Notice François Villon par René Collamarini

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Notice François Villon par René Collamarini
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René Collamarini (1904-1983)
François Villon, statuette
1930-1933
plâtre, patine terre cuite
H. 48 x L. 22 x Pr. 27 cm
Inventaire FC 94.4.51. Donation Gérard Cathelain 1994
En 1930, René Collamarini (1904-1983) est lauréat de la Fondation Blumenthal, en même temps
que le sculpteur Robert Couturier (1905-2008). Le prix est doté de 25 000 F, une somme importante à
l’époque, ce qui lui permet de s’installer dans l’atelier des Fusains, rue de Tourlaque à Paris (lieu qu’il
habitera jusqu’à sa mort), et de créer librement.
Il décide de consacrer une statue à François Villon, son poète de prédilection. Le modèle en plâtre
de la statue, grandeur nature, fut présenté au Salon des Indépendants en 1933. Après de nombreuses
démarches, Collamarini obtint de l’Etat, en février 1943, la commande d’une version en pierre de 2m50 de
haut. La statue, achevée en décembre 1943, fut inaugurée en juin 1947, square Monge (devenu Square
Paul Langevin à Paris).
La Fondation de Coubertin possède une maquette en plâtre patiné terre cuite de l’œuvre.
La Fondation Blumenthal :
La Fondation américaine Blumenthal pour la Pensée et l’Art Français, fut créée en 1919, avec pour
objectif de découvrir et promouvoir outre-Atlantique de jeunes artistes français. De 1919 à 1954, elle
décerna des prix à des peintres, sculpteurs, décorateurs, graveurs, écrivains et musiciens.
En 1930, le prix est attribué à 13 lauréats : trois écrivains, Jean Guirec (32 ans), Marcel Aymé (28
ans), Alexandre Vialatte (23 ans) ; deux peintres, Maurice Poncelet (33 ans), Suzanne Froment (26 ans) ;
deux sculpteurs, René Collamarini (26 ans), Robert Couturier (25 ans) ; trois artistes décorateurs, Paul
Pouchol (26 ans), Suzanne Lefèvre (31 ans), Gisèle Grimont (moins de 31 ans) ; un architecte Léon Bazin (30
ans) ; un graveur André Jacquemin (26 ans) ; un musicien Georges Hugon (26 ans).1
François Villon :
François Villon est le grand poète français de la fin du Moyen-Age, né vers 1431 et disparu en 1463,
célèbre notamment pour le Testament et la Ballade des pendus.
François Villon fut redécouvert par quelques écrivains romantiques au 19e siècle (Nerval, Gautier,
Murger), même si les travaux de Nathan Edelman et Jean Dufournet ont permis de montrer que l’intérêt
des Romantiques pour Villon fut très limité.
Villon connut une grande vogue à partir des années 1870. Les travaux érudits se développent à
cette époque, avec le néerlandais Willem Bijvanck (1848-1925) et le français Auguste Longnon (1844-1911),
auteur en 1877 d’une biographie historique, Étude biographique sur François Villon, d'après les documents
inédits conservés aux Archives nationales. L’écrivain Marcel Schwob (1867-1905) consacra sa vie à effectuer
des recherches sur Villon, mais également à mieux le faire connaître, lui qui fréquentait le Paris littéraire.
Puis ce sont les travaux de Gaston Paris (1839-1903) et de Pierre Champion (1880-1942), émule de Schwob.
Se crée une sorte de cercle de « villonistes ».
Villon suscite l’admiration de nombreux poètes et écrivains (Maupassant, Rimbaud, Banville,
Richepin, Verlaine, Stevenson, Huysmans, Mandelstam, Brecht, Valéry…) qui le citent, s’inspirent de ses
formes poétiques ou romancent des épisodes de sa vie. Le théâtre aussi s’empare du personnage de Villon.
Le poète était particulièrement apprécié de la bohême de Montmartre (il y avait même une salle
François Villon au cabaret du Chat noir), quartier où vivaient Mac Orlan, Carco, Richepin et Collamarini.
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Maximilien Gauthier, La Fondation américaine Blumenthal pour la pensée et l'art français, PUF, 1974, p.59
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Rappelons enfin que, vers 1895-1896, le peintre Jacques Villon (né Gaston Duchamp, 1875-1963)
prit le pseudonyme de Villon en hommage au poète.
Les représentations sculptées de François Villon avant Collamarini :
En 1881, lorsque Jean-François Etcheto (1853-1889) présente au Salon le plâtre d’une statue de
François Villon, il semble que ce soit la première représentation sculptée connue du poète [Voir notice de
l’œuvre]. La Ville de Paris acquit le plâtre et commanda à Etcheto une version en bronze, inaugurée en
1883 square Monge, l’actuel square Paul Langevin. Elle fut fondue sous l’occupation, et remplacée en 1947
par la statue de René Collamarini.
En 1906, le sculpteur Edouard Maugendre-Villers (1852-1922) présente au Salon une statue en
plâtre de François Villon, également achetée et conservée par la Ville de Paris (COARC).
Un buste en bois de François Villon, par Léon Morice (1868 - ?), exécuté avant 1923, est conservé
au musée des Beaux-Arts d’Angers.
Par ailleurs, la poésie de Villon fut source d’inspiration pour les artistes, notamment les sculpteurs
Auguste Rodin (1840-1917) et Lucien Schnegg (1864-1909).
Un Villon étique, loin du pittoresque d’Etcheto :
Loin du caractère enjoué et pittoresque de la statue de Jean-François Etcheto, Collamarini présente
un « Villon famélique »2, dans une simple robe de bure. Collamarini connaissait la statue d’Etcheto, qu’il
n’appréciait pas, la trouvant anecdotique : « Je connaissais l’existence de cette statue qui à mon sens et en
dehors de sa valeur plastique, qui est fort discutable, ne donne pas de Villon une idée vraie et se borne à la
simple anecdote. »3
On trouve dans les Archives de René Collamarini4, une coupure de journal conservée par le
sculpteur, qui pourrait avoir inspiré l’apparence de son Villon. Il s’agit d’un article d’André Suarès sur Villon,
paru dans la revue Les Nouvelles littéraires en décembre 1931. En voici un extrait :
« Ce grillon d’homme brun et maigre, pâle, livide même, je le vois, le pas vif et sautillant, les yeux souvent
hagards, toujours inquiets, la bouche moqueuse ; cruel et doux, cynique et délicat, pitoyable et méchant,
savant et faisant la brute, raffiné et voyou, ivre avant d’avoir bu, sage quand il est saoul ; et ce regard qui
déniche toujours la tête de mort sous les yeux rieurs, sous la gorge la plus tendre, et les plus chères lèvres.
De Notre Dame à la Sorbonne, il médite un mauvais coup et trois vers admirables pour faire chaton à la
ballade ; plein de regrets et sans remords, ardent et dégoûté : dans la même heure brumeuse, novembre
sur la Seine, il va baiser la main de sa bonne vieille mère en larmes, la pauvrette au visage douloureux et
défait, dans sa chambrette froide, et finir au chaud la soirée dans le bouge où Margot le barbouille de ses
caresses, et lui ouvre son giron.[…] »5
La réception critique
En 1933, Collamarini expose pour la première fois au Salon des Indépendants. Son Villon est
remarqué par quelques critiques, mais ne suscite guère de commentaires. Tout au plus, Georges Turpin
dans Les Primaires (la revue des éducateurs), indique « un excellent Villon de René Collamarini, d'une belle
attitude expressive »6.
Pierre Champion (1880-1942), chartiste, spécialiste de François Villon, et également conseiller
général de la Seine, témoigne de son admiration pour la statue, dans un lettre à l’artiste : « Je ne puis que
vous répéter combien j’aime votre œuvre si intelligente et d’un fort beau style. »7. Aussi entreprend-t-il des
démarches pour que Collamarini obtienne une commande de son Villon par la municipalité de Paris, puis
celle d’Orléans : en vain.
2
Michel Florisoone, « A travers le salon des Indépendants », L'Art et les artistes, n°134, février 1933, p.176
Lettre de René Collamarini à Pierre Champion, du 9 mars 1933, Bibliothèque de l’Institut Ms 4911, feuillet 224.
4 Les Archives Collamarini sont conservées à la bibliothèque de l’INHA.
5 André Suarès, « Ames et visages. I. Villon de Paris », Les Nouvelles littéraires, 19 décembre 1931
6 Georges Turpin, « Le Salon des Indépendants », Les Primaires (Revue des éducateurs), mars 1933, p.207
7 Lettre de Pierre Champion à Collamarini, 4 mars 1933, INHA, Bibliothèque, Archives Collamarini, Carton 9.
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Deux ans plus tard, Jean-Daniel Maublanc consacre à Collamarini un article élogieux, dans lequel il
rappelle son « début sensationnel » au Salon des Indépendants en 1933 avec sa statue de Villon : « Chacun
a souvenir de son magistral Villon, statue de belle taille, réalisation magnifique d’un type curieux et dont il a
sculpté l’inquiétante et captivante figure. Ce Villon est une pièce maîtresse, dont nous n’oublierons jamais
l’apparition, quelle que soit l’œuvre future de René Collamarini. »8
Jean-Daniel Maublanc (1892-1965), industriel ayant fait fortune dans le charbon de bois, était un mécène
qui réunissait un cénacle de poètes, peintres et musiciens. Fondateur de la revue Point et virgule et des
Cahiers de la pipe en écume, il publia plusieurs recueils de poèmes et des essais de critique d'art et de
littérature. Il commanda à Collamarini son portrait, et ceux de sa fille et de sa femme.
En 1943, dans le quotidien Le Matin, le journaliste Pierre Malo consacre un article à la statue de
Villon, dont le titre résume son admiration, « Le sculpteur Collamarini a donné un visage à François Villon,
le chantre des gueux ». Il rappelle la pauvreté de l'iconographie de Villon et estime que contrairement au
« gracieux petit page de bronze » d’Etcheto, Collamarini a fait revivre Villon : « Je viens de rencontrer
François Villon dans un atelier de Montmartre et un tel événement mérite assurément d'être signalé. »9.
Il décrit ainsi la statue : « François Villon, donc, m'est apparu, pensif et las, vêtu comme un clerc, dans
l'atelier du sculpteur Collamarini. […) ». Puis le journaliste cite les intentions du sculpteur : « C'est son
œuvre, plus que sa vie, que j'ai voulu ressusciter »10.
En 1945, Robert Rey (1888-1964), critique d’art et conservateur des Musées nationaux, écrit son
admiration pour l’œuvre dans un courrier au Recteur de l’Académie de Paris : « Parmi les commandes de
statues qui ont été passées par l’Etat à des sculpteurs contemporains, une des plus réussies et des plus
émouvantes, tant par sa valeur purement plastique que par la haute poésie qui s’en dégage, est la statue
de François Villon, exécutée par le sculpteur Collamarini. »11
La commande de la statue en pierre
En février 1943, l’Etat commande à René Collamarini une statue de François Villon, en pierre de
Vilhonneur, haute de 2m50. La statue est achevée en décembre 1943, mais le choix de son emplacement va
s’éterniser. En 1946, le choix se porte sur le square Monge, à l’emplacement du Villon d’Etcheto, fondu
sous l’Occupation. La statue de Collamarini est enfin inaugurée le 6 juin 1947.
8
Jean-Daniel Maublanc, « Quelques artistes du temps présent : René Collamarini et Louis Neillot », Pro Medico, 1935, fasc. 4, p.122
Pierre Malo, « Le sculpteur Collamarini a donné un visage à François Villon, le chantre des gueux », Le Matin, 17 mai 1943, p.2 :
« Je viens de rencontrer François Villon dans un atelier de Montmartre et un tel événement mérite assurément d'être signalé. On
n'a pas souvent l'occasion, en effet, de rencontrer François Villon, car l'iconographie du chantre des gueux est une des plus pauvres
de la littérature française et le gracieux petit page de bronze qu'un élève de Carpeaux a dédié à l'auteur du Grand Testament ne
doit guère ressembler à ce terrible escholier « sec et noir comme écouvillon», qui n'échappa qu'à grand'peine à la potence. »
10 Ibidem
11 Lettre de Robert Rey, Directeur de l’Enseignement et de la Production artistique, au Recteur de l’Académie de Paris [Gustave
Roussy], le 18 février 1947, CNAP, Archives
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