité aidant, il ne sera pas toujours reconnu par son client qu’il ne reverra peutêtre jamais. La qualité du produit a moins d’importance et l’acheteur risque
davantage de consommer un produit frelaté.
Expliquer ces données aux jeunes qui fréquentent la discothèque, c’est
attirer leur attention sur ce risque-là, sans créer chez eux le sentiment de
« recevoir une leçon ». C’est aussi leur permettre de commencer une réflexion
sur leur manière de consommer.
Le discours de la réduction des risques à l’usage des drogues de synthèse
va intégrer ces données dans la constitution des messages d’informations.
Réduction des risques à l’usage d’Ecstasy
Les messages d’information, tels qu’ils sont libellés sur les documents que nous
avons diffusés, annoncent directement la couleur. Il ne s’agit ni d’encourager ni
de décourager l’usage de l’Ecstasy. Sa consommation existe même si la
détention en est illégale. Il s’agit de donner une information correcte et
146
001/Psychotropes/3/2001
Psychotropes – Vol. 7 n° 3-4
146
7/04/05, 14:23
Alain VANTHOURNHOUT
détaillée : apporter une information complète, sur les effets positifs, les plaisirs
vécus mais aussi les dangers, les effets négatifs, c’est réduire les risques. Donner
une information complète commence par la définition de la composition du
produit et l’exposé des formules chimiques qui sont nécessaires à sa fabrication.
C’est ensuite attirer l’attention sur l’absence de contrôle de la fabrication de la
pilule (composition, mode de fabrication) étant donné son caractère clandestin.
À ce stade, l’illégalité est rappelée.
Livrer les informations, c’est aussi en communiquer les limites. L’Ecstasy
est un produit relativement nouveau dont nous ne connaissons pas encore tout.
Il y a encore beaucoup d’incertitude quant aux effets de l’usage à long terme.
Un consommateur novice, stimulé par un copain, prend un risque relativement important lors de sa première consommation. Il ne sait pas comment son
organisme va réagir et peut être surpris par les effets. L’information sur les effets
donne au consommateur la possibilité de se préparer, d’effectuer sa première
prise dans de bonnes conditions. Elle permet de comprendre l’évolution du
produit dans l’organisme. L’Ecstasy, au moment de sa prise, amène une forme
d’excitation, appelée « la montée ». Ensuite, l’effet stimulant suscite un flux
d’énergie. L’effet psychédélique apporte la sensation d’être serein. Après
quelques heures, le produit cesse ses effets positifs. Cela peut créer un sentiment
de malaise, de déprime. Aborder les effets c’est aussi faire prendre conscience
de la variation de ceux-ci en fonction de l’état d’esprit de celui qui consomme.
Le produit ne révèle que des caractéristiques qui existent en chacun. Prendre de
l’Ecstasy en étant déprimé peut accroître ce malaise.
Toutes ces informations doivent constituer des repères pour le jeune qui
consomme de l’Ecstasy. Il évitera ainsi de vivre des sensations qu’il ne peut
contrôler. Ces états de panique ont déjà entraîné des gestes suicidaires. Cela
justifie aussi la proposition de se faire accompagner par une personne de
confiance lors des premières prises.
L’expérience montre que la prise d’Ecstasy provoque une augmentation de
la température du corps. En conséquence, l’usage du produit est déconseillé aux
personnes souffrant de faiblesse cardiaque, d’hypertension. La surchauffe
corporelle s’accélère encore par la danse, par le manque d’air, par la perte de
sensation de soif. Le corps se déshydrate. Cette déshydratation peut être
mortelle. C’est ce que l’on appelle « le coup de chaleur ».
Réduire les risques, c’est informer les jeunes sur les symptômes du « coup
de chaleur » : fatigue soudaine, irritabilité, crampes, vertiges, difficulté d’uriner, perte de conscience. Réduire ce risque, c’est proposer au consommateur de
se réhydrater doucement, à petites doses, mais fréquemment, en utilisant des
boissons non alcoolisées, de s’arrêter de danser, de se rafraîchir en utilisant par
exemple les chilling rooms (chambres de refroidissement).
Psychotropes – Vol. 7 n° 3-4
001/Psychotropes/3/2001
147
7/04/05, 14:23
147
La réduction des risques à l’usage des drogues de synthèse : prévention ou promotion de
la santé ?
En suivant ces conseils de moindre risque, le consommateur peut maîtriser
sa consommation et les comportements qu’elle provoque. Il se responsabilise en
quelque sorte. Il sera peut-être moins tenté d’accroître les quantités ingérées.
Un nombre grandissant d’usagers d’Ecstasy combine la consommation de
ces pilules avec d’autres produits. Les mélanges peuvent amplifier des effets. Ils
peuvent aussi en créer d’autres plus désagréables. Réduire les risques, c’est
mettre en garde contre ces mélanges, ce qui implique de présenter les effets
d’une association de l’Ecstasy avec l’alcool, les amphétamines, le LSD, les
antidépresseurs, de montrer comment ces mélanges accroissent les risques de
conduite automobile sous influence.
L’Ecstasy, comme tout produit psychotrope, agit sur le psychisme des
usagers. Grâce à la connaissance de ces effets, le consommateur mesurera mieux
les risques qu’il prend. Réduire les risques, c’est informer des insomnies
possibles lors d’un usage prolongé. C’est déconseiller de consommer de
l’Ecstasy plusieurs jours d’affilée sans dormir.
Comme l’Ecstasy a une action antidépressive, il comporte le risque d’en
consommer pour ne plus se sentir déprimé. Mais l’Ecstasy, contrairement à ce
qu’on en attend à ce moment-là, peut renforcer ce sentiment d’abattement.
Réduire les risques, c’est lier la consommation à un bon état d’esprit, à un bon
état mental.
Comme pour d’autres substances (certains médicaments, l’alcool) les
effets de l’Ecstasy s’estompent petit à petit. Pour ressentir les mêmes sensations,
il faut augmenter les doses. Alors que, lors des premières prises, une demi-pilule
suffisait, quelques mois plus tard, il deviendra nécessaire d’en prendre quatre ou
cinq sur une soirée. Cette tolérance du corps, rapide, crée la tentation d’augmenter les quantités absorbées. Réduire les risques, c’est savoir qu’en espaçant les
prises, en faisant quelque temps abstinence, l’Ecstasy retrouve son potentiel
initial. Une consommation occasionnelle réduit considérablement les risques et
assure davantage les effets attendus.
La consommation d’Ecstasy est illégale. Nous le rappelons sans cesse. En
consommer, c’est prendre le risque d’être interpellé, arrêté, condamné. C’est
prendre le risque d’une enquête judiciaire, d’être convoqué à de multiples
reprises, interrogé des heures durant. C’est s’exposer à être soupçonné de
vendre, à subir des perquisitions. Cela peut aussi signifier une démarche
policière vers l’entourage familial, les parents, le partenaire, avec les dangers de
conflits, de malaise. Il est difficile de proposer une réduction de ces risques-là.
Citons quand même la connaissance des droits, de la loi, de la procédure pénale,
l’intérêt à solliciter l’aide d’un avocat, la procédure pro deo. Ces risques-là sont
particulièrement significatifs pour les travailleurs en milieu ouvert car ceux-ci
148
001/Psychotropes/3/2001
Psychotropes – Vol. 7 n° 3-4
148
7/04/05, 14:23
Alain VANTHOURNHOUT
sont les témoins privilégiés des déstructurations que des interpellations judiciaires peuvent créer chez des jeunes fragilisés par la période d’adolescence.
Les informations dont nous venons de rendre compte se veulent complètes.
Elles imposent au consommateur intéressé un effort intellectuel. Tous les jeunes
usagers ne sont pas dans cet état d’esprit. Pour ceux-là, la réduction des risques
exige en quelque sorte un résumé, une liste de « précautions d’usage ».
Pour l’Ecstasy, une quinzaine de conseils sont présentés à la fin du flyer.
Des phrases courtes expliquent comment réduire les risques. Par exemple :
« Soyez entouré de personnes de confiance, ne vous isolez pas. » On peut les
considérer comme un guide « de bon usage ».
Ces précautions ont l’avantage de la clarté. Elles vont dans le sens d’une
limitation de la consommation. Elles souhaitent donner aux usagers un cadre
sécurisant, des balises, des repères, mais elles ont sans doute aussi des effets
pervers. Ces précautions n’auraient-elles pas un aspect incitateur ? Sont-elles
interprétées comme un catalogue de recettes, un mode d’emploi qui, s’il est bien
suivi, permet de consommer tranquillement, sans risques ?
Si incitation il y a, elle déterminerait les limites de la démarche…
De la réduction des risques à l’abstinence ?
Réduire les risques, c’est tenter de diminuer les effets négatifs des consommations, ce qui suppose de les accepter. Même si à l’origine, nous visions un
changement de comportement, une offre de moyens pour ne pas consommer,
pour ne plus consommer, nous avons évolué. Cette vision découlait du cadre de
travail d’une AMO. Nous nous sentions interpellés, même alertés par ces
consommations. Nous désapprouvions cette habitude de vie, nous nous sentions
mandatés pour aider les jeunes à s’en débarrasser comme d’un mauvais réflexe.
Le concept de réduction des risques conduit à une autre vision, moins
dramatique. Il ne s’agit plus nécessairement de se débarrasser d’une mauvaise
habitude mais de mieux l’appréhender, de mieux maîtriser ces consommations
et d’éviter des conséquences trop négatives.
Ces messages de réduction des risques ont été à l’origine d’autres demandes. Des jeunes s’y appuyaient pour nous demander une aide et nous faire part
de leur souhait d’abstinence.
Nous avons ainsi élaboré une hypothèse selon laquelle le concept de
réduction des risques pouvait mener à l’abstinence. Il s’agirait de
l’instrumentalisation de la réduction des risques au service de l’abstinence.
Cette hypothèse, émise à partir de discours de jeunes consommateurs, devrait
faire l’objet de recherches mais trois propositions clés viennent la soutenir.
Psychotropes – Vol. 7 n° 3-4
001/Psychotropes/3/2001
149
7/04/05, 14:23
149
La réduction des risques à l’usage des drogues de synthèse : prévention ou promotion de
la santé ?
1re proposition
Donner au jeune des moyens de réduire les risques liés à l’usage des drogues de
synthèse, c’est lui donner les moyens de réfléchir sur sa consommation, de s’y
arrêter.
La consommation de drogues, qu’elles soient ou non de synthèse, suit une
logique de recherche de plaisirs et ou de suppression de souffrance. Elle s’inscrit
aussi dans l’appartenance à une culture : la culture techno, mais aussi la culture
adolescente, celle de la recherche de l’expérience, de la quête d’une place dans
le groupe.
Cette logique, particulièrement au moment de l’adolescence, ne s’embarrasse pas de longues réflexions. Le consommateur profitera de l’opportunité de
faire une expérience, stimulé par le discours incitateur d’un copain ou d’une
copine. Il appréciera les effets ressentis, cherchera à les retrouver et reproduira
le geste de consommation, particulièrement si les effets secondaires négatifs
apparaissent mineurs.
Consommer du speed ou de l’Ecstasy lors des sorties du week-end lui
semblera « normal ».
En proposant des informations sur les produits consommés, sur les risques
encourus et les moyens de les réduire, nous pensons introduire une coupure dans
cette logique de consommation, un espace de réflexion. La coupure se forme par
le regard porté sur soi-même, par la découverte de la manière dont le produit agit,
par les anticipations des effets d’une interpellation éventuelle.
Certaines réactions de jeunes recueillies au sein des mégadancings peuvent
confirmer notre hypothèse.
Il est minuit. John, un jeune Flamand, s’approche de la table et feuillette le
flyer sur l’Ecstasy. Nous lui expliquons le sens de notre démarche d’information. Il s’éloigne, brochure en main. Un peu plus tard, dans un français hésitant,
il nous interpelle. « Je ne comprends pas que vous commenciez votre brochure
par les effets positifs. Je mettrais d’abord les effets négatifs. Dites d’abord que
c’est de la merde, qu’après on ne sait plus s’arrêter. » La conversation se
poursuivra sur ce mode-là.
En justifiant notre choix, c’est-à-dire débuter notre message par les effets
positifs, éviter un ton moralisateur, nous interpellons John. « C’est vrai, un
message : dites non à la drogue m’énerve, comme si c’était aussi facile. » Et il
nous expliquera comment il a commencé sa consommation : les copains, la
petite copine qui l’a lâché et l’envie d’oublier. Il nous racontera l’escalade, les
cinq pilules sur la nuit, le coup de barre du lundi et les ennuis avec les profs.
150
001/Psychotropes/3/2001
Psychotropes – Vol. 7 n° 3-4
150
7/04/05, 14:23
Alain VANTHOURNHOUT
Un peu baba cool, il écoutera attentivement notre réflexion sur l’alimentation. « Ah bon, si je mange des fruits, ce sera moins dur ». Pourra-t-il gérer cela,
nous l’ignorons. Il nous quittera par un : « Merci, cela fait du bien de parler ».
Les messages de réduction des risques permettent de parler de ses consommations, de mettre des mots dessus. Et ces mots créent la distance par rapport
au comportement d’usage.
Véronique, 16 ans, deuxième sortie à La Bush. Elle montre la table à sa
copine en riant. « Moi, je ne prends pas ces conneries. » Invitation au dialogue.
Marc, de permanence ce soir-là, saisit la perche. « On t’en a proposé ? »
Réponse affirmative, moins timide, elle abordera son désir : « J’ai envie
d’essayer, elle (sa copine) en prend, tous les mecs l’allument et les plus beaux
en plus. Moi, ils ne me voient pas ».
Brochure en main, nous tentons de décrire les effets, comment l’Ecstasy
agit sur l’organisme, comment il modifie le comportement. Nous essayons
d’expliquer partiellement cette différence entre sa copine et elle par certains
effets de l’Ecstasy. D’elle-même, elle posera la question des risques. Alertée par
la composition inconnue des produits, interloquée, par la phrase : « En consommant, tu es ton propre cobaye », elle demande rapidement à sa copine si elle
a confiance en son dealer. L’interrogation s’amplifie. Le plaisir est mis en
balance avec le risque. Ce n’est pas nous qui pesons. Elle ajoutera naïvement :
« C’est vrai que cela provoque des boutons ». La réflexion se poursuit. La
distance entre le produit et elle semble s’installer. Quelques semaines plus tard,
en l’absence de Marc, elle dira à notre stagiaire : « Je m’appelle Véronique, tu
diras à Marc que je n’ai toujours rien pris ».
2e proposition
Les mots, le dialogue, la rencontre mettent de la distance entre la personne et le
produit. Le discours de la réduction des risques ouvre ce dialogue, stimule cette
rencontre.
Nos rencontres avec Gérard et Kamel, des jeunes de Charleroi, donnent
encore davantage de consistance à cette hypothèse.
À la table du mégadancing, tous deux exprimaient déjà leur désir de rompre
avec ces consommations, désir mais aussi incapacité. La force de ce souhait les
pousse à prolonger la démarche, à prendre rendez-vous à Canal J, à faire le
chemin de Charleroi à Tournai pour trouver les moyens d’en sortir.
Pendant plus d’une heure, à tour de rôle, ils referont l’histoire de ces
consommations, de ce lien entre leurs sorties en mégadancings et ce besoin de
consommer, de ces prolongations durant la semaine, des difficultés au travail.
Psychotropes – Vol. 7 n° 3-4
001/Psychotropes/3/2001
151
7/04/05, 14:23
151
La réduction des risques à l’usage des drogues de synthèse : prévention ou promotion de
la santé ?
Ils concluront à l’absurdité de cette situation et nous quitteront un peu plus
tristes, sur ce constat d’impuissance.
Et pourtant, quelques semaines plus tard, au cours d’une conversation
téléphonique, Gérard nous confiera prudemment qu’il « maîtrise ». Il a stoppé
l’escalade de la consommation, il a moins besoin de passer sa nuit du samedi
dehors. Sa copine l’aide, la menace de rupture s’éloigne. Kamel « s’en sort »
aussi, dira-t-il.
Par les rencontres, la distance s’est installée. Notre démarche y a contribué
mais ils ont fait d’autres rencontres. La copine de Gérard a sans doute joué un
grand rôle. Le dialogue est ouvert, possible. Il est créateur de discours auxquels
participe la relation jeune-adulte.
3e Proposition
Notre simple présence d’adultes disponibles, « écoutant », est inductrice de
changements.
Ces jeunes peuvent faire l’expérience de l’expression. Ils peuvent se dire,
le discours sur la réduction des risques est pour eux une sorte d’assurance. Il
atteste que nous ne sommes pas là pour juger, montrer du doigt. Nous mettons
sur les plateaux de la balance l’ensemble de ce que ces consommations
impliquent.
C’est la question étonnée de Christophe : « Qu’est-ce que vous faites là ? »
Cette question, il la pose à un adulte assis à une table, patiemment, apparemment
sans rôle par rapport aux autres adultes qui travaillent en discothèque. Cet adulte
est disponible, prêt à l’écouter si Christophe le souhaite. Cet adulte a acquis
certains outils qui stimulent, il est spécialisé dans l’écoute. Ce jeune nous fera
part de son malaise d’associer sa sortie du samedi soir et sa consommation de
drogues de synthèse.
Cette conviction a de la valeur pour une équipe en milieu ouvert. Elle
autorise à soutenir que notre action en mégadancing ne vise pas seulement à
contrôler les consommations, au bon usage, mais que nos rencontres peuvent
constituer des voies de sortie de la consommation de psychotropes. Il s’agit bien
d’une fonction de la rencontre. Le discours de réduction des risques favorise le
contact avec des jeunes en difficultés ou en difficultés potentielles étant donné
ces consommations. La rencontre offre une possibilité par le dialogue de
prendre une distance par rapport au produit. Celle-ci est sans doute un des
éléments nécessaires pour prendre le chemin de l’abstinence.
152
001/Psychotropes/3/2001
Psychotropes – Vol. 7 n° 3-4
152
7/04/05, 14:23
Alain VANTHOURNHOUT
De la réduction des risques au bon usage
Réduire les risques, est-ce permettre un bon usage des drogues ? Qu’entendre
par bon usage ? Cette option est-elle en accord avec les objectifs d’un service
d’aide aux jeunes ? Le partenariat mis en place pour la réalisation d’autres
brochures après celle consacrée à l’Ecstasy a mis ce débat en lumière.
Le collectif porteur de ce projet13 de flyers s’est attelé à la création d’autres
brochures visant les consommateurs de speed, de LSD, de champignons
hallucinogènes, de cannabis et de cocaïne. Construire de tels documents, en
groupe, multiplie la réflexion, contraint chacun à justifier ses choix : des mots,
des phrases, des priorités, tel chapitre avant tel autre.
L’équipe de Canal J a proposé de prendre la responsabilité de la première
ébauche de la brochure consacrée au speed, brochure importante pour notre
travail en mégadancing. Un malaise s’est installé petit à petit. Quelle limite
donner au contenu ? Se situe-t-on toujours dans la réduction des risques ou
glisse-t-on vers un discours de promotion de ces produits ?
En équipe, nous avons lu, relu le document en construction, que nos
partenaires « corrigeaient » suivant leurs conceptions. Nous craignions que par
cette lecture, les jeunes non-consommateurs soient tentés de consommer. Le
texte ne faisait-il pas l’apologie du produit ? Comment un service comme le
nôtre, agréé par l’Administration de l’aide à la jeunesse de la Communauté
française de Belgique pouvait-il avaliser ce document ? Nous en avons conclu
que le texte était trop incitatif et que la limite était dépassée. Nos collègues ne
ressentaient pas ce malaise. Qui plus est, ils ne comprenaient pas le nôtre. Leurs
missions s’éloignaient sans doute de celles qui nous étaient confiées. Ces
services s’inscrivaient spécifiquement dans une démarche de la gestion des
toxicomanies et étaient davantage que nous en contact avec des consommateurs
compulsifs. Nous prenions en compte l’ensemble de notre jeune public cible,
celui des écoles, celui de la rue.
Le débat se radicalisait. Le fossé s’accentuait car le contenu de la brochure
ne pouvait satisfaire les uns et les autres. Nous ressentions les remarques des
équipes partenaires comme des ultimatums. La rupture s’annonçait.
Après de nouvelles délibérations, nous décidions de ne pas cautionner la
démarche ou du moins d’attendre, en observateurs, le document terminé avant
d’éventuellement l’avaliser. Pour nos collègues, notre position était intenable et
nous étions contraints d’abandonner le partenariat.
13 Modus Vivendi, Infor drogues, Prospective jeunesse, Alpha, La liaison antiprohibitionniste,
Citadelle et Canal J, des organismes de prévention reconnus et subsidiés par la
Communauté française de Belgique.
Psychotropes – Vol. 7 n° 3-4
001/Psychotropes/3/2001
153
7/04/05, 14:23
153
La réduction des risques à l’usage des drogues de synthèse : prévention ou promotion de
la santé ?
Avec le recul, nous pouvons identifier ces deux positions : celle de la
réduction des risques d’une part, celle du bon usage d’autre part. Le message de
bon usage s’adresse à des consommateurs : « si vous consommez, consommez
bien ». Ceux qui les fréquentent, qui se soucient d’eux, qui veulent en prendre
soin y voient un service, une démarche de santé. « Si vous aimez le whisky,
achetez-en du bon et buvez-en un ou deux verres par jour. » Le raisonnement se
tient et peut s’appliquer aux consommateurs d’Ecstasy. Ne consommez que de
bons produits, n’en abusez pas, et soignez votre environnement : cadre de la
prise, alimentation, sommeil… Il s’agit effectivement d’une démarche de
promotion de la santé mais adressée à un public spécifique.
À qui peut-on transmettre un tel message ? Outre aux consommateurs de
ces produits, sans doute à des adultes, mûrs, équilibrés et en bonne santé. Il s’agit
aussi d’un message positif pour les travailleurs sociaux confrontés à leurs
propres désirs d’expérimenter ces consommations. Mais peut-on adresser ce
message à des adolescents, fragilisés par les transformations qui accompagnent
cette période de la vie ? Nous ne le pensons pas. Ce ne serait pas entrer dans une
action de promotion de leur santé. Ce ne serait pas non plus les aider que de leur
parler d’une bonne consommation du whisky.
Le message se doit d’être rédigé dans un sens qui n’apparaît pas comme
incitatif. Il doit maintenir l’objectif de réflexion, de risques liés à l’âge, même
si la diffusion du message « vous êtes trop jeunes, trop fragiles pour bien
consommer » se révélerait désastreuse.
À l’analyse des différentes brochures publiées14, il nous est apparu que le
flyer consacré aux amphétamines restait dans la ligne de la réduction des risques
et pouvait être diffusé dans les discothèques où sa consommation est avérée. Par
contre, commencer la partie d’une brochure consacrée aux champignons
hallucinogènes par la phrase « Beaucoup préfèrent les champignons dont les
effets sont perçus comme plus communicatifs, plus ludiques et répondant mieux
à leur désir de s’amuser » nous paraît inadéquat si la brochure est destinée aux
adolescents, particulièrement dans un contexte scolaire.
Les risques de la réduction des risques
On l’aura remarqué, la frontière entre réduction de risques et bon usage est
ténue. Certains la reconnaissent, d’autres pas. Le message peut déraper et
produire des contre-effets et des effets pervers si nous ne poursuivons pas un
14 Ces brochures sont disponibles sur simple demande à Modus Vivendi, rue de Haerne,
51 b, 1040 Bruxelles. Tél. 02/644 2200, Fax. 02/644 21 81.
154
001/Psychotropes/3/2001
Psychotropes – Vol. 7 n° 3-4
154
7/04/05, 14:23
Alain VANTHOURNHOUT
questionnement permanent sur le sens possible du message. Pour le préciser,
nous nous sommes donné quelques garde-fous.
Rappeler l’illégalité, c’est sans doute le premier d’entre eux. Dès les
premières pages des brochures, nous mettons en évidence cette illégalité. Nous
la rappelons par ailleurs dans le texte. Dans les dialogues, nous mettons en garde
les jeunes contre les risques judiciaires. C’est un garde-fou qui protège aussi des
travailleurs sociaux qui doivent respecter les lois et agir dans la légalité.
Ensuite, en diffusant ces documents, nous mettons en garde contre le risque
d’une distribution sauvage. « Cette brochure ne doit pas être mise dans les mains
de plus jeunes, un petit frère, une petite sœur. » Nous voulons attirer ainsi
l’attention sur le danger d’y voir une recette. Ce n’est pas un document banal.
Nous voulons responsabiliser l’usager.
Ce message passe bien et il est parfois explicitement confirmé par des
jeunes qui l’ont lu.
Nous ne diffusons les brochures que dans des lieux où la consommation de
ces produits est possible. Nous n’en avons pas donné dans les écoles lors
d’animations de prévention de la toxicomanie, sauf s’il y a une demande
explicite de l’un ou l’autre jeune.
Enfin, nous en avons toujours fait une diffusion active, c’est-à-dire où la
personne intéressée doit faire une démarche pour obtenir une brochure, à
l’opposé d’une diffusion toutes boîtes, anonyme. Il nous a d’ailleurs semblé
inadéquat de voir la brochure Ecstasy mise à la disposition des jeunes dans des
centres de planning familial. Un de ces centres avec lequel nous collaborons
l’avait disposée sur un présentoir. Nous avons fait part de nos réflexions aux
animateurs du centre qui l’ont retirée. Ce mode de diffusion n’est, d’une part,
pas assez ciblé et, d’autre part, il multiplie les risques de voir cette brochure
considérée par des jeunes comme un mode d’emploi.
Voir les messages de réduction des risques se transformer en messages
d’une consommation sans risques constitue sans doute le principal danger.
Le débat se pose en des termes identiques à propos de la brochure
« cannabis ». Ce stupéfiant est nettement plus consommé que les drogues de
synthèse. La brochure est rédigée dans une optique de réduction des risques. Le
cannabis se consomme partout dans les écoles, les clubs sportifs, les mouvements de jeunesse, la rue. Faut-il dès lors diffuser largement cette brochure ?
Contrairement à celle consacrée à l’Ecstasy, faut-il la proposer aux élèves lors
d’animations scolaires ? Les avis sont partagés. Certains enseignants qui ont
examiné la brochure affirment qu’il est nécessaire de la diffuser, comme si le
caractère incitatif éventuel devenait secondaire par rapport à la nécessité de
réduire les risques. D’autres sont nettement plus réservés. Le caractère incitatif
Psychotropes – Vol. 7 n° 3-4
001/Psychotropes/3/2001
155
7/04/05, 14:23
155
La réduction des risques à l’usage des drogues de synthèse : prévention ou promotion de
la santé ?
de la brochure dominerait selon eux et le risque d’accroître les consommations
en la diffusant serait trop grand.
Canal J et le concept de réduction des risques
En fouillant dans les archives du travail, nous avons retrouvé quelques phrases
écrites en 1997 au moment de présenter nos interventions en mégadancings à
partir de ce modèle de la réduction des risques : Aborder la prévention par la
réduction des risques, c’est reconnaître d’abord l’impuissance des autres
modèles : dissuasifs ou répressifs. C’est se dire, il n’y a pas d’autres moyens.
Mais notre désir secret n’est-il pas quand même d’espérer l’abstinence ?
Canal J se doit de viser cet objectif. Ces produits sont nocifs, mettent en
péril la santé physique et mentale, conduisent à la marginalisation. Nous devons
aider les jeunes à sortir de ces consommations, nous devons leur donner les
moyens d’éviter d’y entrer. Notre travail consiste bien à prévenir la consommation.
Trois ans plus tard, adhérons-nous toujours à ce discours ? Voulons-nous
toujours éviter ces consommations ? Nous avons quelque peu perdu nos
certitudes. Toute cette réflexion de réduction des risques, proposée aux jeunes,
nous affecte également. La comparaison avec les psychotropes licites, comme
l’alcool et le tabac, s’impose. Certains gèrent bien. Nous croyons bien gérer
notre consommation d’alcool. Même nos excès sont raisonnables.
Notre rencontre avec des jeunes nous ébranle. Toute consommation de
drogue de synthèse est-elle problématique ? Ne peut-on pas reconnaître le bon
usage de certains produits ? Entre l’éradication et l’empêchement d’une part et
la réduction des risques et le bon usage d’autre part, la frontière est mince
comme d’ailleurs la frontière entre la prévention et la promotion de la santé. Le
bon usage et la promotion de la santé donnent un ton positif, stimulant. Au cours
de ces trois ans, nous avons en quelque sorte fait ce premier passage, celui de
la prévention vers la promotion de la santé. Mais il n’implique pas un abandon
de l’objectif exprimé en 1997. Il est possible de prôner l’abstinence, de valoriser
celle-ci. Il est possible d’aider à un retour vers cette abstinence pour des usagers
de psychotropes qui le souhaitent.
Mais il est également possible et souhaitable d’aider des jeunes à mieux
gérer leurs consommations et, de ce fait, de les inciter à se protéger, à garder leur
capital santé. À partir d’une action de prévention, nous avons adhéré à la
démarche de promotion de la santé.
Ce passage renforce la cohérence de notre action. Il jette un pont vers les
autres acteurs de la santé dont la mission éducative est différente de la nôtre.
156
001/Psychotropes/3/2001
Psychotropes – Vol. 7 n° 3-4
156
7/04/05, 14:23
Alain VANTHOURNHOUT
Il ne s’agit pas d’une perte d’illusion mais de rencontrer les jeunes, qu’ils
soient ou non des usagers de drogues, à partir du même discours, celui de la
réduction des risques. Cela implique de renoncer à privilégier l’objectif d’un
« non à la drogue ».
La bonne distance
Les sciences de l’éducation interrogent cette notion à travers la rencontre des
jeunes. Les parents sont amenés à réfléchir sur la distance à trouver avec leurs
enfants. Comment, à l’adolescence, n’être ni trop intrusifs, ni trop distants ? Les
enseignants se questionnent dans le même sens.
L’approche des usagers de drogue implique d’intégrer particulièrement ce
que l’on pourrait appeler le concept de « distance ». Cela justifie que nous
observions quelque peu notre action à travers ce prisme.
La recherche de la bonne distance a ponctué notre expérience. Elle a
mobilisé nos énergies et a été au centre de nombreux débats. L’action imposait
aussi de trouver la bonne distance au sein de l’équipe « mégadancings » comme
à l’égard des patrons des discothèques. Elle était également en jeu dans nos
rencontres avec d’autres acteurs présents dans les mégadancings, à savoir les
autorités judiciaires et policières.
Ce concept de distance interroge en fait l’ensemble de la problématique
« mégadancings », que ce soit celle parcourue pour atteindre un mégadancing,
ou la distance entre les jeunes au cours de la nuit, mais également l’effet des
drogues de synthèse comme l’Ecstasy sur la distance relationnelle.
La proximité des jeunes
Lors de nos premiers pas dans les mégadancings, nous sommes naturellement
restés à distance, distance respectueuse mais aussi distance, signe d’appréhension. Les médias avaient alimenté nos représentations de ces lieux. Ils nous
semblaient inaccessibles, fermés. Y pénétrer nous paraissait relever de la
performance.
Il était normal d’être extrêmement prudents, de nous fondre dans l’anonymat de la foule. Nous étions loin de tous ceux qui s’amusaient ou travaillaient
dans les mégadancings.
Intuitivement, nous sentions que nous aurions besoin d’une période d’adaptation, d’apprivoisement. Ce que St-Exupéry a bien décrit dans « Le Petit
prince » correspondait parfaitement à notre situation. Nous devions apprivoiser
les jeunes et nous laisser apprivoiser par eux.
Psychotropes – Vol. 7 n° 3-4
001/Psychotropes/3/2001
157
7/04/05, 14:23
157
La réduction des risques à l’usage des drogues de synthèse : prévention ou promotion de
la santé ?
Lors de nos premières visites, nous sommes restés à l’écart sans chercher
de contact. Nous avons remarqué que dès que nous osions nous rapprocher de
ces jeunes, certains se crispaient, d’autres s’inquiétaient. C’est ainsi que nous
devons comprendre la réaction en chaîne qui a suivi une question de l’une
d’entre nous à un jeune rencontré en fin de nuit à propos des drogues en
mégadancings. La question suscitait de la méfiance. Elle supposait une intrusion
dans la vie du jeune. Pour se protéger, il a fait part de cette question au service
de sécurité qui a prévenu le patron qui, à son tour, a interpellé le travailleur
social.
C’est la même réaction que nous avons vécue lors de la visite de deux
journalistes à la fin de notre période de travail. Elles étaient en repérage pour une
émission de télévision consacrée à l’usage de drogues. Elles aussi voulaient
s’immerger dans les mégadancings mais elles ne pouvaient accepter le rythme
prudent qui fut le nôtre. Après une heure passée à la table du patron, elles
voulaient le contact avec les jeunes clients. Leurs questions anodines au départ
s’orientaient « évidemment » vers la consommation de drogues de synthèse.
Est-ce la formulation des questions ou le fait qu’elles n’étaient pas des
familières de l’établissement qui ont suscité des réactions ? Le résultat fut
immédiat. Un jeune a relayé l’information au service de sécurité qui a averti le
patron. En quelques minutes, celui-ci enjoignait aux journalistes de le retrouver
dans son bureau. La tension montait et elles étaient expulsées, « manu militari »,
de la discothèque.
Trois ans séparent ces deux incidents. Mais ils illustrent le même comportement. Trouver la bonne distance exige un tâtonnement, une recherche prudente par essais et erreurs. Notre équipe ne s’est plus trouvée dans cette position
délicate dans la suite de l’action. Nous savions mieux comment aborder la
question de l’usage de drogues. Nous préférions laisser l’initiative du sujet aux
jeunes. Il est d’ailleurs possible que si nous avions été présents au moment où
les journalistes abordaient la question de l’usage de drogues avec le jeune client,
celui-ci aurait été moins tenté de prévenir le patron. Il est possible que la
proximité que nous avions établie ait sécurisé suffisamment ce jeune, que nous
avions déjà rencontré, pour tempérer son inquiétude.
Notre table d’information représente précisément combien cette notion de
distance-proximité est importante pour mener un travail de prévention et de
promotion de la santé des jeunes au sein des mégadancings.
Cette table implique, de fait, une notion de distance, qu’elle établit entre le
jeune et nous. Chacun peut l’utiliser pour trouver celle qui lui convient. Certains
jeunes se tenaient à distance respectable. Ils ne s’approchaient pas de nous.
D’autres s’avançaient mais s’éloignaient rapidement. Des jeunes ne se sont
saisis d’une brochure qu’en l’absence de travailleurs derrière la table. D’autres
158
001/Psychotropes/3/2001
Psychotropes – Vol. 7 n° 3-4
158
7/04/05, 14:23
Alain VANTHOURNHOUT
s’installaient en face de nous, considérant que la largeur de la table constituait
la distance confortable. Mais nous en avons rencontré aussi qui avaient « besoin » de s’approcher davantage, de nous rejoindre de « notre » côté de la table,
pour confier leurs impressions, leurs sentiments, ou encore leurs difficultés. Ils
pouvaient ressentir parfois encore plus de confort en se retrouvant installés côte
à côte près de nous sur un fauteuil-divan. Cette distance-là leur convenait, elle
leur permettait de nous rencontrer. Et pour autant qu’elle corresponde à la bonne
proximité pour le travailleur social, elle constituait une des conditions d’une
rencontre positive.
L’organisation de notre présence au sein des mégadancings, la progression
prudente de celle-ci autant dans la durée de la prestation que dans sa visibilité,
forment des conditions de réussite de l’expérience.
Le concept de réduction des risques illustre également cette notion de
bonne distance. La prévention classique, plus diabolisante, suppose une proximité importante. Elle signifie une intrusion moralisante dans la vie du jeune.
Elle l’interroge de près, de trop près. Elle l’oblige à se défendre, à se protéger,
à se cacher, au mieux à se justifier. Son corollaire répressif amplifie encore cette
proximité inquiétante. Interpellé par les forces de l’ordre, le jeune sera palpé,
fouillé. Cette fouille peut devenir une mise à nu au sens propre du terme mais
aussi symbolique.
La réduction des risques permet une approche plus douce, plus lente.
L’information de départ se veut neutre mais aussi globale. Elle présente les
avantages et les inconvénients à partir de l’expression du jeune. Chacun peut y
trouver ce qui l’intéresse et ce qu’il cherche. Elle offre des potentialités de
rencontres au niveau souhaité par le jeune. Cette rencontre peut se situer au
niveau d’un échange d’informations qui peuvent être destinées à soi ou à
d’autres. Elle peut impliquer des questions plus personnelles où le jeune dévoile
une partie de son intimité. Une distance s’efface. C’est le jeune qui a le pouvoir
de décider de cet effacement.
Le travailleur impliqué dans la rencontre et dans la relation qu’elle suppose
doit, lui aussi, trouver la distance qui lui convient. Pour certains d’entre nous,
il était confortable de se retrouver assis sur une banquette avec un jeune. Pour
d’autres, il était préférable de rester debout adossés à une colonne de l’établissement ou encore de se promener avec un jeune à l’extérieur.
Des jeunes nous interrogeaient sur nos habitudes de consommations. Ils
nous demandaient de nous dévoiler, de nous rapprocher d’eux. De telles
demandes nous questionnaient lors de nos réunions de travail. Que signifiaientelles ? Quelles réponses étions-nous censés apporter ?
Nous n’avions pas encore perçu cette question de la distance, mais nous
comprenions que nos réponses constituaient un enjeu du travail. Nous avons
Psychotropes – Vol. 7 n° 3-4
001/Psychotropes/3/2001
159
7/04/05, 14:23
159
La réduction des risques à l’usage des drogues de synthèse : prévention ou promotion de
la santé ?
accepté l’hypothèse que la réponse était individuelle, personnelle. Nul ne
pouvait être contraint de confier sa propre expérience, son vécu. Nul ne pouvait
être soumis à la réserve, à l’obligation de se taire. Chacun découvrait que la
réponse qu’il apportait devenait un outil de travail, un moyen de rencontre. Ce
qui est important, ce n’est pas une réaction commune et identique mais que
chacun puisse découvrir la réponse qui lui permette une rencontre confortable.
Du point de vue du travailleur, c’est le confort de la distance qui prédomine.
Cette approche renvoie à d’autres études qui mettent en évidence combien il est
important que le thérapeute trouve la distance personnelle qui lui convient le
mieux avec son patient. Certains s’épanouissent dans la familiarité, la proximité
chaleureuse, d’autres ont besoin d’une distance plus grande que certains
assimileront à de la froideur. Mais les deux comportements peuvent conduire à
une rencontre positive.
L’ensemble des adultes qui se sont impliqués dans cette expérience de
travail en mégadancings a découvert l’importance de cette notion.
La distance au sein de l’équipe
L’affinité qui existait entre les membres de l’équipe a facilité notre travail. La
confiance qui nous habitait nous a autorisés à des échanges plus libres et plus
proches que ceux qui existent habituellement entre travailleurs. Nous croyons
que cette proximité a permis de nous interroger mutuellement sur l’attraction ou
la répulsion que nous éprouvions à l’égard des produits.
À force d’évoquer les effets positifs des drogues de synthèse, nous
ressentions que parfois la distance qui nous séparait d’elles s’amenuisait.
Parfois, l’un de nous éprouvait une certaine fascination, un désir d’en faire
l’expérience. Il était tentant d’utiliser l’argument de la connaissance des
produits pour mieux en parler. Partager cette consommation avec les jeunes
aurait pu constituer une facilité de rencontre avec eux. Des jeunes nous incitaient
d’ailleurs à essayer.
Nous avons partagé les sentiments et les sensations que nous éprouvions.
Ces échanges introduisaient à leur tour une distance entre ces psychotropes et
nous. Nous pouvions ensemble analyser ce qui était en jeu et décider en
connaissance de cause, c’est-à-dire librement. Notre décision ne serait pas
seulement une conséquence de notre travail en mégadancings.
Nous avons pu expérimenter comment la parole, les mots peuvent, chez
nous aussi, introduire cette distance susceptible d’éviter la dépendance.
Il en était de même quand l’un de nous s’essoufflait dans le travail. Parfois,
ce phénomène mégadancing apparaissait absurde, insensé. Alors nous ne
160
001/Psychotropes/3/2001
Psychotropes – Vol. 7 n° 3-4
160
7/04/05, 14:23
Alain VANTHOURNHOUT
pouvions plus donner de crédit aux jeunes qui les fréquentaient. Cela rendait la
rencontre difficile. À d’autres moments, le contexte environnant, les réactions
des patrons devenaient aussi intolérables pour un membre de l’équipe. Sa
prestation s’en ressentait. Sa capacité d’écoute de ce patron s’amenuisait.
Nos réunions nous ont permis de partager ces sentiments mélangés,
contradictoires et changeants. Nous pouvions les relier aux représentations
personnelles de chacun d’entre nous.
C’étaient nos valeurs que nous acceptions de dévoiler. C’était l’éthique de
chacun qui était mise sur la table.
Cette proximité relationnelle de l’équipe mégadancing de Canal J nous a
parfois mis à distance des autres travailleurs sociaux de notre service. L’expérience nous envahissait tellement que nos collègues se sont parfois sentis exclus.
Ils nous reprochaient d’y consacrer l’essentiel de notre travail. Ils étaient
contraints d’assumer d’autres missions de Canal J sans nous. La cohésion, la
proximité qui nous reliaient les mettaient à distance. Ils ne pouvaient pas
participer à nos réflexions, absents des réunions de travail et des prestations dans
les mégadancings.
Nous avons dû être attentifs à ce phénomène en communiquant davantage
avec ces collègues, souvent informellement. Nous étions conscients que nous ne
pouvions pas envahir les réunions de Canal J avec notre action. Nous étions
tentés de monopoliser le temps de réunion. À d’autres moments, des collègues
nous reprochaient d’être quelque peu « tenus à l’écart ». Nous avons dû
chercher la bonne distance entre l’ensemble de l’équipe de Canal J et les acteurs
de l’expérience en mégadancing. Nous ne croyons pas que nous ayons réussi à
la trouver exactement.
Quelques conclusions
Le contexte
Les dancings et mégadancings s’intègrent au paysage du Hainaut occidental. Ils
attirent chaque week-end un nombre important de clients dont la plupart sont des
jeunes de moins de 25 ans originaires de tous les coins de Belgique et du nord
de la France.
À l’intérieur de ces dancings, il est possible de rencontrer de nombreux
usagers de psychotropes et particulièrement de drogues de synthèse, comme le
speed et l’Ecstasy. Ces espaces, en attirant chacun plusieurs milliers de jeunes,
constituent aussi un lieu alléchant pour les dealers. Chaque semaine, les forces
Psychotropes – Vol. 7 n° 3-4
001/Psychotropes/3/2001
161
7/04/05, 14:23
161
La réduction des risques à l’usage des drogues de synthèse : prévention ou promotion de
la santé ?
de l’ordre en interpellent. Ces interpellations, selon le Parquet, augmentent au
fil du temps.
Cet accroissement de l’offre nourrit l’hypothèse d’une augmentation de la
demande des clients des mégadancings. Cela signifie-t-il plus de clients consommateurs de drogues de synthèse ou des clients consommant davantage ?
Nous ne pouvons répondre à cette question.
L’usage de ces drogues permet de « mieux » sentir l’ambiance, de « mieux »
s’éclater, de « mieux » profiter de la nuit en mégadancing. Ce message se
propage parmi la clientèle qui y résiste souvent difficilement. Cela ne signifie
pas que tous les clients en consomment. Certains mêmes demeurent farouchement adversaires de leur usage.
Les jeunes rencontrés dans ces discothèques n’apparaissent pourtant pas
comme des toxicomanes. La plupart d’entre eux gèrent leurs consommations.
Ils la limitent à leurs sorties du week-end et sont capables d’assumer leur
quotidien durant la semaine. Ils fréquentent l’école, travaillent, font du sport ou
ont d’autres loisirs comme la musique, la peinture.
Lors des rencontres avec des travailleurs attachés à la prévention de l’abus
de drogues, ils démontrent leurs capacités de réflexion, leurs inquiétudes et leur
souci de maîtriser l’usage de ces drogues. Même sous l’influence de ces
psychotropes, ils restent souvent maîtres de leurs réactions et leurs comportements expriment un certain contrôle. Ils ne sont pas particulièrement agressifs.
Au contraire, la plupart d’entre eux font preuve de convivialité et de tolérance
à l’égard des autres.
La réalité de la consommation de psychotropes est reconnue par les
directions et le personnel des mégadancings où nous nous sommes impliqués.
Ils sont conscients des risques que prennent certains clients. Ils ont appuyé la
démarche d’information et de prévention proposée par les associations Canal J
et AIDE. En rencontrant ces directions, nous avons stimulé et nourri cette prise
de conscience que les autorités policières et judiciaires doivent amplifier par les
informations qu’elles détiennent.
L’ambiance et le fonctionnement des mégadancings du Hainaut occidental
permettent à des adultes travailleurs sociaux d’y pénétrer, de rencontrer les
jeunes et d’entamer avec eux un dialogue à propos de leurs consommations. Des
jeunes répondent à l’offre de rencontre et viennent chercher des informations et
le contact avec des adultes qui acceptent de les écouter. Ils veulent des réponses
aux questions souvent essentielles qui se rapportent au sens de leur vie. La
consommation de psychotropes peut faire partie intégrante de ces questions.
Mais ces jeunes sont également pragmatiques. Ils ont l’intuition que
consommer ces drogues implique un bon usage. Ils cherchent à obtenir des
162
001/Psychotropes/3/2001
Psychotropes – Vol. 7 n° 3-4
162
7/04/05, 14:23
Alain VANTHOURNHOUT
adultes des informations qui limiteront les risques liés à l’usage de l’Ecstasy ou
du speed.
Les conditions de la rencontre des jeunes en mégadancings
Si les jeunes acceptent et demandent de rencontrer des adultes, travailleurs
sociaux, au cours de leurs nuits en mégadancings, ces rencontres impliquent le
respect intégral de certaines conditions.
La première est sans doute la disponibilité de l’adulte, travailleur social. En
pénétrant dans la discothèque, il est nécessaire d’être entièrement disponible. Le
contexte de travail implique un inconfort. Quitter un univers douillet, calme, à
une heure avancée de la soirée (minuit) pour s’aventurer dans un cadre où les
stimulations auditives et visuelles sont importantes, demande un effort. Il s’agit,
dans ce contexte, de développer une attitude mentale qui autorise la rencontre.
À l’opposé, une attitude de supériorité exprimée par un regard ironique et
critique envers des jeunes qui se déchaînent sur la piste ne permet pas de
travailler la nuit en mégadancing. Il en est de même si nous sommes traversés
par un sentiment persistant de doute sur l’efficacité de l’action.
Le travail implique de bien comprendre le fonctionnement de la discothèque et les règles qui y ont cours. Chaque mégadancing a développé une
organisation, un climat et des lois qui lui sont propres. Y déroger, c’est se mettre
en porte-à-faux et déséquilibrer un ensemble fragile. La démarche ethnologique
de l’observation permet précisément de découvrir ces règles, de les comprendre
et de les respecter. Tout au long de notre démarche, nous avons dû être attentifs
aux spécificités des établissements où nous avons mené notre travail, sous peine
de créer des tensions avec les jeunes ou avec le personnel des discothèques. Ce
sont souvent ces tensions qui constituaient des entraves à notre disponibilité.
La connaissance du contexte implique aussi l’approche de ceux qui dirigent
ces mégacentres. Certains d’entre eux sont de véritables patrons d’entreprise
aux chiffres d’affaires impressionnants. Leur logique est essentiellement commerciale et donc bien différente de la nôtre. Les rencontrer, c’est essayer de
comprendre leurs motivations : leurs stratégies créatrices dans ce milieu de la
nuit mais aussi leurs motivations à accepter la présence libre de travailleurs
sociaux auprès de leur clientèle. Il a fallu décrypter de nombreuses attitudes,
dénouer des malentendus, faire confiance dans des conditions pas toujours
évidentes et enfin répéter maintes fois nos objectifs et nos règles de travail. Ce
sont les conditions nécessaires à une collaboration sans laquelle nous n’aurions
pu maintenir durant trois ans une présence active dans ces lieux.
Il importe également de développer le désir de rencontre. C’est sans doute
la curiosité positive qu’il faudrait évoquer. Il faut s’intéresser à ce qui motive ces
Psychotropes – Vol. 7 n° 3-4
001/Psychotropes/3/2001
163
7/04/05, 14:23
163
La réduction des risques à l’usage des drogues de synthèse : prévention ou promotion de
la santé ?
jeunes à rejoindre en masse ces discothèques, à aimer se retrouver entourés par
des milliers d’autres. Il s’agit de comprendre ce qu’ils recherchent en parcourant
de nombreux kilomètres pour se rendre dans ces lieux et y dépenser des sommes
importantes.
Chercher à comprendre, c’est s’intéresser à eux, à leur vie avec un
minimum de préjugés. Ce n’est certes pas toujours aisé, étant donné le décalage
d’âge et de culture.
La démarche implique une approche prudente. Ces jeunes viennent avant
tout s’amuser et chercher des sensations plus ou moins fortes. Ils recherchent des
amis, des amours, de la musique, des produits à consommer. La demande
d’informations et de rencontres avec un adulte apparaît certainement comme un
objectif accessoire. Insister pour obtenir un contact va braquer, créer de la
résistance.
Tout au long de notre démarche, nous avons été attentifs à ne pas « importuner » les jeunes, à ne pas nous imposer. Nous n’avons pas forcé la rencontre,
nous l’avons seulement rendue possible en soulignant notre visibilité par notre
présence derrière notre table couverte de brochures.
Nous avons simplement voulu être là et permettre la rencontre en éveillant
la curiosité par une présence incongrue, insolite.
Le contenu du message constitue également une condition de la rencontre.
Il ne nous est pas apparu possible de proposer un autre message que celui de la
réduction des risques liés à l’usage de psychotropes.
Même si leurs informations sont partielles, lacunaires, les consommateurs
de drogues de synthèse connaissent certains de leurs effets. Ils savent ce que ces
produits peuvent leur procurer, soit directement pour les avoir expérimentés,
soit par le discours des autres consommateurs qui ont déjà ressenti leurs effets.
Nombre d’entre eux exige une information précise, voire scientifique. Les
brochures que nous avons mises à la disposition des jeunes répondent à leurs
besoins. Ils se sentent reconnus, respectés dans leurs goûts et leurs plaisirs quand
ils découvrent un document qui reprend d’abord les effets recherchés par la
consommation de ces drogues de synthèse. Cette reconnaissance peut créer le
lien nécessaire à la rencontre.
Enfin, il était indispensable de consacrer de longs moments de réflexions
entre nous, travailleurs en mégadancings de Canal J et de L’AIDE, mais aussi
avec d’autres collègues des services au sujet du déroulement du travail. Ni les
comités de suivi, ni les rencontres franco-belges, ni celles en présence des
instances officielles belges, françaises et européennes n’ont été inutiles. Il a fallu
être ensemble pour digérer, décoder les informations récoltées et en tirer le
meilleur profit.
164
001/Psychotropes/3/2001
Psychotropes – Vol. 7 n° 3-4
164
7/04/05, 14:23
Alain VANTHOURNHOUT
Des jeunes, acteurs du dispositif préventif
L’action mégadancing a montré, une fois encore, qu’un projet communautaire
ne peut se développer au bénéfice de ceux à qui il s’adresse, sans leur concours
actif. Nous n’aurions pu mettre en place notre dispositif au sein des mégadancings
si de nombreux jeunes n’avaient accepté de nous guider dans ces lieux. Nous
n’aurions pu comprendre leurs règles de fonctionnement s’ils n’avaient été des
traducteurs patients et attentifs des faits et gestes observés. Ils ont été ces
traducteurs au sens propre du terme en nous initiant au langage particulier de
cette culture techno qui domine dans ces discothèques.
Des jeunes ont été des intermédiaires efficaces pour nous faire accepter des
clients des discothèques. Ils nous ont rassurés quand nous étions intimidés,
parfois mal à l’aise, derrière notre table d’information.
Ils ont été des constructeurs vigilants des brochures d’information, tant au
moment de leur conception que dans la phase test où plusieurs dizaines d’entre
eux nous ont fait part de remarques indispensables pour obtenir un document
adapté, lisible et pratique. Le format des brochures est entièrement le fruit de la
recherche des jeunes graphistes qui nous ont aidés lors de la mise en forme de
la brochure Ecstasy, modèle pour les documents suivants.
Certains de ces jeunes ont accepté de nous livrer en toute franchise leur
parcours de vie, lié à leurs consommations de psychotropes. Ils ont répondu avec
un souci du détail à nos questions, ils ont relu les écrits que nous leur avons
consacrés. Ils se sont pliés de bonne grâce à nos sollicitations suite aux
demandes de certains médias, n’hésitant pas à témoigner à visage découvert face
aux caméras.
Les stagiaires de Canal J et de l’AIDE ont à tour de rôle soutenu la démarche
et ont nourri par leurs réflexions le débat nécessaire aux ajustements de notre
travail.
Ce concept de la réduction des risques mène-t-il à une
prévention ?
À l’aube de notre démarche, nous aurions été tentés de répondre négativement
à cette question. Elle n’était pas une prévention au sens classique ou étymologique du terme. Le concept de réduction des risques n’a pas pour objectif
d’empêcher un comportement de consommation, de le « pré-venir ». Elle
cherche plus simplement à limiter les risques ou les dommages que ces
consommations peuvent entraîner. Cet objectif nous mettait quelque peu mal à
l’aise par rapport au but déclaré de notre action : réduire les consommations.
Cela explique pourquoi nous avons considéré la démarche de réduction des
Psychotropes – Vol. 7 n° 3-4
001/Psychotropes/3/2001
165
7/04/05, 14:23
165
La réduction des risques à l’usage des drogues de synthèse : prévention ou promotion de
la santé ?
risques comme un objectif de promotion de la santé des individus, d’accessibilité à une meilleure santé pour des usagers de psychotropes.
À l’origine, nous l’avons acceptée car les autres démarches classiques de
prévention des toxicomanies nous semblaient inapplicables et même agressives
à l’égard des jeunes rencontrés dans les discothèques.
Nous avons vécu dans l’inconfort cette démarche de réduction des risques
car elle nous semblait éloignée des missions de prévention assignées aux
équipes en milieu ouvert.
Avec le recul, nous osons affirmer que notre action a aussi des effets
préventifs. Et ce sont les réactions des jeunes qui viennent étayer notre position.
Le discours de la réduction des risques engendre une réflexion chez
l’usager de psychotropes qui peut conduire à diminuer ses consommations et
parfois le mener, s’il le souhaite, à l’abstinence. Rencontrer le jeune avec ce
message-là, c’est lui permettre de prendre, au cours de cette rencontre, une
distance avec les produits. Cela lui permet de se voir « consommant » et de
s’interroger sur le sens de cette consommation. Cette interrogation a un effet de
miroir. Le jeune peut se voir abuseur potentiel de psychotropes et il peut aussi
découvrir les conséquences de ces abus. Il peut anticiper ces conséquences. Par
les mots, par le dialogue, il peut maîtriser davantage ses consommations et
entamer un processus qui le mènera à l’abstinence.
Paradoxalement, il semble que cette voie ne soit possible que dans la
mesure où le travailleur social ne la recherche pas d’emblée, dans la mesure où
il laisse à l’usager de psychotropes la responsabilité de la démarche de son choix.
Cela implique toujours de considérer cet usager comme un citoyen comme les
autres, comme un individu en recherche et non comme un marginal à soigner ou
pire à sauver.
La question du testing
Dès le départ de notre action, la question du testing a été soulevée. Les
Hollandais pratiquaient un testing particulier. Ils répertoriaient les produits
disponibles, les décrivaient, les analysaient et reproduisaient description, photo
et résultat de l’analyse dans un répertoire. La pilule que présentait le jeune au
centre de test, était comparée à celles contenues dans le répertoire. Si elle
correspondait à l’une décrite, le jeune pouvait en connaître la composition, la
puissance et les risques relatifs à son usage. Si sa pilule n’était pas répertoriée,
aucune information ne pouvait lui être transmise, mais le préposé au testing le
mettait en garde : « Il y a un danger supplémentaire étant donné l’absence
d’information. »
166
001/Psychotropes/3/2001
Psychotropes – Vol. 7 n° 3-4
166
7/04/05, 14:23
Alain VANTHOURNHOUT
Ce testing permettait la rencontre du jeune, mais l’évolution des produits
est tellement rapide qu’il était souvent difficile de les retrouver dans le répertoire
et, dès lors, de donner une réponse aux jeunes consommateurs.
Le testing français nous semble plus aléatoire, étant donné le caractère
sommaire de l’analyse. Quelques poussières de pilule sont soumises à un réactif
qui permet de déterminer la présence de telle ou telle amphétamine. Le réactif
utilisé ne donne aucune information sur la composition exacte de la pilule et
donc sur la présence d’autres molécules chimiques plus ou moins toxiques
comme la strychnine découverte dans des pilules saisies dans le Tournaisis.
Ce testing a été dénoncé par de nombreuses autorités françaises car il était
trop approximatif. Il risquait de donner des informations erronées, alors que les
informations scientifiques des conséquences de l’usage des drogues de synthèse
restent peu explicites.
Aucun des testings proposés ne nous a semblé suffisamment fiable pour le
tenter. Les nettes réserves émises par le Parquet ne nous ont pas encouragés à
investiguer davantage dans ce sens.
Pourtant, le testing constitue une réelle demande des jeunes usagers de
drogues de synthèse. Entendre cette demande, c’est aussi se donner des
occasions de rencontres avec ces usagers autour de leurs consommations.
Ensemble, il est peut-être possible de mettre au point un contrôle plus fiable des
produits consommés. Il implique le concours de laboratoires déjà expérimentés
dans ces tests, comme les laboratoires de la police scientifique. Les obstacles
techniques semblent de taille. Actuellement, ces analyses supposent l’utilisation d’instruments coûteux à manipuler par du personnel spécialisé. Il ne semble
pas possible d’obtenir un résultat probant en moins d’une demi-heure ce qui
constitue un délai trop grand pour des jeunes souvent en quête d’immédiateté.
L’utilisation d’un scanner par ionisation permet lui aussi de déceler la présence
d’amphétamines mais il ne détectera pas d’autres substances éventuellement
nocives.
D’autre part, l’usage de tests exige plus de transparence et moins de
clandestinité. Cette réflexion débouche inévitablement sur la légalisation ou la
dépénalisation de l’usage de psychotropes. Ce débat nous a aussi traversés.
Les besoins de concertations
Nombre de travailleurs sociaux manifestent une certaine distance à l’égard des
différentes autorités, qu’elles soient judiciaires, policières ou politiques. Notre
équipe s’inscrivait dans ce sentiment. Il nous a fallu de nombreuses réflexions
d’équipe pour envisager le bien-fondé de la rencontre avec les gendarmes
Psychotropes – Vol. 7 n° 3-4
001/Psychotropes/3/2001
167
7/04/05, 14:23
167
La réduction des risques à l’usage des drogues de synthèse : prévention ou promotion de
la santé ?
experts en mégadancing. Nous travaillions sur le même territoire, même si nos
objectifs et nos moyens différaient.
Ces rencontres, au début de notre action, nous sont apparues indispensables
pour nous imprégner rapidement de la réalité de ces mégadancings. Les études
chiffrées de la gendarmerie nous ont aidés à évaluer l’ampleur du phénomène.
La participation du Parquet à la réflexion l’a nourrie également. Elle nous a
permis de toujours maintenir le cap de la légalité. C’est ce qui a confirmé, par
exemple, notre refus d’assumer le testing des pilules d’Ecstasy.
Les concertations – c’est le terme qui nous a semblé le plus adéquat – que
nous avons mises en place avec ces différentes autorités ont amené à des
échanges généraux, globaux sur nos actions respectives, sans trahir le secret
professionnel et en étant prudents quant aux risques d’assimilation que nos
rencontres auraient pu induire auprès des jeunes. Ces concertations ne signifiaient nullement une collaboration entre services policiers et psychosociaux.
De tels échanges ont été étendus à d’autres partenaires : des équipes d’aide
aux jeunes, des enseignants, des services de soins, des équipes de recherche. Ils
nous semblent indispensables pour asseoir une telle action. Des regards extérieurs, parfois naïfs, nous ont obligés à nuancer, à renforcer ou encore à
abandonner l’une des stratégies que nous avions élaborées.
Les effets de la démarche
Notre image des jeunes qui fréquentent ces discothèques a évolué au cours de
l’action. Tous les amateurs de techno ne consomment pas. Tous les consommateurs ne sont pas des toxicomanes, des utilisateurs de drogues dures. Tous les
usagers n’ont pas besoin de soins. Les jeunes qui aiment la techno ne sont pas
nécessairement des rebelles, des marginaux. Ils ont des capacités d’écoute,
d’analyse. Nous pouvions prendre une distance par rapport à l’image véhiculée
par des enseignants, pour lesquels leurs élèves passaient leur nuit dans les
discothèques. Abandonner ces images, c’était se défaire de préjugés qui
constituent souvent un obstacle à la relation, entre autres pour des travailleurs
en milieu ouvert.
Nous ressentons moins les tabous qui entourent l’usage de drogues. Ces
usagers sont d’abord, pour nous, des jeunes qui cherchent les moyens de vivre
le mieux possible leur vie, qui cherchent des expériences gages de leur
évolution, qui se posent comme nombre d’entre nous des questions sur le sens
de leur vie.
Notre naïveté de départ s’est transformée en une sorte d’expertise, en une
capacité d’établir des contacts avec ces jeunes usagers des mégadancings et des
168
001/Psychotropes/3/2001
Psychotropes – Vol. 7 n° 3-4
168
7/04/05, 14:23
Alain VANTHOURNHOUT
drogues de synthèse. Notre inquiétude de départ est devenue une sorte d’assurance. Nous nous sommes sentis un peu chez nous au sein de ces mégadancings.
Au terme de notre travail, nous croyons disposer d’outils que nous pouvons
adapter à d’autres publics, à d’autres lieux. Il ne s’agit pas d’appliquer le concept
de la réduction des risques à d’autres contextes de travail mais plutôt de nous
donner les moyens de rencontrer les jeunes là où ils vivent. Les brochures
consacrées au cannabis, à l’Ecstasy et au speed peuvent devenir des moyens ou
des occasions de rencontres.
Le cannabis sort de la clandestinité et il est consommé par un nombre de
plus en plus important de jeunes. Son usage récréatif se répand dans leurs
milieux de vie : à l’école, dans les clubs de sport ou encore au sein des
mouvements de jeunesse. Cet accroissement des usages laisse nombre d’adultes
perplexes, parfois impuissants à l’évoquer. À la clôture de nos actions dans les
mégadancings, nous croyons pouvoir utiliser la brochure cannabis dans nos
interventions au sein des écoles, des internats scolaires ou des clubs de jeunes.
Cette démarche nécessite, comme dans les mégadancings, une préparation
importante. Elle demande de rencontrer les adultes qui encadrent ces jeunes,
d’étudier avec eux le contexte de vie, d’en découvrir les règles, les valeurs. Elle
nous oblige à recueillir l’adhésion des pédagogues, éducateurs, animateurs, à
notre démarche. Elle demande une collaboration maximale avec ceux-ci. Nous
ne pouvons plus nous contenter de l’animation « clé sur porte » annoncée par un
simple coup de téléphone qui ne règle que des questions pratiques. Il s’agit d’une
co-construction entre les intervenants permanents de ces lieux de vie et ceux
plus momentanés que nous sommes.
En remplissant ces conditions, nous pouvons construire des rencontres
autour de la consommation du cannabis, produire avec des jeunes un discours
qui peut mettre une distance entre eux et ces produits et ainsi parfois prévenir
les abus en leur permettant d’en maîtriser l’usage.
Psychotropes – Vol. 7 n° 3-4
001/Psychotropes/3/2001
169
7/04/05, 14:23
169